Livv
Décisions

CA Angers, audience solennelle, 4 octobre 1991, n° 398-91

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Caennaise pour l'Habitat Maisons Abonnel (SARL)

Défendeur :

Creacom (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Deleage

Président de chambre :

M. Micaux

Conseillers :

MM. Peureux, Lamotte, Mme Chauvel

Avoué :

Me Frolow

Avocat :

Me Salmon.

TGI CAen, du 21 juin 1988

21 juin 1988

Faits : La société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel a fait de la publicité.

Un architecte, M. Jean Reynold Brunet, se plaignant de ce que cette publicité copiait l'un des modèles de maisons par lui dessinés et construits, l'a assignée en responsabilité et dommages et intérêts.

La société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel a appelé en garantie la société Creacom qui avait été son agence de publicité.

L'action principale et l'appel en garantie ayant été disjointes, le Tribunal de Caen a :

- le 16 juin 1987, condamné la société Caennaise pour l'Habitat à payer à Brunet 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- le 21 juin 1988, débouté la Caennaise pour l'Habitat de ses recours envers la société Creacom et l'a condamnée à verser à cette dernière 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur appel, la Cour de Caen, le 23 février 1989, a :

- joint les procédures ;

- confirmé le jugement du 16 juin 1987 en son principe mais l'a réformé sur le quantum de la condamnation en fixant à 200 000 F les dommages-intérêts dus à Brunet ;

- confirmé le jugement du 21 juin 1988 ;

- alloué 4 000 F à Creacom et 5 000 F à Brunet pour l'ensemble de l'instance en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 20 novembre 1990 la Cour de cassation a :

- constaté que l'arrêt attaqué était irrévocable en ce que la société Caennaise a été reconnue responsable de la diffusion d'un document publicitaire reproduisant une maquette d'architecture sans l'autorisation ni la désignation de son auteur et condamnée en conséquence, à verser des dommages-intérêts à l'architecte ;

- cassé, par contre, en constatant que la même décision débouté la société Caennaise pour l'Habitat de son appel en garantie contre la société Creacom, qui avait dessiné l'image litigieuse, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Creacom avait manqué à son devoir de conseil et de vérification sur les risques d'atteintes aux droits des tiers lui incombant en tant que professionnel de la publicité.

Moyens des parties et prétentions :

La société Caennaise dans ses écritures rappelle que l'agence de publicité lors qu'elle créée un message publicitaire doit :

a) apporter tous ses soins au succès de la campagne publicitaire ;

b) s'assurer que l'exploitation du message proposé n'expose pas ses clients au risque de poursuites soit pénales soit civiles.

Elle demande la réformation du jugement et la condamnation de Creacom à la garantir de l'ensemble des condamnations en principal, dommages-intérêts et frais qui ont été prononcés à son encontre et sa condamnation à 20 000 F à titre de dommages-intérêts et 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Creacom a été régulièrement assignée à son siège social à une personne habilitée à recevoir l'acte et ce le douze mars 1991.

Le 10 mai 1991 l'ordonnance de clôture a été rendue.

La société Creacom a constitué avoué le 24 mai 1991 et déposé le même jour des conclusions demandant :

- la révocation de l'ordonnance de clôture ;

- de déclarer irrecevable, subsidiairement mal fondé l'appel formé par la société Caennaise pour l'Habitat et confirmer le jugement du 21 juin 1988 du Tribunal de grande instance de Caen ;

- de condamner la société Caennaise pour l'Habitat à lui payer une somme de 10 000 F à titre d'indemnité compensatrice de frais irrépétible ;

- subsidiairement de constater que l'assignation n'a pas été délivrée à personne et que l'arrêt sera rendu par défaut.

La société Caennaise pour l'Habitat s'est opposée à la révocation de l'ordonnance de clôture et très subsidiairement au cas où elle serait révoquée elle a demandé la réouverture des débats avec renvoi devant le conseiller chargé de la mise en état afin que les moyens du fond soulevés par la société Creacom puissent être contradictoirement débattus.

Motifs :

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

Attendu qu'il résulte de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue, la constitution d'avoué postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation ;

Attendu que la société Creacom soutient que la cause grave doit être constituée par le fait que la secrétaire qui a reçu l'acte est tombée malade et que sa remplaçante n'a pas avisé la direction ;

Attendu qu'il résulte de la volonté formelle du législateur que le cours des procédures ne peut être ralenti par l'ignorance, la légèreté ou la carence des justiciables ; qu'en l'occurrence dans la même pièce, communiquée par l'avoué de la société Creacom à l'avoué de la société Caennaise pour l'Habitat, la direction de la société Creacom reconnaît avoir archivé le dossier par erreur ;

Qu'il résulte de ces éléments qu'il n'y a pas motif à révoquer cette ordonnance ;

Attendu que l'assignation a été délivrée le 12 mars 1991 au siège social de la société Creacom à une employée qui a déclaré être habilitée à recevoir l'acte .

