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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 9 novembre 2000, n° 1997-20218

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Grande Parfumerie d'Auteuil (SARL), Kaplan (ès qual.)

Défendeur :

Estée Lauder (SNC), Clinique Laboratories (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Fanet Serra

Avocats :

Mes Poynard, Julhes.

T. com. Paris, 15e ch., du 20 juin 1997

20 juin 1997

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Grande Parfumerie d'Auteuil, aujourd'hui en liquidation amiable, contre le jugement rendu le 20 juin 1997 par le Tribunal de commerce de Paris, qui l'a déboutée de ses demandes contre les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories et a mis les dépens à sa charge, rejetant le surplus des demandes respectives des parties.

La société Grande Parfumerie d'Auteuil distribuait les parfums et produits cosmétiques des sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories, représentant une part importante de son chiffre d'affaires, en exécution de contrats de distribution sélective conclus respectivement les 1er juillet 1993 et 15 juillet 1993 pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction par périodes d'un an. Les relations entre les co-contractants s'étant progressivement dégradées à partir de la fin de l'aimée 1994, à la suite notamment de l'ouverture de nouvelles parfumeries dépositaires des produits Estée Lauder à proximité du magasin de la société Grande Parfumerie d'Auteuil, les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories ont notifié à celle-ci leur décision de ne pas renouveler les contrats les liant, à l'échéance du 1er juillet 1996.

La société Grande Parfumerie d'Auteuil a alors fait assigner ses deux co-contractants en paiement de dommages-intérêts à raison du préjudice qu'elles lui auraient causé en résiliant abusivement les contrats, en recourant à des pratiques discriminatoires et en n'exécutant pas de bonne foi leurs obligations contractuelles.

Appelante du jugement qui a rejeté toutes ses demandes aux motifs qu'elle ne prouvait ni le caractère mensonger des motifs de non-renouvellement allégués, ni le caractère fautif des agissements des sociétés défenderesses ni l'existence d'une discrimination à son encontre ni la réunion des conditions lui permettant d'exiger le renouvellement des contrats litigieux, la société Grande Parfumerie d'Auteuil, représentée par son liquidateur amiable, demande à la cour de

- condamner la société Estée Lauder à lui payer 1 000 000 F de dommages intérêts au titre des dommages causés par l'inexécution dolosive de certaines obligations contractuelles essentielles, ses pratiques discriminatoires en matière de promotion, de publicité et de démonstration et l'exécution de mauvaise foi de ses obligations et 1 500 000 F de dommages-intérêts au titre du dommage causé par la rupture abusive des relations contractuelles du fait du non-renouvellement du contrat de distribution sélective,

- condamner la société Clinique Laboratories à lui payer 1 500 000 F de dommagees-intérêts au titre de la rupture abusive des relations contractuelles,

- condamner chacune des deux sociétés intimées à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories, intimées, concluent à la confirmation de la décision attaquée ainsi qu'à la condamnation de l'appelante à leur payer 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé,

Considérant que chacun des deux contrats de distribution sélective conclus entre la société Grande Parfumerie dAuteuil, d'une part, la société Estée Lauder et la société Clinique Laboratories, d'autre part, prévoit en son article 4-1 qu'il se renouvellera automatiquement d'année en année, au-delà de la première année, sauf pour l'une des parties à y mettre fin sous préavis notifié trois mois au moins avant l'échéance de la période annuelle en cours ;

Que les parties étaient donc libres, moyennant un préavis, de ne pas renouveler le contrat à son échéance ;

Que les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories ont respecté le préavis convenu en informant leur co-contractante, par lettres recommandées avec accusé de réception en date respectivement des 28 mars 1996 et 21 mars 1996, de leur décision de ne pas renouveler le contrat à l'échéance du 30 juin 1996, à défaut de progression significative du chiffre d'affaires ; que, pour justifier cette décision, les courriers susvisés énoncent deux raisons: environnement des marques de parfumerie ou de cosmétiques devenu insuffisant et affectant l'image de marque ne correspondant plus aux critères qualitatifs requis, insuffisance du chiffre d'affaires réalisé, à quoi la société Estée Lauder ajoute l'existence de factures impayées pour un montant de 26 331,71 F;

