CA Paris, 4e ch. B, 21 novembre 1991, n° 89-21940
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Manuel Noao (SA)
Défendeur :
Presse Alliance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Jacomet
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Pechenard, Couvrat Devergnes.
La société Presse Alliance, éditrice du journal France Soir a chargé par lettre du 3 octobre 1977 la société Bélier de la promotion du département " petites annonces " de ce quotidien en ces termes :
" Je te confirme qu'à compter du 1er juillet 1977 pour une période limitée à un an et reconductible le cas échéant sans engagement de part et d'autre, l'agence Le Bélier est chargée de la promotion de France Soir en ce qui concerne son budget de publicité, à savoir petites annonces et publicité commerciale.
Les honoraires mensuels sont fixés à 10 000 F ".
Il résulte en outre d'une lettre du 12 septembre 1977 de l'agence Bélier que les honoraires couvraient la rédaction des textes et la conception et que les frais techniques devaient faire l'objet de devis préalables.
La société Bélier a accepté la proposition du 3 octobre 1977.
En 1984 la société Manuel Noao, filiale de la précédente, s'est substituée à elle pour la poursuite du contrat.
En dernière analyse, la rémunération mensuelle de la société Manuel Noao était fixée à 25 000 F.
Par lettre en date du 19 novembre 1987 la société France Soir informait l'agence Bélier qu'elle avait " décidé de ne plus recourir aux services de l'agence Noao pour la publicité des petites annonces et la promotion du titre France Soir " et que la rémunération mensuelle de l'agence Noao ne serait plus réglée à compter de fin décembre 1987.
Elle motivait sa décision par les performances insuffisantes de l'agence.
Par lettre du 11 mars 1988 la société Manuel Noao s'étonnait de cette décision et concluait : " vous trouverez ci-joint une facture de 25 000 F x 5 soit 125 000 F correspondant au préavis qui nous est dû (vous avez en effet déjà réglé un mois de préavis - décembre 1987) ".
La société Presse Alliance a refusé de payer cette somme qu'elle estimait ne pas devoir.
Par acte en date du 15 décembre 1988, la société Manuel Noao a assigné devant le Tribunal de commerce de Paris la société Presse Alliance en paiement de diverses sommes.
Par jugement du 20 septembre 1989 cette juridiction a débouté la société Manuel Noao de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Presse Alliance la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
La société Manuel Noao a interjeté appel de ce jugement le 16 octobre 1989.
Elle a, par conclusions du 16 février 1990 demandé l'infirmation du jugement, la condamnation de la société Presse Alliance à lui payer la somme de 148 250 F avec intérêts de droit à compter du 11 mars 1988 et application des dispositions de l'article 1154 du Code civil. Elle a réclamé en outre 30 000 F à titre de dommages-intérêts et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Par conclusions en date du 17 septembre 1991 la société Presse Alliance a demandé la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et réclamé en outre une somme complémentaire de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 1991.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que les seuls documents définissant les relations contractuelles sont les lettres des 12 septembre 1977 et 3 octobre 1977 ;
Que celles-ci prévoient que :
- la société Bélier, aux droits de laquelle figure désormais la société Noao était chargée à compter du 1er juillet 1977 du département publicité petites annonces du quotidien France Soir, activité qui comprenait la conception et la rédaction des textes,
- cet engagement, limité à un an, était reconductible le cas échéant sans engagement de part et d'autre,
- les honoraires mensuels étaient évalués pour la première année à 10 000 F.
Considérant qu'ainsi l'engagement du 3 octobre 1977 ne précisait pas la durée pendant laquelle les relations contractuelles pouvaient se poursuivre à l'issue d'une première année, et ne donnait aucune indication sur la nécessité d'un préavis pour la rupture des relations contractuelles.
Considérant que l'article E 4e du contrat-type publié le 19 septembre 1961 régissant les relations entre annonceurs et agents de publicité énonce : " A moins que leur durée n'ait été expressément déterminée ou qu'elles ne concernent l'exécution d'un ouvrage particulier, chacune des parties pourra mettre fin aux conventions conclues entre annonceur et agent de publicité, à charge pour elle, sauf motif grave et légitime, d'en aviser l'autre partie six mois à l'avance par lettre recommandée ".
Considérant que l'usage consacré par la jurisprudence impose à défaut de stipulation contraire un préavis de six mois pour la rupture unilatérale d'un contrat de mission générale de publicité à durée indéterminée entre un annonceur et une agence de publicité.
Considérant que constitue un contrat à durée déterminée celui qui fixe à l'avance son terme, même s'il prévoit une faculté de renouvellement par tacite reconduction, dès lors que les périodes de reconduction sont elles-mêmes à terme certain.
