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Décisions

CA Paris, 3e ch. A, 21 mai 1991, n° 90-004963

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Coopérative de Commerçants Horlogers Bijoutiers (SA)

Défendeur :

Dassas Jaglin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borra

Conseillers :

Mlle Aubert, Mme Nerondat

Avoués :

SCP Gauzère, Lagourgue, SCP Roblin, Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Meffre, Tore.

T. com. Paris, 15e ch., du 27 oct. 1989

27 octobre 1989

LA COUR statue sur les appels principal et incident respectivement interjetés par la Société Coopérative de Commerçants Horlogers Bijoutiers " SCCHB " et par la SA Dassas Jaglin du jugement, contradictoire, rendu le 27 octobre 1989 par le Tribunal de commerce de Paris (15e chambre) qui a condamné la société SCCHB à payer à la société Dassas Jaglin la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat, majorée des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement ainsi que la somme de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les éléments du litige peuvent se résumer de la façon suivante :

La Société Coopérative de Commerçants Horlogers-Bijoutiers (SCCHB) et la SA Dassas Jaglin, Agence de Conseil en publicité, ont entretenu des relations d'affaires de 1986 à 1988 notamment pour le lancement de la marque " Julien d'Orcel ".

Par lettre du 6 juillet 1988 la société SCCHB a mis fin à ces relations.

La SA Dassas Jaglin soutenant que la société SCCHB avait, en méconnaissance du préavis de 6 mois prévu par les usages en matière de publicité, rompu le contrat des liant, a assigné cette dernière en paiement d'une somme de 454 440,60 F à titre de dommages-intérêts avec intérêt de droit à compter de la demande introductive d'instance ainsi que de celle de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile devant le Tribunal de commerce de Paris.

Les premiers juges ont estimé que la société SCCHB d'une part, avait unilatéralement et en l'absence de tout grief, rompu le contrat ce qui justifiait le versement de dommages-intérêts ; que d'autre part, la société Dassas Jaglin, n'apportait pas la preuve chiffrée de la somme qu'elle réclamait.

C'est le jugement entrepris.

Moyens et prétentions des parties

La société SCCHB appelante :

Prétend que l'application du contrat type publié le 29 septembre 1961 régissant les rapports entre annonceur et agence en publicité, prévoyant un préavis de 6 mois, dont se prévaut la société Dassas Jaglin, suppose la réalisation de deux conditions, selon elle, non remplies en l'espèce à savoir, que l'agence de publicité ait été chargée en exclusivité de la gestion du budget publicitaire, et que l'annonceur ait eu connaissance de l'existence de ce préavis.

Elle soutient encore qu'en admettant même l'applicabilité de ce préavis, la résiliation du contrat était justifiée par les fautes commises par la société Dassas Jaglin.

Elle conclut en conséquence, à la restitution de la somme de 150 000 F qu'elle a versée à la société Dassas Jaglin en vertu de l'exécution provisoire dont était assortie la décision déférée, et à l'allocation d'une somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Dassas Jaglin, intimée et appelante à titre incident :

Poursuit d'une part, la confirmation du jugement entrepris.

Elle fait valoir tout d'abord qu'ayant eu l'exclusivité du budget publicitaire elle bénéficiait du préavis de 6 mois.

Elle relève par ailleurs que l'existence de ce préavis, rappelée dans une lettre qu'elle a adressée à la société appelante le 27 juillet 1988, ne peut être rapprochée de la cession à l'annonceur des droits de propriété littéraire et artistique de l'agence, de nature juridique différente.

Elle indique enfin que les " petits problèmes techniques " survenus dont elle ne conteste pas la réalité, sont très antérieurs à la lettre de rupture du 6 juillet 1988 qui ne mentionne aucune faute.

Elle précise à cet égard que le grief que lui adresse la société appelante selon lequel elle n'a pas fait de publicité télévisée n'est pas fondé, puisque la société SCCHB ne pouvait y avoir accès compte tenu de son objet social.

