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Décisions

CA Douai, 6e ch. corr., 25 avril 1991, n° 458

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Dieudonné

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Corroller

Conseillers :

MM. Bastide, Lambret

Avocats :

Mes Perrin, Carpentier.

TGI Lille, ch. corr., du 8 juin 1990

8 juin 1990

Il est reproché à Anselme D en sa qualité de gérant de la SARL W et à Jean-Paul J, en sa qualité du directeur du marketing au sein de cette société, d'avoir à Tourcoing courant janvier 1989, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, effectué une publicité comportant des présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur la portée des engagements pris par l'annonceur en l'espèce en faisant accroire à chaque destinataire d'un dépliant publicitaire expédié dans le cadre " du grand jeu de Printemps " qu'il gagnait le premier prix de 80 000 F alors que la très grande majorité d'entre eux ne devait recevoir qu'un lot de consolation (un foulard ou un vide poche).

Par jugement contradictoire à leur égard en date du 8 juin 1990, le Tribunal correctionnel de Lille a renvoyé D et J des fins de la poursuite.

Les parties civiles ont, en conséquence, été déboutées de leur demande.

Cette décision a été successivement frappée d'appel par le Ministère public le 10 juillet 1990 et par la partie civile Pierre Dieudonné, qui s'était constituée partie civile, par lettre, le 27 décembre 1990, avant signification de la décision à l'intéressé qui est intervenue le 31 janvier 1991.

Devant la cour, D et J comparaissent assistés de leur conseil.

La partie civile Dieudonné est régulièrement représentée.

La partie civile sollicite la somme de 80 000 F en réparation de son préjudice.

Les prévenus demandent la confirmation de la décision entreprise.

Décision

I. Sur l'action publique

A) Les faits et la culpabilité :

Du 16 janvier au 31 mai 1989, la société de vente par correspondance X ayant son siège à Tourcoing organisait un jeu intitulé " Grand Jeu de Printemps ".

Les destinataires de la publicité au nombre de plusieurs centaines de milliers, recevaient un document publicitaire composé de 4 feuillets.

En page 1, le client était informé qu'il avait gagné,

En page 2 et 3, la société précisait les modalités d'organisation du jeu, en reproduisant les clichés des lots mis en jeu,

En page 4, étaient reproduits un bon de participation et un bon de commande.

L'un des clients de la société X, M. Dieudonné, domicilié à Granges-sur-Vologne (88), destinataire de ce document, déposait plainte le 2 mai 1989 auprès du Parquet de Saint-Die puis auprès de la Direction départementale de la concurrence et de la consommation du département des Vosges et un procès-verbal d'infraction était établi le 30 juin 1989 pour publicité mensongère.

Plusieurs autres clients saisissaient les autorités judiciaires et leurs poursuites étaient centralisées à Lille, ressort du siège social de l'entreprise.

Les réclamations visaient notamment la première page du document publicitaire comportant les termes suivants :

- Monsieur (suivi du nom du client) vous avez gagné ! (point d'exclamation) 80 000 F sur un livret d'épargne ouvert à votre nom ? (point d'interrogation)

- En caractère typographiques de 2 mm " en effet votre numéro ... est gagnant et je peux donc vous l'affirmer officiellement si vous avez gagné le premier prix

- en caractères typographiques gros de 4 mm " l'original du livret majoré des intérêts dus, vous sera remis par André X".

- En caractère typographique de 2 mm " Notez que le virement a déjà été effectué par X, tournez vite et regardez ce que vous pouvez gagner en plus de votre lot au bonus rapidité".

Sur cette première page étaient en outre reproduits :

1) - un extrait du livret d'épargne ouvert au nom du client, suivi d'un point d'interrogation, faisant état du virement du premier prix à la date du 10 janvier 1989 d'un montant de 80 000 F.

2) - ainsi qu'une attestation de provision bancaire, de même montant, signée du directeur financier de W et précisant que les fonds avaient été versés en banque en vue d'approvisionner le livret du gagnant. Par conclusions écrites déposées devant les premiers juges, Anselme D gérant de la SARL X et Jean-Paul J, responsable du marketing au sein de cette société ont sollicité leur relaxe.

D s'est prévalu d'une délégation de responsabilité par laquelle il s'est déchargé de l'organisation du marketing de l'entreprise sur J.

Au fond, tant D, dans la mesure où la délégation ne serait pas admise, que J ont soutenu que l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 n'était pas applicable dans le cas d'un concours gratuit non lié à une obligation d'achat organisé par une société de vente par correspondance.

A titre subsidiaire, ils ont fait valoir que la lecture des différents documents ne permettait pas de conclure au gain du gros lot par le destinataire de la publicité.

1) Sur la délégation de pouvoirs

En matière de publicité mensongère, le chef d'entreprise peut invoquer à son profit une délégation de pouvoirs.

Il lui appartient toutefois de rapporter la preuve de son existence et si cette preuve n'est certes subordonnée à aucune forme particulière telle que la forme littérale, la charge de cette preuve, néanmoins, lui incombe.

Au cas particulier, Anselme D, qui n'a fourni, au cours de l'enquête, aucun écrit au soutien de ses dires, a pris soin de préciser devant la cour que cette délégation était orale sans produire, à l'appui de ses allégations, le moindre élément de preuve permettant de conforter son assertion.

