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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 7 juillet 1995, n° 92-25364

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TRP Eloquence Bastille (Sté)

Défendeur :

Lorillard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Barrier Monin

Avocats :

Mes Deflers, Couderc.

T. com. Paris, 18e ch., du 25 sept. 1992

25 septembre 1992

De 1987 à 1990, la SARL TRP Eloquence Bastille (ci-après TRP), agence conseil en communication, a réalisé des prestations pour le compte de la SA Lorillard, entreprise de menuiserie industrielle, en vue de promouvoir l'activité du département grand public, développée sous la marque Lorenove couvrant notamment les travaux de rénovation ou de réhabilitation du bâtiment.

A la fin de 1990, Lorillard a indiqué à TRP qu'elle entendait la mettre en concurrence avec d'autres agences, puis, le 27 mars 1991, elle lui a notifié par lettre recommandée sa décision de mettre un terme à leur collaboration.

TRP a assigné la SA Lorillard, lui réclamant essentiellement une indemnité pour rupture sans préavis, des dommages-intérêts pour utilisation indue, postérieurement à la rupture des relations contractuelles, de ses créations (marque Lorenove, graphisme y afférent et slogan publicitaire) ainsi que le paiement de factures émises pour des travaux prétendument exécutés.

La SA Lorillard s'était opposée à ces demandes, et avait sollicité des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par jugement en date du 25 septembre 1992, le Tribunal de commerce de Paris a débouté, comme mal fondée, TRP de l'ensemble de ses demandes, dit la SA Lorillard propriétaire de la marque Lorenove et du graphisme y afférent, débouté cette dernière société du surplus de ses demandes et condamné TRP à payer à la SA Lorillard la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

TRP a relevé appel. Elle fait grief aux premiers juges, d'une part, d'avoir estimé que TRP ne remplissait pas les conditions jugées nécessaires pour que soit appliquée la clause, relative au préavis, de la formule type de contrat entre annonceurs et agents de publicité publiée le 19 septembre 1961, d'autre part, d'avoir considéré que les droits de TRP sur la marque n'étaient pas clairement établis et dénié toute protection au graphisme d'originalité, enfin, d'avoir rejeté sa demande de paiement de factures correspondant à des travaux selon elle effectués, notamment la facture représentant les frais d'études d'une soumission à l'appel d'offre pour mise en concurrence de TRP avec deux autres sociétés pour la campagne de 1991, écartée à tort au motif qu'il ne s'agissait pas d'une commande. En conséquence, TRP conclut à l'infirmation du jugement entrepris. Elle prie la cour de constater que le contrat liant les parties est à durée indéterminée et que, conformément au contrat-type, elle a droit à un préavis de six mois ; elle demande la condamnation de la SA Lorillard à lui payer une indemnité compensatrice de 200 000 F. Visant la loi du 11 mars 1957, elle demande de juger que la marque, le graphisme et le slogan revendiqués sont sa création et qu'en l'absence de cession des droits d'auteur, elle reste seule titulaire de ces droits. Elle sollicite une mesure d'interdiction sous astreinte de l'utilisation par la SA Lorillard de l'ensemble de ses créations et notamment la marque Lorenove, le graphisme y afférant et le slogan " C'est si simple le confort ", ainsi que la condamnation de cette dernière société à lui verser la somme de 500 000 F de dommages-intérêts pour utilisation abusive et celle de 165 921,40 F en paiement des factures non règles ; à titre subsidiaire, TRP requiert une expertise en vue d'examiner le travail par elle réalisé pour le compte de la SA Lorillard, notamment au niveau des créations publicitaires (slogan), de donner son avis sur les factures d'un montant total de 165 921,40 F (tel que le rectifié dans les dernières écritures de la concluante), de dresser un rapport en vue de permettre à la cour de statuer sur les demandes de TRP.

