Conseil Conc., 11 mars 2003, n° 03-D-13
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la SARL Produits Industriels Lorrains (PIL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Toulemont-Dakouré par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 27 avril 1999, sous le numéro F 1141, par laquelle la SARL Produits Industriels Lorrains (PIL) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Pont-à-Mousson et Sodif, susceptibles d'entrer dans le champ d'application des articles L.420-1 et suivants du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, et le décret n° 2002-689 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la SARL Produits Industriels Lorrains (PIL) entendus lors de la séance du 11 décembre 2002 ; Adopte la décision suivante :
I. - Constatations
A. - LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
1. Les fontes de voirie ont pour fonction de boucher les ouvertures dans le sol et d'assurer une interface entre les réseaux sous-terrains d'assainissement, électriques, de gaz ou autres et la surface. Il existe deux catégories de fonte de voirie, la fonte ductile, plus performante, nettement dominante, et la fonte grise, moins onéreuse mais peu utilisée et six classes de fontes de voirie en fonction de leur résistance au poids (du moins au plus résistant : A15, B125, C250, D400, E600, F900).
2. Le marché de la fonte de voirie s'organise en France autour de producteurs nationaux, (Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Sodif, Saint-Dizier, Muretaine de Fonderie-Dechaumont, Brousseval, Sonofoque), d'importateurs de fonte ductile (Fondatel, PIL) et de distributeurs nationaux, régionaux ou départementaux, tels Descours et Cabaud, Big Mat, Point P ou Tout Faire qui constituent l'interface entre les producteurs et les clients finaux, y compris les clients publics.
B. - LES ENTREPRISES CONCERNÉES
3. La société PIL a pour activité l'importation et la commercialisation de produits pour le bâtiment et les travaux publics, tels que les produits sanitaires, les produits tréfilés, les produits en PVC et géotextiles, et les fontes de voirie, ces dernières représentant plus de 50 % de son activité. Son chiffre d'affaires était de 45 millions de francs en 1998. Les fontes de voirie importées par PIL sont fabriquées en Chine et en Russie. Selon la société PIL, il s'agit essentiellement de produits classés B125 et C250, la marque NF étant exigée pour les classes de résistance supérieure. Les prix de ses produits sont inférieurs d'environ 20 % à ceux de la société Saint-Gobain PAM.
4. La société Pont-à-Mousson, dont la raison sociale est "Saint-Gobain PAM" depuis le 20 juin 2000, est une filiale à 99 % de Saint Gobain. En 1999, le chiffre d'affaires réalisé par PAM a atteint 4 094 millions de francs, dont 1 697 000 francs réalisés en France. Les effectifs employés par l'entreprise s'élevaient à 3 145 personnes. Spécialisée dans la fabrication de produits en fonte ductile, PAM est plus particulièrement positionnée sur le segment des canalisations d'adduction d'eau qui représente 80 % de ses ventes, avec 117 000 tonnes en 1999.
5. Les produits de fonte de voirie fabriqués par la société Norfond, du groupe Norinco, représentent 35 à 40 % du marché français. Il sont commercialisés par une société de distribution du même groupe, la Sodif.
C. - LES PRATIQUES DÉNONCÉES
Les difficultés de commercialisation auprès des négociants et des maîtres d'ouvrage
6. La société PIL soutient que ses ventes de fontes de voirie à certains négociants (Descours et Cabaud, Point P, Bigmat, Tout Faire) sont en baisse. Ces difficultés seraient le résultat de pressions exercées par la société Saint-Gobain PAM et par la société Sodif qui accorderaient aux négociants des conditions commerciales favorables à condition qu'ils ne s'approvisionnent plus chez PIL, et dénigreraient les produits PIL.
7. La saisissante dénonce, par ailleurs, une collusion entre PAM et les maîtres d'ouvrage, notamment les directions départementales de l'équipement, visant à imposer aux fournisseurs, aux entreprises de travaux publics et aux négociants l'utilisation de produits de fonte de voirie certifiés à la marque NF.
