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Décisions

CA Lyon, 7e ch. A, 1 juillet 1992, n° 369

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur général, Organisation générale des consommateurs, Union départementale des associations familiales, Union des consommateurs de la Loire UFC Que Choisir ?, Association Force ouvrière consommateurs de la Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Conseillers :

Mme Vilvert, M. Poudensan

Avoués :

Mes Galy, Guillaume

Avocats :

Mes Moulard, Farre, Mouisset, Dealberti, Jullien.

TGI Saint-Etienne, ch. corr., du 23 janv…

23 janvier 1992

Par jugement en date du 23 janvier 1992, le Tribunal de grande instance de Saint-Étienne a retenu Martine Y épouse Z dans les liens de la prévention pour avoir,

- 1°) à Saint-Étienne, le 6 novembre 1990 :

- fait apparaître dans le journal " 42 " une publicité présentant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs sur la nature, le prix et les conditions de vente des services qui font l'objet de cette publicité et sur la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant :

" pour la première fois une agence matrimoniale est accessible à partir de 900 francs "

alors qu'en réalité il ne s'agissait que d'un seul accès à un fichier Minitel et que cet accès ne durait qu'un mois et qu'en conséquence, le coût du contrat traditionnel normal de douze mois proposé par cette agence s'élevait à 9 600 F ... le tarif de 900 F ne correspondant à aucune des prestations de services que les clients sont en droit d'attendre d'une agence matrimoniale ;

- 2°) à Saint-Étienne, courant septembre, octobre, novembre et décembre 1990, fait paraître 102 annonces matrimoniales non conformes aux prescriptions réglementaires du décret n° 90-442 du 16 mai 1990, en ne mentionnant pas les mentions obligatoires dans les annonces personnalisées : la catégorie d'âge, la situation familiale et professionnelle, la région de résidence et les qualités estimées essentielles de la personne recherchée par le client de l'agence ;

Et, par application des articles 44-I, 44-II alinéa 7, 8, 44-II alinéa 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et l'article 1er de la loi du 1er août 1905, 1 et 4 du décret n° 90-442 du 16 mai 1990 et 6 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989, 463 du Code pénal, 749, 750 du Code de procédure pénale l'a condamnée à :

dix mille francs d'amende, 76 amendes de soixante dix francs chacune,

A ordonné la publication par extraits du jugement dans le journal " 42 " aux frais de la condamnée, le coût de l'insertion ne devant pas dépasser 2 000 F,

Sur l'action civile : le tribunal a condamné la prévenue à payer à chacune des quatre parties civiles la somme de 1 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Le même jugement a condamné la prévenue aux dépens et a fixé la durée de la contrainte par corps conformément à la loi.

Sur les constatations des enquêteurs :

Attendu que Martine Y épouse Z exploite à Saint-Étienne, <adresse>, une agence matrimoniale à l'enseigne X, franchisée de la société du même nom ;

Attendu qu'après examen des publicités insérées par la prévenue dans la presse locale des fonctionnaires de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Loire ont dressé à son encontre, le 9 janvier 1991, un procès-verbal pour délit de publicité mensongère et le 28 janvier 1991 un procès-verbal pour des contraventions au décret n° 90-422 du 16 mai 1990 portant application, en ce qui concerne les offres de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à l'information et à la protection des consommateurs ainsi qu'à diverses pratiques commerciales ;

Attendu, en ce qui concerne le délit, que dans le journal 42 Affaires n° 658 du 6 novembre 1990 paraissait une publicité de l'agence X de Saint-Étienne libellée comme suit : " Parce que nous refusons que votre bonheur dépende d'une question d'argent Pour la première fois une agence matrimoniale est accessible a partir de 900 F " ; que l'enquête révélait que le contrat proposé à ce prix donnait aux bénéficiaires l'accès par Minitel au fichier aussi bien national que régional d'X à l'aide d'un code et d'un mot de passe pendant un mois, que le même service était proposé pendant trois mois au prix de 2 000 F et que le coût d'une " prestation normale " d'une durée d'un an était de 9 600 F ;

