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Décisions

CA Angers, ch. corr., 3 mai 1990, n° 332

ANGERS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cadenat (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Chauvel, Andrault

Avocat :

Me Goldsmith.

CA Angers n° 332

3 mai 1990

LA COUR :

Le Ministère Public a interjeté appel d'un jugement du Tribunal correctionnel du Mans en date du 23 octobre 1989 qui a relaxé Mme Y Marie-Thérèse épouse X du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, délit prévu et réprimé par les articles 44-I, 44-II alinéas 7, 8, 9 et 10 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1 de la loi du 1er août 1905.

Régulièrement citée, Mme Marie-Thérèse X comparait en personne assistée de son conseil ; par conclusions elle demande la confirmation du jugement entrepris ; la SARL B intervient volontairement à l'instance et fait adjonction aux conclusions de la prévenue.

Le Ministère public requiert que Mme X soit déclarée coupable, condamnée à 10 000 F d'amende et que la décision fasse l'objet d'une publication et d'un affichage.

Il résulte de la procédure et des débats et notamment du procès verbal de délit dressé le 3 novembre 1988 par les service de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes que leur attention avait été attirée par un prospectus distribué à partir du 26 août 1988 dans les boîtes aux lettres du Mans " jusqu'au 10 septembre 1988 la rentrée A " et qui proposait des jeans à écussons enfant à 79 F, d'autres en toile doublée à 129 F et des jeans adulte " grande marque 100 % coton du 38 au 56, réf. AIX AKO 410 au prix de 199 F les 2 " ;

La même publicité paraissait dans le journal 72 annonces du 3 septembre 1988, elle a fait en tout l'objet d'un tirage d'environ 1 million d'exemplaires.

Dans les divers magasins A de leur circonscription les agents de service se faisaient présenter des modèles correspondant à l'annonce jeans de grande marque, à chaque fois il leur était présenté exclusivement des jeans portant une étiquette " A made mark quality clothing ", correspondant à la fabrication A, modèle de base de coupe classique aux dires des vendeurs et à l'exclusions de tout jean de marque telle que C 17, Levi's, Lee Cooper...

Les agents chargés du contrôle relevaient que les pantalons étaient de coupe traditionnelle et ne bénéficiaient pas de finitions exceptionnelles.

Mme X, gérante de la SARL B qui exploite 23 magasins à l'enseigne A qui avait reconnu que le modèle ainsi proposé était un modèle " basic ", c'est-à-dire permanent de la gamme sans caractéristiques spéciales soutenait, et le fait encore d'ailleurs, que la marque A est une marque de large diffusion, et que c'est à cette notion que se réfère son fils, auteur de la publicité pour proposer à la clientèle sous le qualificatif de grande marque les jeans de la fabrication courante de A ;

Dans la langue française l'adjectif qualificatif " grand " peut avoir plusieurs acceptions : d'abord celle de grand dans l'ordre physique : dont la hauteur, la surface ... dépasse la moyenne, mais aussi grand dans l'ordre qualitatif, il est alors employé comme majoratif et signifie le meilleur.

S'il n'est contesté par personne que la marque A est une marque bien connue et largement diffusée grâce à des points de vente installés sur l'ensemble du territoire national, il faut cependant ne pas perdre de vue, en l'espèce, que l'annonce critiquée est une publicité, c'est-à-dire un texte destiné à attirer le chaland en lui faisant espérer un intéressant rapport entre le prix qu'il paiera et la qualité de la marchandise qu'on lui fournira.

Dans cette quête, le client ne se soucie, à l'évidence nullement de savoir qu'il achète un produit largement diffusé, en revanche, il est tout a fait sensibilisé par la proposition qui lui est faite d'obtenir à bas prix un vêtement de marque réputée qui constitue d'une part une marque de reconnaissance sociale et d'autre part l'assurance d'avoir un produit mieux fini et coupé suivant les tendances les plus actuelles de la mode.

Dès lors il est incontestable qu'en utilisant l'amphibologie que contient le mot grand, Mme X a usé d'une publicité mensongère envers sa clientèle, qui, à la lecture des annonces publicitaires pouvait espérer acquérir à prix avantageux des jeans dont les marques réputées sont aussi infiniment plus coûteuses que leurs homologues sans marques.

Les premiers juges ont à tort renvoyé Mme X des fins de la poursuite, leur jugement sera infirmé et la prévenue déclarée coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur.

Compte tenu de la nature du fait poursuivi, Mme X sera condamnée à une peine de 10 000 F d'amende.

Il sera aussi ordonné l'affichage de la décision et son insertion dans la presse comme le prévoit l'article 7 de la loi du 1er août 1905.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Dans les limites de l'appel, Infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau : Déclare Mme X coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ; En répression, la condamne à une amende de 10 000 F ; Ordonne pour la durée de 7 jours l'affichage du présent arrêt (format 21 x 27 - caractères typographiques habituels) aux portes du magasin de la prévenue,situé <adresse>; Ordonne la publication du présent arrêt par extraits dans le journal Ouest France édition de la Sarthe sans que le coût ne dépasse 5 000 F ; Condamne Mme X aux dépens.