CA Montpellier, 3e ch. corr., 17 décembre 1990, n° 1677-90
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Garnier (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Truel
Conseillers :
MM. Cutajar, Jammet
Avocat :
Me Perrin
Rappel de la procédure :
Le jugement :
R Daniel a été déféré devant ledit tribunal correctionnel sous la prévention :
- d'avoir à Bram, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'existence, la nature, la composition, les qualités substantielles, la teneur en principes utiles, l'espèce, l'origine, la quantité, le mode et la date de fabrication, les propriétés, prix et conditions de vente ou de la prestation des services, la portée des engagements pris par l'annonceur, l'identité, les qualités ou aptitudes du fabriquant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires, en l'espèce en faisant croire à Mme Garnier qu'elle avait gagné la somme de 100 000 F ; infraction prévue et réprimée par l'article 44 II al. 9 loi 73-1193 du 27/12/1973, et l'article 1er de la loi du 01/08/1905 ; faits commis courant mars 1989
- vendu des marchandises auxquelles sont réunies des primes ou bénéfices dûs, même partiellement un hasard, faisant naître ainsi l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort, et organisant en fait une loterie prohibée ; infraction prévue et réprimée par les articles 1, 2 et 3 de la loi du 21 mai 1836 et 410 du Code pénal ; faits commis courant mars 1989
Sur l'action publique, l'a relaxé et s'est déclaré incompétent sur la constitution de partie civile de Mme Garnier.
Appels :
Les appels ont été interjetés :
Par Monsieur Garnier Yves, le 4 juillet 1990,
Par le Ministère Public, le 9 juillet 1990,
Par Mme Annette Garnier, le 13 juillet 1990
Décision :
LA COUR, après en avoir délibéré,
Attendu que R Daniel comparaît assisté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;
Sur la recevabilité des appels
Attendu que si Annette Garnier, constituée partie civile, a régulièrement relevé appel du jugement de relaxe, son mari Yves Garnier qui n'a pas été partie aux débats, ne dispose pas de la faculté de former appel de la décision rendue, que son appel doit donc être déclaré irrecevable.
Sur l'action publique
Attendu qu'il résulte de la procédure et des débats les faits suivants :
Dans le courant du 1er semestre 1989, les époux Garnier, demeurant à Villepinte, recevaient d'une société de vente par correspondance sise à (localité), X, une proposition de participation à un jeu de loterie accompagnée d'un " bon de commande-participation ".
Le libellé de cette proposition était tel que les destinataires pouvaient légitimement croire qu'ils avaient gagné la somme qui était apparue après " grattage " et prétendre ainsi au gain du premier prix.
Les époux Garnier à qui la société X refusait de verser cette somme (100 000 F) déposaient plainte. L'instruction permettait notamment à la Direction Départementale de la Concurrence et de la Consommation de conclure qu'il s'agissait là d'une opération de publicité mensongère, voire de l'organisation d'une loterie prohibée.
Attendu, sur la responsabilité de Daniel R en tant que gérant de la SARL X,que les faits visés à la prévention concernent un élément essentiel de la politique économique de la société qui engage nécessairement la responsabilité pénale personnelle du chef d'entreprise, indépendamment de toute délégation de pouvoirs.
Que l'exception soulevée doit donc être rejetée.
Attendu, sur le caractère prohibé de la loterie, que ce délit suppose la réunion de 4 éléments :
- une offre publique
- un recours au hasard ou à la voie du sort
- une opération publicitaire
- une participation financière.
Attendu qu'en exigeant aucun sacrifice pécuniaire de la dame Garnier qui reconnaît n'avoir passé commande que de sa propre volonté, la loterie reprochée échappe donc à la prohibition de la loi du 21/5/1836 modifiée.
Attendu, sur la publicité mensongère, que :
Pour relaxer Daniel R de ce chef, le tribunal a estimé que le texte répressif qui fonde les poursuites, loi du 27/12/1973, est exclusivement applicable aux opérations de vente et ne saurait s'appliquer à une opération de loterie qui ne peut être considérée comme un bien et service ; qu'il convient cependant de remarquer qu'en l'espèce l'opération publicitaire de la société X ne se limite pas exclusivement à l'organisation d'une loterie, mais peut s'analyser en une opération de vente.
