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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 7 décembre 2000, n° 99-08158

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fisselier, Fisselier Leroyer (SA)

Défendeur :

Distillerie du Plessis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede (faisant fonctions)

Conseillers :

M. Patte, Mme Teze

Avoués :

SCP Leroyer Gauvain Demidoff, SCP Castres Colleu Perot

Avocats :

Me Leroyer, SCP Coroller Bequet.

CA Rennes n° 99-08158

7 décembre 2000

EXPOSE DES FAITS. PROCÉDURE, OBJET DU RECOURS

Exposant que la société à responsabilité limitée Distillerie du Plessis se livrait à des actes de contrefaçon des marques dont ils ont été successivement propriétaires doublés de concurrence déloyale, Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer ont par acte du 23 mai 1997, fait assigner cette dernière devant le Tribunal de commerce de Quimper, qui par jugement du 26 octobre 1999 a :

- constaté la nullité des marques Lambig et Lambig Breiz,

- débouté Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer de leur action en contrefaçon,

- dit que la commercialisation par la société Distillerie du Plessis de "Galons Biniou" constitue un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Fisselier-Leroyer et condamné à ce titre, la société Distillerie du Plessis à lui payer la sommer de 30 000 F à titre de dommages-intérêts,

- débouté Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer de leur action en dénigrement,

- condamné la société Distillerie du Plessis à payer à la société Fisselier-Leroyer la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- dit que les dépens seront supportés par la société Distillerie du Plessis à l'exception de ceux relatifs à la procédure de saisie-contrefaçon qui seront mis à la charge de Monsieur Fisselier et de la société Fisselier-Leroyer.

Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer ont formé appel de cette décision le 10 novembre 1999.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

Après avoir rappelé leur intérêt commun à agir au titre de la contrefaçon de marques, Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer qui reconnaissent que seule la seconde a subi un préjudice au titre de la concurrence déloyale, font valoir au soutien de leur recours que :

- la contrefaçon est établie en ce qu'ils justifient de l'originalité et de l'antériorité des marques qui à la date de leur dépôt, n'étaient pas utilisées pour désigner l'eau de vie de cidre de Bretagne, le terme lambig étant rigoureusement inconnu sur l'ensemble du territoire français en dehors de la commercialisation des produits revêtus de leurs signes distinctifs,

- les actes de concurrence déloyale de la société Distillerie du Plessis sont également caractérisés par la copie servile et systématique des produits Fisselier-Leroyer facilitée par des relations commerciales entretenues avec deux anciens représentants à laquelle s'ajoute la diffusion d'une circulaire dénigrante aux fins d'obtenir des attestations favorables à sa cause,

- ces agissements ont eu une influence sur le chiffre d'affaires de la société FisselierLeroyer, celui de la société Distillerie du Plessis se trouvant consolidé dans le même temps.

Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer demandent en conséquence à la cour de :

- réformer la décision entreprise,

- constater la contrefaçon des marques "Lambig Breiz et Lambig" et faire défense à la société Distillerie du Plessis, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, d'utiliser les marques "Lambig de Bretagne", "Café Lambig de Bretagne" et "Café Lambig",

- condamner la société Distillerie du Plessis à leur verser 200 000 F en dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque,

- condamner la société Distillerie du Plessis à payer à la société Fisselier-Leroyer la somme de 500 000 F en dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale,

- subsidiairement, ordonner une expertise comptable aux fins de déterminer le préjudice subi avec paiement d'une indemnité provision de 100 000 F,

