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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 30 septembre 1992, n° 92-3355

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cerdini

Conseillers :

M. Mc Kee, Mme Guirimand

Avocat :

Me Veil.

TGI Paris, 31e ch., du 20 févr. 1992

20 février 1992

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal a :

Relaxé M Philippe du chef de refus de communication de pièces ;

Déclaré M Philippe coupable d'avoir, à Paris et sur le territoire national courant avril 1987 à courant septembre 1987, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles d'un produit en indiquant faussement dans le dossier X " Musique en balade 1987 " que le baladeur Sony D 100 avait un comportement en balade excellent selon les tests du laboratoire d'essais de X qui avait particulièrement mesuré la stabilité de lecture de baladeurs lors de mouvements brutaux,

et par application des articles 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973, article 1er de la loi du 1er août 1905 ;

l'a condamné à 20 000 F d'amende ;

Ordonné aux frais du condamné, la publication du jugement par extrait, dans le journal Le Figaro ;

Déclaré Jean-Jacques P coupable d'avoir, à Paris, courant 1989, refusé de communiquer les documents demandés par les contrôleurs de la DGCCRF en l'espèce les photographies des factures d'achat relatives au baladeur Sony D 100,

et par application des articles 44-II de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905 ;

L'a condamné à 10 000 F d'amende ;

Condamné les prévenus, chacun pour moitié, aux frais envers l'Etat, liquidés à la somme de 412,96 F en ce compris les droits de poste et fixe ;

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Considérant que, le 20 février 1992, Philippe M et Jean-Jacques P ont régulièrement relevé appel du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris (31e Chambre);

Considérant que le Ministère public a également relevé appel de la décision, dans les formes et délais de la loi, à l'égard des deux prévenus ;

Considérant, en premier lieu, qu'il est reproché à Philippe M d'avoir, d'avril à septembre 1987, à Paris, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire sur les qualités substantielles d'un produit, en indiquant faussement dans un document intitulé " dossier X " : " Musique en balade 1987 " que le baladeur de marque Sony D 100 avait un comportement en balade excellent, selon les tests de laboratoire X ;

Considérant qu'il est, en second lieu, reproché à Philippe M et à Jean-Jacques P d'avoir, à Paris, dans le courant de l'année 1989, refusé de communiquer les documents demandés par le service de la répression des fraudes, en l'espèce des photocopies de factures d'achat et des fichiers de stock relatives au baladeur de marque " Sony D 100 " commercialisé par X ;

Considérant qu'il résulte de la procédure que le 20 février 1989, Guy Joly, adhérent de X depuis 1974, a déposé plainte auprès des services de la répression des fraudes de l'Ile-de-France ;

Qu'il a exposé qu'ayant désiré acquérir, en 1987, un appareil lecteur de disques compacts portable, il s'était fait communiquer par X le dossier technique intitulé " Musique en balade 1987 " et qu'après lecture de ce document, il avait fixé son choix sur l'appareil de marque " Sony ", type " D 100 ", auquel le laboratoire d'essais X décernait les meilleures notes, en signalant que le comportement de cet appareil en " balade " était excellent ;

Considérant qu'après avoir acquis ce lecteur de disques, Guy Joly s'est rendu compte que cet appareil, satisfaisant comme " lecteur de salon ", était en réalité totalement inapte à l'emploi comme " baladeur " ;

Que, d'ailleurs, dès la fin du mois d'août et au mois de décembre 1987, après exécution de nouveaux tests, la direction des achats " Produits son/micro " de X, dans une note interne rédigée à l'intention des responsables du département son du groupe et des rayons audio et hi-fi de Paris, a indiqué qu'il y avait lieu d'arrêter la vente de l'appareil " Sony D 100 ", celui-ci étant hors norme du point de vue de la probabilité, du fait que le bloc laser perdait sa poursuite de lecture au moindre choc latéral ;

Considérant qu'il résulte de l'enquête effectuée par un contrôleur de la DGCCRF que le dossier X " Musique en balade 1987 ", arrivé en magasin en avril 1987, avait été distribué à raison de 202 800 exemplaires, jusqu'au mois de septembre de la même année ;

