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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 24 juin 1992, n° 813-92

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cavallino

Conseillers :

MM. Jammet, Peiffer

Avocat :

Me Bourland.

CA Montpellier n° 813-92

24 juin 1992

Rappel de la procédure :

Le jugement rendu le 18 mars 1992 par le Tribunal correctionnel de Carcassonne a relaxé Roger G des délits de tromperie sur la composition et les qualités substantielles de la marchandise vendue et de publicité mensongère.

Appel :

L'appel a été interjeté par le Ministère Public le lundi 30 mars 1992

Cet appel, régulier en la forme et dans les délais, est recevable ;

Décision :

LA COUR, après en avoir délibéré,

Attendu que G Roger comparaît assisté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;

Attendu que Roger G est prévenu :

- d'avoir sur le territoire national, courant 1988 et 1989, trompé ou tenté de tromper contractant sur la composition et les qualités substantielles la nature, l'espèce, l'origine, la quantité ou la teneur des principes utiles de la marchandise livrée, en vendant ou mettant en vente une boisson à base de vin désalcoolisé avec addition de moûts concentrés et en la présentant sous dénomination de vin sans alcool ; infraction prévue et réprimée par les articles 1 de la loi du 1er août 1905, 73 du règlement communautaire 822-77, article du règlement communautaire 355-79 ;

- d'avoir sur le territoire national, courant 1988 et 1989 effectué une publicité comportant des allégations fausses induisant en erreur, lesdites allégations étant précises portant sur la nature, la composition, l'origine, les qualités substantielles, la date de fabrication, les propriétés du produit, les motifs et les procédés de la vente, les résultats qui peuvent être attendus à l'utilisation du produit, l'identité ou les qualités du fabricant ou du vendeur, en l'espèce en présentant sous la dénomination de vin sans alcool une boisson à base de vin désalcoolisé avec addition de moûts concentrés ; infraction prévue et réprimée par les articles 44-I, 44-II alinéa 8, 44-II alinéa 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et de la loi du 1er août 1905 et les articles 73 du règlement communautaire 827-77 et 45 du règlement communautaire 355-79.

Attendu qu'il ressort de la procédure et des débats que dès le début de l'année 1986, X à Montréal d'Aude (11), a envisagé de commercialiser du vin dont l'alcool aurait été retiré et a interrogé sur ce sujet la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;

Que des recherches ont été menées en liaison avec l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) sur la mise au point d'un produit satisfaisant à la fois aux contrôles de laboratoire et au goût du consommateur ; que X a commercialisé le produit sous la dénomination " vin sans alcool " en novembre 1988 et a développé d'importantes campagnes publicitaires à partir du deuxième trimestre 1989 ; que le 14 décembre 1988, la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a dressé procès-verbal à l'encontre de X ; que dans ces conditions Roger G Président du Conseil d'Administration de X a été déféré devant le Tribunal correctionnel de Carcassonne sous la prévention ci-dessus spécifiée ;

Attendu que la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, considérant que la désalcoolisation du vin ne figurant pas dans la liste exhaustive des pratiques oenologiques réglementairement définies, la boisson en résultant ne pouvait être considérée comme vin sans tromperie, la publicité concernant le vin sans alcool utilisant de ce fait des mentions au moins de nature à induire en erreur le consommateur, alors qu'au surplus, il était recouru pour la fabrication du produit à l'ajout de moûts concentrés ; que X indiquant qu'elle commercialisait du vin répondant à la définition réglementaire dont l'alcool a été retiré postérieurement ;

Par jugement du 10 janvier 1990, le tribunal a interrogé en interprétation du mot " vin " au regard des règlements européens la Cour de justice des Communautés européennes, qui par arrêt du 25 juillet 1991, a dit que la réglementation communautaire portant organisation du marché vitivinicole exigeait que le vin présente, lorsqu'il est distribué, un degré alcoolique minimum.

Attendu qu'en l'état, Roger G sollicite la confirmation du jugement dont appel, au principal la citation lui imputant, l'emploi de la dénomination vin sans alcool et non celle de vin sans l'alcool, subsidiairement aux motifs que le consommateur était parfaitement informé de l'absence d'alcool dans le produit qui lui était vendu et qui avant la soustraction de l'alcool était bien du vin ; que X n'avait jamais eu l'intention de tromper les co-contractants qui étaient très exactement avisés de l'absence d'alcool dans la boisson qu'ils achetaient, qui même si elle ne correspondait pas à la définition juridique du vin, informait réellement le consommateur de sa nature ;

Attendu que par des motifs précis, pertinents et multiples reposant sur un examen attentif des éléments de la procédure, qui méritent expressément adoption et que la cour fait siens, les premiers juges ont effectué une bonne appréciation des circonstances de la cause ;

