CA Paris, 25e ch. B, 20 décembre 1996, n° 95-19780
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Deb's (SA)
Défendeur :
Crédit Lyonnais (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pinot
Conseillers :
M. Cailliau, Mme Maestracci
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Parmentier Hardouin Le Bousse
Avocats :
Mes Murie, Molas.
LA COUR statue sur l'appel de la société anonyme Deb's relevé contre le jugement du Tribunal de commerce de Paris (19e Chambre), rendu le 13 juin 1995, qui l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à la société Crédit Lyonnais la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de procédure de 12 000 F.
Il convient de se référer aux énonciations du jugement entrepris pour un exposé complet des éléments du litige et des demandes et moyens des parties en première instance.
Il en ressort en substance que la société Deb's, agence conseil en communication, s'est vu confier par le Crédit Lyonnais à compter de la fin de l'année 1988, diverses prestations de service de communication de recrutement, qui recouvraient en réalité la gestion du budget de communication de recrutement du Crédit Lyonnais, comme ce dernier l'admet dans sa lettre de rupture de relations du 18 décembre 1991.
La société Deb's s'est ainsi acquittée de ses obligations contractuelles au cours des années 1989, 1990 et 1991 et, après avoir participé à l'appel d'offres mettant en présence cinq agences pour la gestion du budget de 1992, a reçu, à la suite de la réunion de travail du 29 octobre 1991, une lettre du Crédit Lyonnais du 18 décembre 1991 l'informant que sa " recommandation relative [au] budget de communication de recrutement pour l'année 1992 " n'avait pas été retenue et que, de ce fait, leurs engagements réciproques prendraient fin le 31 décembre 1991.
Estimant que le Crédit Lyonnais n'avait pas tenu compte du préavis de six mois, au respect duquel il était obligé en sa qualité d'annonceur à l'égard de son agence de publicité, la société Deb's, après avoir demandé au Crédit Lyonnais, par lettre du 21 janvier 1992, de lui payer la somme de 780 913,47 F HT à titre d'indemnité de préavis, l'a assigné aux mêmes fins.
Les premiers juge, par le jugement déféré, ont estimé que le Crédit Lyonnais avait à bon droit refusé par écrit de s'adresser à l'agence Deb's pour sa communication durant l'année 1992. Ils ont affirmé que les parties n'étaient pas liées par un contrat pluriannuel, bien que le Crédit Lyonnais se fût adressé à l'agence Deb's en 1989, 1990 et 1991 ; que la lettre de l'agence Deb's du 10 octobre 1991 à son annonceur, lui indiquant qu'elle serait en mesure de lui présenter " une méthodologie sur mesure le 4 novembre 1991 " sur le budget de communication 92/93, impliquait que le Crédit Lyonnais lui avait demandé préalablement de lui présenter ses propositions et que les parties étaient toujours en discussion au cours du dernier trimestre 1991 sur le budget de l'année suivante ; que dès lors le Crédit Lyonnais restait libre d'accepter ou non lesdites propositions et que la poursuite des discussion entre les parties sur le maintien de leur collaboration impliquait qu'elles entendaient ne pas se référer aux usages invoqués par l'agence Deb's.
Appelante, la société Deb's conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation du Crédit Lyonnais à lui payer les sommes de 780 913,47 F à titre d'indemnité de préavis, 150 000 F à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient, à l'appui de son appel, que le préavis de six mois, devenu un usage constant de la profession applicable en l'absence de contrat écrit, devait lui être appliqué en l'absence d'une renonciation expresse des parties, seule admise par la jurisprudence ; que l'usage consistant pour l'agence de communication à faire connaître à son cocontractant en début de chaque année publicitaire ses propositions stratégiques tenant compte du budget accordé, ne pouvait autoriser l'annonceur, en cas de refus de la communication proposée, à rompre brutalement ses relations contractuelles sans respecter le préavis de six mois.
Elle sollicite, en plus de l'indemnité de préavis, la condamnation du Crédit Lyonnais à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des conditions abusives de la rupture, tenant notamment à la date de notification de sa décision exprimée dans une lettre du 18 décembre 1991 pour prendre effet le 31 décembre suivant et à la mise en concurrence de plusieurs agences pour le début 1991 sans l'en avertir.
Intimé, le Crédit Lyonnais sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande la condamnation de la société Deb's à lui verser une indemnité de procédure de 35 000 F.
Il fait valoir que la référence au contrat-type consacrant l'usage du préavis de six mois ne se conçoit que dans la situation où un annonceur confère à une agence une mission générale et non limitée dans le temps, alors qu'en l'espèce la mission confiée à la société Deb's était exclusivement limitée à la communication en matière de recrutement de personnel.
Il soutient ensuite que les circonstances démontrent que l'appelante avait accepté sans réserve de participer à l'appel d'offres lancé pour le budget de 1992 et de prendre par conséquent le risque de voir cesser sa collaboration à compter du 1er janvier 1992.
Il observe encore que la société Deb's, lors de l'envoi de sa lettre du 4 décembre 1991, n'ignorait pas, pour l'avoir nécessairement constaté à la lecture du numéro de novembre 1991 du principal organe de presse professionnelle concernant son secteur d'activité " Recrutement et Formation ", que le Crédit Lyonnais avait porté son choix sur une autre agence que la sienne pour son budget 1992 ; que ce courrier n'avait donc pour seul but que de pouvoir invoquer par la suite une rupture abusive de son contrat.