Elle sollicite d'autre part, la réformation de la décision entreprise en soutenant que l'indemnité réclamée s'analyse en une indemnité compensatrice calculée sur les sommes qu'elle aurait dû normalement percevoir pendant la période de préavis si ce dernier avait été respecté.

Elle conclut donc à l'allocation d'une somme de 454 440, 60 F ainsi que de celle de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé,

LA COUR,

Considérant qu'il y a lieu d'examiner, en l'absence de tout contrat écrit, si la société Dassas Jaglin peut se prévaloir du délai de préavis de 6 mois prévu au contrat type du 19 septembre 1961, ce qui implique de déterminer au vu des documents produits, la nature et la protée des relations contractuelles liant les parties, et de rechercher si la société Dassas Jaglin a commis les fautes qui lui sont reprochées par la société appelante, lesquelles, dans l'affirmative, seraient de nature à justifier la résiliation intervenue sans préavis.

I - Sur la nature des relations contractuelles liant les parties :

Considérant que la société Dassas Jaglin verse aux débats divers documents afférents aux années 1987, 1988 et 1989 intitulés " Action, Résultats stratégie 1987, 1988 et 1989 - Média, Justifications Média, Investissements publicitaires ".

Qu'elle produit également des factures datées de 1987 relatives à " l'achat d'espace presse magazine " dont les coûts sont importants puisqu'ils atteignent les sommes de 1 969 578,34 F et de 2 576 185,91 F.

Considérant que ces piècesdont la régularité n'est pas contestée et qui ne sont infirmées par aucune autre émanant de la SCCHB, établissent que la société Dassas Jaglin conduisait une politique commerciale et publicitaire à moyen terme en développant une " stratégie " et assurait la gestion du budget de publicité (investissements publicitaires).

Que d'ailleurs, la société SCCHB confirme cette décision en écrivant à la Société Dassas Jaglin dans une lettre du 18 mai 1987 qu'elle avait dû rectifier " l'ensemble de la conception de la campagne " puis, en versant aux débats deux attestations d'agences en publicité " Wen " et " Z " établissant qu'elle avait cessé toute collaboration avec celles-ci.

Que la société Dassas Jaglin était donc investie d'une mission complète, globale, et exclusive de gestion du budget publicitaire de la société SCCHB et ne se limitait pas à faire des " propositions d'actions publicitaires déterminées " et à n'agir que ponctuellement " sur ordre de son client ", comme le soutient la société appelante dans ses conclusions du 14 juin 1991, ainsi démenties par les pièces susvisées ;

Que dès lors, les relations contractuelles ci-dessus établies répondent aux conditions d'application du contrat type établi le 19 septembre 1961 prévoyant que la rupture des relations doit être précédée d'un préavis de six mois ;

Considérant que la société SCCHB ne peut davantage soutenir valablement qu'elle n'était pas informée de ce préavis de 6 mois stipulé dans ce contrat, qui a régi les rapports entre elle et l'agence de publicité ;

Que, l'article 3 de ce contrat prévoit " qu'aucune campagne publicitaire ne pourra être exécutée si elle n'a pas été au préalable acceptée par l'annonceur dans ses différents éléments ".

Que l'application de cette clause à l'annonceur ne saurait être assimilée ou même comparée à celle de la cession des droits d'auteur soumise aux dispositions spécifiques de la loi du 11 mars 1957 de nature juridique différente, comme tente de la soutenir la société SCCHB

Qu'il s'ensuit, que le délais de préavis de 6 mois s'imposait à la société SCCHB sauf si elle démontrait que la société Dassas Jaglin avait commis des fautes telles que celle-ci la dispensaient de le respecter.