Que l'acte a été remis sous enveloppe fermée ;

Que l'avis de signification a été adressé le même jour avec une copie de l'acte ;

Attendu que toutes ces indications sont valables jusqu'à inscription de faux ;

Que néanmoins la société Creacom entend tirer du fait que la secrétaire a reçu l'acte sous enveloppe fermée, formalité non prévue par l'article 654 du nouveau Code de procédure civile visant les significations à personne qu'il ne peut s'agir d'une telle signification et que la procédure doit être considérée comme une procédure de défaut ;

Mais attendu que l'article 654 sur les significations à personne et plus particulièrement en ce qui concerne les personnes morales, s'il ne prévoit pas l'obligation de délivrer l'acte sous enveloppe fermée ne l'interdit pas ; qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que l'acte a été délivré à une personne habilitée et aussi que l'obligation figurant à l'article 658 du nouveau Code de procédure civile, c'est-à-dire l'avis par lettre simple joint à la copie de l'acte, a été respectée ;

Qu'ainsi il y a bien eu signification à personne et l'arrêt à intervenir sera réputé contradictoire ;

Sur le fond :

Attendu qu'il a été définitivement jugé que la publicité profitant à la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel a consisté dans le plagiat pur et simple d'une maison dessinée et construite par un architecte, M. Brunet, qui a obtenu par arrêt de la Cour d'appel de Caen la condamnation de cette société à lui payer 200 000 F à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt, le 23 février 1988, ainsi que 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la société Creacom a adressé à la société Maisons Abonnel, le 18 mars 1986 une facture de 8 005,50 F, réglée le 23 mai 1986, où la société Creacom est dite " Agence de Création Publicitaire, Marketing et Promotion " ;

Attendu que cette facture a été établie pour " Insertion presse création, montage, photocomposition, adaptation, photogravure, films quadrichromie " " suivant notre devis accepté le 6 mars 1986 ;

Attendu qu'il est ainsi établi qu'il y a eu passation d'un contrat de publicité, d'importance réduite, certes, vu le montant de la facture, entre la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel et la société Creacom qui précise qu'elle est un véritable professionnel de la publicité ;

Attendu que la conception d'une publicité, qu'il s'agisse d'une publicité ponctuelle ou d'une campagne, implique une succession de décision et de choix qui sont la nature même de l'activité de l'agence de publicité ;

Attendu qu'il est évident que tout graphisme, tout dessin, toute photocopie destinés à être publiés ne doivent pas, par la suite valoir au client des poursuites sanctionnées par des dommages-intérêts ;

Qu'en un mot, l'agence doit conseiller utilement le client et au point de vue de l'impact commercial attendu et au point de vue de sa sécurité juridique ultérieure ;

Attendu dès lors qu'il importe peu de rechercher qui a, au départ, envisagé de travailler sur le modèle de M. Brunet, mais qu'il est certain qu'il était du strict devoir de Creacom d'obtenir les autorisations nécessaires de la part de cet architecte et à défaut de les obtenir, d'attirer l'attention des Maisons Abonnel sur les risques encourus et de refuser de bâtir une plaquette publicitaire après avoir pris le soin d'ôter un élément mineur du travail intellectuel de M. Brunet, à savoir un auvent ;

Attendu qu'il ne figure rien dans le dossier des Maisons Abonnel à cet égard et que la lecture des précédentes décisions n'apporte aucun élément propre à exonérer Creacom de sa responsabilité, cette dernière s'étant toujours contentée de minimiser son rôle en disant qu'elle n'avait fait qu'établir la publicité sur un document fourni par les Maisons Abonnel ;

Qu'en agissant ainsi - si tant est que cela soit vrai - la société Creacom a gravement manqué à son devoir de conseil et engagée sa responsabilité vis-à-vis des Maisons Abonnel qui s'étant adressées à un professionnel qualifié étaient en droit d'obtenir non seulement une campagne espérée efficace mais impérativement l'assurance que cette campagne se déroulerait sans encombre ;

Sur le préjudice subi par la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel dont elle peut demander réparation

Attendu qu'un premier élément est certain ;

Que l'action en justice diligentée par Brunel a entraîné la condamnation de la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel, par un arrêt de la Cour d'appel de Caen devenu définitif sur ce point ;

Que de ces condamnations les Maisons Abonnel demandent à être relevées et garanties ;

Qu'il sera fait droit à leurs prétentions ;

Attendu au surplus que les Maisons Abonnel estiment avoir subi un préjudice distinct évalué à 20 000 F ; qu'elles invoquent le fait que du fait de l'action de M. Brunel elles n'ont pu utiliser la publicité litigieuse ;

Attendu en effet que s'il est possible que le retard dans le lancement d'une campagne de publicité, l'obligation de repenser une nouvelle campagne, la contre publicité due à une action en justice sont autant d'éléments défavorables susceptibles d'entraîner un dommage pour celui qui le subit, encore faut-il apporter des éléments tant sur la réalité du dommages que sur son étendue ce que ne fait pas la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel dont le dossier est muet sur ce point ;

Qu'il ne pourra dont lui être donné satisfaction sur ce point ;

Attendu par contre qu'il serait tout à fait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante partie ou totalité des sommes par elle exposées et non comprises dans les dépens et qu'une somme de 10 000 F lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant comme juridiction de renvoi de cassation par arrêt réputé contradictoire, Dit n'y avoir lieu a rapporter l'ordonnance de clôture en date du 10 mai 1991 ; Constate que la constitution d'avoué et les conclusions de la société Creacom sont tardives ; Statuant dans les limites de la cassation, Infirme le jugement du 21 juin 1988 du Tribunal de grande instance de Caen ; Condamne la société Creacom à relever et garantir la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel de toutes les condamnations prononcées à son encontre aux termes de l'arrêt de la Cour d'appel de Caen du 23 février 1989 définitif sur ce point ; Déboute la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel de sa demande en dommages-intérêts supplémentaires ; Condamne la société Creacom à payer une somme de 10 000 F à la société Caennaise pour l'Habitat, Maisons Abonnel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Creacom aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Frolow, avoué, sur son affirmation d'en avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.