8. Les produits Saint-Gobain PAM sont commercialisés, dans leur grande majorité, par l'intermédiaire de négociants. La société ne soumissionne pas directement aux appels d'offres des marchés publics. Les principaux clients de Saint-Gobain PAM, en 1998, étaient Point P, Descours et Cabaud, Samse, Libaud et PUM. La société PIL se plaint en particulier du comportement de SMG, filiale du groupe Descours et Cabaud, et du point de vente Descours et Cabaud de Bonneuil sur Marne, qui ont cessé d'acheter ses produits.
9. La centrale de référencement du groupe Descours et Cabaud, Sogedesca, justifie ainsi le choix des produits de fonte de voirie qu'elle référence : "En matière de fonte de voirie, la marque NF est une garantie de qualité faisant partie de nos objectifs stratégiques. La norme NF EN 124 est basique. La marque NF est un "plus" commercial. Nos prescripteurs publics, qui définissent les cahiers des charges pour nos clients, peuvent demander la présence de la marque NF. Nous préférons l'avoir même si elle n'a pas un caractère obligatoire (.). Les fabricants français valorisent beaucoup la marque NF Voirie afin de se différencier des importateurs".
10. Sogedesca expose également les raisons pour lesquelles elle n'a pas référencé PIL : "Nous avons rencontré les responsables de PIL mais nous n'avons pas souhaité avoir une relation commerciale privilégiée dans la mesure où il s'agit d'un importateur, donc revendeur et intermédiaire non-fabricant (nous aurions pu aller nous-mêmes dans d'autres pays) ; la gamme de PIL est peu étendue ; PIL n'est pas certifié au label "NF". De plus, PIL n'est pas prescripteur et ne dispose pas d'une force de vente contrairement à Pont-à-Mousson ou à la Sodif".
11. SMG, filiale du groupe Descours et Cabaud, déclare : "Nos clients, parfois par excès d'assurance, exigent les normes françaises. Le client final est toujours une collectivité. Nous ne refuserions pas une commande de fontes PIL émanant d'un client. Cependant, il faudrait que cette commande soit d'une quantité suffisante (un demi, voire un camion complet) sinon il en résulterait un surcoût de transport. En outre, il est fortement conseillé de travailler avec des fournisseurs référencés par la Sogesdesca. (.) Les gammes de PIL sont très réduites contrairement à celles de PAM ou Sodif".
12. Le directeur marketing pour la région Île-de-France de Point P et les points de vente interrogés expliquent également les raisons qui les conduisent à limiter l'approvisionnement des produits PIL : "Chez Point P, nous avons un peu de PIL entre autres pour les fontes (en Rhône-Alpes, à l'Est), je ne suis pas sûr de vouloir travailler avec eux à l'avenir : cela dépendra de l'amélioration du suivi et de la qualité des produits. Je suis satisfait des prestations de PAM et Sodif. Je ne suis pas convaincu du suivi et de la qualité des produits de PIL. La norme EN 124 n'est pas une garantie suffisante à mes yeux en termes de constance de qualité et d'approvisionnement. Je ne suis pas sûr que la qualité des produits puisse être suivie à l'étranger. (.) Le maître d'œuvre est prescripteur mais l'entreprise qui réalise les travaux peut influencer. Le fabricant, en allant voir les prescripteurs, assure la promotion de ses produits. Ceci fait partie des éléments déterminants. PIL ne dispose pas de force de vente ce qui peut lui être préjudiciable. Les entreprises avec lesquelles nous travaillons ont des entrepôts à proximité de nos points de vente. PIL ne nous a jamais démarché. Nous ne commercialisons que des produits conformes à la norme NF. Nous n'avons pas de demandes concernant des produits qui ne seraient pas conformes aux normes françaises mais qui seraient conformes aux autres labels émanant des États membres de la CE".
