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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 6 octobre 1995, n° 11280-94

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Office d'annonces (SA)

Défendeur :

Entreprise Lyonnaise de Téléphonie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

M. Weill, Mme Canivet

Avoués :

Me Huyghe, SCP Gaultier Kistner

Avocats :

Mes Quenet, Sportouch.

T. com. Paris, 1re ch., sect. B, du 7 fé…

7 février 1994

LA COUR statue sur l'appel, relevé par la société Office d'Annonces, du jugement rendu le 7 février 1994 par le Tribunal de commerce de Paris qui :

- l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles ;

- a dit que la société Entreprise Lyonnaise de Téléphonie (ELT) ne lui doit aucune somme au titre du contrat du 15 juin 1991 ;

- a ordonné en conséquence la remise à la société ELT des sommes et lettres de change bloquées entre les mains de la BNP ;

- l'a condamnée à verser à la société ELT la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

- a rejeté le surplus des demandes ;

- et l'a condamnée aux dépens.

Le 18 mai 1991, la société ELT a adressé à la société Offices d'Annonces un ordre d'insertion de 5 annonces à paraître dans les pages jaunes et blanches des annuaires du Rhône, de la Drôme, de l'Isère et de la Loire, édition 1991, et d'un encart dans l'annuaire électronique, pour un coût total de 74 445,22 F ;

A cet ordre d'insertion, étaient jointes deux LCR (lettre de change relevé) d'un montant de 37 322,61 F chacune ;

Estimant que, comme cela s'était déjà produit les deux années précédentes, la publicité parue n'était pas conforme au contrat, et ce, alors même que de nombreux échanges avaient eu lieu entre les parties, et que des demandes de correction des deux " bons à tirer " successivement émis les 7 juillet et 19 septembre 1991, avaient été formulées, la société ELT a refusé de payer les LCR émises et en a réclamé la restitution à la société Office d'Annonces ;

Celle-ci s'y étant opposée, la société ELT a demandé à sa banque, la BNP, de consigner le montant des LCR sur un compte bloqué ;

En exécution d'une ordonnance du 23 avril 1992 de M. le Président du Tribunal de commerce de Lyon ces LCR ont été séquestrées entre les mains de Me Anaf, huissier de justice ;

Le 22 juin 1992, la société ELT a assigné la société Office d'Annonces aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat avec toutes conséquences de droit outre l'allocation de dommages et intérêts et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

La société Office d'Annonces a fait valoir notamment que le seul grief de la société ELT portait sur le cadrage d'une photo et sur une seule des annonces parues, et qu'il convenait le cas échéant de faire application de la clause limitative de responsabilité contractuelle, prévoyant en cas d'erreur ou d'omission dans le corps d'une annonce, une réduction du prix ;

Par le jugement déféré, le tribunal a estimé que la société Office d'Annonces, qui n'avait laissé à la société ELT qu'un seul jour ouvrable pour renvoyer le bon à tirer ne pouvait se prévaloir de ce qu'il lui en avait été fait retour hors délais ; que la société Office d'Annonces, qui est responsable de la bonne exécution des ordres qu'elle reçoit, ne pouvait s'exonérer contractuellement de toute responsabilité ; que, même si le texte des annonces n'avait pas été trahi, le cadrage et le travail de photocomposition n'étaient pas conformes à ceux commandés ; que la réclamation de la société ELT portait sur l'essentiel de la commande, puisque le prix de l'annonce concernée représente 84 % du total de la commande ; qu'en conséquence il n'y avait lieu à aucun paiement de la part de la société ELT ;

Appelante, la société Office d'Annonces poursuit la réformation de ce jugement, reprenant les moyens déjà exposés en première instance et faisant valoir en outre :

