CA Lyon, 7e ch. A, 18 novembre 1992, n° 557
LYON
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roman
Conseillers :
MM. Poudensan, Azoulay
Avocat :
Me Soulier.
Par jugement en date du 12 mars 1992, le Tribunal de grande instance de Lyon a retenu R dans les liens de la prévention pour avoir, depuis son temps non prescrit et plus spécialement entre le 27 avril 1988 et le mois de février 1991, à Villefranche-sur-Saône, étant PDG de la SA X, effectué des publicités comportant des indications ou présentations de nature à induire en erreur portant sur l'existence et la nature des prestations de services proposées ainsi que sur l'identité de l'annonceur et la portée des engagements pris par celui-ci, en raison de la confusion entretenue entre les documents adressés par la voie postale (sous forme de demandes de règlement à effectuer à l'ordre de X, documents présentant des similitudes avec des factures) et les facturations émises par le service public France Télécom.
Et par application des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 463 du Code pénal, 749, 750 du Code de procédure pénale, l'a condamné à :
dix mille francs d'amende,
A déclaré la SA X civilement responsable de R ;
Le même jugement a condamné le prévenu aux dépens et a fixé la durée de la contrainte par corps conformément à la loi.
Attendu que le Ministère Public a relevé appel dans les formes et délai légaux ;
Attendu que, par acte sous seing privé du 28 juillet 1987 enregistré le 10 septembre 1987, a été constituée la société anonyme X, au capital de 250 000 F libéré du quart, ayant initialement son siège à Montmerle-sur-Saône (Ain) et ayant pour objet tout ce qui concerne le marketing direct, les éditions de tous supports publicitaires, y compris annuaires, télématique, saisie, photocomposition, impression laser, location de fichiers etc. ; que le siège social a été ultérieurement transféré <adresse>à Villefranche-sur-Saône, avec établissement secondaire <adresse>(Yvelines), puis à la Télébase à <adresse>(Rhône) ; qu'Alain R, directeur général de la société depuis sa création, en est devenu président directeur général le 15 janvier 1991 ;
Attendu que la société X a pour principale activité l'édition sur papier d'un annuaire européen de la télécopie et de la diffusion de cet annuaire par abonnements proposés par publipostage à des entreprises ou services administratifs sélectionnés sur les fichiers de l'INSEE ;
Attendu que depuis 1990 de nombreuses plaintes, réclamations ou dénonciations ont été adressées aux services de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par des dirigeants d'entreprises ou responsables administratifs qui avaient reçu par le courrier, sans aucune lettre explicative et sous une forme laissant supposer qu'il s'agissait de la facturation d'une commande préalable, des sollicitations pour le paiement de l'abonnement à l'annuaire en question et dont quelques-uns, s'étant laissés abuser, avaient envoyé à X le règlement de la somme demandée ;
Attendu que l'enquête effectuée aussitôt par la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes concerne vingt-quatre réclamations émanant d'entreprises ou administrations disséminées dans toute la France, et même de la Direction centrale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à Paris, démarchées au moyen de mailings expédiés du 5 novembre 1990 au 14 février 1991 ; qu'ultérieurement ont été versées au dossier des réclamations émanant d'une quinzaine d'entreprises ou administrations et concernant des mailings expédiés du 30 octobre 1989 au 10 mars 1992 ;
Attendu qu'en dehors de l'adresse de X, les documents publicitaires incriminés sont rigoureusement identiques ;
Attendu que, selon la prévention, les indications et la présentation de ces documents sont de nature à induire en erreur sur l'existence et la nature des prestations de services proposés ainsi que sur l'identité de l'annonceur et la portée de ses engagements, notamment en raison de la confusion entretenue avec la facturation du service public France Télécom ;
Attendu, certes, que l'imprimé adressé par X, qui présente deux feuillets identiques autocopiants, l'un de couleur blanche à retourner avec le règlement demandé, l'autre de couleur verte à conserver, comporte la mention en gros caractères " Abonnement à l'annuaire privé X " et au-dessous, en rouge, l'avertissement " Cette offre d'abonnement dans l'annuaire européen n'a aucun rapport avec la publication de l'annuaire des abonnés édité par France Télécom " ; qu'il mentionne également, en caractères moins apparents, la forme juridique, le capital, et l'immatriculation au Registre du Commerce et des sociétés de la société X ; que, néanmoins, les indications et la présentation du document, notamment l'en-tête X et l'indication, dans un cadre rose vif, du numéro de télécopie du destinataire, laissent entendre qu'il s'agit d'un service complémentaire du service public de la télécopie assuré par France Télécom ;
Attendu, d'autre part, que le document litigieux présente l'apparence d'une facture à régler pour un abonnement déjà souscrit ; qu'en effet, il comporte dans un cadre " abonnement " l'indication d'une " période du ... au ... ", dans un autre cadre intitulé " décompte " l'indication du prix de l'abonnement, de la TVA et de la somme à payer, cette dernière inscrite dans un cadre de couleur rose vif, et enfin au-dessous du décompte, un autre cadre intitulé " mode de paiement " - cette expression ressortant en blanc sur un pavé rose vif - avec des cases à cocher selon le mode de paiement choisi ;