13. Bigmat explique : "Les poseurs et entreprises de travaux publics ne veulent que du PAM par peur de perdre des marchés. Les liens de PAM et des maîtres d'ouvrage, parfois très étroits, peuvent conditionner la demande selon les dires de ces entreprises. Par conséquent, PIL n'est pas souvent recommandé. Ceci est surtout vrai pour les marchés publics. Mais les marchés publics représentent 90 % de l'activité. Nous n'avons jamais eu aucune pression de la part de Saint-Gobain PAM pour ne pas acheter de fontes de PIL puisque nous n'arrivons pas à acheter des produits PAM aux quantités qui nous intéressent ou qui nous permettrait d'être compétitifs. PIL a été référencé régionalement à l'Est et au Centre-Ouest en 1998. Mais comme ils ne se sont pas manifestés, ces référencements n'ont pas été renouvelés.".
14. Le président directeur général de Tout Faire déclare : "PIL n'est pas certifié aux normes françaises NF EN 124 mais ils ont une norme européenne ce qui peut poser des problèmes pour les DDE".
15. En ce qui concerne les maîtres d'ouvrage, l'article 272 du Code des marchés publics précise que : "Les prestations sont définies par référence aux normes homologuées ou à d'autres normes applicables en France en vertu d'accords internationaux, dans les
16. conditions prévues par le décret n° 84-74 du 26 janvier 1984 modifié fixant le statut de la normalisation."
17. Les directions départementales interrogées confirment le rôle joué par les normes : "L'attestation de conformité à la norme et aux prescriptions complémentaires de qualité est fournie par l'utilisation de la marque NF ou d'une marque équivalente ; en tout état de cause, il appartient au soumissionnaire d'apporter au maître d'ouvrage la preuve de la conformité de ses produits aux exigences spécifiées"(DDE de Saint-Étienne).
18. La position de la commission centrale des marchés en matière d'équivalence est précisée dans sa "recommandation T1-99 aux maîtres d'ouvrage publics, relative à l'utilisation des normes et des certifications dans les spécifications et à l'appréciation des équivalences". Ce document invite les acheteurs publics à introduire systématiquement, dans les différents documents officiels et à toutes les phases des appels d'offres, des clauses rendant les marchés accessibles aux entreprises dépourvues de la marque NF mais pouvant se prévaloir de certificats de conformité équivalents. Les éléments de preuve nécessaires à l'appréciation de l'équivalence doivent être apportés par l'entreprise soumissionnaire.
19. De plus, l'AFNOR déclare : "Une conformité à la norme EN 124 certifiée par un organisme allemand (DIN EN 124) ou britannique (BS EN 124) est parfaitement substituable à la norme NF EN 124."
Les difficultés de certification à la marque NF-Voirie
20. La société PIL se plaint également du comportement de l'Association française de normalisation (AFNOR), seul organisme habilité à délivrer une certification de conformité à la norme européenne EN 124. Elle fait valoir que la marque NF, en ajoutant à la norme EN 124, favorise le maintien d'un quasi-monopole des sociétés Saint-Gobain PAM et Sodif sur le marché de la fonte de voirie. Elle souligne que ces sociétés sont représentées au sein de l'AFNOR.
Le rôle de l'Association française de normalisation (AFNOR)
21. L'AFNOR, association de la loi de 1901, est placée sous la tutelle du ministre chargé de l'Industrie. Le décret du 26 janvier 1984 régit son activité. L'AFNOR est gérée par une assemblée générale et un conseil d'administration qui définit sa politique et homologue les normes françaises. L'AFNOR est financée à la fois par des fonds publics (20 %) et des fonds issus de son activité économique.
22. Deux missions, auxquelles correspondent deux entités juridiquement distinctes, sont assignées à l'AFNOR :
L'AFNOR proprement dite est associée en amont aux processus d'élaboration des normes nationales, européennes et internationales. Elle anime des commissions de normalisation réunissant des professionnels concernés, en partenariat avec les autorités nationales compétentes. L'AFNOR élabore des référentiels normatifs en collaboration avec les acteurs économiques mais sans y associer les importateurs. Les marques sont la propriété de l'AFNOR et sont déposées par l'AFNOR auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI).
L'AFNOR assure la certification des produits des entreprises aux normes françaises, européennes ou internationales. Ce service est réalisé par "AFNOR certification", société anonyme filiale de l'AFNOR, disposant d'une licence exclusive d'exploitation des marques NF. L'AFNOR délivre le certificat de conformité mais délègue le processus de certification à des organismes indépendants, (décret du 26 janvier 1984).
