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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 20 juin 1996, n° 9501151

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Créacom EDC (société), Compagnie laitière européenne CLE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonne

Conseillers :

MM. Le Henaff, Sadot

Avoués :

SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf, SCP Parrot-Lechevallier

Avocats :

Mes Bougartchev, Mounet.

T. com. Saint-Lô, du 18 nov. 1994

18 novembre 1994

La Compagnie Laitière Européenne a interjeté appel d'un jugement rendu le 18 novembre 1994 par le Tribunal de commerce de Saint-Lô dans un litige l'opposant à la société Créacom EDC.

Attendu qu'entre 1987 et 1992 la société Union Laitière Normande (ULN), issue de l'Association de sept coopératives regroupant 20 000 producteurs de lait, a confié à la société Créacom EDC, agent conseil en communication, différentes prestations relatives à l'information de ses salariés et des producteurs ; que, par lettre du 22 décembre 1992, l'ULN a mis fin à leurs relations contractuelles " en raison des conditions de prix pratiqués et des difficultés dans l'organisation du travail provoquées par l'éloignement ".

Attendu que la société Créacom a réclamé une somme de 565 000 F à titre de dommages-intérêts, correspondant à six mois de préavis, calculée sur le montant du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'année 1991 ; que la Compagnie Laitière Européenne (CLE), venant aux droits de l'ULN, a prétendu que le contrat-type, établi en application de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 1959 concernant les rapports enter annonceurs et agents de publicité, sur le fondement duquel la société Créacom formulait sa réclamation, ne pouvait en l'espèce s'appliquer ; que, par le jugement déféré rendu le 18 novembre 1994, le Tribunal de commerce de Saint-Lô, après avoir constaté que la société Créacom avait rempli le rôle d'agent conseil en communication interne auprès de l'ULN, et que d'autres agences étaient chargées de la communication externe, a dit que l'ULN avait rompu, de façon abusive, le contrat-type, applicable en l'espèce, et a condamné la société CLE à payer à la société Créacom la somme de 165 392,44 F, correspondant à 14 % du montant du chiffre d'affaires réalisé en 1991, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 1993, date de la mise en demeure.

Attendu que la CLE a conclu à l'infirmation du jugement en exposant essentiellement, d'une part, que la société Créacom ne remplissait pas le rôle d'une agence conseil en publicité et/ou en communication auprès de l'ULN puisqu'elle était seulement chargée de prestations internes à l'entreprise, d'autre part qu'elle intervenait au titre de louages d'ouvrages distincts, sans aucune exclusivité, ce qui ne lui permettait pas de se prévaloir d'un contrat à durée indéterminée ; qu'en conséquence le contrat-type n'avait pas vocation à s'appliquer.

Attendu que la société Créacom, reprenant sa demande initiale en paiement de la somme de 565 000 F a conclu sur le principe à la confirmation du jugement en soutenant qu'elle avait assuré la stratégie globale de l'ULN en matière de communication interne, pendant plusieurs années, que la confusion entretenue par la CLE entre " communication interne " et " communication externe " était fallacieuse et qu'en conséquence le contrat-type devait recevoir application ; qu'en toute hypothèse elle était fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 1382 du Code civil en raison de la faute commise et du préjudice subi, ce que la société appelante a contesté.

Sur l'application du contrat-type :

Attendu que le contrat-type établi en application de l'article 1er de l'arrêté sus-visé du 15 décembre 1959 régissant les rapports entre annonceurs et agents de publicité, devenus agents conseils en communication, dispose que l'agence de publicité rendra à l'annonceur, d'une façon générale, tous les services que ce dernier est raisonnablement en droit d'attendre de son agence, en ce qui concerne l'étude des produits et des services, ainsi que la préparation, l'exécution et le suivi des campagnes de publicité y afférentes ; que le même texte prévoit qu'à moins que leur durée n'ait été expressément déterminée ou qu'elles ne concernent l'exécution d'un ouvrage particulier, chacune des parties pourra mettre fin aux conventions conclues entre annonceur et agent de publicité, à charge pour elle, sauf motif grave et légitime, d'en aviser l'autre partie, six mois à l'avance par lettre recommandée.

