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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 29 septembre 1995, n° 94-2807

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alter (SA)

Défendeur :

Robert et Partner's (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Besançon

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

Me Bodin, SCP Garrabos Alizard

Avocats :

Mes Moncorge, Favier.

T. com. Paris, 1re ch., du 8 nov. 1993

8 novembre 1993

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Alter du jugement rendu le 8 novembre 1993 par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la société Robert et Partner's les sommes de 177 900 F avec les intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 1990 à titre d'honoraires, de 225 000 F à titre de dommages-intérêts et de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La cour se réfère pour un exposé complet des faits de la cause, de la procédure et des prétentions et moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel.

La société Alter a fait appel en décembre 1989/janvier 1990 à la société Robert et Partner's pour la réalisation de la campagne publicitaire de lancement de son mensuel " L'autre journal " prévu initialement courant mars 1990. Par lettre du 6 mars 1990 Alter a mis fin à la collaboration de l'agence, en indiquant notamment que " force m'est de constater que rien de ce que vos collaborateurs ont pu nous proposer ne m'a jamais paru convenir à ce que nous attendons du lancement de L'autre journal ". En l'absence de contrat écrit, les parties ne sont pas parvenues à un accord sur le montant de l'indemnisation de l'agence (honoraires et dommages-intérêts).

Le tribunal a retenu d'une part que la rémunération mensuelle convenue devait être payée à l'agence de publicité pour ses deux mois d'activité, la société Alter n'ayant pas rapporté la preuve d'une faute de l'agence de publicité ou de l'insuffisance des moyens affectés par elle à l'exécution de sa mission ; d'autre part, que les dommages-intérêts devaient correspondre à trois mois de rémunération, durée pendant laquelle les parties ont initialement convenu de maintenir leurs relations contractuelles après le lancement du magazine.

Appelante, la société Alter demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de déclarer satisfactoire l'offre de paiement d'un honoraire de 75 000 F HT correspondant à un mois d'activité qu'elle a adressée à Robert et Partner's dès le 24 avril 1990, de constater en outre que cette société a déjà pris une commission de 15 % sur les frais techniques et d'achats d'espaces exposés pour 191 577,55 F, de débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer 30 000 F par application de l'article 700 du NCPC.

Elle soutient en premier lieu que la société Robert et Partner's est responsable de la rupture, intervenue à son initiative, des relations contractuelles en raison de son incapacité à définir un message publicitaire qui recueille son adhésion, que l'agence a elle-même reconnu porter une part de responsabilité dans cette rupture, ce qui doit avoir pour conséquence de la diminution des honoraires qui lui sont dus en raison du préjudice qu'elle a subi compte tenu de l'imminence de la parution du titre.

Elle prétend en second lieu que le tribunal a estimé à tort que l'agence " pouvait raisonnablement espérer conserver la mission pendant trois mois supplémentaires " ; que cette mission a eu un caractère ponctuel ; qu'elle s'est engagée sur le budget de lancement (4 MF) qui " correspond exclusivement au lancement proprement dit du numéro 1 du magazine " ; qu'il est avéré que l'intimée a été dans l'incapacité de mettre au point une campagne publicitaire en direction du grand public pour le lancement du nouveau magazine ; qu'étant dès lors fondée à mettre fin à sa collaboration le 6 mars 1990, elle n'a commis aucune " faute " susceptible d'ouvrir droit à des dommages-intérêts au profit de l'agence.

Intimée, la société Robert et Partner's, aujourd'hui dénommée Australie, prie la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Alter à lui payer 177 900 F correspondant au coût de prestations publicitaires réalisées avec les intérêts légaux à compter du 14 septembre 1990 et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, de l'infirmer pour le surplus et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 450 000 F à titre de dommages-intérêts avec les intérêts légaux à compter de l'assignation. Elle réclame une somme supplémentaire de 20 000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Elle répond qu'elle n'a commis aucune faute de nature à justifier la résiliation immédiate du contrat à ses torts et une diminution des honoraires mensuels convenus ; qu'en particulier Alter n'établit pas que l'agence n'aurait pas exécuté son contrat en fonction des diligences qu'un annonceur est normalement en droit d'attendre.

Elle soutient par ailleurs que le contrat liant les parties est à durée indéterminée, le plan média accréditant la thèse selon laquelle les parties avaient envisagé le soutien publicitaire du titre sur toute l'année 1990 ; que, en l'absence de preuve formelle permettant d'affirmer qu'elle n'avait été chargée que d'un ouvrage particulier, il y a lieu de lui accorder le bénéfice des honoraires qu'elle aurait perçus au cours du préavis d'usage de six mois.

