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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 17 avril 1991, n° 89-2790

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mathieu, Chambre syndicale des agents généraux d'assurance des Hautes-Alpes

Défendeur :

Espitallier, Le Sillon Alpin (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fabre

Conseillers :

Mmes Manier, Brenot

Avoués :

SCP Borel, Calas, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Masselin, Eybert, Barneoud.

T. com. Gap, du 7 juill. 1989

7 juillet 1989

Par jugement du 7 juillet 1989, le Tribunal de commerce de Gap - statuant dans le litige né d'un refus d'insertion opposant M. Mathieu et la Chambre syndicale des agents généraux d'assurance des Hautes-Alpes à M. Espitallier pris en sa qualité de directeur de publication du journal " Le Sillon Alpin " et à la SARL " Le Sillon Alpin " dont M. Espitallier est également le gérant - a rendu la décision suivante :

" Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort ; Déboute la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes et M. Mathieu à payer à M. Espitallier et à la SARL " Le Sillon Alpin ", la somme de 2 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes et M. Mathieu Serge aux entiers dépens ".

M. Serge Mathieu et la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes ont selon déclaration du 5 septembre 1989 inscrite au rôle de la cour le 20 septembre 1989 sous le numéro 89-2790 régulièrement interjeté appel à l'encontre de cette décision dont ils demandent la réformation dans les termes suivants de leurs conclusions du 28 juin 1990 ;

" Réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Gap, le 7 juillet 1989.

Recevant M. Serge Mathieu et la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes, en leur appel et statuant de nouveau :

- constater le caractère abusif des refus d'insertion opposée par M. Michel Espitallier et " Le Sillon Alpin ", à M. Serge Mathieu,

- condamner conjointement et solidairement la SARL " Le Sillon Alpin " et M. Michel Espitallier, ès-qualité de directeur de la publication à payer à M. Serge Mathieu, la somme de 70 000 F à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice par lui, subi,

- condamner conjointement et solidairement la SARL " Le Sillon Alpin " et M. Michel Espitallier, ès-qualité de directeur de la publication à payer à la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes, la somme de un franc à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle, subi,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans la plus prochaine parution du journal " Le Sillon Alpin " ainsi que dans trois publications au choix de M. Serge Mathieu et de la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes et aux frais de la SARL " Le Sillon Alpin ",

- condamner conjointement et solidairement la SARL " Le Sillon Alpin " et M. Michel Espitallier ès-qualité de directeur de la publication, à payer à M. Serge Mathieu et à la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes, entre les mains de l'un d'eux, la somme de 30 000 F, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamner conjointement et solidairement la SARL " Le Sillon Alpin " et M. Michel Espitallier ès-qualité de directeur de la publication, aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel,

Dire que la SCP Borel & Calais, est en droit de recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance ".

M. Michel Espitallier, ès-qualité et la SARL " Le Sillon Alpin " - intimés - concluent à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation des appelants qui seront démis de leur appel aux dépens et au paiement de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Attendu que la SARL " Le Sillon Alpin " ayant siège à Gap créée le 28 décembre 1971 par les organisations agricoles du Département des Hautes-Alpes est l'éditrice de la publication bimensuelle " d'informations générales agricoles et rurales " dénommée " Le Sillon Alpin ", titre utilisé selon les intimés depuis 1938 ;

Que le 15 juillet 1985, M. Mathieu, agent général d'assurance à Embrun, a sollicité du directeur de publication l'insertion d'assurances publicitaires afférentes à des propositions d'assurance de chasse ;

Que sur un premier refus qui lui a été opposé le 26 juillet 1985, M. Mathieu a réitéré sa demande le 19 mai 1987, laquelle a été rejetée le 9 juin 1987 ;

