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Décisions

CA Versailles, 9e ch. corr., 12 mars 1992, n° 150

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benmakhlouf

Substitut général :

Mme Chesquière-Dierickx

Conseillers :

MM. Ducomte, Verdeil

Avocat :

Me Franck

T. corr. Nanterre, du 5 févr. 1991

5 février 1991

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les appels du prévenu B Gérard, de la SA M citée comme civilement responsable et du Ministère public ;

Considérant que B Gérard est prévenu d'avoir, sur le territoire national et depuis un temps non prescrit, fait circuler des véhicules terrestres à moteur utilisés ou équipés aux fins essentiellement de servir de support à de la publicité alors que, sans dérogations accordées à titre exceptionnel par l'autorité de police à l'occasion de manifestations particulières, la surface totale des publicités apposées sur chaque véhicule excédait 16 m² et alors en outre que, sans ces dérogations :

- certains de ces véhicules circulaient en convoi de deux ou plusieurs à vitesse anormalement réduite et dans des lieux interdits à la publicité en application des articles 4 et 7 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes, cette situation étant celle le 24 mai 1989 à Paris 14e, des véhicules immatriculés 6219 TQ 67 et 1889 RW 92 ; le 12 juin 1989, à Paris sans autre précision, des véhicules immatriculés 7908 LC 92 et 3868 LD 92 ; le 16 juin 1989 à Paris 7e, des véhicules immatriculés 1602 SA 92, 7448 RL 92 et 6760 LR 92 et des véhicules immatriculés 74 RN 92 et 3512 LP 92 ; le même jour, à Paris 8e, des véhicules immatriculés 1921 RW 92 et 6217 TQ 67 et des véhicules immatriculés 8107 NB 92 et 8882 NA 92 ; le même jour à Paris 10e, des véhicules immatriculés 9740 NB 92 et 1916 RW 92 ; le même jour, à Paris 13e, des véhicules immatriculés 7308 LC 92 et 3868 LD 92 ; le 21 juin 1989 à Paris 17e, des véhicules immatriculés 74 RN 92 et 1602 SA 92 ; le 28 juin 1989 à Paris 13e, des véhicules immatriculés 1916 RW 92 et 212 HJ 92 ; le 26 juillet 1989 à Paris 12e, des véhicules immatriculés 9740 MZ 92 et 1221 NA 92 ; le même jour à Paris 14e, des véhicules immatriculés 3115 LK 92 et 3868 LD 92 ; le 27 juillet 1989 à Paris 13e, des véhicules immatriculés 9740 MZ 92 et 1221 MA 92 ; le 28 juillet 1989 à Paris 13e, des véhicules immatriculés 9740 MZ 92 et 1221 NA 92 ; le 6 septembre 1989 à Paris 4e, des véhicules dont l'immatriculation n'est pas indiquée ; le même jour à Paris 17e, des véhicules immatriculés 2265 MC 92 et 593 LY 92 ; le 9 septembre 1989 à Paris 13e, des véhicules dont l'immatriculation n'est pas indiquée ;

- certains de ces véhicules circulaient en convoi de deux ou plusieurs dans des lieux interdits à la publicité en application des articles 4 et 7 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 ci-avant visée, cette situation étant celle, le 20 mai 1989 à Paris 9e, des véhicules immatriculés 2257 LZ 92 et 2258 LZ 92 ; le 5 septembre 1989 à Paris 12e, des véhicules immatriculés 5443 RN 92, 9391 RG 92 et 5519 KX 92 ; le 21 septembre 1989 à Paris 17e, des véhicules immatriculés 74 RN 92 et 79 RN 92,

- certains de ces véhicules circulaient à vitesse anormalement réduite dans des lieux interdits à la publicité en application des articles 4 et 7 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 ci-avant visée, cette situation étant celle, le 24 mai 1989 à Paris 14e, du véhicule immatriculé 6220 TQ 67 et, le 9 septembre 1989 à Paris 13e, du véhicule immatriculé 593 LY 92,

