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Décisions

CA Metz, ch. corr., 10 mai 1995, n° 529-95

METZ

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dory

Conseillers :

MM. Pascal, Legrand

Avocat :

Me Schirer.

TGI Metz, ch. corr., du 9 juin 1994

9 juin 1994

Vu le jugement rendu contradictoirement par le Tribunal correctionnel de Metz, le 9 juin 1994, qui l'a relaxé des fins de la poursuite, sans peine, ni dépens du chef d'avoir :

- à Sarrebourg, du 4 février 1993 au 7 mars 1993, effectué une publicité comparative, portant sur le prix, déloyale, fausse et de nature à induire le consommateur en erreur en ce qu'elle ne concernait pas des produits identiques, en l'espèce des produits de marques différentes, qu'elle ne mentionnait pas la durée de validité des prix et qu'elle n'avait pas fait l'objet d'une communication préalable au professionnel visé, en l'espèce la société Aldi,

Délit prévu et réprimé par les articles 44 I, 44 II al. 7, 8, 44 II al. 9, 10, 44 II al. 6 de la loi 73-1193 du 27/12/1973, 1 de la loi du 1 août 1905, abrogés et devenus L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 213-1, L. 121-4 du Code de consommation, 473 et suivants, 749 et 750 du Code de procédure pénale,

a dit n'y avoir lieu à statuer aux fins de soumettre à la Cour de justice des Communautés européennes une question préjudicielle,

En la forme,

Attendu que l'appel interjeté le 17 juin 1994 par le Ministère Public, régulier en la forme, a été enregistré dans le délai légal ;

Qu'il échet de le déclarer recevable ;

Au fond,

Sur l'action publique,

Sur la culpabilité,

Attendu qu'il résulte d'un procès-verbal établi le 17 mai 1993 par la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, et relatant des constatations faites le 7 mai 1993, qu'à l'occasion d'une opération dénommée "Le Prix le Plus Bas" réalisée entre le 4 février et le 7 mars 1993, sept affiches ont été exposées dans le magasin de Sarrebourg, dont Benoît est le directeur ;

Que ces affiches mentionnaient les désignations et le prix de 30 produits " ", au regard desquels étaient indiqués les prix, correspondants d'un concurrent local " Aldi Marché ", dont la plainte du 24 février 1993 avait provoqué l'intervention de la DGCCRF ;

Attendu que la publicité comparative a été soumise à certaines conditions par la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 ;

Que lorsque la comparaison porte sur les prix, la loi exige qu'il s'agisse de produits identiques vendus dans les mêmes conditions ; que le message indique la durée de validité des prix, et que le concurrent concerné soit préalablement informé;

Attendu qu'il résulte, tant des constatations du procès-verbal de la DGCCRF que de celles de Maître Metzger, huissier de justice, (constat du 5 mars 1993) que l'ensemble de ces conditions, à l'exception d'une, n'était pas respecté;

Qu'ainsi les cafés moulus, cités dans une affiche comparative, mentionnaient la marque " Léopard ", ce qui suggérait au client que les cafés " Aldi ", vendus à un prix plus élevé étaient de cette marque ; qu'en fait les cafés " Aldi " appartenaient aux marques " Cachet Noir ", ou " Tradition Albrecht " ;

Qu'en outre, une des affiches comparatives précisait que six produits étaient " fabriqués par Unicolait ", ce qui laissait penser au consommateur éventuel que lesdits produits, distribués par Aldi et émanaient du même fournisseur ;

Qu'en réalité les produits distribués par " Aldi " provenaient d'un autre fournisseur ;

Attendu, en outre, que l'annexe 6 du procès-verbal de la DGCCRF (D 15) dresse une liste de produits vendus par les deux distributeurs et repris par les affiches ; qu'il apparaît que les produits, de même nature, n'avaient pas la même origine et ne sont pas " identiques ";

Attendu, d'autre part, qu'il est constant que les affiches litigieuses ne mentionnent pas la durée de validité des prix (D 33) et que le prévenu admet qu'il n'avait pas communiqué à son concurrent " Aldi " l'annonce comparative (D 45) ;

Attendu, ainsi que le remarque la DGCCRF (D 48, D 49) que l'existence de l'infraction résulte, bien qu'il s'en défende des propres déclarations de A dont le dessein était dit-il de montrer " que le Centre de Sarrebourg possède des articles à bas prix pouvant être comparés aux produits Aldi " (D 45) ;

