CA Paris, 25e ch. B, 22 mars 1991, n° 7814-89
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Marchés Usines " Samu-Auchan " (SA)
Défendeur :
Carrefour (SA), Agence Conseil en Communication et Publicité (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Feuillard
Conseillers :
Mme Pinot, M. Perie
Avoués :
SCP Fanet, SCP Garody d'Auriac Guizard, Me Baufume
Avocats :
Mes Petit, Chaput, Malpel.
LA COUR statue sur l'appel formé par la SA des Marchés - Usines " Samu-Auchan " (ci-après Auchan) contre le jugement du Tribunal de commerce de Melun du 21 novembre 1988 qui a condamné, avec exécution provisoire, la SA " Agence Conseil en Communication et Publicité " à lui payer, ainsi qu'à la SA " Carrefour ", 20 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 2 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Carrefour s'est adressée à la société Agence Conseil en Communication et Publicité (ci-après ACCP) pour l'insertion, en novembre 1988 d'une annonce publicitaire dans quatre quotidiens.
A la suite d'une erreur matérielle, les colonnes des prix comparés concernant les produits Auchan et Intermarché ont été inversées.
Auchan a saisi le Tribunal en demandant la condamnation de Carrefour à lui rembourser divers frais et à lui payer 100 000 F en réparation de son préjudice commercial.
Carrefour, de son côté, a fait assigner ACCP.
C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée après jonction des deux instances.
Appelante, la société Samu-Auchan affirme que la somme de 20 000 F accordée par les premiers juges ne couvre pas le préjudice qu'elle a subi. Elle demande la condamnation solidaire de Carrefour et de ACCP à lui payer 131 964,24 F à ce titre et conclu à la confirmation du jugement pour le surplus. Elle réclame aussi, contre les deux sociétés, 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Intimée et appelante en garantie contre ACCP, aujourd'hui société PBE, la société Carrefour conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Auchan, ou à défaut de PBE à lui payer une somme supplémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Concluant afin d'appel incident provoqué, la société PBE (anciennement Agence Conseil en Communication et Publicité) demande la confirmation du jugement en ce qu'il lui a donné acte de ce qu'elle acceptait de garantir Carrefour des éventuelles condamnations qui seraient mises à sa charge et en ce qu'il a statué sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle conclut à l'infirmation pour le surplus et demande à la Cour de dire que Auchan ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue et que son droit à réparation ne peut dépasser 6 964,23 F représentant le coût des actes d'huissier, augmenté de celui d'un encart publicitaire rectificatif.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que PBE (anciennement ACCP) demande la confirmation du jugement en ce qu'il lui a donné acte qu'elle accepte de garantir Carrefour des éventuelles condamnations qui seraient mises à sa charge ; qu'acte lui sera donné par la Cour ;
Considérant que c'est la suite d'une erreur matérielle que l'encart publicitaire litigieux a comporté une inversion des colonnes des prix; que PBE doit en assumer les conséquences lors même que cette erreur aurait été commise par l'imprimeur, ainsi qu'elle le soutient, puisque la publication de l'encart avec l'erreur dénote une négligence de sa part qui a été préjudiciable à Auchan ;
Considérant, en effet, que les prix attribués à Auchan, qui étaient en réalité ceux relevés à Intermarché, étaient, selon cet encart et pour la plupart des produits, supérieurs aux prix réellement pratiqués par Auchan ;
Considérant que Carrefour a elle-même fait preuve déloyale négligence en s'abstenant de contrôler l'exactitude des prix comparés, publiés, dans un encart publicitaire, à son profit et sous sa responsabilité;
Considérant qu' il en résulte que Carrefour doit être condamnée à réparer le préjudice subi par Auchan et PBE condamnée à la garantir;
Considérant que Auchan justifie des frais d'huissier, dont elle réclame le remboursement, pour 3 964,23 F ;
Qu'elle ne justifie pas des " frais de personnel pour rétablissement des prix exacts " pour 6 800 F ;
Qu'elle justifie du coût de la " contre-publicité rétablissant les prix véritables " dans le journal " la République de Seine-et-Marne " pour 21 200 F; que, cependant, cette publicité s'analyse non en un rectificatif, mais en une véritable contre-publicité, sur le mode ironique, mettant en doute le sérieux de Carrefour et comportant une liste comparative de prix d'où il apparaît que les prix pratiqués par Auchan sont inférieurs à ceux constatés chez Carrefour;
Qu' ainsi l'erreur commise dans l'encart par Carrefour a donné à Auchan l'occasion de faire une contre-publicité ciblée et vive dans le ton qui n'a pu que lui être profitable; qu' Auchan doit assumer les frais d'insertion de cette contre-publicité;
Considérant qu'Auchan réclame 100 000 F pour son préjudice commercial ;
Qu'elle a elle-même évalué son préjudice (" 2ème estimation ") à 42 000 F ;
Que, compte tenu du temps (une semaine) qui a séparé les deux publicités, la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 20 000 F le montant du préjudice subi à ce titre ;
Considérant, en définitive, que Carrefour sera condamné à payer à Auchan 3 964,23 + 20 000 = 23 964,23 F à titre de dommages-intérêts, avec la garantie de PBE ;
Considérant qu'il est équitable de faire droit à la demande d'Auchan fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans la limite de 2 000 F à l'égard de chacune des intimés ;
Que celles-ci seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel ; qu'il en résulte que la demande de Carrefour fondée sur le même texte sera rejetée ;
Par ces motifs : Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau : Donne à la société PBE l'acte qu'elle a sollicité ; Condamne la société Carrefour à payer à la société Samu-Auchan 23 964,23 F à titre de dommages-intérêts ; Dit que la société PNE doit sa garantie à la société Carrefour pour cette condamnation ; Condamne la société Carrefour et la sté PBE à payer, chacune, 2 000 F à la société Samu-Auchan par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire ; Condamne la société Carrefour et la société PBE aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par la SCP d'Auriac Guizard conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.