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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 18 septembre 1992, n° 20488-90

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Menson

Défendeur :

Galerie Charles André Bailly (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Feuillard

Conseillers :

Mme Pinot, M. Perie

Avoués :

Me Blin, SCP Fanet

Avocats :

Mes Bouabza, Sardi.

T. com. Paris, 13e ch., du 11 juill. 199…

11 juillet 1990

La Cour statue sur les appels respectivement relevés par M. David Menson et par la société en nom collectif Charles André Bailly (ci-après Bailly) du jugement contradictoire rendu le 11 juillet 1990 par le Tribunal de commerce de Paris (13e Chambre) qui a :

- condamné Bailly à payer à M. Menson la somme de 80 000 F toutes causes de préjudice confondues, celle de 10 087 F, sur présentation de la justification du règlement aux supports des frais consécutifs aux annulations d'insertions ainsi que celle de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC,

- donné acte à M. Menson de son offre de restituer les ektas et photographies en sa possession, sous astreinte de 500 F par jour de retard,

- rejeté les autres demandes formées par les parties,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision à charge pour M. Menson de fournir une caution bancaire égale au montant de la condamnation susvisés,

- fait supporter les dépens par Bailly.

M. Menson, qui exerce son activité de conseil en publicité sous l'enseigne Menson Partner's, a conclu avec Bailly, le 7 août 1988, une convention portant sur l'achat d'espaces pour la campagne 1988/1989. L'ordre, valable un an à compter du 1er octobre 1988, précisait le nombre des parutions (87), le taux de réduction obtenu pour chaque insertion, l'obligation pour l'annonceur de régler les frais techniques et de réservation engagés par son agent.

Le 6 octobre 1989, un nouveau bon de commande était signé par Bailly, portant sur 44 parutions, valable un an à compter du 1er janvier 1990 et renouvelable par tacite reconduction.

Le 5 janvier 1990, Bailly informait son agent qu'elle entendait rompre le contrat si les frais techniques, estimés par elle exorbitants, n'étaient pas alignés sur la moyenne des frais usuellement pratiqués.

Puis, le 30 suivant, sous forme recommandée avec AR, elle avisait M. Menson que, devant l'absence de réponse à la lettre susvisée, elle considérait que ce dernier avait " rompu tout contrat avec (elle) et qu'(elle) reprenait donc sa liberté ".

Dans une première réponse du 30 janvier 1990, M. Menson rappelait que le préavis de six mois n'avait pas été respecté, puis, dans un second courrier du 7 février suivant, il indiquait que le contrat avait été rompu abusivement par Bailly à qui il réclamait diverses sommes en réparation de son préjudice.

C'est dans ces conditions que le tribunal, saisi par M. Menson de diverses demandes en paiement, prétentions auxquelles Bailly s'est opposée, a, pour l'essentiel, retenu que :

les dispositions du contrat-type relatives aux paiement d'une indemnité égale à six mois de préavis en cas de rupture abusive n'étaient pas applicables dans la mesure où l'agent ne justifiait pas qu'il bénéficiait de l'exclusivité de la publicité pour le compte de Bailly.

celle-ci, en rompant unilatéralement le contrat sans motif valable, devait indemniser son agent des commissions dont il avait été privé de la part des supports après exécution des ordres,

en l'absence d'éléments précis, le préjudice subi de ce chef devait être évalué à 70 000 F,

la demande relative aux factures impayées devait être accueillie à hauteur de 10 204 F,

l'utilisation de son nom dans l'insertion de la revue Gazette du 16 mars 1990, intervenue postérieurement à la rupture, était abusive,

la preuve d'une utilisation injustifiée de son nom n'était rapportée en ce qui concerne l'insertion parue dans la revue Art et Valeur,

la fabrication du dépliant publicitaire, objet de la commande du 28 juin 1989, ne pouvait être imposée en raison de la rupture intervenue,

la demande de Bailly sollicitant la justification des frais techniques devait être écartée comme présentée tardivement alors que leur prétendu caractère excessif n'avait fait l'objet d'aucune protestation à l'occasion du renouvellement du contrat,

M. Menson, qui avait offert de restituer les ektas et les photographies en sa possession, devait effectivement s'exécuter sous astreinte.

Appelante, Bailly soutient que M. Menson ne peut prétendre bénéficier de la qualité d'agent de conseil en publicité puisqu'il n'a réalisé que des achats d'espaces ; que la rupture du contrat n'avait revêtu aucun caractère abusif dans la mesure où sa demande de justification des frais était restée sans réponse ; que les commissions, dont le montant n'était d'ailleurs pas établi, devaient être réglées par les supports et non par l'annonceur.