La relation entre la norme EN 124 et la marque NF-VOIRIE
23. Au niveau européen, a été définie une norme, EN 124, fixant des règles minimales de qualité (principes de construction, essais-types, marquage, contrôle de qualité) pour les fontes de voirie. Toutefois, le marquage "EN 124" d'un produit signifie que ce produit se réfère à la norme, mais non qu'il est certifié conforme à cette marque. La conformité à cette norme européenne doit être attestée, à la demande du producteur, par l'apposition d'une marque nationale délivrée par un organisme de certification accrédité à cet effet.
24. En France, il s'agit de l'AFNOR, seul organisme accrédité pour certifier les produits conformes à la norme EN 124, en leur apposant la marque NF. La norme NF EN 124 est la simple transcription nationale de la norme européenne, comme BS EN 124 l'est pour le Royaume-Uni et DIN EN 124, pour l'Allemagne.
25. La marque NF n'est, cependant, accordée par l'AFNOR aux produits de fonte de voirie que s'ils satisfont à la marque NF-VOIRIE, c'est-à-dire, d'une part aux spécifications de la norme européenne EN 124 et des normes internationales ISO 9001 et ISO 9002, et, d'autre part, à des spécifications complémentaires, notamment des essais, renforçant les exigences applicables en France. Le règlement de certification de la marque NF-Voirie, en date du 18 septembre 2000, précise que les demandes de certification doivent être adressées à AFNOR Certification, qui mandate éventuellement le Bureau Veritas Quality international (BVQI), seul habilité à réaliser les essais et les contrôles chez le fabricant. Le directeur général du BVQI déclare : "On peut considérer que les normes françaises, lorsqu'elles ajoutent des exigences aux normes européennes, en l'occurrence NF Voirie, peuvent constituer une entrave aux échanges dans la mesure également où le donneur d'ordre exige dans les cahiers la marque NF".
26. Fin 2000, seules des fonderies françaises avaient été auditées : Sonofoque, Pont-à-Mousson, Norinco, Fonderie de Brousseval, Muretaine de fonderie, Fonderies de Saint Dizier, et seuls leurs produits bénéficiaient de la marque NF-Voirie.
27. Au sein de l'AFNOR siègent des comités particuliers de marque, instances consultatives associant des professionnels non seulement au stade de l'élaboration des marques mais aussi à celui de leur mise en œuvre. Le comité particulier de la marque NF-Voirie est composé de trois collèges : cinq fabricants, six utilisateurs-prescripteurs (maîtres d'ouvrages des DDE et des collectivités locales) et six membres au titre d'organismes techniques, dont l'AFNOR et le BVQI. Ce comité donne un avis consultatif sur les nouvelles candidatures à la marque NF-Voirie.
Les démarches effectuées par la société PIL et les fabricants dont elle importe les produits
28. La société PIL a fait tester la conformité de ses produits à la norme EN 124 par le Centre d'études techniques de l'équipement de l'Est, comme en attestent des procès-verbaux, en date du 26 novembre 1999, déclarant les produits testés conformes à la norme EN 124. Elle conteste l'indépendance du BVQI.
29. L'usine de Chine, fabricant des fontes de voirie importées par PIL, a saisi directement le BVQI qui, à la suite de quatre journées d'audit qui se sont déroulées en Chine, a produit un certificat de conformité de la production aux normes EN 124 et ISO 9002, en date du 19 avril 1999, établi par M. Xiaomin A. Ce certificat a, par la suite, été invalidé par le BVQI, au motif que des doutes pouvaient être émis sur son authenticité, et, surtout, que seule l'AFNOR pouvait mandater le BVQI.
