CA Paris, 5e ch. C, 11 décembre 1998, n° 1997-05196
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jean et Montmarin (SA)
Défendeur :
Huit Diffusion (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
M. Bouche, Mme Radenne
Avoués :
SCP Barrier-Monin, SCP Bernabé-Ricard
Avocats :
Mes Sexer, Michel
LA COUR statue sur l'appel formé par la société anonyme Jean & Montmarin d'un jugement rendu le 6 janvier 1997 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société anonyme Huit Diffusion et l'a condamnée au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les circonstances de fait et la procédure ont été exactement rapportées par les premiers juges.
Il convient de s'y référer et de rappeler que selon acte sous seing privé en date du 16 juin 1986, la société Huit Diffusion qui commercialisait des articles de lingerie féminine, a conclu avec l'agence Jean & Montmarin un contrat d'agence de publicité ; que ce contrat prévoyait pour l'agence une rémunération fondée sur une commission de 15 % du montant net des achats d'espaces publicitaires ainsi que sur une commission de 10 % des frais de production ; que le contrat prévoyait qu'à tout moment, l'une des parties pouvait y mettre fin par simple lettre recommandée avec un préavis de six mois.
Par lettre du 24 janvier 1995, la société Huit Diffusion a avisé l'agence Jean & Montmarin qu'elle entendait mettre un terme à leurs relations ; ce courrier précisait que la société Huit Diffusion acceptait en exécution des accords, pendant un préavis de six mois à compter de ce jour jusqu'à la fin du contrat, de verser à l'agence Jean & Montmarin 15 % du montant net des achats d'espaces publicitaires et éventuellement 10 % des frais de production relatifs aux actions publicitaires initiées avec son concours.
Appelante, la société Jean & Montmarin soutient que la société Huit Diffusion s'est sciemment abstenue de lui confier toute réalisation de prestations pendant la durée du préavis, vidant le préavis de sa substance.
Elle affirme que la société Huit Diffusion a recouru, durant le préavis, aux services de l'agence Résonnances pour mettre en œuvre une nouvelle campagne publicitaire ; que l'intervention de cette nouvelle agence ne s'est pas limité à la préparation d'une campagne mais à la mise en œuvre effective de cette campagne ; que l'agence Résonnances a été rémunérée par la société Huit Diffusion en mai et juin 1995 soit pendant la période du préavis qui restait à courir entre les sociétés Jean & Montmarin et Huit Diffusion jusqu'au 24 juillet 1995 ; elle sollicite à ce titre la réparation du préjudice et du comportement déloyal de la société Huit Diffusion durant le préavis.
Elle expose que pendant la durée d'exécution du contrat, la rémunération de l'agence a toujours été au minimum d'un montant annuel de 300 000 F HT et ce indépendamment des prestations réalisées par l'agence ; qu'à ce titre le droit à indemnisation de l'agence pendant la durée du préavis doit correspondre à la somme de 150 000 F HT, que cette somme est indiscutablement due en raison du fait que la société Jean & Montmarin s'est interdit pendant le préavis de proposer ses services à un concurrent de la société Huit Diffusion et a maintenu à la disposition de l'annonceur ses moyens de publicité.
Aussi prie-t-elle la cour, après infirmation du jugement entrepris, de condamner la société Huit Diffusion à lui payer la somme de 150 000 F à titre d'indemnité de préavis, celle de 5 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Huit Diffusion demande la confirmation de la décision entreprise en formant contre l'appelante une demande en paiement de ses frais irrépétibles d'appel chiffrés à 30 000 F.
Sur ce, LA COUR :
Qui pour plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel.
Considérant qu'en prenant des écritures le jour même de l'ordonnance de clôture, la société Jean & Montmarin n'a pas respecté le principe du contradictoire car elle n'a pas mis la société Huit Diffusion dans la possibilité d'y répondre ; que ces conclusions doivent donc être rejetées des débats.
Considérant que les relations qui liaient depuis l'année 1986 la société Huit Diffusion à l'agence Jean & Montmarin n'ont pas abouti à la mise en place d'une campagne pour l'automne-hiver 1994, du fait que l'agence a proposé une campagne fondée sur le concept " huit c'est mieux que la chirurgie esthétique ", et déclinée sur des thèmes se ramenant tous à ce concept qui ne répondait pas à la demande de la société Huit Diffusion de thèmes plus doux et plus féminins et qui ne correspondait pas à l'image de marque qu'elle entendait donner de ses produits.
