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Décisions

CA Versailles, 8e ch. corr., 14 février 1991, n° 148

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

UFCS, Association des consommateurs de Neuilly, Union Fédérale des Consommateurs, Mathis, Verger

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sevenier

Conseillers :

MM. Pons, Pruilh

Avocats :

Mes Aron, Gingembre, Auvinet-Rateau.

TGI Nanterre, 15e ch., du 6 mars 1990

6 mars 1990

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal a:

Ordonné la jonction des 4 procédures,

A relaxé Alain F du chef de loterie prohibée concernant les "jeux" "la roulette de "la chance" et "Renault 25 15e anniversaire",

A déclaré Alain F coupable du chef de loterie prohibée concernant les "jeux" "la carte aux trésors" et "la bouteille de champagne", (434) à Levallois-Perret de janvier 1987 à juillet 1987, article 3 de la loi du 21-05-39, 405 du Code pénal,

L'a déclaré coupable du chef de publicité mensongère (193) pour le "jeu" "Renault 25 15e anniversaire", à Levallois-Perret, de février 1988 à juillet 1988, article 44 de la loi du 27-12-73, 1er de la loi du 1er août 1905,

A ordonné la publication du présent jugement par extraits aux frais du condamné dans les publications suivantes:

- Que choisir ?

- 50 millions de consommateurs

- France Soir

le total des frais d'insertion étant fixé au maximum à 15 000 F,

A déclaré la société X civilement responsable,

L'a condamnée aux dépens liquidés à la somme de 1 028,11 F,

Sur l'action civile:

A condamné Alain F et la société X solidairement à payer à:

L'UFCS, l'Association des consommateurs de Neuilly et l'UFC: 5 000 F de dommages-intérêts et 1 000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

A Mme Verger la somme de 500 F,

A Mme Mathis la somme de 500 F,

Appels:

Appel a été interjeté par:

- F Alain et X, le 16 mars 1990,

- le Ministère public, le 19 mars 1990,

Décision:

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant:

Le 16 mars 1990, Alain F et la société "X" faisaient appel des dispositions tant pénales que civiles du jugement rendu le 6 mars 1990 par la 15e chambre du Tribunal correctionnel de Nanterre et dont le dispositif est reproduit ci-avant; ces appels, réguliers en la forme, interjetés dans le délai légal, sont recevables;

Le jugement critiqué a ordonné la jonction des 4 procédures ouvertes contre F pour organisation de loteries prohibées, avec, en plus, pour l'une d'entre elles une infraction de publicité mensongère;

Avant tout débat au fond les appelants reprenaient en cause d'appel leur argumentation développée devant les premiers juges et tendant à voir dire irrégulières les poursuites engagées au motif que la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DCCRF) n'était pas encore habilitée, à l'époque, à constater des infractions à la loi du 21 mai 1836; mais la décision critiquée remarque opportunément que les poursuites ont été initiées par le parquet de Nanterre, saisi par une plainte de l'Union Féminine Civique et Sociale (UFCS) et rien n'interdisait à la DCCRF, déjà saisie dans le cadre de poursuites contre F du chef de publicité mensongère, de faire connaître au parquet mandant les infractions qu'elle avait appréhendées à l'occasion de ses investigations;

L'exception soulevée doit être rejetée puisqu'il ressort de la procédure que le parquet de Nanterre a bien mis en mouvement l'action publique du chef de publicité mensongère, chargé la DCCRF d'une enquête et que ce service avait l'obligation de dénoncer les infractions relevées à l'occasion de ses investigations; enfin, le Ministère public est toujours investi du pouvoir de qualifier les faits qui lui sont signalés et notamment de dire qu'ils constituent non une publicité mensongère mais une infraction à la loi sur les sociétés ou encore qu'ils constituent ces deux infractions à la fois;

Sur le fond, les premiers juges ont parfaitement analysé les situations de fait nées du lancement par Alain F, en qualité de président directeur général de X des opérations publicitaires baptisées "la bouteille de champagne", "la roulette de la chance", "la carte aux trésors" et "la Renault 25 15e anniversaire";

Ils en ont déduit la relaxe de F du chef d'infraction à la loi de 1836 à propos des jeux "la roulette de la chance" et "Renault 25 15e anniversaire" et sa culpabilité pour les deux autres jeux, toujours sur le fondement de la loi de 1836;

