CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 13 février 1980, n° 181-1980
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cayla
Conseillers :
M. Frison, Mme Feyt
Avocats :
Mes Malinconi, Moal, Braunstein.
Vu les articles 475, 512 et suivants du Code de procédure pénale ;
Vu le jugement du Tribunal correctionnel de Marseille en date du 11 mai 1979 ;
En octobre 1977, fut réalisée au large de Cavalaire une opération de plongée opérationnelle, dite Janus IV, qui a permis à des plongeurs de travailler en pleine eau par moins de 501 mètres de profondeur ;
Cette opération, dont X était maître d'œuvre, a été effectuée à partir du navire à positionnement dynamique " Petrel " affrété par " Elf Aquitaine ", avec le concours du CNEXO et de la Marine Nationale ;
Cette opération fut réalisée notamment au moyen d'un système de plongée comprenant pour l'amenée et la survie des plongeurs au fond, d'une part, un caisson situé à bord du navire et utilisé pour effectuer les phases de compression et décompression des plongeurs et d'autre part, une tourelle jouant le rôle d'ascenseur et permettant le transfert des plongeurs du caisson jusqu'au fond, les plongeurs évoluant hors de la tourelle jusqu'au lieu de travail et vice versa, munis de tuyaux (ombilicaux) les alimentant en gaz et leur permettant de communiquer avec la surface ;
Le caisson situé sur le navire Petrel et la tourelle, jouant le rôle d'ascenseur avaient été fabriqués par la société Doris qui les avait vendus à la société Off Shore Europe, propriétaire du " Petrel " ;
La société Doris fait grief à la société X d'avoir effacé le nom de Doris qui figurait sur ce matériel, et de l'avoir recouvert de son sigle au moyen d'autocollants, ainsi qu'il résulte de photographies, notamment tirées d'un film réalisé par TF1 et d'autres illustrant un article paru dans la revue " Science et vie " ;
Par citation directe en date du 8 septembre 1978, la société Doris a fait assigner devant le Tribunal correctionnel de Marseille, D Henri, pris en qualité de PDG de la société X SA et celle-ci, prise en qualité de civilement responsable, aux fins de :
- voir D Henri, déclaré pénalement responsable en sa qualité de PDG et condamné à telles peines qu'il plaira au tribunal de choisir en application des articles 1er de la loi du 28 juillet 1824, 1er de la loi du 24 juin 1928, 1er de la loi du 26 mars 1930, 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905 ;
- dire et juger la société X, civilement responsable de son président directeur général D Henri ;
- déclarer recevable et bien fondée la constitution de partie civile de la société Doris ;
- dire qu'en réparation du préjudice subi par la société Doris, la société X sera condamnée au paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Par jugement rendu le 11 mai 1979, le Tribunal correctionnel de Marseille :
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur les faits de publicité équivoque et de concurrence déloyale ;
- a déclaré D non coupable des délits prévus par la loi du 28 juillet 1824 relative aux altérations ou suppositions de noms sur les produits fabriqués, du délit prévu par la loi du 24 juin 1928 relative à la protection des numéros et signes quelconques servant à identifier les marchandises, du délit prévu par la loi du 26 mars 1930, réprimant les fausses indications d'origine des marchandises, du délit prévu par la loi du 27 décembre 1973 (article 44) relative à la publicité mensongère, délits visés dans la citation directe de la société Doris à l'encontre de D Henri ;
Sur l'action civile :
- a déclaré recevable en la forme, la constitution de partie civile de la société Doris ; au fond, l'en a déboutée ;
- a dit n'y avoir lieu à statuer sur les conclusions de partie civile tendant à faire déclarer la société X, civilement responsable de D, son PDG ;
- a dispensé la société Doris des paiements et frais ;
- les a laissés à la charge du Trésor public ;
Attendu que la société Doris, appelante, demande de :
- déclarer recevable sa constitution de partie civile, et par voie de conséquence régulière, sa citation directe ;
- condamner D, responsable pénalement en sa qualité de président directeur général, à telle peine qu'il plaira à la cour, en application des dispositions des articles 1er des lois du 28 juillet 1824 et 24 juin 1928, et de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
- dire la société X civilement responsable de son président directeur général ;