La SA Lorillard soutient en réplique que d'une part, TRP n'aurait jamais été chargée d'une mission générale mais ne bénéficiait que de contrats successifs partiels distincts, ne constituant manifestement pas un contrat à durée indéterminée rendant nécessaire, en cas de rupture, un préavis de six mois ; que d'autre part, TRP ne saurait opposer au dépôt à l'INPI le 4 décembre 1987 de la marque constituée de la dénomination Lorenove, avec un graphisme particulier et un " base line ", de prétendus droits de création qui seraient attestés par le dépôt, effectué par TRP le 7 août 1987, sous enveloppe Soleau, pas plus d'ailleurs que la modification apportée par l'agence au graphisme en mai 1990 ; que la dénomination Lorenove résulterait d'un choix effectué par le conseil d'administration de la société Lorillard aux différentes propositions de dénominations soumises par les membres de ce conseil et TRP conjointement ; que le graphisme et le " base line ", éléments constitutifs de la marque, appartiendraient du fait du dépôt de cette marque à la SA Lorillard ; que TRP n'aurait pas manqué de facturer cette création à la SA Lorillard si elle avait été véritablement à l'origine de cette dénomination (conclusions du 6 mai 1993) ; qu'en revanche, la SA Lorillard a financé la modification du graphisme correspondant au logo Lorenove ; que la rémunération ainsi versée à TRP selon facture du 6 juin 1990 atteste l'existence d'un accord des parties sur la cession des droits d'exploitation, conformément en cela à la présomption correspondant à l'exploitation du graphisme du logo et de la base line n'a pas été versée par la SA Lorillard à TRP, ce qui démontrerait bien l'accord des parties sur une cession définitive de ces éléments ; que d'ailleurs, depuis la création du graphisme, du sigle et de la marque tels que déposés à l'INPI ou tels que modifiée par la suite, TRP n'a pas sollicité de rémunération correspondant à l'utilisation de ces divers éléments ; que ce n'est qu'après la rupture du contrat les liant que TRP croit pouvoir revendiquer un droit d'auteur pour une création que seule la SA Lorillard est à même d'utiliser et dont elle a payé, à l'origine, la conception (conclusions du 14 décembre 1993) ; que TRP ne peut non plus revendiquer l'application de la loi du 11 mars 1957 en ce qui concerne un slogan dénué d'originalité ; qu'enfin, les factures dont le paiement est réclamé par TRP auraient été créées pour les besoins de la cause par TRP et ne correspondraient à aucun travail effectif. La société intimée prie la cour de la déclarer propriétaire de la marque, du " base line " et du slogan, objets du litige, et conclut à la confirmation du jugement, au débouté de TRP de l'ensemble de ses demandes et à la condamnation de l'appelante à lui payer 20 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que les premiers juges ont relevé à juste titre que les parties, qui n'avaient pas signé de convention écrite, n'ont pas marqué leur commune volonté d'écarter les usages en matière de publicité ;qu'il n'est pas contesté que l'usage est instauré, inspiré de la formule type de contrat entre annonceurs et agents de publicité publié le 19 septembre 1961, de subordonner la faculté de résiliation unilatérale ouverte à chacune des parties, à moins que les relations contractuelles n'aient été expressément déterminées quant à leur durée ou qu'elles se limitent à l'exécution d'un ouvrage particulier, au respect d'un préavis de six mois ;

Considérant qu'il résulte des productions des parties que TRP avait reçu de la SA Lorillard mission de proposer, dans les limites d'un budget annuel de l'ordre de 1 500 000 F, les actions les plus diversifiées dont la mise en œuvre est généralement dévolue aux agences conseil en communication, destinées à définir et promouvoir dans le public l'image des produits " grand public " de la SA Lorillard et par ricochet celle de cette entreprise ;que le fait, invoqué par la SA Lorillard et amplement démontré, que l'annonceur se réservait d'approuver chacune des actions envisagée, de suggérer ou d'y apporter des modifications en vue de leur exécution, tout comme la circonstance, à tort retenue par les premiers juges comme étant l'indice de l'existence de contrats de louage d'ouvrages distincts,que les diverses activités de TRP aient fait l'objet de factures distinctes, n'établissent nullement, qu'ils correspondissent à des actions ponctuelles ;qu'il est significatif de noter que la lettre de résiliation adressée le 27 mars 1991 par la SA Lorillard à TRP, et qui faisait suite à la mise en concurrence de cette dernière pour l'annonceur avec deux autres publicitaires, mentionne que TRP n'a pas été retenue pour la " campagne de communication 1991 " ;

Considérant que la SA Lorillard invoque vainement l'absence prétendue d'exclusivité au profit de TRP ;que l'intervention, dans le cadre de la préparation courant 1990 du salon d'exposition de la rue de Rivoli à Paris, de l'architecte M. Plaze a porté sur les travaux de maçonnerie et de décoration, alors qu'il n'est pas démontré que l'agence Tango Communication, pressentie pour la même opération par la SA Lorillard, ait été chargée de missions excédant les relations de presse ; que le troisième prestataire de service cité par la SA Lorillard, l'agence Studio Le Royer à Chartes, apparaît, au vu notamment de la propre attestation délivrée le 12 février 1992 par cette agence et mise aux débats, avoir été confiné dans la réalisation d'ouvrages ponctuels, ce qui vient confirmer le chiffre d'affaires réalisé annuellement avec la SA Lorillard, et qui est généralement inférieur à 200 000 F, soit le huitième du budget dont disposait TRP, laquelle occupait par conséquent une position déterminante ;