Attendu que les fonctionnaires verbalisateurs considèrent que le tarif de 900 F ne correspond à aucune des prestations de services que les clients sont en droit d'attendre d'une agence matrimoniale, à savoir la sélection des candidats au mariage en fonction des critères recherchés et leur présentation, et que, d'autre part, dès lors que l'adhérent utilise le serveur Minitel, il paie non seulement la taxe téléphonique mais en même temps une redevance que perçoit l'agence, ce qui accroît le montant de 900 F annoncé ; que le Ministère public en déduit que la publicité en question est de nature à induire en erreur sur la nature, le prix et les conditions de vente des prestations de services qui en font l'objet et sur la portée des engagements pris par l'annonceur ;

Attendu, en ce qui concerne les contraventions, que les enquêteurs ont constaté dans leur procès-verbal que 102 annonces matrimoniales insérées dans les journaux Plus Contact du 11 septembre 1990 et Le 42 entre le 9 octobre 1990 et le 4 décembre 1990 ne faisaient pas apparaître les mentions rendues obligatoires par l'article 1er du décret n° 90-442 du 16 mai 1990 dans les annonces personnalisées, savoir la catégorie d'âge, la situation familiale et professionnelle, la région de résidence ainsi que les autres qualités estimées essentielles de la personne recherchée par le client de l'agence ;

Sur les prétentions des parties :

Attendu que la prévenue se défend d'avoir commis le délit de publicité mensongère en affirmant avoir agi conformément aux instructions de son franchiseur, en soutenant que la publicité litigieuse n'est pas trompeuse puisque le consommateur bénéficie d'une prestation spécifique mais innovatrice d'agence matrimoniale, en déniant à quiconque le droit de définir une fois pour toutes ce que le consommateur est en droit d'attendre d'une agence matrimoniale et en faisant valoir que le coût d'utilisation du Minitel dépend dans chaque cas de la durée de cette utilisation par le client, raison pour laquelle l'annonce mentionne expressément : " à partir de 900 F " et qu'en aucun cas le prix payé par le client à France Télécom n'est réservé à X ;

Attendu qu'en ce qui concerne les contraventions, la prévenue fait tout d'abord observer que les 26 annonces publiées dans le journal Plus Contact ont été insérées dans la livraison de ce journal du 11 septembre 1989 et non du 11 septembre 1990 et n'entrent donc pas dans les prévisions du décret du 16 mai 1990 qui n'était alors pas encore paru ;

Que, pour le surplus, elle se retranche encore derrière les instructions reçues de la société X et fait valoir que toutes les annonces publiées dans Le 42 étaient réunies entre elles dans un encart accompagné de la phrase suivante : " Toutes ces personnes sont de la région et préfèrent ne pas déterminer les critères tels que l'âge, la région, la situation professionnelle... de ceux et celles qui peuvent leur répondre " ; qu'elle souligne que cette présentation avait été acceptée par la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes lors de précédents contrôles, après vérification du fait que les désirs des adhérents avaient bien été respectés par l'agence ; qu'elle sollicite en conséquence pour le moins la plus grande indulgence de la part de la cour ;

Attendu que les quatre associations de consommateurs qui interviennent en qualité de parties civiles concluent à la confirmation du jugement en son principe et à une augmentation des sommes qu'il leur a allouées ;

Sur le délit de publicité mensongère :

Attendu que, jusqu'à l'intervention de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 et du décret n° 90-422 du 16 mai 1990, aucun texte ne réglementait le courtage matrimonial, bien qu'il s'agisse d'une activité existant de toute éternité ; que les dispositions aujourd'hui applicables à cette profession sont contenues dans un seul article de la loi et quatre articles du décret, ce qui implique que le législateur a entendu réduire au strict minimum indispensable la réglementation en ce domaine et que pour le surplus l'exercice professionnel est entièrement libre ;

Attendu que les documents produits par la prévenue établissent que le client qui souscrit le contrat minimal à 900 F faisant l'objet de la publicité litigieuse a accès par l'intermédiaire du Minitel à l'ensemble du fichier d'X, qu'il peut sélectionner le sexe, l'âge, le niveau de revenu et la profession des adhérents dont il veut consulter la fiche, que chacune des fiches sélectionnées comporte une description du physique et des goûts de l'adhérent concerné, que le client peut entrer en contact avec chacun de ces adhérents par des messages transmis par le Minitel et par la suite communiquer directement avec lui et même le rencontrer si son correspondant y consent, et qu'il a encore à sa disposition, par le biais de la messagerie télématique, des possibilités de loisirs et de rencontres susceptibles d'aboutir à des mariages ou à des unions stables, comme tend à l'établir un constat de Me Chapuis, huissier de justice à Lyon, en date du 6 décembre 1991 concernant six couples qui se sont formés grâce au contrat à 900 F litigieux ;