Elle s'oppose au paiement de la facture de 10 024 F en l'absence de justification du règlement de ladite somme par M. Menson, s'agissant d'une annulation de commandes.

Elle indique que l'insertion parue dans la Gazette ne lui est pas imputable.

Elle réclame à nouveau la remise de la brochure au motif que les prises de vues avaient été réalisées et que l'impossibilité de terminer l'ouvrage n'était pas rapportée ; subsidiairement, que M. Menson devra lui rembourser l'acompte reçu.

Elle reprend sa demande relative à la justification des frais techniques.

Elle prie en conséquence la cour d'infirmer la décision en toutes les dispositions lui faisant grief et, statuant à nouveau, de débouter M. Menson de sa demande de dommages-intérêts relative à l'insertion publicitaire, d'accueillir ses prétentions reconventionnelles, de condamner M. Menson à livrer la brochure publicitaire sous astreinte, de le condamner également à justifier des frais techniques, sous astreinte, de liquider l'astreinte portant sur la restitution des ektas et des photographies à 13 000 F, d'ordonner le cas échéant la compensation entre les créances et dettes respectives des parties, de lui allouer 15 000 F par application de l'article 700 du NCPC, de confirmer le jugement sur les autres dispositions.

Egalement appelant, M. Menson reprend l'argumentation développée devant les premiers juges selon laquelle les dispositions du contrat-type doivent en l'espèce trouver application et précise que l'annonceur doit faire la preuve de l'absence d'exclusivité confiée à l'agent. Subsidiairement, il fait valoir que Bailly a commis un abus dans son droit de résilier le contrat ;

Il soutient que son nom a été abusivement utilisé dans deux revues.

Il estime à 402 469,50 F le montant de la réparation devant lui être allouée, correspondant aux commissions dont il a été privé (70 000 F) et à l'indemnité compensatrice de préavis (332 469,50 F).

Il rappelle que la prétention de Bailly portant sur la justification des frais est injustifiée, comme l'est également celle relative à la remise de la brochure, renouvelant son offre de restituer l'acompte reçu.

Il indique que la restitution des éléments en sa possession n'était pas tardive et que l'astreinte ne saurait excéder 1 500 F.

Poursuivant l'infirmation partielle du jugement, il demande à la cour de condamner Bailly à lui payer 33 469,50 F à titre de dommages-intérêts et celle de 74 096,62 F à titre de commissions pour la campagne de l'année 1990, celle de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour imitation servile, de lui donner acte de son offre de régler 22 768,82 F, de liquider le montant de l'astreinte à 1 500 F, d'ordonner la compensation des créances et des dettes des parties, de lui allouer 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Bailly a sollicité le rejet des dernières écritures de M. Menson comme tardives.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la recevabilité des conclusions déposées par M. Menson :

Considérant que M. Menson a déposé le 19 juin 1992, avant l'audience, des écritures en réponse à celles qui lui avaient été signifiées la veille par Bailly et qui faisait suite à une communication de pièces du 4 juin ;

Considérant que, dans ces conditions, Bailly est particulièrement mal fondée à solliciter le rejet des débats des écritures en réponse de son adversaire alors qu'elle ne l'avait pas mis en mesure d'y répliquer plus tôt ;

Considérant, au demeurant, que les écritures de M. Menson, signifiées avant le prononcé de l'ordonnance de clôture, laquelle avait été fixée au jour des débats, ne comporte au moyen de droit ou de fait nouveau ;

Que le principe de la contradiction des débats a été respecté ;

Que la demande de Bailly doit être écartée ;

Sur la résiliation de la convention :

Considérant que les parties étaient liées par une première convention d'achats d'espaces publicitaires, puis par une seconde qui a été interrompue en cours d'exécution par Bailly ;

Que le motif invoqué par cette dernière, à savoir l'absence de justification des frais techniques par son agent, n'est pas fondé ;

Que le tribunal a relevé, à bon droit, que Bailly n'avait antérieurement élevé aucune protestation, notamment à l'occasion du renouvellement du contrat pour l'année 1990, alors que la clause relative au paiement par l'annonceur des frais techniques et de réservation engagés par le conseil en publicité se trouve exactement reproduite ;

Qu'elle était donc en mesure, si elle estimait les frais excessifs, de formuler les observations utiles ;