- condamner D et la société X sur le fondement des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du Code civil, au paiement de 1 000 000 F de dommages-intérêts et à la publication du présent arrêt ;
- condamner les mêmes à verser à la société Doris, 1 000 F, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- ordonner la publication du présent arrêt dans tous les médias ayant utilisé les documents mensongers X ;
Qu'elle fait valoir que :
- X a supprimé les marques Doris sur le matériel constituant le système de plongée lors de l'opération Janus IV ; qu'elle a apposé ses propres marques et fait une publicité mensongère ;
- ces faits constituent des délits réprimés par les lois pénales et un délit civil de concurrence déloyale ;
- la citation directe de Doris est régulière et sa constitution de partie civile recevable ;
Qu'elle soutient :
Sur l'application de la loi du 28 juillet 1824 :
- que ce texte a pour but de protéger à la fois le fabricant contre des concurrents qui voudraient profiter de sa renommée et la clientèle contre ces mêmes concurrents ;
- que le fait d'apposer ou de faire apparaître ne saurait être contesté comme en témoignent les photos et l'extrait du film TF1 ;
- que le matériel utilisé constitue un produit ou un objet fabriqué ;
- que X qui n'est pas le fabricant des caissons et tourelles a pourtant apposé sa marque ;
- que la mauvaise foi de l'usurpation résulte suffisamment de la connaissance qu'avaient D et le personnel de la X de l'existence de la marque Doris sur le matériel ;
Sur l'application de la loi du 24 juin 1928 :
- que ce texte de portée générale a pour objet la protection des signes quelconques servant à identifier les marchandises et cela, à la fois pour la sauvegarde des droits du fabricant et dans l'intérêt des consommateurs ;
- lors de la mise en place du matériel Doris sur le " Petrel ", la marque de cette dernière se trouvait apposée en divers endroits et notamment sur la tourelle, à l'aide de peinture ; qu'à la suite de l'opération Bohlen par grattage, puis peinture réalisés par X la marque a été supprimée ;
- que les autocollants apposés par Doris sur les enceintes hydrauliques distributeurs et le bras manipulateur ont disparu et ont été remplacés par des autocollants X ;
- que les autocollants ont été apposés et enlevés lors de la phase préparatoire, ce qui constitue l'élément matériel du délit ;
- que X a supprimé en toute connaissance de cause les marques Doris, dans le but d'induire le public en erreur sur la nature et l'origine de la fabrication et de nuire à la société Doris ;
- que l'intention frauduleuse est suffisamment évidente par l'apposition sur tous les matériels, après avoir enlevé les marques Doris, de la marque X ;
Sur l'application de la loi du 27 décembre 1973 :
- que dans la presse écrite, comme dans un film TV sont apparues des photographies représentant le matériel Doris couvert d'autocollants de la marque X ;
- que le matériel téléfilmé l'a été avec l'accord de X, et de nombreuses photos sont des documents X fournis par cette société ;
- que le rédacteur d'un article ou le réalisateur d'un film peut avoir sa bonne foi surprise, en faisant paraître des photographies ou des images constituant des publicités s'avérant mensongères ;
- que la publicité ne se limite pas à ce qui est payé, et la gratuité ne légitime pas le délit ;
- que ce sont des documents X qui sont fournis à la presse écrite et qui constituent des allégations mensongères ;
- que le film TF1 fait l'objet de copies qui ont été diffusées dans le public, et que D en a fait la présentation ;
Sur l'action civile :
- que la preuve de la faute a été suffisamment rapportée dans l'examen des différents délits de suppression et d'apposition de marque et de publicité mensongère, et l'action en concurrence déloyale doit prospérer ;
- que le préjudice très important matériellement et moralement atteint directement l'image de marque de la Doris, qui a été d'une part dénigrée et d'autre part, confondue avec celle de X ;
Attendu que D conclut à la confirmation du jugement déféré ;
Attendu que la recevabilité de la citation directe et de la constitution de partie civile n'est pas contestée ;
Attendu que la loi du 28 juillet 1824 est relative aux altérations et aux appositions de noms sur les produits fabriqués ; qu'elle dispose que " quiconque aura soit apposé, soit fait apparaître par addition ... sur des objets fabriqués le nom d'un fabricant autre que celui qui en est l'auteur ... " sera puni des peines portées en l'article 423 du Code pénal ;
Que la loi du 24 juin 1928 est relative à la protection des numéros et signes quelconques servant à identifier les marchandises ;