Considérant qu'au vu de ces éléments, les premiers juges, après avoir rappelé qu'en matière de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, la publicité doit s'apprécier intrinsèquement à l'aune du consommateur moyennement intelligent et avisé, et sans tenir compte des informations pouvant être fournies ultérieurement pour rétablir la vérité, ont retenu qu'il résultait des indications techniques fournies en l'espèce par le constructeur et répercutées par X, distributeur, que le discman " Sony D 100 " devait pouvoir être utilisé en mode ambulatoire, de façon excellente, selon le dossier technique, et que l'appareil était livré avec des attaches et une housse de protection pour la pluie ;

Considérant que le tribunal a retenu que X ne s'était pas suffisamment attachée à vérifier la sincérité et la véracité du message publicitaire concernant l'appareil en cause, et a en conséquence déclaré établie la prévention de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ; que les premiers juges ont imputé cette infraction à Philippe M, directeur général adjoint de la société à partir du 16 juin 1987 et jusqu'au 7 septembre 1988, et directeur général de X depuis cette dernière date ;

Considérant, sur la deuxième infraction poursuivie, qu'il résulte du procès-verbal de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Région Ile-de-France que le 11 juillet 1989 et le 25 septembre 1989, ce service a adressé à Jean-Jacques P, directeur du service de réception, dans laquelle étaient demandées la communication des factures d'achat concernant l'appareil en cause et des fiches de stock, afin de connaître, en ce qui concerne ce produit, les quantités achetées, vendues et remboursées ;

Qu'en conséquence, le procès-verbal susvisé a relevé également un délit à l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973, ce texte prévoyant que les agents habilités peuvent exiger de l'annonceur la mise à leur disposition de tous les éléments propres à justifier les allégations, indications ou présentations publicitaires ;

Considérant que les premiers juges ont également retenu cette infraction seulement à l'encontre de Jean-Jacques P, secrétaire général et directeur du service juridique de X, en énonçant qu'en refusant, ne serait-ce que par une inertie prolongée de nature à empêcher la poursuite des investigations, de présenter les factures réclamées par les enquêteurs, Jean-Jacques P, qui ne contestait par avoir reçu une demande en ce sens par lettre recommandée avec accusé de réception s'était rendu coupable du délit poursuivi ;

Considérant que, devant la cour, Philippe M sollicite sa relaxe en faisant valoir qu'en matière de délit de publicité de nature à induire en erreur, si le contrevenant est une personne morale, la responsabilité incombe à ses dirigeants et qu'en conséquence, il ne peut être condamné en l'espèce, dès lors qu'à l'époque des faits, il n'assumait nullement des fonctions " d'organe de direction ", et qu'il n'avait été nommé directeur général adjoint que le 16 juin 1987, après la commission du délit ;

Il est soutenu en outre que le tribunal n'a pas caractérisé l'intention frauduleuse du prévenu, alors qu'il s'agit d'un élément constitutif du délit, et qu'en définitive aucune faute ne peut être reprochée à X qui a fait cesser la diffusion du lecteur Sony D 100 dès que les tests techniques ont démontré les insuffisances de cet appareil ;

Considérant que, devant la cour, Jean-Jacques P demande également sa relaxe ; qu'il fait valoir qu'à l'époque des faits lui étant reprochés, il n'était qu'un simple salarié, et qu'en conséquence il ne pouvait être déclaré coupable de l'infraction de refus de communication de pièces, imputable aux seuls dirigeants de la société ;

Que Jean-Jacques P expose en outre que les pièces demandées par les services de la répression des fraudes ne se rapportaient pas aux qualités annoncées du produit concerné, l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 n'imposant pas la présentation de documents comptables ou commerciaux ;

Qu'il est enfin relevé que le service de la répression des fraudes réclamait les documents sur le fondement de l'article 6 du décret du 22 janvier 1919, texte étranger à l'objet de la poursuite relative à une infraction en matière de publicité ;

Considérant que le Ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris ;

Cela étant exposé :

I - Sur le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur :

Considérant que c'est par les motifs pertinents ci-dessus reproduits et que la cour adopte, que les premiers juges ont déclaré sur ce point la prévention établie ;

Qu'il convient de retenir que les dossiers techniques de X, tel que le document litigieux, constituent des publicités à la fois informatives et incitatives pour des produits testés et sélectionnés mis en vente par cette société ;