Considérant que l'engagement du 3 octobre 1977, s'il a prévu un renouvellement par tacite reconduction, n'a pas précisé la durée pendant laquelle le contrat était ainsi prolongé ;
Qu'il n'est pas prouvé par les pièces produites aux débats que la rémunération mensuelle a été augmentée chaque année à date fixe ; que les seuls documents versés aux débats sont en effet : une lettre du 26 décembre 1979 par laquelle l'agence Bélier demandait que ses honoraires soient fixés à 20 000 F, le compte-rendu d'une réunion du 4 mars 1980 dont il ressort que les honoraires étaient portés à 17 000 F et une lettre de l'agence Bélier du 19 novembre 1980 dont il résulte que les honoraires avaient été portés à 20 000 F ; qu'il ressort de ces documents que les honoraires de l'agence n'étaient pas revus en fonction du terme de périodes fixes ;
Considérant dès lors que les périodes de reconduction n'étaient pas à terme certain ;
Qu'en conséquence le contrat était à durée indéterminée.
Considérant que l'examen des lettres du 12 septembre 1977 et 3 octobre 1977 définissant une mission de conception et de réduction des textes ; qu'elle percevait une rémunération mensuelle ;
Que l'agence Noao a justifié avoir établi un programme de publicité pour les années 1984 et 1985 avec un calendrier et une estimation budgétaire pour rendre la publicité du département " petites annonces " plus performante ; qu'elle a pris l'initiative de diverses campagnes publicitaires qu'elle a conçues et organisées, des campagnes radiophoniques sur RTL, Europe 1, Radio Luxembourg, FM 88.5, des campagnes dans la presse, notamment des opérations " annonces cinéma ", " vous recherchez un emploi ", " un jeune, un emploi ", des campagnes avec l'organisation d'un jeu en concours " Big Bingo ", " France Soir à la Une " notamment ;
Considérant certes que certains documents se réfèrent à des opérations particulières que cependant la société France Soir n'a pas justifié qu'elle les avait spécialement demandées ;qu'en réalité, les opérations étaient entreprises dans le cadre d'un programme d'ensemble, conçu et organisé par l'agence de publicité rémunérée forfaitairement par mensualités.
Considérant qu'ainsi, loin de se limiter à des interventions ponctuelles ou à l'exécution d'un ouvrage particulier, la société Noao a exercé une mission générale de conseil en publicité pour l'ensemble du département petites annonces ;qu'il n'est d'ailleurs nullement nécessaire comme le soutient la société Presse Alliance pour que cette mission générale soit reconnue, qu'elle couvre l'ensemble des départements de l'entreprise cliente de l'agence en l'espèce de la société France Soir.
Considérant que la société Noao a conçu et réalisé son programme publicitaire, à l'aide d'un budget qui lui était propre et qu'elle définissait ; que d'ailleurs les estimations des budgets 1984 et 1985 étaient d'un montant relativement important ;
Qu'il convient de relever que les devis préalables n'étaient exigés que pour des frais techniques et non pour l'organisation du programme publicitaire ;
Considérant que si la publicité Noao a reconnu qu'elle avait organisé le jeu " France Soir à la Une " " avec le concours d'autres agences telles AMP et SFDD, on ne saurait inférer de la participation une fois en dix ans de ces dernières à une manifestation de grande ampleur qu'elle n'avait pas l'exclusivité de l'organisation générale de la publicité du département des petites annonces ;
Considérant ainsi que l'agence Noao qui a exercé une mission générale de conseil en publicité, dont elle avait l'exclusivité, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, doit bénéficier d'un préavis de six mois que lui reconnaissent tant les dispositions du contrat-type du 19 juin 1961 que l'usage non contesté et consacré par la jurisprudence ;
Considérant qu'en conséquence, la société Presse Alliance est redevable d'une indemnité correspondant à six mois ;
Considérant que la société Presse Alliance qui a réglé une mensualité sur cette période de préavis doit donc à la société Manuel Noao le montant de cinq mensualités, soit la somme de 148 250 F, dont elle n'a pas contesté le montant ;
Que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 13 mars 1988, date de la mise en demeure ;
Considérant que la société Noao a demandé la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; qu'il sera fait droit à cette demande, les dispositions de cet article étant d'ordre public ;
Considérant que l'équité commande d'allouer la somme de 8 000 F à la société Manuel Noao au titre des frais non taxables qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel ;
Considérant que la société Presse Alliance sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la société Presse Alliance à payer à la société Manuel Noao la somme de 148 250 F avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 1988 et intérêts sur les intérêts échus depuis plus d'un an à compter du 16 février 1990 ; Condamne la société Presse Alliance à payer à la société Manuel Noao la somme de 8 000 F au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés tant en première instance qu'en appel ; Condamne la société Presse Alliance aux entiers dépens de première instance et d'appel. Admet pour ceux d'appel la SCP d'avoués Teytaud au bénéfice de l'article 699 du NCPC.