Considérant que la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne conteste pas qu'il n'existait pas de séparation, dans son magasin, entre les produits de parfumerie et les cosmétiques, d'un part, les articles de décoration de l'autre, alors qu'une telle séparation était jugée essentielle par les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories pour la mise en valeur de leurs produits ;

Que le montant des achats effectués par la société Grande Parfumerie d'Auteuil en 1996 auprès des sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories a été très inférieur aux stipulations contractuelles, prévoyant déjà pour la période du 1er juillet 1993 au 30 juin 1994 une rotation de deux stocks d'une valeur minimum globale unitaire de 95 000 F, soit 180 000 F pour la société Estée Lauder et de 60 000 F, soit 120 000 F pour la société Clinique Laboratories, alors que les chiffres atteints n'ont été respectivement que de 87 394 F et 4 565 F ;

Que la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne conteste pas n'avoir réalisé aucun investissement en matière d'aménagement, de décoration ou d'équipement de son local commercial depuis 1990, alors que la concurrence - elle le souligne elle-même pour en faire le grief à la société Estée Lauder - est devenu beaucoup plus vive à partir de 1994 ;

Que la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne démontre pas que les constatations, reprises dans deux questionnaires à usage interne établis par chacune des deux sociétés contractantes, à l'issue de visites qui auraient eu lieu en janvier et mars 1996, seraient fausses ou seulement inexactes ; que la circonstance qu'un huissier de justice a pu voir en avril 1996 dans le magasin de la société Grande Parfumerie d'Auteuil des parfums de marques non signalées dans les questionnaires - rapports de visite ne prouve pas que ces produits étaient présents en janvier et mars de la même année, lors de la visite des représentants de la société Clinique Laboratoires et Estée Lauder; qu'il convient au surplus de constater que, dans le procès-verbal produit par l'appelante, n'est mentionnée, indépendamment des sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratoires, qu'un seul "Jean-Paul Gaultier" - des treize principales marques présentes sur le marché français en 1996 selon le classement SECODIP ; qu'il n'importe dès lors que les questionnaires litigieux n'aient pas été remplis contradictoirement ;

Qu'enfin le chiffre d'affaires global de la société Grande Parfumerie d'Auteuil a connu une régression sensible en 1995 puis un effondrement en 1996 (perte de 340 000 F pour un chiffre d'affaires tombé de 1 348 071 F à 807 950 F), tandis que la part des produits Estée Lauder et Clinique Laboratories a elle-même beaucoup diminué en 1996 ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne rapporte pas la preuve que les sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories auraient abusé de leur droit de ne pas renouveler, à leur échéance du 30 juin 1996, les contrats de distribution conclus avec elle les 1 er et 15 juillet 1993, alors de surcroît que, par leurs lettres respectives des 21 et 28 mars 1996, ces sociétés avaient, en observant le préavis contractuel de 3 mois, laissé un délai à leur co-contractante, qui ne l'a pas mis à profit, pour remédier aux insuffisances constatées et se conformer notamment aux critères qualitatifs raisonnables qui étaient visés;

Considérant que c'est encore à tort que la société Grande Parfumerie d'Auteuil reproche à la société Estée Lauder d'avoir manqué à ses propres obligations contractuelles, de n'avoir pas exécuté le contrat de bonne foi, d'avoir détourné sa clientèle et d'avoir eu des pratiques discriminatoires à son détriment ;

Qu'elle fait grief en particulier à sa co-contractante de ne lui avoir fourni aucun matériel publicitaire, promotionnel ou de démonstration à partir du 2e semestre de l'année 1995 et de n'avoir organisé aucune campagne publicitaire ou promotionnelle dans son magasin, annulant même brutalement celle qui avait été prévue en décembre 1995, alors que, dans le même temps, des concurrentes situés dans le même quartier bénéficiaient de telles campagnes ou manifestations, avec le concours notamment de sa démonstratrice habituelle ;

Mais considérant que la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne justifie pas avoir essuyé des refus de la société Estée Lauder concernant du matériel publicitaire ou promotionnel dont elle aurait fait la demande ;