- condamner la société Distillerie du Plessis à leur payer en tout état de cause 50 000 F en réparation du préjudice causé par le dénigrement outre celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Distillerie du Plessis qui fait siens, pour l'essentiel, les motifs du tribunal, à l'exception de la copie des bouteilles dénommées Gallon qu'elle dénie aux motifs qu'il s'agit d'un produit accessible à tous utilisé par elle pour présenter des produits distincts et d'aspect différencié excluant tout risque de confusion, en ajoutant que les appelantes ne justifient ni d'une intention de nuire ni d'un préjudice, concluent à la réformation du jugement de ce seul chef, au débouté des prétentions adverses et à la condamnation de Jacques Fisselier et de la société Fisselier-Leroyer à lui payer 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant que la SARL Distillerie du Plessis produit et commercialise des boissons alcoolisées sous la dénomination Lambig alors que Jacques Fisselier a déposé à l'INPI la marque Lanbig Breiz le 28 janvier 1969 et la marque Lambig le 14 octobre 1985, visant comme produits les eaux de vie et spiritueux de la classe 33 ; que ces marques qui ont été enregistrées et dont le dépôt a été régulièrement renouvelé, ont été cédées par Jacques Fisselier à la société Fisselier-Leroyer, suivant acte du 12 décembre 1997 emportant cession par le premier à la seconde, du fonds de commerce de liqueurs et confiserie dont cette dernière était précédemment locataire-gérant ;

Considérant que Jacques Fisselier et la société Fisselier-Leroyer, propriétaires successifs des marques en cause, justifient chacun d'un intérêt à agir en contrefaçon lequel n'est au demeurant pas contesté ;

Considérant sur la contrefaçon, qu'en application des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964 issues dans leur rédaction de la loi du 23 juin 1965 applicable à la date du dépôt, que ne peuvent être considérées comme marques celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit ;

Considérant qu'aux termes d'une motivation pertinente qu'aucun élément ne vient contrarier en cause d'appel, le premier juge a estimé que tel était le cas du terme "Lambig" ;

Considérant en effet, que le mot lambig qui désigne en français une bière alcoolisée, constitue également un terme breton dérivé du français alambic, utilisé communément en Basse Bretagne pour désigner l'eau de vie de cidre ainsi que l'établissent notamment des ouvrages sur la culture bretonne et attestations de chercheurs au CNRS présumés non susceptibles d'avoir été influencés par la circulaire diffusée par un dénommé Pierre Seznec actionnaire de la société Distillerie du Plessis aux fins d'obtenir des témoignages accréditant l'argumentation de cette dernière, faisant remonter un tel usage à 1920 au moins, voire au XVIIIème siècle, pour certains ;

Considérant en outre, qu'il importe peu que le terme lambig ne soit pas connu sur l'ensemble du territoire français dès lors qu'il est employé par la partie de la population qui produit ou consomme cette boisson ;

Considérant que c'est donc avec raison que le tribunal a prononcé la nullité des marques Lambig et Lambig Breiz ;

Considérant sur la concurrence déloyale, que réserve faite de l'utilisation des bouteilles dénommées Galon, le tribunal a, tout aussi justement, relevé l'absence d'agissement fautif, susceptible d'engager de ce chef la responsabilité de la société Distillerie du Plessis ;

Considérant à cet égard et tout d'abord, que la fabrication et la commercialisation par la société Distillerie du Plessis de liqueurs à base de framboise, fraise, cassis et mûre sauvage, identiques à celles de la société Fisselier-Leroyer ne sont pas critiquables, s'agissant de boissons ne présentant aucune originalité dans leur composition ou titre alcoométrique par rapport aux boissons de même type communément produites par de nombreux liquoristes;

Que si les bouteilles utilisées par la société Distillerie du Plessis présentent des similitudes avec celles de la société Fisselier-Leroyer, en ce qu'elle sont également hautes, fixes cylindriques et cachetées à la cire, il suffit de se référer aux catalogues versés aux débats pour constater que la société Distillerie du Plessis n'a fait que suivre la mode du moment, en choisissant ce type de conditionnement dont la société Fisselier-Leroyer ne justifie pas être l'initiatrice;

Considérant en second lieu, que le Café au Lambig ne saurait être considéré comme une création originale de la société Fisselier-Leroyer, l'association de café et d'eau de vie de cidre constituant une boisson traditionnelle en Bretagneainsi que l'établissent les pièces versées ; que l'appellation Café au Lambig ou Café Lambig est purement descriptive et que la présentation des produits par la société concurrente évite tout risque de confusion dans l'esprit de l'acheteur, en ce qu'elle est nettement différenciée, tant par les étiquettes aux motifs sans similitudes que par la forme des bouteilles (conique pour la société Fisselier-Leroyer, haute et cylindrique pour la société Distillerie du Plessis) ;