Attendu qu'en admettant que le caisson et la tourelle aient porté l'indication de Doris, au moment où ils ont été cédés à la société Off Shore, il convient de rappeler que ce matériel a été dans un premier temps utilisé dans l'opération " Bohlen " qui nécessita ultérieurement son nettoyage, son grattage, et l'application de couches de peinture ; qu'il n'y avait pas d'obligation pour l'utilisateur de repeindre la mention Doris ;
Que les autocollants apposés par la suite, ne pouvaient constituer une marque, en raison non pas de leur matière, mais de leur nature même : que ces autocollants ne constituent pas une marque indélébile destinée à permettre de déterminer le fabricant, mais qu'ils indiquent seulement, qui est le responsable de l'opération en cours sur le plan de l'exécution à un moment donné ;
Qu'il n'y a donc pas apposition du nom d'un fabricant autre que celui qui est l'auteur de la fabrication ; que la loi du 28 juillet 1824 est inapplicable en l'espèce ;
Que ces autocollants ne constituent pas davantage " un signe apposé sur les marchandises ou servant à les identifier " ; que la loi du 24 juin 1928, destinée davantage à la protection du commerçant que du fabricant, suppose une modification d'une marque antérieure ; que cette loi sanctionne un acte volontaire de modification, d'altération, de suppression, mais non une omission de reproduction ; que la mauvaise foi n'est pas établie, l'apposition des autocollants étant d'un usage courant pour déterminer non pas les fabricants, mais les opérateurs ;
Qu'il n'est pas contesté au surplus, que figuraient également les indications des autres coopérateurs, le GISMER (Groupe de combat sous-marin de la Marine Nationale), du CNEXO, du Petrel, et Elf Erap qui l'avait affrété, ce qui montre que les autocollants ne constituent pas des marques de fabrique, au sens de la loi du 24 juin 1928, inapplicable en l'espèce ;
Attendu sur l'application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, que la société Doris reproche à la société X d'avoir fait une publicité mensongère par la voie de la presse écrite et un film réalisé par la chaîne de télévision française TF1 ;
Attendu que l'article 44-II alinéa 7 de la loi du 27 décembre 1973 vise comme personne responsable de l'infraction de publicité mensongère, l'annonceur, pour le compte duquel la publicité est diffusée ;que cet annonceur est l'auteur de l'annonce ou celui qui a donné des instructions pour la diriger dans un sens déterminé ;
Que la notion de publicité suppose la fourniture à un support d'un texte établi par un commerçant et destiné à être représenté tel quel à sa clientèle ;qu'elle s'oppose à la notion d'information libre publiée par la presse écrite ou audiovisuelle, à l'occasion d'un fait ou d'un événement ;
Attendu que les articles visés ont été publiés en décembre 1977, par des revues de vulgarisation scientifique " Océans " et " Science et vie " et ont été écrits sans que X soit intervenue auprès des journalistes, qu'elle leur ait fourni des informations ou demandé qu'une publicité soit faite à son profit ;que la société Doris ne rapporte pas la preuve contraire ; que ces articles n'avaient pas pour but de préciser les conditions de vente de biens ou de fournitures de services, éléments essentiels du délit de publicité mensongère ;
Attendu que le film tourné par la chaîne de télévision française, TF1 l'a été dans le cadre de la retransmission d'événements constituant l'information générale, et ne peut être assimilé à un film publicitaire qui correspond à des normes particulières et à une réglementation stricte ;
Que dans les deux cas, la société X ne pouvait être considérée comme l'annonceur au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973,et que tout ce qui concerne les plongées de la tourelle et l'utilisation du caisson, n'a jamais fait l'objet de publicité mensongère ;
Attendu que les délits reprochés par la société Doris à D et à la société X ne sont pas établis ; qu'il y a lieu de confirmer la relaxe de D ;
Attendu que la constitution de partie civile de la société Doris est recevable en la forme, que compte tenu de la relaxe de D, il y a lieu de la débouter de sa demande ;
Qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Doris tendant à faire déclarer la société X civilement responsable de D, son président directeur général ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, reçoit les appels ; Au fond, confirme le jugement déféré ; Condamne la société Doris aux dépens de première instance et d'appel.