Qu'en rompant avant son terme la convention, sans motif légitime, elle a commis une faute dont elle doit réparation ;

Considérant que M. Menson demande l'application des stipulations du contrat-type concernant les annonceurs et agents de publicités lui permettant de bénéficier, en cas de rupture, du délai de préavis de six mois ou d'une indemnité équivalente ;

Considérant qu'en l'espèce, la teneur du contrat met en évidence que M. Menson n'était chargé que d'une mission ponctuelle d'achats d'espaces dont l'identification et le nombre sont expressément visés ;

Qu'il n'était donc nullement chargé d'un mission générale portant sur la politique publicitaire de Bailly, et ce, à titre exclusif ;

Que sa demande a été justement écartée par les premiers juges ;

Considérant, toutefois, que la brusque rupture du contrat lui a occasionné un préjudice en le privant notamment des commissions dues par les supports qui constituaient sa rémunération ;

Que l'indemnité de 70 000 F, retenue par le tribunal, constitue une juste réparation ;

Sur l'usage du nom :

Considérant qu'il ressort des productions qu'une insertion publicitaire portant le nom de Menson Partner's a été insérée dans la revue La Gazette du 16 mars 1990 ;

Qu'à cette date, les parties avaient rompu leurs relations ;

Que Bailly est donc tenue de réparer le préjudice résultant pour M. Menson de l'utilisation de son nom sans droit, peu important que l'erreur ait été commise par le support ;

Que, toutefois, le préjudice subi par l'appelant était de pur principe, l'indemnité à laquelle il peut prétendre doit être fixée au franc symbolique ;

Considérant qu'il n'apparaît pas que Bailly se soit livrée à une imitation servile du travail effectué par M. Menson en ce qui concerne deux insertions parues dans la revue Art et Valeurs ;

Considérant, en effet, que Bailly affirme, sans être utilement contredite sur ce point, que les affiches élaborées par M. Menson l'avaient été à partir des photographies fournies par elle et portaient la marque du logo qu'elle avait élaboré ;

Que le grief n'est donc pas fondé, étant encore observé que les documents litigieux versés aux débats ne portent pas trace du nom de M. Menson ;

Sur le paiement de la facture de 10 024 F :

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a subordonné le paiement de cette facture relative à des frais d'annulation d'insertions à la justification par M. Menson du règlement de ladite somme aux supports ;

Sur la restitution des ektas des photographies et des typons et sur la liquidation de l'astreinte :

Considérant que M. Menson a restitué avec retard les ektas et les photographies ;

Qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir restitué les typons, dont il n'est pas contesté que ces éléments sont en la possession des imprimeurs, dès lors que seule Bailly, qui en est le propriétaire, a qualité pour les réclamer;

Considérant que l'astreinte doit être liquidée à la somme de 500 F, le préjudice subi par Bailly en raison de la restitution tardive des deux premiers éléments étant de pur principe ;

Sur la demande relative à la justification des frais techniques :

Considérant que, pour le motif ci-dessus indiqué relatif à la rupture abusive du contrat par Bailly, cette demande est sans objet ;

Sur la fabrication de la brochure publicitaire et l'offre de restituer l'acompte reçu :

Considérant qu'en suite de la rupture du contrat, M. Menson n'était plus en mesure d'achever la fabrication de la brochure publicitaire dès lors que ce travail nécessitait le maintien des relations contractuelles, le fait que les prises de vues aient déjà été effectuées ne permettant pas la réalisation de l'ouvrage ; qu'il convient de donner à ce dernier l'acte par lui requis ;

Sur l'application de l'article 700 du NCPC :

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéfice l'une ou l'autre des parties des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, Déclare recevables les conclusions signifiées par M. Menson, le 19 juin 1992, avant la clôture des débats ; Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée au titre de l'usage abusif du nom ; Statuant à nouveau de ce chef seulement : Condamne la SNC Charles et André Bailly à payer à M. David Menson la somme de 1 franc au titre de l'usage abusif de son nom ; Y ajoutant : Liquide à la somme de 500 F le montant de l'astreinte mise à la charge de M. Menson ; Donne acte à M. Menson de son offre de restituer la somme de 22 768,82 F ; Ordonne en tant que de besoin la compensation entre les créances et les dettes des parties résultant du présent arrêt confirmatif ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire ; Condamne les deux parties aux dépens d'appel, chacune pour moitié, et admet les avoués de la cause au bénéfice de l'article 699 du NCPC.