Attendu que la société Créacom a élaboré de 1987 à 1992 pour le compte de la société ULN, une brochure d'information destinée aux salariés, devenue en 1989 le magazine mensuel " Lactua " ainsi qu'un bulletin d'information destiné aux producteurs de lait, et, ponctuellement a réalisé des plaquettes de présentation de la société et de ses filiales et a participé à la rédaction des brochures relatives aux comptes sociaux ; qu'ainsi la société Créacom était chargée, en liaison avec la société ULN de l'ensemble des problèmes de communication à l'intérieur de l'entreprise ; que la permanence et le suivi des relations contractuelles pendant plusieurs années leur confèrent le caractère d'un contrat à durée indéterminée.

Mais attendu que le contrat-type sus-visé n'a vocation à régir les rapports entre un annonceur et une agence de publicité qu'en ce qui concerne la publicité des produits commercialisés par cet annonceur ou des services proposés par lui ;qu'une agence conseil en communication qui gère uniquement, comme tel est le cas en l'espèce, l'information interne de l'entreprise, ne peut se prévaloir du contrat-type et, par suite, du préavis de six mois en cas de rupture des relations contractuelles entre elle et son client.

Sur l'application de l'article 1382 du Code civil :

Attendu que la société Créacom fait valoir, à titre subsidiaire, que la société ULN a rompu, unilatéralement et sans motif légitime, le contrat à durée indéterminée qui liait les deux parties et que cette faute a entraîné un préjudice dont elle est fondée à demander réparation ; que la CLE soutient au contraire que la société Créacom ne rapporterait ni la preuve de sa faute, ni celle du préjudice, ni celle du lien de cause à effet ; que d'ailleurs la société Créacom ne s'était pas émue lorsqu'en juillet 1992, en raison des difficultés financières de l'entreprise, la parution du magazine Lactua avait été interrompue.

Attendu que la société ULN, qui ne s'était jamais plainte des prestations fournies par la société Créacom, a, au mois de décembre 1992, mis fin brusquement à leurs relations contractuelles ; qu'aucun motif légitime ne la dispensait de respecter un délai de préavis ; que cette rupture brutale a causé à la société Créacom, qui n'a pu opérer immédiatement la reconversion d'une partie de ses services et qui a été privée des revenus qu'elle était en droit d'attendre, un préjudice ouvrant droit à réparation.

Attendu que le montant du chiffre d'affaires réalisé par la société Créacom avec la société ULN s'est élevé pour l'année 1991 à la somme de 1 181 375,00 F TTC (soit pour le magazine Lactua : 839 399 F et pour la brochure destinée aux producteurs : 341 976 F).

Attendu que la parution du magazine " Lactua " était interrompue depuis juillet 1992 en raison des difficultés financières de la société ULN, connues de la société Créacom ; qu'il subsistait dont un aléa sur la reprise de ce magazine ; qu'au regard de ces éléments la cour estime devoir fixer le montant du préjudice subi par la société Créacom à la somme de 70 000 F.

Sur le montant des sommes réclamées par la société CLE :

Attendu que la société CLE sollicite la condamnation de la société Créacom à lui payer " la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 10 000 F par application de l'article 32.1 du nouveau Code de procédure civile ", au motif que la société intimée, en inventant la notion d'agence conseil en communication " interne ", aurait eu un comportement procédurier à l'extrême et aurait montré une mauvaise foi hors du commun, cette attitude étant d'autant moins acceptable, qu'étant un professionnel de la publicité, elle ne pouvait ignorer les usages régissant son activité, prise dans son ensemble.

Mais attendu que la société Créacom a défendu ses intérêts sans mauvaise et sans intention de nuire ; que par ailleurs la société CLE n'a aucune qualité pour réclamer le prononcé d'une amende civile ; que la société CLE doit donc être déboutée de ses demandes.

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que la société Créacom a été contrainte d'exposer des frais irrépétibles dont la cour fixe en équité le montant à la somme de 10 000 F pour toute la procédure.

Par ces motifs, Infirme le jugement, Dit que le contrat-type établi en application de l'arrêté du 15 décembre 1959 n'a pas vocation à s'appliquer, Mais vu l'article 1382 du Code civil, Dit que la société Union Laitière Normande a rompu abusivement le contrat à durée indéterminée la liant à la société Créacom-EDC, Condamne en conséquence la société Compagnie Laitière Européenne, venant aux droits de la société Union Laitière Normande, à payer à la société Créacom-EDC la somme de 70 000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Déboute la société Compagnie Laitière Normande de ses demandes, La condamne aux dépens ; accorde à la SCP Parrot-Lechevallier, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.