Considérant qu'il n'est pas contesté que pour la campagne Printemps-Eté 1995, la société Huit Diffusion a attendu une meilleure proposition de la société Jean & Montmarin et lui a demandé de préparer un plan média comportant pour l'année 1995 l'étude des cibles ainsi que des propositions de choix des supports et des périodes de communication ; que l'agence Jean & Montmarin ne lui ayant présenté aucune campagne adéquate, la société Huit Diffusion a fait connaître par un courrier recommandé adressé le 24 janvier 1995 à la société Jean & Montmarin qu'elle mettait un terme à leurs relations ; que dans ce courrier la société Huit Diffusion précisait à la société Jean & Montmarin qu'elle s'engageait à lui verser, pendant le préavis de six mois courant à compter du 24 janvier 1995 jusqu'à la fin du contrat, " 15 % du montant des achats d'espaces et éventuellement 10 % des frais de production relatifs aux actions publicitaires initiées avec votre concours ".
Considérant que compte tenu des termes clairs de ce courrier, la société Jean & Montmarin est mal venue à prétendre que dans la notification du préavis du 24 janvier 1995, la société Huit Diffusion ne l'a pas invitée à présenter de nouvelles campagnes et " a bloqué la situation " ; qu'il appartenait au contraire à l'agence de démontrer durant ce préavis sa capacité à répondre à la demande de la société Huit Diffusion ce qu'elle n'a nullement cherché à faire ; qu'elle ne peut en imputer la faute à la société Huit Diffusion qui a résilié le contrat dans des conditions régulières.
Considérant que la société Jean & Montmarin reproche à la société Huit Diffusion d'avoir vidé le préavis de sa substance, durant la période du 24 janvier 1995 au 24 juillet 1995, la privant d'obtenir une rémunération par son activité effective et d'avoir, pendant la durée du préavis, violé les obligations de loyauté et de bonne foi auxquelles elle était tenue.
Considérant que durant la période de préavis, chacune des parties a toute liberté pour rechercher soit un nouvel annonceur soit une agence de publicité avec laquelle elle pourra librement traiter après la fin du préavis ;que ces recherches réciproques ne constituent pas une faute contractuelle dans la mesure où les parties continuent d'exécuter loyalement leurs obligations et ne se contentent pas seulement de respecter la forme du préavis.
Considérant que la société Huit Diffusion soutient utilement qu'à la suite de la rupture des relations notifiée par la lettre du 24 janvier 1995, l'agence Jean & Montmarin a laissé s'écouler la période du préavis de six mois, du 24 janvier 1995 au 24 juillet 1995 sans lui faire aucune nouvelle proposition pour réaliser la campagne printemps-été 1995 ; qu'elle est restée totalement silencieuse pendant toute cette période pour ne réagir qu'à l'expiration du préavis par une lettre lui demandant le paiement d'une indemnité d'un montant de 150 000 F.
Considérant que l'agence ne peut valablement reprocher à la société Huit Diffusion d'avoir intentionnellement vidé de sa substance la période du préavis puisqu'elle avait expressément offert à la société Jean & Montmarin de la rémunérer des achats d'espaces initiés avec son concours qu'en l'absence d'une quelconque proposition de la part de la société Jean & Montmarin pour la campagne printemps-été 1995, cette dernière est seule responsable de la situation dont elle se plaint et dont elle doit assumer les conséquences.
Considérant que la société Huit Diffusion n'a confié de campagne publicitaire à aucune agence publicitaire autre que la société Jean & Montmarin jusqu'à l'expiration du préavis ;que la société Huit Diffusion n'a recommencé à faire paraître des annonces publicitaires qu'en septembre 1995 soit trois mois après l'expiration du préavis ; qu'ainsi la société Huit Diffusion pendant la période du préavis, a respecté en tous points les dispositions du contrat-type du 12 septembre 1961 codifiant les usages en vigueur dans le secteur publicitaire sur les relations entre agence et annonceur dont les principes généraux applicables en l'espèce précisent : " Pendant le délai du préavis, les relations entre agence et annonceur doivent se poursuivre de façon loyale sincère et normale ; l'annonceur ne doit passer à un autre agent de publicité les ordres qui auraient dû être exécutés par l'agent de publicité durant la durée du préavis ".
Considérant qu'en conséquence la société Huit Diffusion qui a respecté ces dispositions, a notifié un préavis de six mois et a respecté l'obligation de ne pas confier à d'autres que la société Jean & Montmarin de campagne publicitaire pendant cette période, ne doit aucune indemnité à l'agence à titre d'indemnité de préavis consécutive à la rupture du contrat.
Considérant que la société Jean & Montmarin soutient encore que, dans l'hypothèse où l'annonceur n'effectue pas de campagne publicitaire ouvrant droit à rémunération pendant la durée du préavis, celui-ci a cependant droit à un paiement sur la base des honoraires perçus dans l'année précédent la fin du contrat, l'indemnité de préavis ayant pour objet de dédommager l'agence des frais exposés pour la mise en place des moyens permanents spécialement adaptés à l'annonceur ; qu'elle affirme s'être interdit pendant le préavis de proposer ses services à un concurrent de la société Huit Diffusion et avoir maintenu à la disposition de l'annonceur l'ensemble de ses moyens de publicité pour réaliser une nouvelle campagne, puisque le contrat ne prenait fin que le 24 juillet 1995.