Attendu qu'il n'appartient pas à la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ni au Ministère Public, de définir ce que le consommateur est en droit d'attendre d'une agence matrimoniale ; que les prestations fournies par ce genre de commerce sont susceptibles de varier en fonction de l'évolution des mours et de celle des techniques ; que la fonction immémoriale d'entremetteur ou d'entremetteuse, à laquelle les fonctionnaires verbalisateurs semblent vouloir confiner les agences matrimoniales, peut parfaitement être complétée ou remplacée par le recours à des moyens de communication nouveaux tels que le Minitel ; que le contrat à 900 F proposé par X, qui donne directement accès à un nombre très important d'informations sélectionnées au préalable en fonction de critères concernant le sexe, l'âge, la situation familiale et professionnelle, le lieu de résidence, les goûts des personnes concernées, offre une sorte de libre-service du courtage matrimonial qui représente en cette matière ce que l'hypermarché est à l'épicerie traditionnelle ; que certes la durée d'un mois est brève, mais qu'aucune considération rationnelle ni expérimentale ne permet d'affirmer qu'elle soit insuffisante ; qu'en tout état de cause, le client attiré par l'annonce - qui spécifie : " à partir de 900 F " - est libre de choisir une durée plus importante ou une autre formule s'il le juge bon, de même que le client d'un hypermarché attiré par la publicité pour le cassoulet William Saurin à un prix déterminé peut choisir en rayon un cassoulet de qualité supérieure de la même marque à un autre prix, ou un cassoulet d'une autre marque, ou un autre plat cuisiné, ou même rien du tout ;

Attendu en conséquence que l'annonce litigieuse n'est pas de nature à induire en erreur quant à la nature et aux conditions de vente des services proposés ni quant à la portée des engagements pris par l'annonceur ;

Attendu qu'elle ne l'est pas davantage quant au prix de ces services, d'une part, parce que, comme l'établissent les contrats versés aux débats par la prévenue, les sommes provenant de la redevance d'utilisation du Minitel qui sont reversés par France Télécom ne profitent pas à X mais seulement aux sociétés de services qui ont conçu et réalisé le service d'information télématique et qui en assurent le fonctionnement et la maintenance, d'une part, parce que l'expression " à partir de 900 F " employée dans la publicité implique que ladite somme est un coût-plancher auquel peuvent le cas échéant s'ajouter d'autres frais, de même qu'au prix d'une prestation traditionnelle d'agence matrimoniale s'ajoutent nécessairement des frais de courrier, de téléphone, de trajets, de restaurant, etc., avant qu'aboutisse le projet de mariage ou d'union stable envisagé ;

Attendu qu'il y a donc lieu à relaxe du chef du délit de publicité de nature à induire en erreur ;

Sur les contraventions :

Attendu que les premiers juges ont à bon droit écarté les vingt-six contraventions concernant des annonces insérées dans Plus Contact à une date antérieure à celle du décret du 16 mai 1990 ;

Attendu, pour le surplus, que, dans le deuxième alinéa de son paragraphe III, l'article 6 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 dispose que toute annonce personnalisée diffusée par l'intermédiaire d'un professionnel pour proposer des rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable précise le sexe, l'âge, la situation familiale, le secteur d'activité professionnelle et la région de résidence de la personne concernée (c'est-à-dire du client de l'agence), ainsi que les qualités de la personne recherchée par elle ; qu'en outre, en vertu du troisième alinéa du même paragraphe, le professionnel doit pouvoir justifier de l'existence d'un accord de la personne présentée par l'annonce sur le contenu et la diffusion de celle-ci ;

Attendu que l'article premier du décret n° 90-422 du 16 mai 1990 énonce que l'annexe au contrat et l'annonce personnalisée mentionnées au paragraphes I et III de l'article 6 de la loi du 23 juin 1989 doivent mentionner la catégorie d'âge, la région de résidence, la situation familiale et professionnelle ainsi que les autres qualités, estimée essentielles par le cocontractant du professionnel, de la personne que recherche le cocontractant ;

