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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 7 octobre 1988, n° 18606-85

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Paul Mausner (SA)

Défendeur :

Publicis Conseil (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martzloff

Conseillers :

MM. Bourrelly, Fouillade

Avoués :

Me Lecharny, SCP Fisselier Boulay Chilloux

Avocats :

Mes Danet, Ryterband.

T. com. Paris, 13e ch., du 13 sept. 1985

13 septembre 1985

La société de prêt-à-porter féminin Paul Mausner, qui avait confié à la société Publicis Conseil la conception et la réalisation de sa publicité à compter de la campagne du 2e trimestre de l'année 1980, est entrée en litige avec cette dernière lorsqu'il lui a été réclamé par celle-ci une somme de 981 019,20 F, dont elle a contesté le montant.

La discussion a essentiellement porté sur l'établissement de la facturation litigieuse de Publicis en regard de certaines conditions d'escompte controversées entre les parties, et sur la facturation des honoraires des années 1981 et 1982, ainsi que sur une demande reconventionnelle de la société Paul Mausner qui, non seulement se plaignait d'erreurs de facturation sur des films réalisés en 1981 par la société Publicis, mais encore réclamait des dommages-intérêts en réparation du préjudice commercial important qui lui aurait été causé par l'exécution défectueuse de deux films publicitaires en 1982.

Par jugement du 13 septembre 1985, le Tribunal de commerce de Paris, faisant droit entièrement à la demande principale de la société Publicis Conseil, a condamné la société Paul Mausner à payer à ladite société la somme de 981 019,20 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 1983, outre la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ce même jugement a rejeté la demande reconventionnelle de la société Paul Mausner, ainsi que toutes autres prétentions formulées par cette dernière, et a ordonné l'exécution provisoire de sa décision à charge par la société Publicis Conseil de fournir une caution égale au montant des condamnations prononcées ;

Il est constant que par l'effet de cette mesure, la société Paul Mausner a procédé au paiement de la somme mise à sa charge ;

Saisie de l'appel interjeté par la société Paul Mausner de cette décision, la cour, par un précédent arrêt du 4 février 1988 auquel il est fait référence, a, avant dire droit, ordonné que soient versées aux débats la projection des cassettes publicitaires précédemment présentées de façon informelle devant elle, ainsi que des tirages sur papier de tout ou partie des images projetées, et a ordonné la réouverture des débats.

La projection prescrite a été effectuée en présence des parties et de leurs conseils le 18 mars 1988, en suite de quoi les parties ont à nouveau conclu.

La Société Paul Mausner, appelante, critique le jugement entrepris sur les points suivants :

1°) en ce qui concerne l'escompte dont elle entendait bénéficier, elle estime que cet escompte, au vu des correspondances échangées et des paiements par elle effectués, avait fait l'objet d'un accord sur le montant de 3 % par elle proposé, contrairement aux assertions de Publicis prétendant qu'il aurait été consenti au taux de 2 %.

La société Paul Mausner soutient que c'est à tort que le tribunal de commerce a retenu qu'en exécutant le contrat avec la société Publicis, elle avait accepté tacitement les dernières conditions de cette société, et l'a ainsi condamnée à régler à la société Publicis le montant des escomptes par elle déduits, soit 115 412,18 F.

Elle fait notamment valoir que pendant de nombreux mois, Publicis a accepté ses règlements avec l'escompte de 3 % sollicité, et qu'elle pouvait ainsi légitimement considérer que son offre avait été acceptée.

Elle conteste donc qu'un accord se soit réalisé sur la base d'un escompte de 2 %, et qu'elle soit redevable à Publicis de la somme au paiement de laquelle l'ont condamnée les premiers juges.

