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Décisions

CA Rouen, 1re et 2e ch. civ. réunies, 10 janvier 1995, n° 9301733

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ceneca (SA)

Défendeur :

Métrobus Publicité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Lamanda

Président :

M. Falcone

Conseillers :

MM. Charbonnier, Grandpierre, Dragne

Avoués :

SCP Marin-Greff-Curat, SCP Gallière-Lejeune

Avocats :

Mes Greffe, Sautelet.

T. com. Paris, du 9 oct. 1989

9 octobre 1989

Attendu que la cour de céans, désignée comme juridiction de renvoi par un arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 1993 ayant annulé un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 mars 1991, est saisie de l'appel interjeté par la société Centre National des Expositions et Concours Agricoles (Ceneca) d'un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 9 octobre 1989 qui l'a condamnée, en paiement du prix de surfaces d'affichage que, par l'entremise de l'agence de communication TMLC, chargée par elle d'organiser une campagne de publicité en faveur du Salon du Cheval 1988, elle avait obtenu d'occuper sur le flanc des autobus de Paris et de sa banlieue pour la période du 23 novembre au 1er décembre 1988, à régler à la société de Régie Publicitaire des Transports Parisiens dite société Métrobus Publicité, la somme de 280 434,27 F majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 1989, outre 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'à l'appui de son recours la société Ceneca expose que c'est à tort que le premier juge l'a estimée tenue à paiement envers la société Métrobus en qualité de mandant de la société TMLC alors qu'elle n'a jamais été que le commettant de cet agent de publicité et qu'aucune apparence d'un mandat, qui aurait d'ailleurs été contraire aux usages de la publicité, n'autorisait la société Métrobus à se méprendre sur les pouvoirs de la société TMLC, son co-contractant ; que le versement qu'elle-même, société Ceneca, a effectué entre les mains de la société TMLC a donc été libératoire ; que la société Métrobus, quand même elle ne peut plus recouvrer sa créance sur la société TMLC déclarée dans l'entrefaite en redressement judiciaire, n'est titulaire d'aucune action directe contre la société annonceur ; qu'elle conclut en conséquence au débouté des prétentions adverses ; qu'elle demande la restitution par la société Métrobus de la somme de 280 434,27 F, dont elle a opéré le règlement en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris ultérieurement cassé par la Cour de cassation, avec les intérêts au taux légal à compter du 2 novembre 1989, date à laquelle elle en avait effectué le règlement ; qu'elle sollicite encore l'allocation à la charge de la société Métrobus d'une somme de 100 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la société Métrobus fait valoir en réponse que le contrat qu'elle a conclu avec la société TMLC spécifiait que celle-ci agissait comme la mandataire de la société Ceneca ; qu'au surplus les circonstances qui entouraient la convention révélaient un mandat apparent propre à obliger envers elle, société Métrobus, la société mandante, Ceneca ; qu'elle conclut, partant, à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société Ceneca à lui verser une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; qu'elle observe subsidiairement qu'au cas où elle devrait restituer à son adversaire les fonds qu'elle en a reçus, les intérêts moratoires ne pourraient courir sur le principal qu'à compter de la sommation de payer ;

Attendu qu'il ressort du libellé du contrat conclu le 24 juin 1988 entre la société Métrobus et la société TMLC, que celle-ci y était réputée agir "à titre de mandataire ducroire de Ceneca-Salon du Cheval dénommé le preneur" ; que l'article 2 des conditions générales du contrat stipulait que les agences de publicité passant cette convention agissaient au nom et pour le compte de l'annonceur en tant que mandataires ; que ce même article précisait encore que l'agent de publicité et l'annonceur demeuraient en tout état de cause solidairement responsables du paiement envers Métrobus ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1165 du Code civil qui dispose que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, les termes du marché conclu entre la société Métrobus et la société TMLC, dès lors qu'ils n'ont pas été souscrits par la société Ceneca, ne sauraient avoir créé d'obligations à la charge de celle-ci en faveur de l'une ou l'autre des sociétés signataires ;

