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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. civ., 3 juin 1987, n° 3943-86

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sodigar (Sté)

Défendeur :

Sogara (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gilbert

Conseillers :

MM. Bagneris, Castagnede

Avoués :

SCP Rives, SCP Sorel-Dessart

Avocats :

SCP Farne-Simon, SCP Fourgoux, Me Gretot.

TGI Toulouse, prés., du 10 nov. 1986

10 novembre 1986

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la société anonyme Sodigar d'une ordonnance de référé rendue le 19 novembre 1986 par le Président du Tribunal de grande instance de Toulouse.

Attendu que la société anonyme des Grands Magasins Adour dite par abréviation société Sogara, qui exploite l'hypermarché de Portet sur Garonne a fait paraître les 2 novembre 1986 et 3 novembre 1986 dans le journal " La Dépêche du Midi ", une publicité contenant un relevé comparatif des prix qu'elle pratiquait le 30 octobre 1986 et de ceux qui étaient pratiqués le même jour par des concurrents, parmi lesquels figurait la société Sodigar qui exploite un centre distributeur Leclerc à Roques sur Garonne, pour 88 articles essentiellement des produits frais, d'épicerie et d'entretien ménager, et a utilisé ce relevé à l'appui d'annonces radiophoniques ;

Que prétendant que la publicité réalisée dans ces conditions constituait un usage fautif de la marque Leclerc et également un acte de concurrence déloyale parce qu'elle avait été précédée d'une baisse du prix de certains des produits concernés qui n'avait pas été pour elle été maintenue dans les jours suivants, et était ainsi génératrice d'un trouble manifestement illicite, la société Sodigar a assigné en référé la société Sogara pour la voir condamner d'une part à cesser sous astreinte de 100 000 F par infraction constatées toute exploitation publicitaire du relevé de prix utilisé et d'autre part, à lui payer la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que la société Sogara s'est opposée à ces prétentions en soulevant la nullité des constats d'huissier de justice sur lesquels se fondait la société Sodigar et en contestant le caractère illicite du trouble invoqué et a formé une demande reconventionnelle tendant à l'interdiction à la société Sodigar sous astreinte de 100 000 F par infractions constatées de poursuivre la publicité effectuée en réponse à la sienne et à la condamnation de cette même société à lui verser la somme 5 000 F en compensation de ses frais irrépétibles ;

Que l'ordonnance présentement déférée a débouté la société Sodigar de sa demande principale et, accueillant pour partie la demande reconventionnelle de la société Sogara, a condamné cette même société Sodigar à cesser toute exploitation publicitaire, relative à l'argumentation d'un certain nombre de produits énumérés qui aurait été pratiquée dans l'hypermarché de Portet sur Garonne et ce, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ;

Attendu qu'après avoir déclaré ne pas critiquer l'appréciation du premier juge concernant la réalité de la hausse qui aurait été pratiquée par la société Sogara après la baisse précédant sa campagne publicitaire et avoir refusé l'accusation d'espionnage économie qui est portés à son encontre, la société Sidigar soutient dans ses écritures d'appel que le procédé utilisé par la société Sogara et consistant à établir une liste de produits, à relever les prix pratiqués par des concurrents pour ces produits, à baisser systématiquement ses propres prix pour les amener au-dessous des prix relevés et à les faire constater immédiatement par huissier de justice constitue un acte de concurrence déloyale et par là un trouble manifestement illicite, que la publicité réalisée dans ces conditions par la société Sogara s'analyse d'abord en une publicité mensongère au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 parce qu'elle induit le consommateur en erreur sur les conditions dans lesquels les prix ont été relevés, ensuite en une utilisation sans autorisation et de mauvaise foi de la marque Leclerc, qui contrevient aux dispositions tant de l'article 422-2° du Code pénal que de l'article 30 de la loi du 10 janvier 1978, et enfin pour certains produits en une annonce de ventes à pertes interdite tant applicable à l'époque des faits que par l'article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, actuellement en vigueur et que l'une des trois conditions requises, par l'arrêt de la Cour de cassation du 22 juillet 1986 pour la licéité d'une publicité comparative, savoir que les produits soient offerts aux même conditions de vente, n'est pas remplie dans le cas de l'espèces, les prix indiqués par la société Sogara étant des prix de promotion déguisée tandis que ceux concernant ses concurrents sont des prix de vente de période normale ;

Qu'elle demande que lui soient allouées les fins de son assignation originaire ;

Attendu que renonçant à l'exception de communication de pièces qu'elle avait déposée, la société Sogara conclut au principal à la confirmation de l'ordonnance attaquée et subsidiairement à ce qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé, sollicitant dans l'un et l'autre cas, la condamnation de la société Sidigar à lui payer la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle souligne à cet effet que la preuve n'est pas utilement rapportée par la société Sodigar des faits qu'elle allègue et notamment de l'imputation qui lui est faite d'avoir augmenté les prix des produits visés par sa publicité comparative immédiatement après cette dernière et de s'être livrée, toujours dans le cadre de la publicité incriminée, à des ventes à perte, que la baisse des prix à cette même publicité ne constitue pas un trouble manifestement illicite, dès lors qu'il n'est pas démontré que le prix de certains produits à été augmenté immédiatement après, et que par contre la publicité de la société Sodigar relative à la hausse de cinq de ses produits doit être qualifié de trouble illicite, dès lors que la preuve de cette hausse n'est pas rapportée ;