2°) en ce qui concerne les achats d'espace, c'est-à-dire la négociation avec les supports, la retenue des emplacements, le contrôle des parutions et le règlement des factures, elle conteste devoir sans qu'une expertise ait été effectuée, des honoraires réclamés à ce titre s'élevant à 630 126,57 F, en alléguant essentiellement n'avoir jamais eu la possibilité de vérifier si la société Publicis l'avait fait bénéficier, comme elle s'y était engagée, de tous les dégressifs, rabais, et résultats de négociations par elle obtenus pour réduire le coût de l'espace publicitaire de son client, ainsi que la commission professionnelle de 15 % ;

Elle fait notamment observer qu'elle n'a bénéficié de la part de Publicis que de rabais d'un taux moyen de 15,87 % alors que d'autres agences de moindre importance que celle-ci, auxquelles elle s'est adressée depuis lors, lui ont proposé des remises se situant entre 30 et 35 % par rapport au tarif média ;

3°) en ce qui concerne les films publicitaires réalisés, d'une part elle dit ne pas avoir reçu de justificatifs des dépenses engagées par Publicis, d'autre part et, surtout elle reproche à Publicis une exécution défectueuse de deux films publicitaires destinés à être projetés à la télévision au cours de l'année 1982, qui, tant par leur conception que par leur réalisation, compromettaient son image de marque auprès de sa clientèle ;

La société Paul Mausner prie ainsi la cour d'infirmer totalement le jugement déféré, de fixer sa créance sur la société Publicis à la somme de 1 542 912,48 F dont elle fournit le détail des différents postes, et subsidiairement, elle sollicite la condamnation de Publicis au paiement des sommes qu'elle même a réglées dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, évaluée, en principal, intérêts et frais, à 1 194 933,20 F.

Elle demande enfin que soit ordonnée une expertise comptable permettant, de façon générale, de faire les comptes entre les parties, en fonction de leurs réclamations respectives, et elle réclame paiement d'une somme de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Publicis Conseil s'oppose à cette argumentation, en affirmant que la société Paul Mausner ne peut sérieusement contester au vu des documents produits et des circonstances de la cause qu'elle avait accepté que l'escompte soit calculé au taux de 2 % ; que d'autre part, les prétentions de la société Paul Mausner, en ce qui concerne les achats d'espaces, s'analyse en une rétrocession sur commissions, ne faisant pas partie des engagements contractuels par elle souscrits envers la société Paul Mausner ; qu'en tout état de cause, il en peut lui être reproché, en faisant inexactement état d'une comparaison injustifiée avec les rabais pratiqués par d'autres agences ou centrales d'achats, d'avoir commis des fautes dans l'exécution de sa mission de négociation avec les supports ; qu'enfin, les films publicitaires critiqués ne mettent pas en évidence un manquement quelconque de la société Publicis Conseil à son obligation de moyen, et ce d'autant que la société Paul Mausner était d'accord sur le choix du mannequin, et n'avait élevé aucune critique lors de la présentation du projet publicitaire sous forme de " story-board ".

La société Publicis Conseil prie en conséquence la cour de confirmer entièrement le jugement entrepris, et de condamner la société Paul Mausner à lui verser une somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des circonstances de la cause ainsi que des moyens et prétentions des parties, au jugement déféré et aux conclusions prises en cause d'appel.

Sur quoi, LA COUR,

1°) Sur les escomptes :

Considérant qu'il résulte de la lettre de la société Publicis Conseil à la société Paul Mausner du 3 janvier 1980, faisant suite aux lettres des 17 et 19 décembre 1979 matérialisant l'accord des parties pour confier à Publicis Conseil " le soin de " concevoir et de mettre en œuvre une stratégie de communication intégrée aux " politiques et objectifs de la société Paul Mausner ", qu'une discussion subsistait sur la question du montant de l'escompte dont Publicis pouvait faire bénéficier la société Paul Mausner ; que l'accord des parties ne parait pas s'être réalisé à cette date sur un taux de 2 %, dans la mesure où il est indiqué sans que cela soit valablement controversé, que la société Paul Mausner a par la suite payé ses redevances au moyen de chèques dont le montant aurait fait apparaître le bénéfice d'un escompte de 3 %, et qu'une lettre de Publicis du 3 novembre 1980 à la société Paul Mausner, réaffirmant certes qu'elle était d'accord pour la faire bénéficier " de tous les escomptes dont elle bénéficiait elle-même, et de ceux-là seulement ", ajoutait qu'elle " souhaitait que Paul Mausner lui adresse des photocopies de factures de média professionnels qui ont pu lui faire un escompte de 3 % au-delà des 15 % de commission professionnelle, afin que Publicis puisse négocier avec eux de la poursuite de cet escompte " ; que de surcroît, une autre lettre de Publicis du 28 septembre 1981, traitant encore du problème des escomptes, indique " qu'en ce qui concerne l'impression, elle négociera avec les imprimeurs pour permettre à Paul Mausner d'obtenir un escompte de 3 % en échange d'un paiement comptant " ;