Que si ce but était admissible, sa réalisation s'est faite en violation des prescriptions légales ;

Attendu que devant la cour, le prévenu reprend les conclusions déjà développées devant le tribunal et tendant à obtenir sa relaxe ;

Qu'il soutient en effet que la réglementation française, en matière de publicité comparative, telle qu'elle est issue de la loi précitée du 18 janvier 1992, serait contraire à la législation communautaire ;

Qu'il fait valoir également que les règles nationales ne respecteraient pas le principe posé par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

Attendu,

Sur le premier point,

Que le tribunal a fait justement rejeté l'argumentation du prévenu pour des motifs exempts d'insuffisance et que la cour adopte ; qu'en effet doit seule être retenue, en l'espèce, la directive du conseil n° 84-450-CEE du 10 septembre 1986 dont l'article 7 réserve aux Etats membres " la possibilité de maintenir ou d'adopter des dispositions visant à assurer une protection plus étendue des consommateurs, des personnes exerçant une activité industrielle, commerciale ou artisanale, ou du public en général ;

Attendu qu'il est inexact d'affirmer que cette directive a été modifiée par une autre datée du 28 mai 1991, excluant la réserve de l'article 7 précité, en matière de publicité comparative ;

Que le document daté du 28 mai 1991 n'est qu'une proposition de directive, non encore adoptée à la date des faits ;

Que le moyen soulevé par le prévenu, n'est pas pertinent, ainsi que l'ont relevé les premiers juges ;

Attendu,

Sur le second point,

Que le prévenu soutient que les limites apportées à la publicité comparative par l'article 10 de la loi du 18 janvier 1992 (dispositions reproduites dans les articles L 121-8 à L 121-12 du Code de la consommation) seraient contraires au principe de la liberté d'expression posé par l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ;

Qu'il est exact, que ce texte s'applique aux informations d'ordre commercial, et que, dès lors, le tribunal a cru pouvoir en faire état pour fonder sa décision de relaxe ;

Mais attendu que cette motivation est erronée et procède d'une analyse incomplète de l'article 10, dont l'alinéa II est presque totalement occulté par le jugement entrepris, qui se borne à évoquer, pour l'écarter, la limitation motivée par le souci d'éviter la divulgation d'informations confidentielles;

Attendu, en effet, que le second alinéa de l'article 10 de la CEDH, qui insiste sur le lien entre droit et devoir entre liberté et responsabilité, y puise la justification des restrictions qu'il pose au principe proclamé par le premier alinéa du même article;

Que le tribunal a négligé de rechercher si d'autres limitations que celle qu'il a rejetée ne pouvaient fonder la réglementation issue de la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992;

Attendu, selon l'alinéa 2 de l'article 10 de la CEDH, que " l'exercice de ces libertés ... peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, à ... la protection de la réputation ou des droits d'autrui ";

Qu'il en est bien ainsi, en l'espèce, puisque les conditions auxquelles est soumise la publicité comparative en droit interne français, sont destinées à protéger les droits et la réputation des concurrents potentiels c'est-à-dire autrui, en l'occurrence la SARL " Aldi Marché ", qui avait d'ailleurs déposé plainte;

Que c'est donc à tort que le tribunal a relaxé le prévenu;

Que le jugement sera infirmé sur la culpabilité et que Benoît sera déclaré coupable de l'infraction qui lui est reprochée ;

Sur la peine :

Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, et à la personnalité du prévenu qui n'a jamais été condamné, il y a lieu de lui infliger une amende de 20 000 F ;

Qu'il convient, en outre d'ordonner la publication par extrait du présent arrêt dans le journal " Le Républicain Lorrain " édition de Sarrebourg, sans que le coût puisse dépasser 2 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire ; En la forme, Reçoit l'appel comme régulier ; Au fond, Infirme le jugement entrepris ; Déclare Benoît coupable de l'infraction de publicité trompeuse qui lui est reprochée ; En répression le condamne à une amende de 20 000 F ; Ordonne, en outre, la publication par extrait du présent arrêt dans le journal " Le Républicain Lorrain ", édition de Sarrebourg, sans que le coût de cette publication puisse dépasser 2 000 F ; Prononce, en tant que de besoin, la contrainte par corps en application des articles 749 et 750 du Code de procédure pénale, modifiés par la loi du 30 décembre 1985.