- que sa responsabilité a été retenue à tort par le tribunal ; que l'envoi d'un second bon à tirer ne constitue pas une obligation contractuelle ; qu'ayant adressé à la société ELT un premier bon à tirer dans un délai raisonnable (7 juillet 1991), et ayant mandaté un de ses agents commerciaux le 29 juillet pour revoir la composition de son annonce, puis ayant réalisé un nouveau projet de maquette avant l'envoi des annonces en parution afin de satisfaire à la demande de son client, elle a effectué toutes diligences nécessaires ; qu'en revanche, la société ELT a attendu le 3 octobre 1991, soit 10 jours après l'expiration de la date au-delà de laquelle aucune correction ne pouvait plus être prise en compte, pour renvoyer le bon à tirer émis le 19 septembre 1991, alors qu'elle aurait pu répondre immédiatement, par fax ou téléphone ;

- subsidiairement, que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les griefs de la société ELT ne portent pas sur les éléments substantiels du contrat ; que la clause limitative de responsabilité doit donc recevoir application ;

Elle prie en conséquence la cour :

- de condamner la société ELT à lui payer la somme de 74 441,22 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 avril 1992,

- d'ordonner la mainlevée du séquestre confié à Me Anaf, huissier de justice par ordonnance du 23 avril 1992, de dire que Me Anaf devra se dessaisir des sommes à son produit dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,

- subsidiairement de faire application de la clause limitative de responsabilité, de lui donner acte de ce qu'elle a offert de réduire le prix de l'annonce litigieuse de 10 % et de déclarer cette offre satisfactoire,

- encore plus subsidiairement de condamner la société ELT au paiement de la somme de 9 925 F HT correspondant au prix des insertions parues et ne faisant l'objet d'aucune contestation, avec intérêts au taux légal à compter du 23 avril 1992,

- en tout état de cause de condamner la société ELT à lui verser la somme de 8 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et la somme de 16 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Intimée, la société ELT soutient :

- que le contrat est nul pour défaut d'accord sur l'objet ; que l'ordre d'insertion, qui est purement descriptif et ne contient pas l'encart définitif tel qu'il devra être publié, constitue une simple demande de contracter ; que le bon à tirer doit être analysé comme une offre de la société Office d'Annonces, qui n'a jamais été acceptée, puisque des demandes de modification ont été effectuées par la concluante ; qu'il n'y a jamais eu rencontre des consentements sur l'objet de la prestation, élément essentiel du contrat ;

- que la concluante doit donc être dégagée de toute obligation et obtenir restitution des sommes consignées ;

- subsidiairement, que le contrat doit être résilié pour inexécution par la société Office d'Annonces de ses engagements, lesquels, consistants simplement à reproduire l'encart réalisé par sa co-contractante, dont la composition était d'ailleurs similaire à celle de la publicité parue l'année précédente, constituaient une obligation de résultat ;

- que la société Office d'Annonces, à laquelle la concluante a dû rappeler, par lettre recommandée du 4 septembre 1991, sa promesse d'établir un second bon à tirer après la visite de son agent commercial le 29 juillet précédent, et qui n'a envoyé ce bon que le 19 septembre, ne saurait arguer que les dernières modifications ont été demandées hors délai et se prévaloir ainsi de sa propre turpitude ;

- que la clause limitative de responsabilité lui est inopposable ; qu'elle est nulle tant au regard de l'article 2 du décret du 24 mars 1978, applicable en la cause, s'agissant d'un contrat de vente d'espace publicitaire à un " non professionnel " de la publicité, qu'au regard de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui prohibe l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; qu'en tout état de cause la société Office d'Annonces, qui a fait preuve d'une complète inaptitude à l'accomplissement de sa mission, et d'une totale mauvaise volonté à corriger des erreurs qu'elle avait pourtant reconnues, a commis une faute lourde écartant l'application de cette clause ;

Elle demande à la cour, à titre principal, de prononcer la nullité du contrat, à titre subsidiaire sa résiliation, d'ordonner la levée du séquestre confié à Me Anaf et la remise des LCR à elle-même, d'autoriser la BNP à lui remettre la somme de 74 441,22 F, bloquée sur un compte ouvert dans ses livres, et de condamner la société Office d'Annonces à lui verser la somme de 15 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens ;

Par conclusions complémentaires, la société Office d'Annonces répond :