Que compte tenu de ces éléments fournis en l'état à la cour, il apparaît nécessaire, indépendamment et en sus de ces correspondances, de faire recueillir, avant de trancher ce point litigieux, au moyen d'une expertise comptable, tous éléments relatant de quelle manière, sous quelle forme et pour quel montant ont été pratiqués les escomptes consentis à la société Paul Mausner par la société Publicis Conseil au cours de leurs relations contractuelles ;

2°) Sur les honoraires afférentes aux achats d'espaces :

Considérant la " note d'honoraires " établie par la société Publicis Conseil à ce titre s'élève à 630 126,57 F, ce qui correspond, ainsi que l'a relevé le tribunal de commerce, aux honoraires de toute l'année 1982 et à un solde d'honoraire pour l'année 1981 ;

Que le tribunal a retenu qu'à défaut de contestation argumentée de la part de la société Paul Mausner, les pièces versées aux débats ne révélaient pas de litige concernant les honoraires, si n'est le problème des honoraires dûs postérieurement à la rupture du contrat par la société Paul Mausner ;

Considérant que pour discuter du montant de ces honoraires de 630 126,57 F, la société Paul Mausner allègue que cette somme lui est réclamée sans qu'il lui ait été justifié, au vu des demandes par elle exprimées en 1983 et 1984, que les dégressifs et les rabais tels que promis par la lettre de Publicis Conseil du 28 septembre 1981, lui avaient effectivement été appliqués ;

Considérant qu'en dépit de l'objection de la société Publicis qui soutient que cette contestation est tardive, et qu'elle serait vaine dès lors qu'elle porte sur des prestations qu'elle affirme avoir fournies sans reproche, il reste, observation faite que l'exécution provisoire du jugement a permis à la société Publicis de percevoir effectivement l'intégralité des sommes réclamées, qu'il est utile, pour parvenir à une connaissance complète de la cause, de faire porter l'expertise sur ce point du débat avant qu'il soit prononcé au fond de ce chef ;

3°) Sur les films réalisés par Publicis :

a) Sur la facturation des films réalisés en 1981 :

Considérant que cette facturation, alléguée comme insuffisamment justifiée et de surcroît entachée d'erreurs dans son évaluation, sera examinée dans le cadre de l'expertise qui sera ordonnée ;

b) Sur l'exécution défectueuse de deux films publicitaires :

Considérant que la société Paul Mausner se refuse de régler quelque somme que ce soit au titre de la réalisation de deux films publicitaires destinés à être projetés à la télévision, et comportant une présentation de modèles ses collections été 1982 et hivers 1982 ;

Qu'il est constant que le film " été 1982 " a été projeté sur les écrans, et que le film " hiver 1982 " n'a pas été diffusé, la société Paul Mausner ayant refusé qu'il soit procédé à son projection ;

Considérant que les films litigieux ont été visionnés par la cour, et que " story-board " dont il est question dans les écritures des parties font partie des pièces régulièrement versées aux débats ;

Considérant qu'aux termes de leur convention, la société Publicis Conseil était chargée du soin de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie de communication intégrée aux politiques et objectifs de la société Paul Mausner,et qu'il est admis par les deux parties qu'il s'agit là d'une obligation de moyen ;

Considérant qu'il est constant, que la société Paul Mausner avait déjà, en 1981, fait diffuser par les soins de Publicis des émissions de télévisées dont le commentaire parlé insistait de façon significative sur le qualificatif " ronde ", pour évoquer les clientes concernées par les créations vestimentaires de cette société ;

Qu'il résulte de la protection des 2 films de l'année 1982 que le thème demeure identique, amis qu'il est traduit à l'image par une jeune femme corpulente, photographiée sous des angles peu flatteurs, amplifiant de façon inopportune des rondeurs que la clientèle féminine cherche précisément à dissimuler, effectuant des mouvements sans aucune élégance, et se présentant sous un aspect plutôt vulgaire ;