30. Quant aux fontes de voirie PIL importées de Chine et d'Ukraine, le chef de l'export des fonderies russes de Cheboksry et Gomel, et ukrainienne de Kremenchuk, a communiqué des informations au BVQI France, le 12 mars 1999, puis s'est renseigné, le 22 mars 1999, auprès de l'AFNOR, sur les conditions de certification à l'EN 124. La visite à Paris de responsables des usines concernées, prévue en mai 1999, n'a pu avoir lieu, en raison du refus de visa opposé par l'ambassade de France à Moscou. Selon la société PIL, le déplacement à Moscou de représentants de l'AFNOR aurait été demandé mais n'est pas envisagé. Le directeur général du BVQI déclare cependant : "Nous pouvons intervenir pour des entreprises dont le siège est à l'étranger (nous sommes présents dans 46 pays)".
L'absence d'équivalence entre les marques nationales
31. La société PIL fait valoir que les produits qu'elle importe bénéficient d'une certification à la norme britannique (BS EN 124) et allemande (DIN EN 124) et que l'équivalence avec la norme NF EN 124 devrait lui être reconnue.
32. Toutefois, l'AFNOR déclare "Il n'existe pas, à ce jour, de reconnaissance formelle de l'équivalence entre les marques nationales de conformité à la norme EN 124. Lors d'un comité du CEN (Comité européen de normalisation) chaque organisme de normalisation a revendiqué sa spécificité. Aucun ne veut assurer la substituabilité des marques. Cela peut être considéré comme un obstacle aux échanges. Nous avons fait des tentatives de signature des accords de reconnaissance, mais en vain."
II. - Discussion
33. L'article L. 464-6 du Code de commerce énonce : "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure" ;
Sur le comportement de la société Pont-à-Mousson et de la société Sodif vis-à-vis des négociants,
34. La société PIL soutient que, d'une part, les fabricants lieraient les avantages commerciaux qu'ils proposent aux négociants au fait que ceux-ci renoncent à s'approvisionner chez PIL et, que, d'autre part, ils dénigreraient les produits distribués par PIL auprès des négociants.
35. L'examen des conditions de vente accordées par la société Saint-Gobain PAM aux négociants n'a révélé aucune clause susceptible d'avantager les négociants qui auraient renoncé à s'approvisionner auprès de PIL. En particulier, il n'est fait mention d'aucune remise dont l'octroi serait lié au fait de ne pas distribuer les produits PIL. Les conditions de vente des tuyaux en fonte Pont-à-Mousson ne sont pas non plus liées à l'achat de fonte de voirie auprès du même producteur.
36. En ce qui concerne la commercialisation des produits Norfond par la Sodif, le dossier ne contient aucun élément permettant d'établir que les conditions de vente consenties au négociant SMG, du groupe Descours et Cabaud, auraient été liées d'une façon ou d'une autre à ses relations avec PIL.
37. Par ailleurs, les déclarations des négociants ne font pas état d'actions de dénigrement menées par la société Saint-Gobain PAM, ou par la Sodif, à l'encontre des produits PIL.
38. Dans leurs déclarations, les négociants mentionnent, en revanche, diverses raisons qui les amènent à ne pas s'approvisionner auprès de PIL, ou à limiter leurs achats, comme le fait que les produits distribués par PIL ne bénéficient pas de la marque NF-Voirie ou que les coûts de transport de ces produits pondéreux incitent à s'approvisionner auprès du fabricant le plus proche.
39. Il ressort de ce qui précède qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer que les sociétés Pont-à-Mousson et Sodif auraient exercé des pressions auprès des négociants afin de favoriser la distribution de leurs produits aux dépens de ceux importés par la société PIL.
Sur le comportement de la société Pont-à-Mousson vis-à-vis des maîtres d'ouvrage,
40. La saisissante soutient que la société Pont-à-Mousson s'entend avec les maîtres d'ouvrage, et particulièrement les directions départementales de l'équipement, afin que la marque NF soit privilégiée dans les spécifications relatives aux fontes de voirie dans le cadre des appels d'offres lancés pour la passation de marchés publics. Elle fait valoir, de plus, que les produits qu'elle importe ont obtenu la certification allemande DIN EN 124 et britannique BS EN 124 et qu'en conséquence, l'équivalence avec la marque NF exigée dans les cahiers des charges devrait être reconnue.