Attendu qu'en l'absence de toute indication sur la périodicité de la publication de l'annuaire proposé l'emploi du terme " abonnement " est trompeur puisque le destinataire du document ne peut connaître exactement la portée des engagements qui sont pris par l'annonceur et de ceux qui lui sont demandés ;
Attendu que la présentation et les indications du document litigieux et notamment l'emploi des mots juxtaposés " Télécom ", " Télex " et " Télécopie ", sont de nature à faire croire à tout lecteur d'une intelligence moyenne qu'il s'agit d'une facture à payer pour bénéficier du service de la télécopie (appelé plus usuellement le fax), qui est assuré par l'entreprise publique France Télécom et auquel toutes les entreprises d'une certaine importance ont recours, alors que le service proposé, décrit d'une manière extrêmement sommaire, est en fait l'accès à un annuaire d'entreprises de certains pays européens qui ne sont même pas clairement définis;
Attendu que dans la plupart des entreprises les factures à payer sont directement adressées par le service du courrier au service comptable en vue de leur paiement, sans être au préalable examinées par le chef d'entreprise ; que les chèques de paiement sont souvent émis, à l'insu de ce dernier, par un employé ayant reçu délégation de signature ou autorisé à apposer une signature non manuscrite ; que la présentation ambiguë des documents publicitaires de X crée donc un risque sérieux de voir payer sans vérification les prétendus abonnements dont le règlement est fallacieusement sollicité;
Attendu qu'à l'audience de la cour, le prévenu soutient qu'il aurait joint à chaque offre d'abonnement une notice explicative du même format intitulée " annexe au contrat d'abonnement pour l'annuaire européen privé de la télécopie X " qui, selon lui, supprimait toute ambiguïté ;
Mais attendu qu'aucune des réclamations reçues ne fait état de ce document manifestement élaboré pour les besoins de la défense en justice de R et de sa société ; qu'en tout état de cause, si elle décrit sommairement l'annuaire proposé (" L'annuaire européen de la télécopie X est conçu pour vous permettre une recherche rapide et aisée de vos correspondants en Europe. Il contient la liste des abonnés télécopie des pays d'Europe, par ordre alphabétique, avec adresse ", etc...), ladite notice ne fournit pas la moindre indication sur la périodicité de sa parution, ni sur le nombre et la liste des pays européens concernés, ce qui laisse encore planer une large ambiguïté ; que, d'autre part, elle n'explique nullement que le document auquel elle serait jointe est un offre d'abonnement et non pas la demande de paiement du prix d'un abonnement déjà souscrit ;
Attendu que le prévenu n'explique pas pourquoi il adresse à ses correspondants des documents fais de cases juxtaposées, prêtant à des interprétations diverses ou erronées, au lieu d'exprimer clairement dans une lettre d'accompagnement l'objet de sa proposition ;
Attendu que, comme l'on exactement indiqué les premiers juges, l'autorisation de publication donnée par France Télécom ne dispense nullement le prévenu de veiller à ce que sa publicité soit conforme aux exigences de la législation en vigueur et notamment de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
Attendu que les premiers juges ont à bon droit déclaré Alain R coupable du délit de publicité de nature à induire en erreur visé à la prévention et la société X, qui est engagée de plein droit par les actes de son dirigeant social, civilement responsable;
Attendu que, bien que n'ayant pas relevé appel et reconnaissant ainsi implicitement sa culpabilité, le prévenu indique à la cour que sa société continue à exploiter, dans les mêmes conditions et au moyen des mêmes documents de prospection publicitaire à peine modifiés, son service d'abonnements ;
Attendu que la cour estime nécessaire de le dissuader de persister dans cette activité parasitaire et illicite en prononçant à son encontre une forte peine d'amende et en ordonnant la cessation de la publicité incriminée ;
Attendu qu'il convient en outre d'ordonner la publication du présent arrêt dans la presse, comme le prévoit obligatoirement le sixième alinéa du paragraphe II de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
Par ces motifs, Et ceux, non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit le Ministère public en son appel ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du délit de publicité de nature à induire en erreur visé à la prévention et en ce qu'il a déclaré la SA X civilement responsable ; Réformant ce jugement quant à l'application de la peine, condamne Alain R à vingt mille francs d'amende ; Ordonne la cessation de la publicité incriminée ; Ordonne la publication du présent arrêt par extraits, aux frais du condamné et de sa société et au coût maximal de 10 000 F, dans le journal Le Figaro ; Condamne in solidum Alain R et la SA X aux dépens de première instance et d'appel ; Fixe, en tant que de besoin, la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale ; Le tout par application des articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 110, 113, 115, 117 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 473, 485, 509, 512, 514, 515, 749, 750 du Code de procédure pénale.