En l'absence de tout élément venant accréditer de telles affirmations, la cour ne peut, en conséquence, que constater que cette preuve n'est pas rapportée.

2) - Sur la publicité :

Le tribunal a jugé, à bon droit, par des motifs que la cour adopte, que l'opération constituait une publicité ou une annonce soumise en tant que telle aux dispositions générales de l'article 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973.

Le message développé qui, de prime abord peut être perçu comme un galimatias, implique en réalité une parfaite maîtrise de la syntaxe.

Oeuvre d'un esprit rompu à la sémantique qui a su exploiter à l'extrême les subtilités de la langue française pour forger un texte qui dit tout et son contraire, il traduit la volonté évidente d'induire en erreur le consommateur à qui il est destiné afin de l'inciter à passer commande.

A la lecture de la première page, selon la perception qui est la sienne, le lecteur peut, en effet, tout aussi bien penser qu'il a d'ores et déjà gagné 80 000 F ou qu'il les a peut-être gagnés.

A cet égard, l'emploi du terme " Si " dans le paragraphe " En effet votre numéro ... est gagnant et je peux vous l'affirmer officiellement, si vous avez gagné ", suivi d'un paragraphe imprimé en caractère typographiques plus épais " l'original du livret majoré des intérêts dus, vous sera remis par André X ", est particulièrement significatif.

Le terme " Si " en langue française est, il convient de le rappeler, tout à la fois une conjonction introduisant une subordonnée indiquant la condition d'un état et un adverbe exprimant oui en réponse à une négation.

Selon que le consommateur lit d'un seul trait les deux paragraphes qui ne sont séparés par aucune ponctuation ou qu'il les dissocie, il peut, dès lors, donner une interprétation totalement contradictoire du texte soumis à sa lecture.

Qu'il soit ainsi persuadé, à tort, d'être, au seul vu de la lecture de la première page du document, le gagnant du premier lot et incité d'ores et déjà à commander, ou qu'il continue de procéder à son examen, le consommateur est victime d'un message fallacieux.

Dans le second cas, en effet, la lecture des pages suivantes à laquelle il est poussé à se livrer le voit, à nouveau, confronter à une publicité dont les éléments n'ont d'autres but que d'entretenir l'ambiguïté.

Les pages 2 et 3 du document comportent, de fait, des clichés photographiques qui s'attachent à mettre en exergue les lots de grande valeur et il faut se reporter à l'extrait du règlement publié en caractères peu perceptibles à la vue pour apprendre que la dotation du jeu comprend outre ces lots offerts en un exemplaire (80 000 F sur un livret d'épargne, une croisière sur le Nil, un collier en or massif, une chaîne hi-fi, un caméscope, un service à café en métal argenté, un sac en crocodile) de nombreux foulards et de nombreux vide poches.

Le consommateur moyen, s'il n'est pas déjà persuadé d'avoir gagné le gros lot, reste, à tout le moins, convaincu qu'il a de grandes chances d'être rendu destinataire d'un des autres lots de valeur importante alors que, dans la pratique, compte tenu des centaines de milliers de destinataires de la publicité, sa chance de les gagner est des plus minimes.

En l'état de l'ensemble de ces constatations d'où il résulte que le mode de présentation, les éléments de fond et de forme de cette publicité n'ont, pour autre but, que de créer l'imprécision, l'ambiguïté et la confusion dans l'esprit du consommateur quant aux allégations qui en sont l'objet et sont de nature à l'enduire en erreur au moment où il passe, le cas échéant, commande, sur le lot dont il sera rendu destinataire, le délit prévu à la prévention est constitué.

Anselme D qui, en sa qualité de gérant de la SARL, a pris la décision d'engager des moyens de première importance dans la campagne publicitaire incriminée, et auquel il appartenait en l'absence de délégation de pouvoirs dont il n'apporte pas la preuve de veiller personnellement au respect de la réglementation en vigueur en sera déclaré coupable.

Jean-Paul J qui, de par ses fonctions subalternes d'exécutant, n'était pas en mesure de s'opposer à son déroulement, sera renvoyé à des fins de la poursuite.

Les pénalités :

Compte tenu des circonstances de l'infraction et de la personnalité du prévenu, dont le casier judiciaire ne fait état d'aucune condamnation, une condamnation de 1 000 F d'amende assortie du bénéfice du sursis constituera une juste répression.

La publication du présent arrêt sera ordonnée selon les modalités prévues au dispositif.

Sur l'action civile :

La partie civile, Pierre Dieudonné, sera reçue en sa constitution.

En l'état des éléments de la cause la cour est en mesure de fixer à 1 000 F le montant de son préjudice.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement entrepris; Sur l'action publique : Déclare Anselme D coupable du délit prévu et réprimé par l'article 44 de la loi 73 1123 du 27 décembre 1973 qui lui est reproché - En répression le condamne à la peine de 1.000 Francs d'amende qui sera assortie du bénéfice du sursis; - ordonne la publication aux frais du condamné du présent arrêt dans la gazette de la région du Nord, sans que le coût de cette publication puisse excéder 1 000 F; Renvoie des fins de la poursuite, Jean-Paul J. Sur l'action civile, Condamne Anselme D à payer à Pierre Dieudonné, en réparation de son préjudice, la somme de 1 000 F. Condamne D aux frais de première instance et d'appel à l'exception des frais concernant J qui resteront à la charge de l'Etat.