Que les refus d'insertion notifiés sous la signature de M. Espitallier, directeur de publication, ont été motivés par le fait que la composition de la société propriétaire du titre ne permettait pas d'accepter de " publicité bancaire ou d'assurance " et que par contre les sociétés d'assurance mutuelle agricole bénéficiaient d'un statut spécial les autorisant à faire insérer des avis publicitaires dans la publication ;

Qu'estimant abusifs les refus opposés, M. Mathieu et la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes ont par assignation du 30 août 1988 attrait aux fins de réparation de leur préjudice M. Espitallier, ès-qualités et la SARL " Le Sillon Alpin " devant le tribunal de commerce qui a statué comme dessus ;

Attendu que les appelants reprennent devant la cour l'argumentation soumise aux pPremiers juges selon laquelle ils considèrent que le refus d'insertion, justifié dans son principe par la liberté de la presse, peut dégénérer en abus lorsqu'il est dicté par l'intention de nuire ou par des motifs étrangers à la politique ou à l'esprit de la publication ; qu'ils font valoir que " Le Sillon Alpin " admet des publicités à caractère non agricole, que le refus d'insertion porte préjudice aux sociétés commerciales d'assurance au seul profit des sociétés d'assurance mutuelle agricole, que cette circonstance établit suffisamment l'intention de nuire animant la direction de la publication, qu'ils demandent réparation de l'atteinte ainsi portée à leurs intérêts matériels et moraux selon le détail figurant dans leurs conclusions d'appel ci-dessus reproduites en leur dispositif ;

Mais attendu que la liberté de la presse a été consacrée par la loi du 29 juillet 1881 et qu'il est admis, même par les appelants, que le directeur de la publication peut opposer un refus d'insérer, même non motivé, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la demande porte ou non sur une annonce à caractère publicitaire ;

Qu'au cas particulier, M. Espitallier, ès-qualité, alors qu'il n'y était pas tenu, a cru devoir motiver son refus par la composition et par l'objet social de la société éditrice et aussi par le statut préférentiel dont bénéficient les sociétés d'assurance mutuelle agricole ;

Qu'il est démontré surabondamment par les intimés que la société " Le Sillon Alpin " a été constituée sous l'égide de la Chambre d'agriculture des Hautes-Alpes par les organisations agricoles représentatives, par la Caisse de crédit agricole mutuel des Hautes-Alpes, par la Caisse régionale de réassurance mutuelle agricole des Hautes-Alpes, lesquelles détiennent ensemble le capital social ;

Que l'esprit de la publication destinée au milieu agricole, à caractère mutualiste ou coopératif, a été affirmé par les actionnaires lors de l'assemblée générale du 27 mai 1978 ;

Que par délibération du même jour, les actionnaires ont décidé d'admettre à titre payant les annonces publicitaires " sauf celles émanant des banques et des assurances sauf AMA (Assurance Mutuelle Agricole) et CRCAM (Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel) " et de contrôler celles émanant des établissements commerciaux distribuant du matériel ou des produits agricoles ;

Que le refus motivé opposé par deux fois par M. Espitallier était ainsi justifié " par la politique ou par l'esprit de la publication " contrairement à l'opinion inverse soutenue par les appelants, la ligue rédactionnelle du " Sillon Alpin ", créé en 1938 par les sociétés coopératives agricoles, étant demeurée la même depuis l'origine ;

Que l'intention de nuire n'est donc pas démontrée ;

Que le jugement qui a fait l'exacte analyse des éléments de la cause sera confirmé ;

Que les appelants démis de leur appel seront condamnés aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Dit recevable mais non fondé l'appel interjeté par M. Mathieu et par la Chambre syndicale des agents généraux d'assurances des Hautes-Alpes à l'encontre du jugement rendu le 7 juillet 1989 par le Tribunal de commerce de Gap. Confirme la décision déférée. Met les dépens d'appel à la charge des appelants ainsi que le paiement au profit des intimés indivisément entre eux de la somme de 5 000 F (cinq mille francs) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Autorise la SCP Grimaud, avoué, à user du recours direct prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.