Que, sans être contredite, la société Estée Lauder indique que les campagnes ou manifestations publicitaires, dont elle assumait intégralement les frais, avaient pour contrepartie nécessaire, en raison de leur coût élevé pour elle, la passation d'une importante commande promotionnelle par le commerce bénéficiaire de l'opération; qu'il est constant que la société Grande Parfumerie d'Auteuil a refusé cette contrepartie, estimant son stock suffisamment lourd, ainsi qu'il résulte du courrier de protestation qu'elle a adressé à la société Estée Lauder à la suite de l'annulation de la manifestation prévue dans ses locaux en décembre 1995; que l'exigence formulée par la société Estée Lauder n'apparaissant pas abusive, la conséquence du refus par la Grande Parfumerie d'Auteuil de se conformer à cette exigence ne peut lui être imputée à faute; qu'il n'est pas même allégué que les parfumeries concurrentes auraient bénéficié d'opérations promotionnelles financées par la société Estée Lauder sans remplir la condition imposée par celle-ci ; qu'en l'absence d'opérations promotionnelles dans les locaux de la société Grande Parfumerie d'Auteuil à partir du deuxième trimestre 1995. la circonstance que Mademoiselle Lebèbvre, qui était jusqu'alors la démonstratrice habituelle d'Estée Lauder dans le magasin Grande Parfumerie d'Auteuil, a été mise à la disposition de concurrents proches ne pouvait être de nature à nuire à la société Grande Parfumerie d'Auteuil, le risque de confusion ayant disparu ; qu'au demeurant le procès-verbal de constat d'huissier de justice en date du 21 mars 1996 produit par la société Grande Parfumerie d'Auteuil est des plus vagues et ne permet pas de savoir ce qu'était au même moment la vitrine de la société Grande Parfumerie d'Auteuil ;

Considérant que, les deux sociétés intimées n'ayant consenti aucune exclusivité sur un territoire déterminé à la société Grande Parfumerie d'Auteuil, celle-ci n'est pas fondée à critiquer l'agrément donné aux magasins "Silver Moon" et "Kinda" ayant ouvert respectivement en novembre 1994 et avril 1996 dans le même quartier, alors que la Parfumerie du Lys, qui se partageait la clientèle de ce quartier avec la Grande Parfumerie d'Auteuil jusqu'en novembre 1994, a su maintenir ses ventes en dépit d'une concurrence renforcée ;

Considérant que, s'il est vrai que la société Estée Lauder a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 février 1996, mis fin aux conditions de paiement dérogatoires à ses conditions générales de vente - paiement à 60 jours au lieu de 30 jours - qu'elle avait consenties en juillet 1994 à la société Grande Parfumerie d'Auteuil, celle-ci ne prouve pas que cette décision a été prise et notifiée de manière fautive, alors que l'accord "de coopération commerciale" du 1er juillet 1994 était conclu pour un an, sans que soit prévue une tacite reconduction, et subordonné notamment à la présence chez le distributeur d'un stock supérieur d'au moins 25 % à celui prévu à l'article 2.2 des conditions générales de vente de la société Estée Lauder, condition dont la société Grande Parfumerie d'Auteuil ne démontre pas qu'elle était remplie en février 1996 ;

Considérant qu'enfin la seule production d'une invitation, adressée à Madame Eliane Buki, à venir essayer les produits Estée Lauder dans le magasin "Kinda", avenue Mozart, ne peut suffire à établir que la société Estée Lauder aurait détourné la clientèle de la société Grande Parfumerie d'Auteuil au profit de parfumeries directement concurrentes en utilisant le fichier de clients qui lui avait été donné en location en avril 1994 pour une durée limitée, alors au surplus qu'on ignore si Madame Buki était une cliente habituelle de la Grande Parfumerie d'Auteuil et si elle n'avait pas déjà fait des achats à la parfumerie "Kinda", également proche de son domicile ;

Considérant qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que la société appelante, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel, ce qui entraîne le rejet de ses demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu'il est au contraire équitable de la condamner, en application de ce texte, à payer aux deux sociétés intimées, unies d'intérêts, 15 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs, Donne acte à la société Grande Parfumerie d'Auteuil de ce qu'elle est en liquidation amiable et se trouve représentée à l'instance par son liquidateur, Monsieur Robert Kaplan, Confirme le jugement attaqué, Condamne la société Grande Parfumerie d'Auteuil à payer aux sociétés Estée Lauder et Clinique Laboratories, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, 15 000 F à titre des frais irrépétibles d'appel, La déboute de ses demandes, La condamne aux dépens d'appel et admet la SCP Fanet Serra, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.