Attendu que l'article 4 du même décret punit des peines d'amende de la cinquième classe le professionnel qui :

1° Omet de faire figurer dans l'annexe au contrat prévue par le paragraphe I de l'article 6 de la loi du 23 juin 1989 l'indication des qualités, telles que définies à l'article premier, de la personne que recherche son cocontractant, ...,

4° Diffuse une annonce personnalisée non conforme aux prescriptions du paragraphe III de l'article 6 de la même loi ;

Attendu qu'il résulte du rapprochement de ces textes qu'en ce qui concerne l'annexe au contrat prévue au paragraphe I de l'article 6 de la loi les peines des contraventions de cinquième classe sont applicables à l'agent matrimonial qui omet de faire préciser par son client les qualités, énumérées à l'article premier du décret, qu'il souhaite trouver chez la personne recherchée, mais qu'en ce qui concerne l'annonce personnalisée, l'agent matrimonial n'est punissable que s'il omet d'y mentionner les qualités de la personne recherchée telles que définies au paragraphe III de la loi, la précision figurant au troisième alinéa de ce paragraphe impliquant nécessairement que le client est libre d'accepter ou de refuser d'y faire figurer la catégorie d'âge, la région de résidence et la situation familiale et professionnelle de la personne qu'il recherche ;

Attendu que, pour subtile qu'elle soit, la distinction faite par l'article 4 du décret entre les exigences relatives à l'annexe au contrat et celles relatives à l'annonce personnalisée est logique ; qu'il est en effet indispensable que, pour le guider dans sa recherche, l'agent matrimonial fasse préciser par son client le profil exact de la personne qu'il souhaite rencontrer ; qu'il serait en revanche anormal qu'un libellé trop restrictif de l'annonce personnalisée exclue prématurément certaines réponses possibles et que, par exemple, le client qui envisage de rencontrer une jeune femme divorcée de 25 à 35 ans, exerçant la profession de vendeuse et résidant dans la Loire, renonce d'avance par l'insertion d'une annonce trop ciblée à la possibilité de rencontrer éventuellement une pâtissière célibataire de 24 ans demeurant dans l'Allier ou une employée de bureau veuve de 37 ans habitant la Drôme ou la Basse-Normandie ;

Attendu qu'en l'espèce, dans chacun des numéros du journal Le 42 mentionnés au procès-verbal, les annonces personnalisées insérées par la prévenue étaient réunies dans un même cadre comportant le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de son agence et l'avertissement suivant : " Toutes ces personnes sont de la région et préfèrent ne pas déterminer les critères tels que l'âge, la région, la situation professionnelle... de ceux ou celles qui peuvent leur répondre " ; que, néanmoins, certaines de ces annonces précisaient telle ou telle caractéristique particulière de la personne recherchée : " Vos enfants seront les bienvenus ", ou " Elle souhaite rencontrer homme d'un bon socio-profess., d'environ 35 ans, ouvert et sympa ", ou encore : " un homme libre de 35/40 ans ", ou enfin : " Raffinée mais pas snob..., vous êtes de bon niveau, jolie, environ 30/40 ans, vous avez les mêmes aspirations que Jean... " ;

Attendu que, dès lors qu'elles contiennent de telles indications et précisions, les annonces matrimoniales litigieuses ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 6 paragraphe III de la loi du 23 juin 1989 et de l'article 4, 4°, du décret du 16 mai 1990 ; que, par conséquent, les infractions visées à la prévention ne sont pas caractérisées ; qu'il y a donc lieu à relaxe en ce qui concerne les contraventions comme en ce qui concerne le délit ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Renvoie Martine Y épouse Z des fins de la poursuite du chef de l'ensemble de la prévention ; Déboute les parties civiles de leurs demandes et laisse à leur charge les frais de leur intervention ; Dit que les parties ne supporteront pas les dépens de l'action publique ; Le tout par application des articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 6 paragraphe III de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989, 4 du décret n° 90-422 du 16 mai 1990, 470, 474, 485, 509, 512, 516 du Code de procédure pénale.