- certains de ces véhicules circulaient dans des lieux interdits à la publicité en application des articles 4 et 7 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 ci-avant visée, cette situation étant celle le 15 juin 1989 à Paris 16e, du véhicule immatriculé 3516 LP 92 ; le 22 juin 1989 à Paris 10e, du véhicule immatriculé 9740 NB 92 ; le 7 juillet 1989 à Paris 4e, du véhicule immatriculé 9740 MZ 92 ; le 5 septembre 1989 à Paris 10e, du véhicule immatriculé 1602 SA 92 ; le 19 septembre 1989 à Paris 16e du véhicule immatriculé 2370 NC 92 ; le 20 septembre 1989 à Paris 9e, du véhicule immatriculé 6214 TQ 67,

- certains de ces véhicules circulaient en convoi de deux, cette situation étant celle le 14 juin 1989, à l'intersection des routes nationales 17 et 370, dans la commune de Montmorency, des véhicules immatriculés 6214 TQ 67 et 6220 TQ 67,

- certains de ces véhicules circulaient à vitesse anormalement réduite, cette situation étant celle, le 28 juin 1989 à Paris 15e, du véhicule immatriculé 7308 LC 92 et le 5 septembre 1989 à Paris 14e, du véhicule immatriculé 1601 SA 92 ;

Considérant que B Gérard est prévenu en outre d'avoir, sur le territoire national et plus précisément à Paris 16e, et depuis temps non prescrit, sans dérogations accordées à titre exceptionnel par l'autorité de police à l'occasion de manifestations particulières, fait stationner ou séjourner un véhicule terrestre utilisé ou équipé aux fins essentiellement de servir de support à de la publicité en des lieux où celle-ci est visible d'une voie ouverte à la circulation publique et alors que la surface totale des publicités apposées sur ce véhicule excédait 16 m², cette situation étant celle, les 18 et 19 septembre 1989, du véhicule immatriculé 8882 NA 92 ;

Considérant qu'il est reproché à B Gérard d'avoir, ce faisant, commis les infractions prévues et punies par les articles 14 et 29 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes et par l'article 1er du décret n° 82-764 du 6 septembre 1982 réglementant l'usage des véhicules à des fins essentiellement publicitaires et pris en application de l'article 14 de la loi ci-avant visée ;

Considérant que B Gérard est présent, assisté par un avocat qui représente la SA M et dépose des conclusions communes en lesquelles il est soutenu, successivement : que l'élément légal d'aucune des infractions n'est constitué par l'article 29 de la loi ci-avant visée, qui ne sanctionne pénalement que l'usage de procédés interdits ; que, subsidiairement, cet élément légal fait également défaut en ce qui concerne la surface totale des publicités apposées sur chaque véhicule, en raison de l'illégalité de cette disposition du décret ci-avant visé, l'avis du Conseil d'Etat n'ayant pas été recueilli ; que, plus subsidiairement encore, l'élément matériel des infractions de circulation en convoi de deux ou plusieurs véhicules ou à vitesse anormalement réduite ou en des lieux interdits à la publicité n'est pas constitué à défaut de constatations probantes ;

Que le Ministère public requiert une déclaration de culpabilité pour la totalité des infractions poursuivies et la condamnation du prévenu à autant d'amendes de 2 000 F chacune que d'infractions distinctes ;

Considérant que les appels, régulièrement interjetés dans le délai légal, sont recevables en la forme ;

I - SUR L'ÉLÉMENT LÉGAL :

Considérant que les dispositions répressives de l'article 29 de la loi du 29 décembre 1979 s'appliquent notamment à celui qui aura apposé ou fait apposer une publicité dans des lieux ou selon des procédés interdits en application de divers articles de ladite loi et notamment de son article 14; que, selon cet article 14, la publicité sur les véhicules terrestres peut être réglementée, subordonnée à autorisation ou interdite, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat; que le décret du 6 septembre 1982, présenté au Journal officiel de la République française comme pris, le Conseil d'Etat entendu, en application de l'article 14 de la loi du 29 décembre 1979, édicte, en son article 1er, des interdictions concernant les lieux de circulation, de stationnement ou de séjour des véhicules terrestres utilisés ou équipés aux fins essentiellement de servir de support à de la publicité, la formation en convoi de ces véhicules, leur vitesse de circulation et la surface des publicités apposées, tout ce sauf dérogations exceptionnelles accordées par l'autorité de police ; que la circulation en convoi et à vitesse très lente de véhicules supportant des affiches de très grande dimension ou l'une ou deux seulement de ces modalités d'usage des véhicules constitue à l'évidence un procédé de publicité ; que la violation des interdictions édictées par l'article 1er du décret tombe donc, si ce décret a été légalement pris, sous le coup des sanctions de l'article 29 de la loi;

