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Décisions

CA Bourges, ch. corr., 26 novembre 1992, n° 532-92

BOURGES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boudignon, Escudero

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Couturier

Conseillers :

Mmes Renon, Perrin

Avocats :

SCP Villatte-Liere-Labonne, SCP Lambert-Sorel-Aubert-Pillet-Chamboulive-Vernay Aumeunier.

TGI Chateauroux, ch. corr., du 15 avr. 1…

15 avril 1992

M. D est prévenu :

- d'avoir sur la circonscription judiciaire de l'Indre, courant 1990, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur le descriptif de maisons sises à Viliers indiquant " tout-à-l'égout et téléphone " alors que ces caractéristiques faisaient défaut d'un bien ou d'un service,

infraction prévue et réprimée par les articles 44 I, 44 II alinéas 7 et 8, 44 II alinéas 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905,

- d'avoir sur la circonscription judiciaire de l'Indre, courant 1990, adressé à ses clients des documents relatifs à des prêts immobiliers en omettant d'indiquer certaines mentions obligatoires en l'espèce :

* le coût total du crédit,

* le taux effectif global,

* l'existence du délai de réflexion,

* la subordination de la vente à l'obtention du prêt,

* l'identité du prêteur,

et en faisant référence à " des remboursements comme un loyer " contrevenant ainsi à la législation relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier,

infraction prévue et réprimée par les articles 4 et 30 de la loi du 13 juillet 1979 modifiée par la loi du 31 décembre 1989 ;

Par jugement du 15 avril 1992, le Tribunal correctionnel de Châteauroux l'a relaxé des fins de la poursuite après avoir constaté la nullité du procès-verbal dressé le 11 mars 1991 par les contrôleurs de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Indre ;

A l'audience M. Escudero a déclaré se désister de son appel suite à la transaction intervenue avec le prévenu ;

Mlle Boudignon sollicite la réformation de la décision de première instance et demande à la Cour de :

- rejeter l'exception de nullité,

- dire que le délit de publicité mensongère est établi par les termes du procès-verbal établi le 16 septembre 1991 par un officier de police judiciaire ;

- condamner M. D à payer la somme de 102 221,08 F avec indexation représentant le coût des travaux à réaliser outre 20 000 F en réparation du préjudice de jouissance et 6 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Elle fait valoir que les dispositions de l'ordonnance de 1986 ne s'appliquent pas aux délits prévus par la loi du 27 décembre 1973 et que le prévenu ne justifie pas que la non-remise d'un exemplaire du procès-verbal porte atteinte aux droits de la défense ;

Elle soutient que les juges du fond peuvent fonder leur conviction sur le procès-verbal d'audition de M. D dressé par un officier de police judiciaire et dans lequel le prévenu reconnaît les faits qui lui sont reprochés ;

Elle rappelle enfin que son immeuble ne comporte qu'une fosse étanche, alors que l'assainissement nécessite l'installation d'une fosse toutes eaux;

M. l'Avocat général a requis la réformation du jugement déféré ;

Il expose que le procès-verbal fondant les poursuites n'est pas nul car le prévenu était parfaitement informé des faits reprochés d'autant qu'en matière de publicité mensongère les textes n'exigent pas qu'un double du procès-verbal soit remis au contrevenant ;

Il rappelle que le prévenu, s'il n'est pas démontré qu'il ait fait preuve de mauvaise foi, est un professionnel tenu à certaines obligations ;

Le prévenu conclut à la confirmation de la décision de relaxe pour nullité des procès-verbaux ;

Subsidiairement, en ce qui concerne l'infraction de publicité mensongère, il sollicite, eu égard à sa bonne foi, une dispense de peine ;

Il demande que Mlle Boudignon soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions ;

In limine litis, il reprend ses arguments sur la nullité de la procédure au motif qu'aucune des dispositions prévues par les articles 45 alinéa 1, 46 et 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'a été respectée et que cette inobservation porte incontestablement atteinte aux droits de la défense ;