- que le contrat s'est formé entre les parties dès le 18 mai 1991 ; que dans l'hypothèse où les prétentions contraires de la société ELT seraient admises, il conviendrait néanmoins de constater que celle-ci aurait bénéficié pendant un an de la diffusion de 6 encarts publicitaires pleinement efficaces, et de la condamner à restituer les sommes correspondant à ces prestations et donc au prix du contrat ;

- que ce contrat s'analyse en une réservation d'espaces publicitaires ; qu'aucun transfert de propriété de ces espaces publicitaires ne s'opère au profit de l'annonceur ; qu'il s'agit donc d'un contrat de louage d'ouvrage et plus généralement d'un contrat de prestations de services ; que l'article 2 du décret du 24 mars 1978 n'est donc pas applicable à l'espèce ;

- que la loi du 10 janvier 1978, ne saurait davantage être invoquée ; qu'elle régit exclusivement les rapports entre professionnels et consommateurs ; que l'intimée, société anonyme au capital de 300 000 F n'est pas un petit artisan ou commerçant exerçant son activité isolément et pouvant de ce fait être considéré dans un état d'ignorance voisin de celui d'un consommateur ; qu'elle a entretenu avec la concluante des relations commerciales régulières ; que l'organisation de sa publicité constitue un acte courant de gestion accompli pour les besoins habituels de son commerce ; qu'elle a donc agi en qualité de professionnel ; qu'elle ne peut dès lors se prévaloir de la loi précitée ;

- que la clause limitative de responsabilité, qui contient la mention " sauf faute lourde dûment prouvée par le client ", est conforme aux exigences du Conseil de la concurrence et à la jurisprudence en la matière ;

- que la preuve de cette faute lourde, qui suppose l'existence d'un comportement d'un extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée, ou une faute entraînant des conséquence manifestement excessives, n'est pas rapportée par la société ELT ; que l'intimée ne prétend pas que la non-conformité de l'annonce parue à la commande passée ait entraîné la moindre conséquence dommageable ; qu'une différence de quelques millimètres dans le cadrage de la photographie ne saurait aboutir à vider le contrat de toute substance et de tout effet ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que le litige ne porte que sur l'encart publicitaire de l'annonce parue dans l'annuaire 1991 du département du Rhône, facturée à la société ELT pour la somme de 52 845 F HT ;

Considérant que nonobstant les allégations contraires de la société ELT, l'ordre d'insertion souscrit par celle-ci le 18 mai 1991, aux conditions dont le prix et l'objet étaient clairement exprimés, constitue un contrat ferme et définitif et non une prétendue " demande de contracter " ; que les rectifications ultérieurement opérées sur les bons à tirer émis par la société Office d'Annonces ne visaient qu'à assurer la bonne exécution de ce contrat ;

Que le moyen tiré d'une prétendue nullité de la convention susvisée ne peut donc qu'être écarté ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que, malgré les indications détaillées fournies par la société ELT dans l'ordre d'insertion susvisé, auquel était joint de nombreuses annotations et des " visuels " (photographies) de l'ordinateur et du combiné téléphonique devant illustrer cette publicité et en dépit même des rectifications opérées, à la demande de la société ELT, sur la maquette du premier bon à tirer qui comportait de nombreuses erreurs ou imperfections, l'annonce parue ne correspondait pas en tous points à la commande passée ;que sur l'une des photographies présentées, l'ordinateur était penché vers la droite ; que sur la seconde, le fil du téléphone, qui forme une arc de cercle dans l'angle gauche du cliché, est partiellement coupé en deux endroits par les bords du cadre ; que, comme le relève à juste titre la société ELT, cette prestation témoigne d'un défaut de travail de photocomposition de la part de la société Office d'Annonces, qui a ainsi manqué à son obligation de résultat ;

Qu'ainsi que l'a dit le tribunal, la société Office d'Annonces ne saurait reprocher à la société ELT de n'avoir pas fait connaître en temps utile ses critiques sur le second bon à tirer émis par ses soins, étant observé qu'elle a elle-même tardé à adresser ce document à sa cocontractante, que cet envoi n'a été effectué que 15 jours après " relance " de sa cliente, et qu'elle n'a laissé à celle-ci qu'un jour ouvrable pour procéder à l'examen dudit document et lui faire part de ses observations ;