Considérant que l'exception d'illégalité ne concerne que le 4e alinéa (selon lequel " la surface totale des publicités apposées sur chaque véhicule ne peut excéder 16 m² ") de l'article 1er du décret ; que la juridiction répressive est compétente pour apprécier la légalité d'un décret servant de base aux poursuites ; qu'en l'occurrence il résulte du supplément d'information ordonné par le tribunal correctionnel que l'alinéa en question, qui ne figurait pas à l'origine dans le projet de décret soumis à l'avis du Conseil d'Etat, a donné lieu à amendement présenté le 18 février 1982 par le représentant du gouvernement devant l'assemblée générale de la haute juridiction, qui l'a examiné et écarté ; que le gouvernement, ayant régulièrement consulté le Conseil d'Etat sur cette disposition projetée, pouvait valablement la faire figurer dans le texte du décret qu'il a pris le 6 septembre 1982 ; qu'il convient donc de rejeter l'exception d'illégalité ;

II - SUR LES ÉLÉMENTS MATÉRIEL ET INTENTIONNEL :

Considérant que la matérialité de la surface total des publicités apposées sur chaque véhicule ne fait l'objet d'aucune contestation sérieuse ; que ces surfaces, qui excèdent dans tous les cas les 16 m², ont été calculées avec précision par les agents verbalisateurs et mentionnés dans leurs procès-verbaux, parfois accompagnés de photographies significatives ; que ne fait non plus l'objet d'aucune contestation sérieuse la matérialité de la circulation de certains véhicules en convois de deux ou trois ou même sans précision de nombre, le terme de convoi impliquant la pluralité ; que les constatations des agents verbalisateurs sont à cet égard précises et parfois aussi confortées par des photographies ;

Considérant que, selon le prévenu, la constatation de circulation à vitesse anormalement réduite constitue, à défaut d'indication de la vitesse dans le procès-verbal, une preuve insuffisante de la matérialité de l'infraction ; que cet argument n'est pas fondé ; que la seule obligation de vitesse minimale obligatoire résultant des dispositions réglementaires du Code de la route, et plus précisément de son article R. 11, concerne la circulation sur la voie la plus à gauche d'une autoroute ; que, dans les autres cas, la vitesse d'un véhicule est tenue pour anormalement réduite lorsqu'elle gêne la marche normale des autres véhicules, laquelle dépend de la fluidité de la circulation ; que cette appréciation, de même que, dans un autre ordre d'idées, celle de la dangerosité d'une manœuvre, ne peut qu'être laissée à la prudence des agents verbalisateurs, sauf preuve contraire qui n'est en l'espèce ni offerte ni rapportée ; qu'il convient en conséquence de tenir pour matériellement établies, contrairement à ce qu'ont fait les premiers juges, les réductions anormales de vitesse constatées en ces seuls termes dans les procès-verbaux ;

Considérant que, conformément aux dispositions des articles 7 et 13 de la loi du 29 décembre 1979, il a été dérogé, pour la ville de Paris, par arrêté municipal du 7 juillet 1986, aux règles d'interdiction de la publicité résultant de l'inscription des sites, par création de zones de publicité restreinte, de zones de publicités élargie ; que le plan de zonage résultant de cette réglementation municipale avait été modifié, à la date de la première infraction relevée contre le prévenu, le 20 mai 1989, par les arrêtés municipaux des 1er février et 3 novembre 1988 ; que ce plan a encore été modifié, entre la date de la première infraction et celle de la dernière, relevée le 21 septembre 1989, par l'arrêté municipal du 23 août 1989 ; que figurent seulement au dossier le plan détaillé de zonage des quatre premiers arrondissements de Paris et une carte générale de Paris sur laquelle les sites classés et les sites interdits de publicité sont signalés en couleurs ; que les indications de localisation des infractions contenues dans les procès-verbaux des agents verbalisateurs sont suffisantes pour permettre à la juridiction de jugement d'exercer son contrôle de matérialité pour ce qui concerne les quatre premiers arrondissements de Paris ;