41. La référence aux normes homologuées est obligatoire dans le cadre des procédures de passation des marchés publics. Toutefois, la Commission centrale des marchés, dans sa "Recommandation T1-99 aux maîtres d'ouvrage publics, relative à l'utilisation des normes et des certifications dans les spécifications et à l'appréciation des équivalences", a invité les acheteurs publics à introduire systématiquement dans les différents documents officiels et à toutes les phases des appels d'offres, des clauses rendant les marchés accessibles aux entreprises de la marque NF ou pouvant se prévaloir de certificats de conformité équivalents.
42. Les certifications allemande, DIN EN 124, et anglaise, BS EN 124, attestent de la conformité des produits concernés à la norme européenne EN 124, même en l'absence d'accords relatifs à la marque NF et prévoyant une reconnaissance de marques entre l'AFNOR, seule habilitée à les conclure, et ces organismes certificateurs.
43. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet d'établir que les éventuelles difficultés, que rencontrerait la société PIL auprès des maîtres d'ouvrage, pour leur faire admettre que ses produits sont certifiés EN 124 par d'autres organismes certificateurs que l'AFNOR, sont liées au fait que la société Pont-à-Mousson aurait sollicité les maîtres d'ouvrage afin que ceux-ci exigent la marque NF et refusent de reconnaître les certifications DIN EN 124 et BS EN 124, dans le but de privilégier les produits Pont à Mousson et d'évincer les produits de la société PIL.
Sur le comportement de l'AFNOR,
44. Aux termes de l'article L. 410-1 du Code de commerce : "Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de délégations de service public."
45. La société PIL dénonce la confusion systématique entretenue par les pouvoirs publics entre la marque NF et la norme EN 124, ainsi que le fait que seule l'AFNOR soit habilitée à certifier conforme à la norme EN 124, en apposant la marque NF. Elle ajoute que la volonté d'imposer un label de qualité supplémentaire à la norme est un moyen d'empêcher l'importation et la distribution des fontes de voirie, en dépit de leur conformité aux normes européennes. La société PIL soutient également que le manque de transparence des procédures de certification de l'AFNOR et l'inertie de cet organisme ont rendu impossible la certification des produits qu'elle importe à la norme nationale NF EN 124.
46. L'article 15 du décret n° 84-74 du 26 janvier 1984, fixant le statut de la normalisation, dispose que "La conformité aux normes est attestée, à la demande du producteur, par l'apposition d'une marque nationale accordée par l'Association française de normalisation. Le bénéfice de cette marque est réservé aux produits et services pour lesquels les dispositions édictées par l'Association française de normalisation ont été respectées."
47. La norme française NF EN 124 a été homologuée le 5 octobre 1994 et, conformément à son article 9, l'attestation de conformité à cette norme implique l'apposition du logo de la marque d'un organisme de certification.
48. Le Conseil d'Etat s'est prononcé à plusieurs reprises sur la nature juridique des normes. Il distingue les normes homologuées, qui sont le résultat d'une décision administrative, des normes enregistrées. Dans un arrêt du 14 octobre 1991, le Conseil d'Etat a considéré que lorsqu'il homologue des normes, sur délégation du conseil d'administration de l'AFNOR, "le directeur général de cette association ne se borne pas à exprimer une recommandation destinée aux partenaires économiques, scientifiques, techniques et sociaux, mentionnés à l'article 1er dudit décret, mais prend une décision qui présente, en raison des effets qui y sont attachés, un caractère réglementaire ; qu'ainsi la légalité d'une telle décision peut être contestée devant le juge administratif".
49. En conséquence, la décision d'homologation de la norme NF EN 124 en date du 5 octobre 1994 et l'apposition par l'AFNOR de la marque NF, afin d'attester de la conformité à la norme NF EN 124, en application de l'article 15 du décret du 26 janvier 1984 fixant le statut de la normalisation, ne constituent pas une activité de production, de distribution et de services et n'entrent donc pas dans le champ de la compétence d'attribution du Conseil, telle qu'elle est définie à l'article L. 410-1 du Code de commerce.
50. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application de l'article L. 464-6 du même Code.
DÉCISION
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.