Considérant en troisième lieu, qu'un tel risque n'existe pas davantage entre, l'apéritif BZH à base de cerise et d'orange titré à 17° d'alcool, commercialisé par la société Fisselier-Leroyer et l'apéritif Kignez à la cerise titré à 15° d'alcool vendu par la société Distillerie du Plessis, s'agissant de boissons parfaitement distinctes tant dans leur composition et titre alcoométrique que dans leur présentation, le graphisme des étiquettes et la forme des bouteilles(type bouteille de Bourgogne pour l'apéritif BZH et type bouteille de vin d'Alsace pour l'apéritif Kignez)

Considérant en quatrième lieu, qu'aucune imitation fautive n'existe entre le Pastis Breton commercialisé par la société Fisselier-Leroyer sous l'appellation Kenavo, composé de sucre, d'arômes de réglisse et d'anis ainsi que 45 % d'alcool et le "Pastis Marin", mis en vente par la société Distillerie du Plessis, par suite d'un apport original par cette dernière d'extraits d'algues; que la dénomination pastis et le titre alcoométrique sont pour le reste communs à ce type de boissons; que la présentation des produits est également différenciée tant par le graphisme des étiquettes que par la forme des bouteilles(conique pour le Pastis Kenavo et cylindrique pour le Pastis Marin) ;

Considérant, en cinquième lieu, que la société Fisselier-Leroyer et la société Distillerie du Plessis utilisent pour commercialiser leurs produits une bouteille également basse, large, munie d'une anse et d'un système de fermeture avec étrier, dénommée "Galon Biniou", par la société Distillerie du Plessis et "Galon Anse" par la société Fisselier-Leroyer ;

Considérant, toutefois, que le premier se différencie nettement du second, fabriqué par une société italienne pour la société Fisselier-Leroyer, par une anse qui se situe non pas sur la base du goulot mais sur le côté du flacon qui présente également une partie concave à la différence du gallon anse; qu'ainsi contrairement à l'appréciation du premier juge, aucun risque de confusion n'existe entre les deux types de galon ;

Considérant que le jugement sera donc réformé en ce qu'il a retenu que l'emploi de ce type de bouteille constituait de la part de la société Distillerie du Plessis un acte de concurrence déloyaleet alloué des dommages-intérêts en conséquence

Considérant, en outre, que la société Fisselier-Leroyer ne justifie pas en quoi les prétendues relations commerciales entretenues par la société Distillerie du Plessis avec ses anciens représentants ou agents seraient fautives et lui auraient été préjudiciables ;

Considérant, enfin, que le tribunal a estimé, avec raison, que la lettre circulaire diffusée par Monsieur Pierre Seznec, actionnaire de la société Distillerie du Plessis, s'indignant du dépôt de la marque "Lambig" par la société Fisselier-Leroyer, destinée à obtenir des attestations faisant état de l'usage constant de ce mot pour désigner l'eau-de-vie de cidre, ne constituait pas un acte de concurrence déloyale, étant constaté que ni le procédé utilisé ni les termes de cette lettre n'avaient pour objet ou pour effet de dénigrer les produits fabriqués ou commercialisés par l'appelante, qu'il sera ajouté que l'acte incriminé imputable à un actionnaire sans mandat social d'agir en ce sens, ne saurait engager la responsabilité de la société Distillerie du Plessis ;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Fisselier-Leroyer de ce chef de prétention ;

Considérant que la société Fisselier-Leroyer qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel ; qu'elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que l'équité commande, en revanche, de faire droit à la demande de la société Distillerie du Plessis fondée sur ce texte à hauteur de la somme de 15 000 F réclamée ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réforme le jugement en ce qu'il a dit que la commercialisation par la société Distillerie du Plessis des "Galons Biniou" constitue un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Fisselier-Leroyer et alloué des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau et y ajoutant, Dit que l'emploi par la société Distillerie du Plessis des "Galons Biniou" pour la commercialisation de ses produits ne constitue pas un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Fisselier-Leroyer, Déboute la société Fisselier-Leroyer de ses demandes en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et indemnisation de frais non répétibles,

Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Fisselier-Leroyer à payer à la société Distillerie du Plessis la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Fisselier-Leroyer à la totalité des dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.