Sur quoi,

Sur la demande en paiement d'honoraires :

Considérant que l'appelante ne conteste pas que Robert et Partner's a travaillé pendant deux mois (janvier et février 1990) à la conception de la campagne publicitaire de lancement du mensuel L'autre journal édité par elle et qu'elle a reconnu devant le juge rapporteur, ainsi que le mentionne le jugement, que la rémunération de Robert et Partner's était bien de 75 000 F HT par mois ;

Considérant que, à l'appui de sa demande de réduction des honoraires que les premiers juges ont alloués sur ces bases à l'intimée, la société Alter soutient, sans le démontrer, qu'elle aurait subi un préjudice du fait que la rupture, dont elle impute la responsabilité à l'agence de publicité, est intervenue peu de temps avant le lancement du journal ;

Que, ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal, elle ne rapporte pas la preuve par les productions, qui sont les mêmes que celles dont il a eu connaissance, que l'agence de publicité aurait commis une faute dans la conception de la campagne de publicité litigieuse ou y aurait consacré des moyens insuffisants ;qu'il résulte en effet des compte rendus de réunions produits devant la cour que Robert et Partner's a effectué dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par Alter les diligences qu'un annonceur est en droit d'attendre de son agence de publicité, à la satisfaction semble-t-il de sa cliente, les observations et demandes de modifications faite par l'annonceur ne présentant aucun caractère de gravité ;que les termes de la lettre adressée par Robert et Partner's à Alter le 14 mai 1990 sont interprétées à tort par l'appelante comme ayant valeur de reconnaissance par la première société d'une responsabilité partagée dans la rupture, la phrase litigieuse exprimant seulement l'acceptation de l'agence de réduire de 50 % le montant de l'indemnité de préavis réclamée à l'annonceur dans le cas où les parties parviendraient à un accord amiable sur les incidences financières de la rupture de leurs relations contractuelles ;

Considérant que la société Alter a mis fin unilatéralement à la mission de Robert et Partner's parce qu'elle n'adhérait pas au message publicitaire proposé par l'agence ;que, dans ses dernières écritures, elle reconnaît qu'elle " ne reproche aucune " faute " à l'agence mais une incapacité à la convaincre du bien fondé du message publicitaire destiné au grand public (...) " ; que le tribunal a retenu à juste titre que la rémunération des prestations intellectuelles qui lui ont été fournies par l'agence pendant les mois de janvier et de février 1990 ne peut être subordonnée à la seule satisfaction du client,ce que ne pouvait ignorer l'appelante qui, en sa qualité d'éditrice du journal, était en relation suivie avec les agences de publicité et parfaitement informée des usages en la matière ;

Qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'annonceur à payer à l'intimée une somme de 177 900 F à titre d'honoraires, lesquels sont dus en plus des commissions versées sur les frais techniques et d'achats d'espaces exposés, augmentée des intérêts dont ni le taux ni le point de départ ne sont discutés ;

Sur la demande de dommages-intérêts :

Considérant que l'appelante est fondée à soutenir que les dispositions du contrat-type publié au JO du 19 septembre 1961, selon lesquelles un annonceur ne peut mettre fin à ses rapports avec son agence de publicité sans un préavis de six mois, ne sont pas applicables e l'espèce ;

Qu'il résulte en effet des pièces du dossier que l'agence et sa cliente ont limité leurs relations contractuelles à l'exécution d'une opération particulière, le lancement du magazine L'autre journal, sans aucun engagement pour les opérations ultérieures ;qu'il ne peut être déduit du seul fait que le budget minimal de 4 MF prévu pour le lancement de cette opération n'ait pas été dépensé en totalité au mois d'avril 1990, que l'agence était chargée de l'ensemble des opérations de publicité de l'annonceur, du mois celles-ci pour une période déterminée (année 1990) ;

Que cependant, si la société Robert et Partner's (aujourd'hui dénommée Australie) ne peut prétendre à une indemnité compensatrice égale à six mois d'honoraires du fait de la rupture unilatérale par Alter de la convention litigieuse, l'intimée, à laquelle aucune faute ne peut être reprochée, a droit à des dommages-intérêts correspondant au versement de ses honoraires pendant trois mois, ainsi que l'a exactement retenu le tribunal ; que, en effet, les parties, selon la " Stratégie Média " (7 février 1990), ayant initialement convenu d'un délai expirant au moins trois mois après le lancement du magazine, dont il n'est pas contesté que le n° 1 a paru le 20 avril 1990, l'agence, qui pouvait raisonnablement espérer conserver sa mission jusqu'à son terme, s'est dotée des moyens nécessaires à son exécution, moyens qui sont restés à sa charge ;

Que ce chef du jugement sera aussi confirmé en ce qui concerne la somme allouée en principal, à titre de dommages-intérêts ; qu'il est précisé en tant que de besoin que cette somme porte intérêt au taux légal à compter du 8 novembre 1993 ;

Sur les autres demandes :

Considérant que l'équité commande d'accorder à l'intimée une somme supplémentaire de 10 000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Que, en revanche, l'appelante ne remplit pas les conditions d'application de ce texte ;

Par ces motifs et par ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement déféré, sauf à préciser que les condamnations sont prononcées au profit de la société Australie ; Le complétant, dit que sur la somme de 225 000 F, allouée à titre de dommages-intérêts, les intérêts au taux légal sont dus à compter du 8 novembre 1993 ; Condamne la société Alter à payer à la société Australie une somme supplémentaire de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC ; Rejette toute autre demande, plus ample ou contraire à la motivation ; Condamne la société Alter aux dépens ; Admet la SCP Garrabos Alizard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.