Attendu que l'article 809 du nouveau Code de procédure civile dispose que le Président du Tribunal de grande instance peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Que ce texte n'exige pas de la part du juge la constatation de l'urgence puisque celle-ci est nécessairement impliquée par les cas qu'il vise ;

Attendu que la contestation soulevée par la société Sogara à l'encontre des constats d'huissier de justice produits par la société Sodigar à l'appui de sa prétention a été, à juste titre et en des motifs pertinents, rejetée par le premier juge et doivent ainsi que l'a décidé ce dernier, être retenu à titre de renseignements ;

Attendu que si elle appelle les plus expresses réserves lorsqu'elle est laissée à la seule intiative du commerçant qui la met en ouvre, ce que confirment la position de nombreux juristes et l'invitation faite dans son numéro de décembre 1986 aux consommateurs par le Bureau de la Vérification de la Publicité, organisme jouant un rôle important la régulation de la publicité sous toutes ses formes, " à une extrême vigilance face à de telles informations ayant un caractère des plus précaires ", la publicité comparative n'est pas prohibée en l'état de la législation positive, à la condition toutefois qu'elle se borne à la comparaison des prix auxquels des produits identiques sont vendus dans les mêmes conditions ;

Que l'identité des conditions de vente ainsi requise suppose que les prix indiqués par l'auteur de la publicité sont ceux qui étaient pratiqués dans les jours précédant cette publicité et qu'ils n'ont pas été baissés pour les seuls besoins de cette dernière sauf à ce que cette baisse soit indiquée, car s'il en était différemment les concurrents de ce commerçant se trouveraient placés dans une situation d'infériorité manifeste à l'égard des consommateurs, à qui la publicité tend à faire croire que les prix pratiqués par son auteur sont en temps normal inférieurs à ceux de ses concurrents</B>;

Que la condition dont il s'agit n'est pas davantage remplie lorsque les prix indiqués par l'auteur de la publicité sont constitutifs de ventes à pertes formellement prohibées par la loi, ce qui entache au surplus la publicité d'une illégalité flagrante ;

Attendu que les constats d'huissier de justice produits et dont la validité a été reconnue établissent que sur les 31 prix de produits qui figurent sur la publicité incriminée, et dont la société Sodigar a pu vérifier ce qu'ils étaient trois jours avant le 30 octobre 1986, 29 ont été baissés immédiatement avant cette publicité et en vue de celle-ci, ce qui permet légitimement de penser que cette baisse a été pratiquée pour la totalité ou au moins une partie des prix des 57 autres produits pour lesquels la société Sodigar a été dans l'impossibilité de se préconstituer une preuve ;

Attendu par ailleurs qu'une lettre de la société Procter et Gamble, du 19 février 1987 également, versée aux débats par la société Sodigar révèle que l'un des produits figurant sur la publicité litigieuse, le bidon de 3 litres de lessive liquide Vizir, était vendu à perte même si l'on prenait pour base de calcul " les conditions promotionnelles actuelles ou mêmes récentes " faites à ses clients par ladite société Procter et Gambel, fabricante du produit ;

Attendu que la preuve est rapportée avec la certitude nécessaire que la publicité comparative à laquelle s'est livrée la société Sogara a porté sur des prix qui ne remplissaient pas l'une des conditions requises pour qu'une telle publicité ne constitue pas un acte de concurrence déloyale et en toute hypothèse, une faute ;

Que le trouble apporté à la société Sodigar par cette publicité est donc manifestement illicite,

Que, contrairement à ce qu'à décidé le premier juge, la demande de cette société doit être accueilli sauf à réduire à 10 000 F, le montant de l'astreinte ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel incombent à la société Sogara, ce qui justifie nécessairement le rejet de la demande reconventionnelle que cette société a présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'en équité, les frais irrépétibles que la société Sodigar a engagés pour la défense de ses intérêts et dont il est justifié, doivent être supportés par la société Sogara ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, Donne à la société Sogara l'acte requis, Confirme l'ordonnance de référé rendue le 10 novembre 1986 par le Président du Tribunal de grande instance de Toulouse en ce qu'il a condamné la société Sodigar à cesser toute exploitation publicitaire, relative à l'augmentation du prix des produits Margarine Tournesol, Fruit d'Or, Wiskas Gibier, huile Tournesol Fruit d'Or, Eau de javel Lacroix et Shampoing Dol aux oufs qui aurait été pratiqué par la société Sogara, et ce, sous astreinte de dix mille francs par infraction constatée ; L'infirme pour le surplus, Condamne la société Sogara à cesser dès signification du présent arrêt toute exploitation publicitaire du relevé de prix effectué à sa requête le 30 octobre 1986 et visé dans les annonces publiées par le Journal La Dépêche du Midi, des Dimanche 2 novembre 1986 et Lundi 3 novembre 1986, et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ; Condamne la société Sogara à payer à la société Sodigar la somme de 5 000 F (cinq mille francs) en compensation de ses frais irrépétibles, Rejette comme non fondées les demandes contraires ou plus amples des parties, Condamne la société Sogara aux dépens de première instance et d'appel en accordant à la société Civile Professionnelle d'avoués Sorel et Dessart, le droit de recouvrer directement contre elle ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance.