CA Paris, 13e ch. A, 15 décembre 1992, n° 2222-92
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Gadol Optic 2000 (Sté), François Kuntz (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cerdini
Conseillers :
M. McKee, M. Valantin
Avocats :
Mes Cauly, Romnicianu.
Rappel de la procédure
Le jugement :
Le tribunal a déclaré Jacques Y coupable de publicité de nature à induire en erreur pour avoir affirmé, s'agissant de matériel d'entretien des lentilles de contact : " Prix spécial - remise X 25 % - 998 F " en dehors de tout prix de référence, délit commis courant 1988 à Paris, l'a relaxé pour le surplus,
Et l'a condamné à la peine de : 10 000 F d'amende, l'a dispensé de publication ;
Sur l'action civile :
Le tribunal a déclaré régulières en la forme et recevables les constitutions de parties civiles de Gadol Optique 2000 et de la SARL François Kuntz, au fond, rejetant comme non fondés toutes autres chefs de demandes fins et conclusions, a condamné Jacques Y à payer à chacune des parties civiles 1 F à titre de dommages-intérêts et 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à Gadol Optique 2000 ;
Le tribunal a condamné le prévenu aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de : 719,10 F ;
Il est rappelé que le 3 février 1989 la société Gadol Optic 2000, société anonyme coopérative regroupant environ 200 opticiens lunetiers détaillants répartis en France et un de ses associés la SARL François Kuntz se sont constitués partie civile contre une société concurrente dite " X " à la suite de la diffusion par cette dernière courant 1988 auprès des médecins spécialistes d'une plaquette intitulée " X catalogue Lentilles " et de la diffusion à la clientèle par les diverses succursales de X implantées sur le territoire national d'un prospectus dépliant, ces deux documents contenant, selon les parties civiles, des affirmations, à caractère publicitaire, mensongères ou de nature à induire les consommateurs en erreur.
Aux termes de l'information ouverte à la suite de cette plainte, le juge d'instruction, par ordonnance du 7 octobre 1991 a renvoyé, devant le tribunal correctionnel, le président du conseil d'administration de X, M. Jacques Y, uniquement des chefs d'avoir :
- à Paris et sur le territoire national dans le courant de l'année 1988 et depuis temps non couvert par la prescription :
- effectué une publicité comportant des allégations, indications, présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles, le prix et les conditions de vente de lentilles de contact ainsi que sur la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant :
- " X partout en France ", alors que la société n'a aucune agence en Limousin et en Basse-Normandie ;
- " Livraison immédiate ", alors que certains clients n'ont obtenu la délivrance de leurs prothèses que dans un délai minimal de 48 heures ;
- " Disponibilité immédiate des systèmes d'entretien ", alors qu'un client n'a pu les acquérir auprès de l'agence X dans les locaux de laquelle il s'était présenté ;
- sous une photo représentant un kit d'entretien :
- " Prix spécial - remise X 25 % - 998 F ", en omettant ainsi de faire apparaître clairement le prix de référence ;
Le prévenu sollicite par conclusions sa relaxe, l'infraction n'étant pas, à ses yeux, établie. Il demande également de déclarer la société Gadol Optic 2000 et la société Kuntz irrecevables en leur constitution de partie civile.
Celles-ci de leur côté réclament 1 franc à titre de dommages-intérêts, 60 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et la publication de l'arrêt à intervenir aux frais du prévenu dans deux journaux de diffusion nationale.
Discussion :
Sur le caractère publicitaire des supports :
Considérant que le prévenu soutient que les deux documents diffusés par X n'ont pas de caractère publicitaire puisque les lentilles ne sont délivrées que sur prescription médicale, que celle-ci ôte à l'acheteur toute latitude dans le choix de son achat et que la véritable clientèle de X est le médecin ophtalmologiste qui dirige son patient sur X.
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que " le caractère au moins partiellement publicitaire de ces documents se révèle clairement à leur examen ;qu'en effet, s'agissant du catalogue prétendument réservé aux professionnels, il comporte, certes, une partie informative et technique s'adressant manifestement aux médecins ophtalmologistes, mais aussi en ses pages 1 à 4, des mentions purement publicitaires louant les services rendus au consommateur par X ;que le dépliant, à supposer, ainsi que le soutient le prévenu, qu'il n'est remis qu'au patient déjà muni d'une ordonnance d'un ophtalmologiste et ne constitue à son seul égard qu'une notice d'entretien des lentilles, il apparaît, d'une part, qu'il peut parfaitement faire l'objet d'une véritable diffusion, ne serait-ce que par l'intermédiaire d'autres clients potentiels, d'autre part, qu'y figurent non seulement des indications techniques et pratiques relatives à l'usage et à l'entretien de la prothèse, mais aussi des indications, affirmations et indications propres à vanter les services fournis par X "
Que, par ailleurs, le fait que les lentilles ne sont délivrées que sur ordonnance médicale n'enlève rien au caractère publicitaire du dépliant dans la mesure où tout patient muni d'une ordonnance médicale délivrée par un médecin ne connaissant pas X peut s'adresser à cette dernière pour y obtenir la prothèse ordonnée.
- Sur le premier grief (implantation des points de vente) :
Considérant que les parties civiles soutiennent que la mention " X partout en France " a un caractère mensonger ou trompeur dans la mesure où aucune succursale n'est implantée en Basse-Normandie et en Limousin alors que les villes de Limoges et de Caen comportent plus de 100 000 habitants chacune et que plusieurs ophtalmologistes y exercent.
Considérant cependant que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que ce grief n'est pas fondé ; l'affirmation " X partout en France " formant manifestement un tout avec la liste qui la suit comportant adresse et numéro de téléphone des 26 agences X en France métropolitaine, liste qui précise clairement les limites de l'expression incriminée dont le caractère hyperbolique est immédiatement corrigé et ramené à sa véritable portée.
Considérant également que c'est à tort que les parties civiles soutiennent que le caractère trompeur de cette publicité résulterait de la disproportion des caractères employés entre le slogan publicitaire et la liste des 26 agences.
Qu'en effet, s'il est exact que les caractères typographiques utilisés pour l'énumération des agences sont plus petits que ceux du slogan, cette différence n'apparaît pas, aux yeux de la cour, disproportionnée, les unes et les autres étant parfaitement lisibles, et insusceptibles d'induire les consommateur en erreur.
- Sur le deuxième grief (livraison immédiate) :
Considérant qu'il ressort des investigations faites en cours d'instruction, notamment de la consultation des fiches du magasin et de l'audition des clients, que les lentilles sont parfois livrées immédiatement lorsqu'il s'agit de lentilles ordinaires ou standard lesquelles représentent un très faible pourcentage des ventes, souvent dans un délai de deux jours à une semaine et quelquefois au bout d'un mois.
Considérant que le prévenu explique qu'il est tributaire de la procédure adoptée (prescription du médecin - prise de contact du client avec X - façonnage des lentilles), que les lentilles nécessitant un façonnage particulier demandent un certain délai de livraison et soutient qu'en cette matière la notion " immédiat " ne peut avoir la même signification que pour un produit de consommation courante.
Considérant cependant que le fait de mettre en avant le caractère immédiat de la livraison des lentilles alors que seules peuvent être livrées immédiatement les lentilles standard et ainsi de présenter comme habituel un délai de livraison qui ne s'applique qu'à un faible pourcentage des ventes, est de nature à induire en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur le consommateur moyennement intelligent avisé et attentif qui, s'il n'ignore pas que certaines lentilles peuvent nécessiter un façonnage plus ou moins complexe, est conduit par cette publicité à considérer que chez X les délais de livraison sont plus rapides que chez ses concurrents.
- Sur le troisième grief (disponibilité immédiate de systèmes d'entretien)
Considérant que le dépliant publicitaire porte la mention " tous les systèmes d'entretien sont disponibles en permanence dans votre agence X ".
Que les vérifications effectuées au cours de l'information ont amené la saisie au siège de X de listes de produits d'entretien avec les quantités de ces produits figurant chez X.
Qu'il ressort de l'examen de ces listes que pour de très nombreux produits les quantités détenues par X étaient nulles au 19 octobre 1990.
Qu'il était de même pour deux autres agences les 23 octobre et 22 novembre 1990, chacune d'entre elles manquant d'une quarantaine de produits d'entretien.
Considérant dès lors que c'est à tort que les premiers juges ont conclu à l'inanité de ce grief au motif qu'un seul client n'avait pu acheter le matériel d'entretien qu'il désirait alors qu'il s'agit d'un client sur les neufs entendus et que la publicité incriminée était mensongère en ce qu'elle affirmait que X disposait en permanence de tous les systèmes d'entretien alors qu'il a été démontré que de nombreux systèmes d'entretien ne figuraient pas dans les stocks de cette société.
Qu'ainsi l'infraction est également réalisée de ce chef, la publicité incriminée induisant le consommateur en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur.
- Sur le quatrième grief (remise 25 %) :
Considérant que le prévenu soutient que la mention publicitaire incriminée ne comporte aucune ambiguïté de nature à induire en erreur l'acheteur sur l'engagement pris par l'annonceur aux motifs que :
- l'acheteur est en mesure d'opérer l'addition du coût de chacun des éléments pris isolément et affiché dans l'agence, et, au terme d'un calcul simple, de s'assurer que le prix de 998 F proposé correspond bien à une remise de 25 % sur le prix des deux éléments additionné : 1 331 F,
- si l'acheteur n'est pas en mesure d'opérer cette constatation, le vendeur rencontré sur place pourra le renseigner sur la remise de 25 % annoncée.
Considérant que, selon les parties civiles, la mention incriminée est illicite par défaut de mention de [prix de] référence si le dépliant constitue une publicité faite sur les lieux de vente ou par défaut de mention de la durée de réduction de prix si le dépliant constitue une publicité faite en dehors des lieux de vente de par sa vocation à circuler de moins en moins.
Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges, après avoir souligné qu'étant saisis " uniquement d'infraction à la loi du 27 décembre 1973 il importe peu de savoir si Jacques Y devait ou non (au regard des textes relatifs aux prix et à l'information des consommateurs sur ce point, selon que la publicité est faite ou non sur les lieux de vente) faire figurer un prix de référence, mais de rechercher si le consommateur défini in abstracto par la jurisprudence pouvait être induit en erreur par l'affirmation contestée ou si - a fortiori - celle-ci était mensongère " ;
Qu'ils estiment que l'examen intrinsèque de la publicité leur " permet de constater que, contrairement à l'affirmation du prévenu, le prix individuel de chacun des éléments objets de la publicité ne figure pas sur celle-ci et surtout que l'absence totale de tout prix de référence est de nature à créer l'ambiguïté sur le point de savoir sur quoi s'applique la réduction annoncée de 25 %, cette offre pouvant tout aussi bien être comprise comme concernant un prix de référence en l'espèce inconnu, et aboutissant à un prix de vente de 998 F pris comme référence ;
Que l'existence d'une telle ambiguïté est de nature à induire en erreur sur l'engagement pris par l'annonceur et dès lors, de ce chef, l'infraction est réalisée dans tous ses éléments, Jacques Y n'apportant par ailleurs aucun élément de nature à combattre efficacement la présomption de mauvaise foi qui pèse sur lui.
Sur la sanction :
Sur la peine :
Considérant en répression que la cour estime que les faits reprochés au prévenu justifient une amende de 100 000 F (cent mille francs) ;
Qu'il y a lieu d'ordonner la publication du présent arrêt dans les journaux Le Monde et Le Figaro aux frais du prévenu.
Sur l'action civile :
Considérant que le prévenu, à l'appui de ses conclusions tendant à voir déclarer irrecevables les parties civiles, soutient que la société Gadol est un organe coopératif et que la société Kuntz n'établit pas avoir souffert de la publicité incriminée ni l'existence d'un lien de causalité entre son préjudice et l'infraction.
Considérant que les parties civiles sollicitent chacune 1 franc à titre de dommages-intérêts, la publication dans deux journaux de diffusion nationale de l'arrêt à intervenir aux frais du prévenu et la société Gadol 60 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Considérant que les statuts de la SA Gadol prévoient " la fourniture à ses associés de tout produit, service ou équipement nécessaire à leur profession d'opticiens lunetiers détaillants ".
Que cette société est donc bien victime des agissements du prévenu dans la mesure où, fournissant des lentilles et des systèmes d'entretien à ses associés, la publicité incriminée avait pour but d'amener à l'annonceur la clientèle des autres opticiens.
Considérant que la SARL Kuntz qui exploite un fonds d'optique lunetterie est également une victime directe de ces mêmes faits.
Que le droit de se constituer partie civile en matière de publicité de nature à induire en erreur n'est pas réservé à l'acheteur du produit mais appartient également au commerçant concurrent qui a subi un préjudice découlant des faits, objet de la poursuite.
Que ces deux sociétés sont donc recevables à se constituer partie civile.
Considérant que leur préjudice sera réparé par l'attribution à chacune du franc qu'elles sollicitent.
Que l'équité commande d'allouer à la SA gadol la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels interjetés, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du chef de publicité de nature à induire en erreur pour avoir affirmé s'agissant de matériel d'entretien de lentilles de contact " Prix spécial - remise X 25 % - 998 F, en dehors de tout prix de référence ", Le réformant pour le surplus le déclare coupable de la même infraction pour avoir affirmé, s'agissant de lentilles de contact que leur livraison était immédiate et s'agissant des systèmes d'entretien des lentilles qu'ils sont tous disponibles en permanence dans les agences X, Le condamne de ce chef à 100 000 F (cent mille francs) d'amende, Ordonne la publication du présent arrêt dans les journaux Le Monde et Le Figaro aux frais du prévenu, Le condamne en outre, à payer à chacune des parties civiles, le franc de dommages-intérêts et à la SA Gadol la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne le prévenu aux dépens liquidés à la somme de : 448,48 F.