Attendu, sur l'exception tirée de la nullité de la citation imputant au prévenu l'emploi de la dénomination " vin sans alcool " et non celle de " vin sans l'alcool ", qu'il convient de remarquer que le projet d'étiquetage complet proposé par X pour le produit comportait une étiquette " 0°, vin sans l'alcool " mais également une collerette cote 4 annexe PV avec sur une face la mention encadrée " vin sans alcool " et sur l'autre " 0° nouveau, vin sans l'alcool " ; que la confusion faite à cet instant dans le cadre même de l'entreprise gérée par le prévenu sur une même étiquette démontre l'absence de différence immédiatement significative tant dans l'esprit des dirigeants de X que dans celui des consommateurs, entre les deux appellations ; que ce moyen mal fondé a donc été à juste titre rejeté ;

Attendu, en effet, sur le délit de tromperie que s'il est incontestable que le terme " vin " ne peut désigner une boisson désalcoolisée élaborée à partir du vin, le délit de tromperie prévu par l'article 1er de la loi du 1er juillet 1905 n'est constitué qu'autant qu'est rapportée la preuve que l'utilisation du mot " vin " en contravention avec sa définition communautaire a eu pour effet d'induire le consommateur en erreur ;

Attendu qu'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que X a commercialisé un produit désalcoolisé obtenu par distillation sous vide à basse température de vin et addition de moûts concentrés, sous étiquette indiquant Produits de France " 0° vin sans l'alcool ", la contre-étiquette portant les mentions " 0° boisson nouvelle à base de vin désalcoolisé naturellement " et une collerette précisant sur une face vin sans alcool - " cette boisson à base exclusive de vin désalcoolisé naturellement doit se consommer et se conserver au frais " ; que les termes " sans alcool " sont rédigés en caractères de même type, de même couleur et de même hauteur que le mot vin, lequel n'est jamais utilisé isolément, formant ainsi avec ce dernier une dénomination composée, ressortant clairement par rapport à d'autres indications, indissociable à l'oeil du consommateur, lequel ne peut dès lors prétendre ignorer l'absence de l'une des qualités substantielles ou de l'un des composants, la non teneur en principes utiles ou la dénaturation du produit qu'il acquiert ; que l'information ainsi donnée quant au vice dénaturant le vin originel est effectivement suffisante à écarter le risque de confusion avec le vin au sens communautaire ; qu'ainsi, l'étiquetage adopté ne peut tromper le consommateur dans l'esprit duquel l'alcool est indissociable du vin ;

Attendu que le délit de tromperie suppose également la conscience chez le prévenu du caractère inexact des qualités qu'il prête au produit incriminé ; qu'en l'espèce, il résulte des déclarations de Bernard Y, directeur général de X, des correspondances échangées que X, passant outre l'avis défavorable de l'Administration laquelle préalablement sollicitée, avait suggéré l'appellation voisine " vin désalcoolisé ", a néanmoins commercialisé la nouvelle boisson sous l'appellation initialement choisie de " vin sans alcool " ; que cette circonstance ne saurait suffire en l'état à caractériser la mauvaise foi de X ; qu'en effet, il est démontré que des produits étrangers sont commercialisés par des Etats membres de la CEE, sous le nom de " entalkoholisierter Wein " ou " alcool-free wine ", laissant supposer que la dénomination vin n'est pas interdite pour de telles boissons ;

Attendu qu'il convient enfin de constater que le tribunal a dû solliciter l'avis de la Cour de justice des Communautés européennes, la nécessité d'un degré d'alcool minimum dans le vin lors de la commercialisation n'ayant jamais été évoquée jusqu'à présent ; qu'il pouvait donc exister un doute dans l'esprit des dirigeants de l'entreprise quant à l'usage du terme " vin " au regard d'un produit nouveau, utilisant des techniques nouvelles sur le marché français ;

Attendu que l'infraction à la loi de 1905 visée à la prévention n'est pas constituée dans tous ses éléments ;

Attendu, sur le délit de publicité mensongère, que la difficulté d'interprétation du mot vin, l'emploi d'une dénomination composée alliant deux expressions contradictoires retirant à la seconde les qualités substantielles de la première, ainsi que l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés, n'apportent pas la preuve que la publicité reprochée ait été de nature à induire le consommateur en erreur ;qu'ainsi le deuxième chef de poursuite n'apparaît pas davantage caractérisé ;

Attendu qu'il convient donc de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du 18 mars 1992.

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de G Roger ; et en matière correctionnelle ; Reçoit l'appel régulier en la forme, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée. Laisse les dépens à la charge du Trésor Public. Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants, 470 - 474 du Code de procédure pénale.