Attendu que d'autre part il est prévu à l'article 36 du Code des usages de la publicité que "l'agent de publicité est l'intermédiaire qui reçoit pour son propre compte les ordres de la clientèle et les fait exécuter en traitant à son tour avec les supports" ; que, toujours selon cet article : "son rôle se différencie de celui de courtier par le fait qu'il facture lui-même au client et paie les supports auprès desquels il est ducroire" ;

Attendu que la société Métrobus est donc d'autant moins fondée à se prévaloir de la croyance qui aurait été sienne, sur la foi des affirmations de la société TMLC, dans l'existence du mandat dont celle-ci se déclarait investie par la société Ceneca, que cette prétendue qualité de mandataire contrevenait aux usages en vigueur, suivant lesquels l'agence de publicité est commissionnaire ducroire du support et seulement conseil de l'annonceur ;

Attendu que la société Métrobus ne peut invoquer comme une circonstance propre à créer l'apparence du mandat allégué, le fait que les affiches qui lui ont été remises par la société TMLC fussent consacrées au Salon du Cheval et aient ainsi permis d'établir un lien avec l'organisateur de cette manifestation, la société Ceneca, alors que la fourniture par la société TMLC de ce matériel publicitaire, si elle révélait la personne de l'annonceur, entrait dans le champ même de l'exécution du contrat dont l'objet était indépendant de la qualité dans laquelle l'agence de publicité avait commandé les prestations convenues ;

Attendu qu'il en va de même du bon de commande établi par la société Ceneca le 7 octobre 1988 à l'adresse de la société TMLC sur lequel figure le nom de la société Métrobus, cité sous la rubrique : "Plan Média Salon du Cheval 1988" ; que la connaissance personnelle qu'aurait eue la société Ceneca des attributions de la société Métrobus, concessionnaire exclusive de l'exploitation des emplacements publicitaires situés sur l'ensemble du réseau des transports parisiens, ne signifie nullement qu'elle ait donné pouvoir à la société TMLC d'agir en son nom auprès de cette société de régie ; qu'au surplus ledit bon de commande est postérieur en date à un devis du 5 octobre précédent, émané de la société TMLC, dans lequel la société Métrobus apparaissait déjà, désignée nommément comme support par l'agence de publicité ;

Attendu qu'aucune circonstance n'autorisait par conséquent la société Métrobus à ne pas vérifier les limites exactes des pouvoirs de son co-contractant ;qu'il s'ensuit que cette société n'est pas justifiée à exciper d'un mandat apparent, dont la société TMLC aurait été titulaire de la part de la société Ceneca, afin d'obtenir de celle-ci le paiement du prix du contrat ;

Attendu que le jugement déféré doit être dès lors infirmé ;

Attendu que la partie qui, jusqu'à l'arrêt de cassation, détient en vertu d'un titre exécutoire le montant de la condamnation prononcée à son profit ne peut être tenue, par suite de la disparition de son titre résultant de la cassation intervenue, qu'à la restitution des sommes reçues, avec les intérêts au taux légal à compter de la sommation de restituer ; que le principal de 280 434,27 F dont la société Métrobus avait reçu paiement de la société Ceneca en mars 1990, portera donc intérêts à partir seulement du 1er février 1994, date à laquelle la demande en répétition a été, pour la première fois, formulée par cette société dans ses conclusions ;

Attendu qu'eu égard aux faits de la cause, il apparaît équitable de mettre à la charge de la société Métrobus, au titre des frais exposés par son adversaire et non compris dans les dépens, la somme de 40 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement déféré ; Déclare la société de Régie Publicitaire des Transports Parisiens dite société Métrobus Publicité non fondée en sa demande en paiement formée contre la société Centre National des Expositions et Concours Agricoles (Ceneca) ; l'en déboute ; Condamne la société Métrobus Publicité à régler à la société Ceneca : 1°) la somme de deux cent quatre vingt mille quatre cent trente quatre francs vingt sept centimes (280 434,27 F) avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 1994 ; 2°) la somme de quarante mille francs (40 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Métrobus Publicité aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les dépens exposés devant la Cour d'appel de Paris dit que les dépens exposés devant la présente Cour de renvoi seront recouvrés par la SCP Marin-Greff-Curat, Avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.