Considérant que la relation que fait la société Jean & Montmarin de son attitude durant le préavis est sans portée ; que le préavis institué par le contrat a seulement pour but de permettre à l'agence publicitaire d'avoir un délai pour aménager ses structures, tant sur le plan matériel que celui de son personnel, de réorganiser ses services et de procéder à la recherche d'une nouvelle clientèle, qu'il ne s'agit pas d'un préavis rémunéré.
Considérant enfin que l'argumentation que l'appelante tire du fait qu'au cours de l'exécution du contrat, à plusieurs reprises, lui ont été versées des sommes ne correspondant à aucune commission mais ayant pour seul objet de compléter la rémunération de l'agence à concurrence d'un minimum de 300 000 F HT, pour prétendre être fondée à réclamer que lui soit allouée une somme de 150 000 F correspondant à 50 % de ses honoraires de l'année 1994 ne peut être accueillie qu'ainsi que l'ont à juste titre relevé les premiers juges, ces paiements étaient venus compléter une activité publicitaire réelle, ce qui n'a pas été le cas au cours de la période qui a précédé le préavis.
Considérant que l'appelante reproche vainement à la société Huit Diffusion d'avoir violé durant le préavis les obligations de loyauté qui s'imposaient dans le cadre de ses relations contractuelles ; qu'elle ne peut faire grief à la date choisie pour résilier le contrat puisque la société Huit Diffusion entendait précisément réaliser une campagne à cette date ayant offert dans la lettre de résiliation de rémunérer la société Jean & Montmarin pour les achats d'espaces et les frais de production qui seraient réalisés par les actions publicitaires qui seraient initiées par elle.
Considérant que le fait de rechercher une autre agence pour les campagnes à venir n'est pas constitutif d'une faute ; qu'il était légitime qu'après la lettre de résiliation du 25 janvier 1995 la société Huit Diffusion prenne des contacts avec d'autres agences pour la réalisation de sa campagne automne-hiver 1995 qui devait se dérouler durant la période suivant l'expiration du préavis ; que l'intimée produit les propositions de plusieurs agences qui démontrent que ce n'est que postérieurement à la lettre de résiliation, qu'elle les a rencontrées en vue d'organiser sa campagne publicitaire qu'elle n'a eu de contacts avec l'agence Résonnances que fin février 1995 soit un mois après le début du préavis et qu'elle ne lui a confié des études qu'à partir de mai 1995.
Considérant que les frais engagés par la société Résonnances ne constituent pas l'achat d'espaces publicitaires et ne constituent pas contrairement à ce que prétend l'appelante, l'élaboration d'une campagne à part entière ; qu'il ne s'est agi que de frais techniques qui, destinés à la préparation des annonces publicitaires et de documents commerciaux, doivent nécessairement être engagés dans des délais permettant d'assurer la disponibilité des personnels et des matériels qui seront nécessaires lors de la mise en place ultérieure de la campagne.
Considérant que le fait que ces frais aient été l'objet les 30 mai et 30 juin 1995 d'une facturation de la part de l'agence Résonnances ne suffit pas à démontrer que le rapprochement de la société Huit Diffusion et de l'agence Résonnances ait eu pour résultat l'élaboration et la réalisation d'une campagne publicitaire qui aurait violé le préavis, la société Jean & Montmarin ne rapportant pas la preuve qu'une campagne publicitaire a été effectuée par la société Huit Diffusion avec une autre agence au cours du premier semestre 1995 durant lequel s'est déroulé normalement le préavis ; que l'allégation de l'appelante qui prétend que dès avant la résiliation, la société Huit Diffusion avait contacté l'agence Résonnances et que les annonces devaient être prêtes depuis fin mai, ne repose sur aucun fait.
Considérant qu'il s'ensuit qu'à défaut de prouver un comportement fautif durant la période de préavis, l'appelante sera déboutée de sa demande d'indemnisation et la décision des premiers juges confirmée en toutes ses dispositions.
Considérant que la société Jean et Montmarin qui succombe et qui sera condamné au paiement des dépens ne peut prétendre à des dommages-intérêts.
Considérant que l'équité dicte l'attribution à la société Huit Diffusion d'une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et celle complémentaire de 10 000 F pour ceux d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel formé par la société Jean & Montmarin, Rejette les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Jean & Montmarin à payer à la société Huit Diffusion la somme complémentaire de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Condamne la société Jean & Montmarin au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.