Considérant, ainsi que l'a observé le tribunal, que la sincérité et la véracité des éléments du message publicitaire n'avaient pas été vérifiées ou l'avaient été insuffisamment avant leur diffusion ;qu'il suffit de rappeler que le document Dossier X : Musique en balade 1987 mentionne à la rubrique " Compact-Disc : " Nous avons soumis les baladeurs de ce type aux mêmes tests que ceux que nous réalisons d'ordinaire pour les modèles de salon destinés à équiper les chaînes HI-FI, car ils offrent aussi cette possibilité. Mais nous avons plus particulièrement insisté sur les mesures de stabilité de lecture lors de mouvements brutaux : pour ce faire, les appareils ont subi des accélérations d'intensité croissante, jusqu'au moment où les systèmes de rattrapage devenaient inopérants ".

Que ces constatations suffisent à établir l'élément intentionnel du délit,au regard des dispositions de la loi du 27 décembre 1973 ;

Considérant, sur l'imputabilité de l'infraction, que les premiers juges ont à bon droit retenu la responsabilité de Philippe M ;

Qu'il ressort des conclusions du prévenu qu'il est devenu directeur général adjoint le 16 juin 1987, puis directeur général le 7 septembre 1988 ;

Qu'au cours de la période visée à la prévention, d'avril à septembre 1987, Philippe M a donc exercé des fonctions de direction au sein de X ;que cette circonstance est suffisante au regard de la loi du 27 décembre 1987 pour envisager, à son égard, l'imputation de l'infraction ;

Qu'il convient par ailleurs de relever que les termes de la loi susvisée permettent de poursuivre aussi bien les dirigeants de fait d'une société que les dirigeants de droit ;

II - Sur le refus de communication des éléments justificatifs de la publicité :

Considérant que la prévention est établie de ce chef également, dès lors qu'il résulte de l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973 que les agents du service de la répression des fraudes peuvent exiger de l'annonceur la mise à leur disposition de tous les éléments propres à justifier les allégations, indications ou présentations publicitaires ; que les documents demandés, fiches de stock et factures, étaient de nature à fournir des indications sur l'appellation exacte du produit, par comparaison avec le message publicitaire, d'autant que les services de X ont toujours affirmé que l'appareil litigieux n'était pas considéré par eux comme un " baladeur " ;

Qu'il convient de noter que les prévenus ne pouvaient se faire juges du bien-fondé de la demande des services de la répression des fraudes, au demeurant justifiée, et que la circonstance que ces services aient visé dans leur courrier un texte non applicable au cas de l'espèce (le décret du 22 janvier 1919 était pris pour l'application de la loi du 1er août 1905) demeure un élément sans incidence sur la validité de la procédure ;

Sur l'imputabilité de l'infraction :

Considérant que Jean-Jacques P soutient justement qu'il ne pouvait se voir imputer l'infraction de refus de communication de pièces, n'ayant exercé aucune fonction de direction et n'ayant bénéficié d'aucune délégation de pouvoirs au sein de la société lors des faits ;

Considérant qu'il conviendra de retenir à cet égard la responsabilité pénale de Philippe M, qui a exercé des fonctions de directeur général adjoint de X à l'époque des faits, ainsi qu'en atteste l'extrait de Registre du Commerce joint à la procédure ; qu'il doit être relevé qu'au cours de l'enquête, le prévenu avait déclaré que la responsabilité du directeur général lui paraissait engagée, le président de X SA laissant la conduite de l'activité quotidienne des sociétés du groupe au directeur général ;

Considérant que Jean-Jacques P devra donc être relaxé des fins de la poursuite ;

Que le jugement sera infirmé sur ces points.

Sur la peine :

Considérant qu'une peine d'amende d'un montant de trente mille francs sanctionnera justement les infractions retenus à la charge de Philippe M ;

Qu'en ce qui concerne la publication de la décision, il y aura lieu d'envisager le relèvement d'une telle mesure.

Par ces motifs, et ceux, non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement ; infirmant pour partie le jugement entrepris, Relaxe Jean-Jacques P de la prévention de refus de communication de documents aux Services de la répression des fraudes, Déclare Philippe M coupable des délits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et de refus de communication d'éléments justificatifs de la publicité ; En répression, le condamne à une amende d'un montant de 30 000 F, Ordonne le relèvement de la mesure de publication, Condamne Philippe M aux dépens, ceux d'appel étant liquidés à la somme de 518,48 F.