Il ne conteste pas que la publicité adressée à deux clients de son agence comportait une erreur matérielle mais estime que celle-ci est imputable au négociateur chargé du secteur alors que lui-même n'est pas intervenu dans les diverses transactions ;

Il prétend que la présence d'une fosse étanche dans l'immeuble acquis par Mlle Boudignon interdit de retenir que le tout-à-l'égout est constitutif d'une qualité substantielle ;

Il fait valoir que la loi du 31 décembre 1989 n'est entrée en application que le 1er mars 1990 et qu'il n'est pas établi que les publicités incriminées au regard de l'information des emprunteurs aient été diffusées après cette date et que, par ailleurs, lesdites publicités ne portent pas sur les prêts visés par la loi ;

Il soutient que le préjudice invoqué par Mlle Boudignon n'est pas constitué dès lors qu'il est impossible d'installer une fosse sceptique faute de terrain attenant et que le seul inconvénient actuel est représenté par le coût de vidange de la fosse étanche existante ;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu qu'il y a lieu de donner acte à M. Escudero de son désistement d'appel ;

Sur l'action publique :

Attendu que le 18 décembre 1990, M. Escudero a déposé plainte auprès du service de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de l'Indre, exposant avoir acquis par l'intermédiaire de l'agence X une maison située à Villiers dont le descriptif indiquait " tout-à-l'égout - téléphone " alors que ces équipements n'existaient pas ;

Que le 28 février 1991, le même service recevait la plainte de Mlle Boudignon, cliente de la même agence pour un autre immeuble situé à Villiers et victime de la même publicité erronée ;

Qu'au cours de leurs investigations, les contrôleurs de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes constataient que les documents remis aux clients de l'agence X dont le responsable est M. D indiquaient une possibilité de crédit sans comporter certaines mentions obligatoires et en faisant état de " remboursements comme un loyer " alors que la loi du 31 décembre 1989 prohibait cette formule ;

Qu'ayant constaté à l'audition de M. D le 22 janvier 1991, ces deux fonctionnaires rédigeaient le 13 mars 1991 un procès-verbal transmis à M. le Procureur de la république de Châteauroux qui requérait l'audition de M. D par un officier de police judiciaire, formalité qui fut accomplie le 16 septembre 1991 ;

Sur l'exception de nullité :

Attendu que M. D a soulevé la nullité de ce procès-verbal faisant valoir qu'il n'était ni daté ni signé ; qu'il avait été rédigé dans un délai très long et qu'enfin aucun double ne lui avait été remis ;

Attendu que l'ordonnance du 1er décembre 1986 en ses articles 45 alinéa 1, 46 et 47 dispose que les procès-verbaux d'infraction doivent être rédigés dans les plus brefs délais, datés et signés, énoncer précisément les constatations effectuées et qu'un double est laissé aux parties intéressées ;

Qu'en l'espèce, le procès-verbal litigieux est daté du 11 mars 1991 ;

Que la première plainte date du 18 décembre 1990,que l'audition du mis hors de cause a eu lieu le 28 janvier 1991 et fut suivie d'une seconde plainte déposée le 28 février 1991 ;

Que le procès-verbal établi dans les quinze jours suivants a bien été rédigé dans le délai le plus court ;

Que, s'il ne comporte pas la signature de M. D, il n'apparaît pas que cette seule absence soit constitutive d'une atteinte aux droits de la défense ;

Mais attendu qu'il est constant qu'aucun double de ce procès-verbal n'a été remis à M. D ;

Que ce manquement constitue nécessairement par lui-même une atteinte aux droits de la défense entachant ledit procès-verbal de nullité ;

Attendu cependantque cette nullité ne saurait affecter le procès-verbal du 11 mars 1991 en son entier,celui-ci continuant de subsister dans les constatations régulières qu'il contient dès lors qu'elles sont indépendantes des constatations faites dans les conditions contraires à la loi et qu'elles suffisent pour révéler l'existence d'une infraction ;