Enfin, s'appuyant sur les circonstances qui ont entouré l'action de la société Deb's, notamment celles révélées par l'expertise judiciaire, réalisée en première instance, ayant porté sur la signature apposée par M. F. Goux pour le Crédit Lyonnais sur le prétendu contrat du 1er février 1989, dont il conteste l'authenticité, il sollicite la confirmation de la condamnation de l'appelante à lui payer des dommages-intérêts pour l'engagement à son encontre d'une procédure abusive.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que le Crédit Lyonnais a confié pendant trois années consécutives la gestion globale de son budget de communication de recrutement à l'agence Deb's, spécialisée dans ce secteur d'activité ;
Qu'il est constant qu'un contrat verbal a été conclu à cette fin entre les parties à la fin de l'année 1988, qui aurait fait l'objet d'un protocole dont le Crédit Lyonnais conteste, à juste titre semble-t-il, la signature et l'authenticité ;
Considérant que la réalité des relations contractuelles entre les parties, de la fin de l'année 1988 à la fin de l'année 1991, est établie, de manière indiscutable, tant par les pièces du dossier que par les écritures échangées ;
Qu'en l'absence de support écrit concrétisant l'accord de l'annonceur et de l'agence de communication, l'étendue et les limites des obligations réciproques des parties contractantes ne peut résulter que des correspondances échangées entre elles ainsi que des usages rappelés par le contrat-type du 19 septembre 1961 ;
Considérant que la mission confiée à la société Deb's par le Crédit Lyonnais pendant plusieurs années de rang, sans interruption de collaboration, concernait l'objet principal de l'activité de l'agence, la gestion d'un budget global de communication de recrutement ;
Qu'il se conçoit qu'une telle activité pour une agence de communication engagée avec un annonceur de l'importance du Crédit Lyonnais, ne s'improvise pas et mobilise de manière conséquente tant son personnel que sa trésorerie ;
Que le renouvellement non contesté des relations contractuelles ayant existé depuis 1988 entre les parties,sans que ce fût posée la condition préalable de remporter avec succès les appels d'offres ouverts aux agences concurrentes, donnait incontestablement à la durée du contrat un caractère indéterminé, permettant à l'agence de prétendre au bénéfice du préavis de six mois consacré par les usages ;
Considérant que l'acceptation par la société Deb's de participer à des réunions de travail avec son annonceur au cours du dernier trimestre de l'année 1991 pour exposer sa méthodologie et ses options stratégiques pour la gestion du budget de 1992, en vue d'une confrontation avec les prestations proposées par des agences concurrentes, ne peut être comprise comme une renonciation au bénéfice du préavis de six mois, laquelle ne peut être admise que si elle est exprimée de manière expresse dépourvue de toute équivoque ;
Qu'en l'espèce il ne résulte d'aucune pièce du dossier que les parties aient expressément renoncé à se prévaloir du préavis de six mois qui s'applique au présent contrat ;
Considérant que le Crédit Lyonnais, libre de rechercher le meilleur partenaire pour gérer sa communication de recrutement, se devait de lancer ses consultations et d'ouvrir son appel d'offres à des agences concurrentes dans des délais qui eussent préservé ses droits de dénonciation du contrat qui le liait à l'appelante, c'est-à-dire avant que ne débute le délai de préavis de six mois ;
Que faute d'avoir respecté ce préavis dans l'organisation de son calendrier de consultations, lesquelles devaient donc impérativement être achevées avant le 1er juillet 1991, le Crédit Lyonnais ne pouvait utilement arguer de la participation de la société Deb's à l'appel d'offres, tardivement mis en œuvre, pour en déduire qu'elle renonçait à ses droits ;
Que l'information parue dans la revue professionnelle " Recrutement et Formation " du mois de novembre 1991, relative à la désignation d'une autre agence pour gérer le budget de communication de recrutement du Crédit Lyonnais pour l'année 1992, est sans effet sur le présent litige, dans la mesure où la société Deb's était en droit d'attendre de l'annonceur une notification officielle de la rupture de son contrats pour préserver ses droits éventuels à réparation de son préjudice contractuel ;
Considérant que, dans ces conditions, le non-respect du préavis de six mois, qui s'imposait au Crédit Lyonnais, œuvre à la société Deb's le droit de percevoir une indemnité de préavis qui sera fixée à la marge brute réalisée, non contestée, au cours du premier semestre de l'année 1991, soit la somme de 713 913,47 F hors taxes ; qu'il convient de prendre également en considération la demande de dommages-intérêts de l'appelante fondée sur la brusque rupture du contrat notifiée le 18 décembre pour le 31, et d'y faire droit partiellement, à hauteur de 50 000 F, en réparation du préjudice particulier subi, qui consiste pour la société Deb's à n'avoir pu réorienter à temps ses démarches commerciales pour remplacer l'importante clientèle qui venait ainsi lui faire défaut ;
Considérant que par voie de conséquence, le Crédit Lyonnais sera débouté de toutes ses demandes reconventionnelles dirigées contre la société Deb's et sera condamné à lui verser une indemnité de procédure qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge et destinée à couvrir les frais, non couverts par les dépens, exposés par elle du fait de la procédure qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits, ce en application de l'article 700 du NCPC ;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Condamne le Crédit Lyonnais à payer à la société Deb's la somme de 780 913,47 F, hors taxes, à titre d'indemnité de préavis et celle de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ; Condamne le Crédit Lyonnais à payer à la société Deb's la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Condamne le Crédit Lyonnais aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par la SCP Teytaud, avoué, conformément à l'article 699 du NCPC.