II - Sur les fautes invoquées par la Société SCCHB à l'encontre de la société Dassas Jaglin :

Considérant que la société SCCHB écrit dans sa lettre de rupture du 6 juillet 1988 adressée à la société Dassas Jaglin, donc postérieure à celle du 18 mai 1988 susvisée : " ...Je vous confirme que nous cessons notre collaboration avec votre agence pour les raisons que je vous ai indiquées. De cette collaboration nous retiendrons que vous avez été l'agence du lancement réussi de notre marque Julien d'Orcel par notre réseau. Il restera aussi le plaisir personnel de vous avoir connu et apprécié... "

Que la société appelante non seulement ne mentionne aucune faute mais bien au contraire félicite l'agence Dassas Jaglin de la réussite de l'opération de publicité qu'elle lui avait confiée.

Qu'en conséquence, elle n'est pas fondée à invoquer à l'encontre de la société Dassas Jaglin des fautes antérieures et non mentionnées dans sa lettre du 6 juillet 1988 susvisée.

Qu'en particulier, elle ne peut lui faire grief de n'avoir pas procédé aux démarches nécessaires pour qu'elle ait accès à la publicité télévisée.

Qu'en effet, son objet social déterminé à l'article 3 de ses statuts consiste à " améliorer par l'effort commun de ses associés les conditions dans lesquelles ceux-ci exerceront leur profession commerciale " et précise encore qu'elle peut " exercer pour leur compte les activités suivantes : fournir aux associés les marchandises... "

Qu'il apparaît donc que la société appelante est une société de distribution et d'aide aux distributeurs de la bijouterie, et comme telle, exclue de la possibilité d'avoir accès à la publicité télévisée en application de l'article 7 du décret n° 87-37 du 26 janvier 1987 disposant que " sont interdits les messages publicitaires concernant... la distribution ".

Que si néanmoins elle a pu avoir accès à la publicité télévisée il lui appartenait de donner toutes précisions utiles à la société Dassas Jaglin ;

Qu'en tout état de cause ce grief n'a pas été invoqué dans la lettre de rupture ci-dessus mentionnée.

Considérant que la société SCCHB qui a rompu le 6 juillet 1988 unilatéralement le contrat à durée indéterminée la liant à la société Dassas Jaglin, sans invoquer lors de cette rupture de fautes à l'encontre de cette dernière, devait respecter le délai de préavis de 6 mois.

Que le jugement entrepris sera donc confirmé.

III - Sur l'appel incident :

Considérant que le délai de préavis litigieux prévu au titre V intitulé " conditions générales " du contrat type du 9 septembre 1961 a pour but de permettre aux parties en cas de rupture de contrat de disposer d'un temps minimum pour envisager de nouvelles solutions et en ce qui concerne l'agence de réaménager sa structure et de prospecter un budget de remplacement.

Que les dommages et intérêts sanctionnant la méconnaissance de ce préavis, s'analysent en une indemnité compensatrice correspondant à la rémunération totale qu'aurait perçue l'Agence si la rupture avait été régulière et ne servent pas seulement à compenser d'éventuels frais engagés.

Considérant que la société Dassas Jaglin justifie par une estimation réalisée par la société SCODIP spécialisée dans ce genre d'investigations, qu'elle aurait régulièrement perçu en cas de rupture régulière une somme de 454 440,60 F représentant 15 % du budget des investissements publicitaires à la télévision pendant la période de préavis s'élevant à la somme de 3 029 604 F.

Que la demande de la société Dassas Jaglin étant bien fondée la décision déférée doit être réformée à cet égard.

Considérant que la société SCCHB qui sera condamné aux dépens ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Dassas Jaglin les frais non taxables qu'elle a dû exposer en appel et que la cour estime à la somme de 10 000 F.

Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire. Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués à la société Dassas Jaglin. Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société SCCHB a payer à la société Dassas Jaglin la somme de 454 440,60 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Déboute les parties de toutes leurs autres demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue. Condamne la société SCCHB aux dépens d'appel. Admet la SCP Roblin Chaix de Lavarenne au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.