Que le procès-verbal du 13 mars 1991 constate deux séries d'infractions distinctes, l'une en matière de publicité, l'autre relative à l'information des emprunteurs dans le domaine immobilier ;

Que, selon l'article 34 de la loi du 13 juillet 1979, ces dernières infractions sont constatées dans les conditions prévues par la loi du 10 janvier 1978 relative à la protection des consommateurs dans le domaine du crédit laquelle, en son article 26 se réfère expressément aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 susvisées ;

Qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1979, les infractions en matière de publicité relèvent procéduralement des dispositions de l'article 44 II de la loi du 27 décembre 1973 qui n'exige pas un double du procès-verbal soit remis au contrevenant ;

Attendu en conséquenceque l'irrégularité tenant à la non-remise d'un double de la procédure n'affecte que la constatation des infractions à l'information des emprunteurs pour lesquelles une relaxe doit intervenir au profit de M. D ;

Que, par contre, les poursuites parfaitement régulières au titre de la publicité subsistent d'autant qu'elles sont étayées par le procès-verbal d'audition de M. D par un officier de police judiciaire ;

Attendu que le prévenu n'a pas contesté que les descriptifs d'immeubles envoyés à M. Escudero et à Mlle Boudignon comportaient une erreur en indiquant un tout-à-l'égout qui n'existait pas ;

Que, si cette erreur peut être matériellement imputée à un négociateur, il n'en reste pas moins que M. D, professionnel de l'immobilier et responsable de l'agence Amandine avait l'obligation, avant de diffuser ses publicités, d'en vérifier le contenu et de s'assurer de leur sincérité ;

Que l'infraction qui ne nécessite pas l'existence d'une mauvaise foi caractérisée est donc parfaitement constituéeet justifie à l'encontre du prévenu qui n'a pas de condamnation à son casier judiciaire le prononcé d'une peine d'amende de 10 000 F ;

Sur l'action civile :

Attendu que la publicité erronée diffusée par le prévenu a incontestablement causé un préjudice à Mlle Boudignon qui a acquis un immeuble ne comportant pas l'intégralité des équipements annoncés au descriptif ;

Que sa constitution de partie civile est donc recevable et fondée ;

Qu'elle réclame le coût d'installation d'une fosse toutes eaux qui, en l'absence de terrain attenant à l'immeuble, devrait se faire dans l'ancienne salle de bal d'où nécessité de travaux de maçonnerie et de charpente, le tout représentant plus de la moitié du prix d'acquisition de l'immeuble ;

Mais attendu que s'il est constant que la commune de Viliers n'était pas équipée du tout-à-l'égout, il apparaît que l'immeuble, à ancien usage de bar, disposait d'une fosse étanche d'une certaine capacité mais devant être vidangée périodiquement ;

Que l'immeuble n'est donc pas dépourvu de tout système d'évacuation rendant impératif, pour qu'il soit habitable, l'installation d'une fosse sceptique ;

Que le préjudice de Mlle Boudignon est lié aux inconvénients inhérents au système archaïque que constitue une fosse étanche et peut être fixé à 30 000 F ;

Attendu qu'il paraît équitable de lui allouer une somme de 2 000 F au titre des frais qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré ; Donne acte à M. Escudero de son désistement, Reçoit Mlle Boudignon et le Ministère public en leurs appels respectifs déclarés réguliers ; Au fond, Sur l'action publique : Réforme pour partie la décision déférée et statuant à nouveau, Fait partiellement droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu ; Le relaxe des fins de la poursuite pour non respect de la législation relative à l'information des emprunteurs dans le domaine immobilier ; Le déclare coupable de publicité mensongère ; En répression le condamne à une amende de 10 000 F ; Dit que la contrainte par corps sera exercée s'il y a lieu ; Sur l'action civile : Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau ; Reçoit Mlle Boudignon en sa constitution de partie civile et la déclare fondée ; Condamne M. D à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-14 du Code de procédure pénale ; Condamne M. D aux dépens de l'action publique et de l'action civile.