Maisconsidérant que la convention litigieuse prévoit que toute erreur ou omission dans le corps de l'annonce ne peut entraîner la résiliation de l'ensemble de la convention, mais seulement donner lieu à réduction proportionnelle, sauf faute lourde dûment prouvée par le client ;

Considérant que, nonobstant les affirmations contraires de la société ELT, cette clause apparaît licite au regard de la législation et de la réglementation en vigueur ;

Que, d'une part, ne sont pas applicables en l'espèce les dispositions de la loi du 10 janvier 1978 et du décret du 24 mars 1978 sur la protection des consommateurs, qui interdisent, dans les contrats de vente conclus entre professionnels d'une part et non professionnels ou consommateurs d'autre part, toute clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ;

Qu'en effet la société ELT, qui traite de manière habituelle et depuis plusieurs années avec la société Office d'Annonces en qualité de professionnelle de la téléphonie et pour les besoins de son entreprise, ne peut être considérée comme un profane ou un simple consommateur non averti des usages en matière de publicité ;

Que, d'autre part, la clause litigieuse ne saurait être qualifiée d'abusive au regard de l'article 8 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, dès lors qu'ainsi qu'il y est expressément stipulé, elle ne peut recevoir application en cas de faute lourde de la société Office d'Annonces, et qu'elle ne procure dès lors à celle-ci, aucun avantage excessif qu'elle aurait imposé, du fait de sa position dominante économique, à sa cliente ;

Considérant que l'existence de cette faute lourde n'est pas démontrée par la société ELT ;

Que les griefs dont se prévaut l'intimée quant au mauvais cadrage des photographies de ses appareils de téléphonie sont d'importance relativement mineure ; que le texte de la publicité accompagnant ces clichés est parfaitement conforme aux indications de l'ordre d'insertion ; qu'il n'est ni démontré, ni même allégué que les défauts constatés aient entraîné un quelconque préjudice commercial pour l'intimée ;

Qu'il y a lieu, dans ces conditions, faisant application de la clause contractuelle précitée, de réduire, compte tenu des imperfections constatées et du caractère peu esthétique de la présentation des appareils vendus par l'annonceur, le coût de l'annonce litigieuse de 15 % de son montant, soit la somme de 7 926,75 F HT (9 401,12 F TTC), de condamner la société ELT à verser à la société Office d'Annonces la somme totale de 65 044,10 F (74 445,22 F - 9 041,12 F) avec intérêts au taux légal à compter du 23 avril 1992, d'ordonner en conséquence la mainlevée du séquestre confiée à Me Anaf, huissier de justice, et d'autorise la BNP à remettre à la société Office d'Annonce le montant des sommes consignées à concurrence de sa créance en principal et intérêts ;

Considérant que la société Office d'Annonces ne fait pas la preuve de la faute de la société ELT qui aurait fait dégénérer en abus de droit pour celle-ci d'agir en justice et sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Considérant que ni l'équité ni la situation économique des parties ne commandent l'application de l'article 700 du NCPC en l'espèce ;

Considérant que chacune des parties succombant partiellement, il convient de faire masse des dépens de première instance et d'appel et de dire qu'ils seront supportés pour 3/4 par l'intimée et pour 1/4 par l'appelante ;

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris, Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société ELT à verser à la société Office d'Annonces la somme de 65 044,10 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 avril 1992, En conséquence, Ordonne la mainlevée du séquestre confié à Me Anaf, huissier de justice, Autorise la BNP à remettre à la société Office d'Annonces le montant des sommes consignées à concurrence de sa créance en principal et intérêts, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires à la motivation retenue, Fait masse des dépens de première instance et d'appel, et dit qu'ils seront supportés pour les 3/4 par la société ELT et pour 1/4 par la société ODA ; Admet dans les mêmes proportions, les avoués de la cause au bénéfice de l'article 699 du NCPC.