Considérant que les manquements dont fait état la SA Lorillard concernant la qualité des prestations de TRP se situent dans les derniers mois de leur collaboration et portent sur le retard et les conditions de réalisation d'une brochure (lettre du 14 novembre 1990) ainsi que sur le concept du salon d'exposition ; que ces manquements, à les supposer effectifs, n'apparaissent pas revêtir un degré de gravité suffisant pour priver le publicitaire du bénéfice du préavis ;

Considérant que l'indemnité de rupture réclamée par TRP, soit six mois de marge brute, apparaît justifiée ;qu'elle n'est au demeurant pas discutée dans son quantum par la SA Lorillard ; qu'il convient de faire droit à la demande de ce chef ;

Considérant, sur les droits résultant des créations de TRP, qu'il résulte des pièces versées au débat, que la dénomination Lorenove avec son graphisme particulier et la formule " Votre confort sur mesure " qui, combinés, ont donné lieu en définitive au dépôt à l'INPI par Lorillard d'une marque complexe, marque l'achèvement d'un processus engagé à la demande de la SA Lorillard et qui a conduit TRP à proposer dans un premier temps diverses utilisations de ces éléments qui sont le fruit de sa création, notamment pour la confection de prospectus ou de plaquards ; que ces travaux de conception et de réalisation ont été régulièrement facturés par l'agence à l'annonceur et qu'il n'est pas allégué que ce dernier se soit dérobé aux paiements lui incombant ; qu'il est cependant clairement établi, par une lettre adressée par TRP à la SA Lorillard le 26 octobre 1987, que la dénomination Lorenove, dans l'intention commune des parties, devait donner lieu à un dépôt à titre de marque par la SA Lorillard, dans la combinaison de ses éléments précités, puisque TRP adressait par le même courrier " les formalités nécessaires au dépôt de marque ", lequel dépôt eut lieu effectivement peu après ;

Considérant que l'article L. 132-31 CPI (ancien article 14 de la loi du 3 juillet 1985) ne concerne que les œuvres de commande pour la publicité et ne peut donc être invoqué lorsque la création en cause est destinée, comme en l'espèce, et d'un commun accord des parties, à constituer un élément d'identification d'une entreprise et de ses produits ; que dans ce dernier cas toutefois, l'agence qui a reçu sa rémunération pour la réalisation de ce signe distinctif et qui a contribué en connaissance de cause à l'obtention du droit privatif recherché par l'annonceur, n'est pas fondée, nonobstant la réserve quant aux droits de propriété intellectuelle, imprimée sur le papier commercial de TRP, à prétendre que l'exploitation de se création aux fins précitées devrait être limitée à la durée des relations contractuelles la liant à l'annonceur ; que la demande de ce chef sera donc rejetée ;

Considérant que le slogan " C'est si simple le confort ", dont la paternité revenant à TRP n'est pas sérieusement contestée, apparaît, par l'opposition d'un substantif et d'un adjectif qui ne sont pas habituellement associés, comme une réalisation originale portant l'empreinte de son créateur ;qu'à défaut de justifier d'une cession de droits d'auteur à son profit, la SA Lorillard ne peut, sauf à contrefaire la création du publicitaire, utiliser sans l'accord de ce dernier le slogan après la cessation des relations contractuelles ; que cette utilisation illicite étant démontrée, la cour a les éléments pour fixer à 30 000 F le montant de la réparation ;qu'il sera fait droit à la demande d'interdiction selon les modalités précisées au dispositif ci-après ;

Considérant, sur les factures, que les premiers juges ont par d'exacts motifs, rejeté les prétentions de TRP ;

Considérant que la demande en dommages-intérêts de la SA Lorillard pour procédure abusive et vexatoire ne peut être tenue pour fondée, TRP ayant pu légitimement se méprendre sur la portée de ses droits et la preuve n'étant pas rapportée que son action procédât d'un intention malicieuse ou d'une légèreté blâmable ;

Considérant qu'il y a lieu, en équité, de faire application de l'article 700 du NCPC au profit de TRP,

Par ces motifs, LA COUR, et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société TRP Eloquence de ses demandes relatives à la marque complexe Lorenove et la SA Lorillard de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau : Condamne la SA Lorillard à payer à la société TRP Eloquence les sommes de : - 200 000 F à titre d'indemnité compensatrice de résiliation, - 30 000 F à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Fait interdiction à la SA Lorillard d'utiliser sous quelque forme que ce soit, à des fins publicitaires, le slogan " C'est si simple le confort ", à peine d'astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé le mois qui suivra la signification du présent arrêt, Condamne la SA Lorillard à payer à la société TRP Eloquence la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC. La condamne aux dépens et pour ceux d'appel, accorde à la SCP d'avoués Fisselier Chiloux Boulay, le bénéfice de l'article 699 du NCPC, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.