Considérant que les parties s'opposent de façon inopérante sur le point de savoir si le choix de ce mannequin a fait l'objet d'un accord par les représentants qualifiés de la société Paul Mausner, et si le " story-board " a de même été accepté ou non pour ceux-ci, dès lors que c'est le film lui-même dans sa conception et sa présentation finales, qui fait l'objet d'une discussion, le mannequin pouvant, quelles que soient ses " rondeurs ", être photographié sous des angles favorables, et le " story-board " consistant en une suite d'un certain nombre d'images fixes, au vu desquelles il ne peut par avance être apprécié si leur animation traduira le message publicitaire destiné à transmettre l'image de marque de la société Paul Mausner ;

Or considérant que cette société n'a nécessairement d'autre but que de présenter sa production d'une façon qui attire la clientèle ;que la société Publicis Conseil, saisie des réclamations de la société Paul Mausner dès avril 1982, accompagnées des rapports de ses représentants lui faisant part des réactions défavorables de la clientèle, a elle-même, par lettre du 25 juin 1982 indiqué qu'elle était à la recherche d'un nouveau " story-board " et d'un nouveau mannequin ; que l'étude de test des films réalisée par la société Insight en juin 1982 a mis en évidence que le message du fabricant n'était restitué que de façon fragmentaire, et que l'accueil fait aux films, le premier " en robe rouge ", le second " en robe bleu ", était " majoritairement hostile " pour le premier, et avait suscité " des réactions ambivalentes " voir de rejet, pour le second ;que ces diverses constatations, jointes à celles qu'a pu fait la cour devant laquelle les deux films ont été projetés et contradictoirement discutés, établissent qu'en concevant et en réalisant, comme elle l'a fait, deux films transmettant à la clientèle de prêt-à-porter féminin une image peu attrayante des créations de la société Paul Mausner, la société Publicis Conseil n'a pas satisfait à son obligation contractuelle de mettre en œuvre une stratégie de communication intégrée aux politiques et objectifs de cette société ;qu'il en résulte que la société Publicis Conseil n'est pas fondée à obtenir paiement des prestations par elle fournies en cette circonstance ;

4°) Sur le surplus des demandes respectives des parties :

Considérant que celles-ci seront examinées après qu'il aura été procédé à l'expertise qui va être ordonnée ;

Qu'en l'état, il convient de réserver les dépens et de dire n'y avoir lieu à faire application aux parties des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Réformant, Dit la société Publicis Conseil mal fondée à réclamer paiement à la société Paul Mausner d'une facturation relative à la réalisation par elle effectuée des films publicitaires " Eté 82 " et " Hiver 82 ". Avant dire droit pour le surplus, Désigne en qualité d'expert sur les autres demandes, Monsieur Duthilleul demeurant 45, boulevard Magenta - 75010 PARIS avec mission : - de prendre connaissance de l'entier dossier de la procédure ; - d'entendre les parties, de consigner leurs dires, de sa faire remettre par elles tous documents que lui-même ou les parties susdites jugeront utiles à l'accomplissement de sa mission ; - de rechercher et dire, en assortissant chaque fois son avis des pièces et documents qui l'éclairent et le soutiennent, 1) de quelle manière, sous quelles formes, et pour quels montants ont été pratiqués les escomptes consentis par la société Publicis Conseil à la société Paul Mausner, 2) de quelle façon, et selon quel montant, ont été pratiqués par la société Publicis Conseil des rabais et des dégressifs. - d'effectuer à une vérification complète des honoraires dont le montant est discuté par la société Paul Mausner en particulier en ce qui concerne les achats d'espaces, en rappelant avec précision les modalités convenues par les parties en matière d'honoraires, en indiquant s'il y a été contrevenu, de quelle manière et pour quel montant, - d'une façon générale, de procéder à l'examen des réclamations des parties sur les points qui les opposent dans l'évaluation de leurs prétentions respectives, et de proposer l'établissement d'un compte entre les parties. - de donner son avis dans les 8 mois à compter de sa mise en œuvre. Dit que la société Paul Mausner consignera au Greffe de cette cour une provision de 15 000 F à valoir sur la rémunération de l'expert, et ce avant le 31 décembre 1988 ; Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Réserve les dépens.