que ces indications par contre s'avèrent parfois insuffisantes pour que ce contrôle puisse être exercé au sujet des infractions de cet ordre relevées dans les autres arrondissements ; qu'ainsi n'a-t-il pu être vérifié, à défaut de précisions concordantes des procès-verbaux et de la carte, si la rue du Faubourg Saint-Honoré et l'avenue Hoche dans le 8e arrondissement, le boulevard des Italiens et le boulevard Haussmann dans le 9e arrondissement, la rue de Lyon dans le 12e arrondissement, la place Valhubert, l'avenue des Gobelins et le quai d'Austeriltz dans le 13e arrondissement, le boulevard Jourdan et l'avenue du Général Leclerc dans le 14e arrondissement, enfin l'avenue de Wagram dans le 17e arrondissement constituent sur tout leur parcours ou à l'endroit de chaque constatation des lieux interdits à la publicité ; qu'ainsi en outre n'a-t-il pu être vérifié, à défaut de mentions dans les procès-verbaux, si les endroits des constatations faites dans l'avenue Hoche, la rue de Lyon, l'avenue des Gobelins, le boulevard Jourdan et l'avenue du Général Leclerc se trouvaient situés à 100 mètres au moins, respectivement, de l'Arc de Triomphe de l'Etoile, de la Gare de Lyon, de la manufacture des Gobelins, du Parc Montsouris et de l'église Saint-Pierre de Montrouge ; qu'ainsi, en sens contraire, a-t-il pu être vérifié que le boulevard de Strasbourg, dans le 10e arrondissement, ne constitue pas un lieu interdit à la publicité ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté ces constatations non probantes, qui correspondent à 22 infractions ;

Considérant que les infractions visées aux poursuites ne comportent pas l'élément intentionnel au nombre de leurs éléments constitutifs ; qu'il s'agit d'infractions commises par inobservation des règlements, qu'elle soit volontaire ou involontaire ; qu'il n'est pas cependant inutile de préciser que B Gérard connaît très bien cette réglementation qui concerne spécifiquement sa profession et qui l'a exposé dans le passé à de nombreuse poursuites ; que le dépassement de la surface publicitaire autorisée sur chaque véhicule constitue un acte de volonté : que l'envoi de plusieurs véhicules sur des itinéraires non rigoureusement distincts, en un même temps, accroît à l'évidence les risques de circulation, même fortuite, en convoi ; que les risques de circulation dans des lieux interdits à la publicité peuvent être supprimés par une étude rigoureuse des itinéraires assignés aux conducteurs des véhicules ; qu'il appartient à B Gérard de donner auxdits conducteurs instruction impérieuse de suivre normalement le flot de la circulation ; que le prévenu ne dispose donc, pour combattre les constatations des agents verbalisateurs, que de la preuve de la force majeure ; qu'il ne l'offre point ;

III - SUR LA RÉPRESSION :

Considérant que les amendes prévues par l'article 29 de la loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 appartiennent certes, par leur montant, à la catégorie des peines en matière correctionnelle ; qu'il n'est pas exceptionnel que des amendes correctionnelles sanctionnent la violation de dispositions réglementaires, cette situation étant même très fréquente en matière d'infractions aux règles concernant la sécurité des travailleurs ; que, quoi qu'il en soit, les juridictions judiciaires ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois ;

Considérant que le calcul du nombre de publicités en infraction, qui détermine le nombre des amendes, doit prendre en compte, pour chaque véhicule minéralogiquement identifié et dont la situation irrégulière est constatée en un jour et lieu déterminés, le nombre (quatre, trois ou deux selon les cas) de toutes les violations aux interdictions édictées; que les infractions poursuivies sont, selon ces critères, au nombre de 175 ; que 22 d'entre elles ne sont pas constituées ; qu'il convient donc de prononcer 153 amendes ; que la fixation à 300 F du montant de chaque amende assurera une répression suffisante ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme : Reçoit les appels ; Au fond : Emendant, Elève de 73 à 153 le nombre des infractions commises ; Réduit de 1 000 F à 300 F le montant de chacune des 153 amendes ; Confirme les autres dispositions du jugement entrepris ; Condamne B Gérard aux frais et dépens avancés par l'Etat en cause d'appel ; Liquide l'ensemble des frais et dépens avancés par l'Etat et mis à la charge de B Gérard depuis le début des poursuites à la somme totale de 6 115,77 F ; Fixe à deux mois la durée de la contrainte par corps.