Qu'en effet, les consommateurs sont invités à participer à la loterie en remplissant un bon de commande participation, constituant un seul et unique imprimé formant un tout indissociable.
Que de plus, dans le bulletin de présentation du jeu, les consommateurs sont conviés à réagir vite, c'est-à-dire à renvoyer avant une date déterminée, le bon de commande participation et à vérifier si le numéro qui leur est attribué donne également droit en cas de commande à un cadeau supplémentaire.
Que la rédaction volontairement ambigüe de ces conditions, le fait qu'un même numéro, obtenu par pré-tirage, permette à la fois de croire que l'on a gagné une forte somme d'argent et fasse partie de surcroît de la liste de ces numéros auxquels il est attribué un cadeau supplémentaire en cas de commande, suffisent amplement à démontrer que le but de l'opération était bien la commande et que le jeu, proposé au destinataire, n'était que le moyen pour y parvenir.
Que l'ensemble de ces éléments permet de considérer qu'il s'agit là d'une opération de " vente déguisée " réalisée par la commande faite par Mme Garnier, et entrant en conséquence dans le champ d'application de la loi de 1973.
Attendu, au surplus, qu'il ressort d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 mars 1990 que si les contrats à titre gratuit ne peuvent fournir l'occasion d'une tromperie punissable, ils entrent en revanche dans le champ d'application de la publicité trompeuse.
Attendu, que le caractère de nature à induire en erreur des allégations contenues dans la publicité, ressort, en l'espèce, à l'évidence de la présentation et de la lecture des documents dans lesquels la dame Garnier, présentée comme étant potentiellement gagnante de plusieurs lots d'un montant variant entre 500 et 100 000 F, il lui est assuré qu'il est déjà sûr qu'elle n'a pas gagné le prix le plus petit ;
Qu'ainsi la lectrice pouvait légitiment croire qu'elle avait gagné sinon le premier lot, au moins une somme supérieure au plus petit lot à savoir 500 F.
Que cependant la seule certitude à dégager était qu'elle ne pouvait gagner le plus petit prix, celui-ci ayant déjà été attribué ;
Attendu que la matérialité du délit de publicité de nature en erreur prévu par l'article 44 de la loi du 27.12.1973 est donc établie ; que Daniel R doit être retenu dans les liens de la prévention de ce chef ; qu'il convient d'ordonne la publication par extraits du présent arrêt.
Attendu qu'il existe en la cause certaines circonstances atténuantes.
Sur l'action civile
Attendu que la constitution de partie civile de la dame Garnier est régulière en la forme et recevable ; qu'elle établit, à défaut d'un préjudice matériel certain, l'existence d'un préjudice moral personnel découlant de la publicité trompeuse, concrétisé par la croyance déçue d'un gain ; que la cour trouve dans les éléments de la cause les renseignements lui permettant de fixer 3 000 F la somme devant raisonnablement assurer l'indemnisation de cette partie civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt : Contradictoire à l'égard de R Daniel, Contradictoire Madame Garnier, Contradictoire Garnier Yves, Et en matière correctionnelle, Déclare l'appel d'Yves Garnier irrecevable. Reçoit les autres appels réguliers en la forme. Rejetant toutes exceptions et conclusions contraires, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a relaxé Daniel R du chef des poursuites de loterie prohibée, L'émendant pour le surplus, déclare Daniel R coupable du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur. En répression le condamne à la peine de 30 000 F d'amende, Ordonne la publication par extraits du présent arrêt dans les journaux le Figaro et le Midi Libre. Fixe à 8 000 F le coût maximum, TVA comprise, de chaque insertion. Sur l'action civile : Reçoit Annette Garnier dans sa constitution de partie civile, Condamne Daniel R à lui payer la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts. Condamne Daniel R aux dépens envers l'Etat et aux frais de l'action civile. Fixe comme de droit la durée de la contrainte par corps. Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.