Il est constant que la société X, spécialisée dans la vente par correspondance et qui s'est constitué un fichier de clients potentiels comprenant entre 800 000 et un million d'adresses encourt condamnation pour organisation de loterie prohibée si se trouvent réunies les quatre conditions suivantes dans le lancement de ses campagnes publicitaires:

a) existence d'une offre publique: dans les 4 cas examinés cette offre existe, certes par courrier individualisé et personnalisé mais qui, touchant plusieurs centaines de milliers de personnes, constitue bien un "public" au sens de la loi de 1836,

b) espérance d'un gain: là encore cet élément se retrouve dans tous les cas, que les lots annoncés soient importants en valeur et réduits en nombre comme dans "la roulette de la chance" ou "la Renault 25 15e anniversaire", soit que les lots soient de moindre valeur mais très nombreux comme dans "la carte aux trésors" ou "la bouteille de champagne",

c) intervention du hasard: certes, lors du lancement de chaque opération le résultat est déjà acquis du fait du prétirage effectué par l'huissier de justice, mais peu importe que ce tirage ait eu lieu avant ou après annonce aux clients potentiels du jeu et des modalités de participation puisque d'une part les lots ont été attribués par tirage au sort et que, d'autre part, l'incertitude sur le succès ou l'échec de la participation au jeu demeurait pour tous jusqu'à proclamation des résultats,

d) existence pour le participant d'un sacrifice pécuniaire: c'est là l'élément le plus discuté par F et X et la cour adopte l'analyse faite par les premiers juges et les conclusions qu'ils en tirent: lorsque la participation financière des candidats se réduit au simple affranchissement de la lettre contenant le bon de participation et adressée par le client potentiel à l'organisateur du jeu, le délit de loterie prohibée n'est pas constitué; c'est le cas de "la roulette de la chance" et de "Renault 25 15e anniversaire"; par contre, lorsqu'il est demandé même la modique somme de 12 F pour "frais de mise à disposition de leur lot", le délit est constitué, même si cette exigence n'est imposée qu'aux participants ne désirant pas commander; le sacrifice financier demandé même à titre facultatif introduit bien la notion de loterie; n'oublions pas que la modicité est la mise en cause de toute création en matière de loterie pour peu que l'attrait du lot soit grand, or, en l'espèce, plus de 100 000 F (la roulette de la chance), une grosse voiture (Renault 25 15e anniversaire), une petite voiture utilitaire (la bouteille de champagne) ou une voiture moyenne (carte aux trésors) sont éminemment attractifs;

Une infraction de publicité mensongère est également reprochée au seul jeu de "la Renault 25 15e anniversaire" et F reproche à la procédure relative à ce délit de reposer, au départ sur un procès-verbal dressé le 1er août 1988 regroupant en un unique document les investigations, constatations et déductions effectuées en plusieurs opérations successives pendant tout le mois de juillet 1988;

Cette affirmation repose sur des données de fait inexactes: on trouve au dossier du procès-verbal de déclaration du 11 juillet 1988 rapportant les investigations faites ce jour là (côté annexe 1 du PV du 1-8-88) à savoir l'audition de Gilles G, les pièces fournies par ce dernier, un procès-verbal dressé le 1-8-88 au vu de l'ensemble des éléments recueillis et un rapport du procureur de la République de Nanterre en date du même jour; si le procès-verbal du 1-8-88 rappelle ce qui fut fait le 11-7-88 c'est à titre mémoratif, la seule pièce concluant en la constatation d'un délit portant la date du 1-8-88 et étant aussitôt transmise à l'autorité ayant seule qualité pour décider des poursuites;

En outre, c'est par confusion avec les usages en cours dans la gendarmerie nationale que F croit pouvoir exiger autant de procès-verbaux que d'actes d'intervention; aucune disposition du Code de procédure pénale n'impose cette obligation et le moyen doit être écarté;

F conclut également en l'inapplicabilité au cas d'espèce de l'article 44 de la loi 73-1193 du 27-12-1973; il ne viserait que des actes ou prestations de service accomplis à titre onéreux, ce qui n'est pas, selon lui, le cas d'espèce;

Il fait, en réalité, une mauvaise lecture du texte: celui-ci interdit toute allégation, indication ou présentation fausse ou de nature à induire en erreur et portant (entre autres) sur les engagements pris par l'annonceur, or celui-ci a lancé le jeu "la Renault 25 15e anniversaire" non dans un but de simple libéralité mais dans le cadre d'une stratégie commerciale adaptée à la vente par correspondance, destinée à favoriser la passation de commandes liées à l'exploitation des catalogues que X adresse régulièrement aux personnes inscrites sur son fichier de clients potentiels; les engagements qu'il prend dans ces conditions, entrent bien dans le champ d'application de l'article 44 visé dans la prévention;

Sur le fond, les premiers juges ont analysé très exactement le jeu dont s'agit et la cour ne peut que se référer à cette analyse et aux conclusions qu'ils en ont tiré; la présentation fallacieuse du jeu, laissant entendre qu'à défaut du gain de la Renault 25 si le numéro de la carte grise n'est pas le bon, le participant est assuré d'obtenir le pendentif est bien de nature à induire en erreur la quasi-totalité des participants puisque ces derniers n'obtiendront rien en définitive; l'infraction est donc constituée;

Les peines prononcées pour les divers délits méritent d'être confirmées car elles tiennent un compte parfait et de la gravité des infractions et de l'importance des sommes en jeu mais aussi de la personnalité de F qui, aux dires de son conseil aurait été licencié après les faits de la poursuite; une confirmation, là aussi s'impose;

Diverses parties civiles se sont constituées tant en cours de procédure qu'aux diverses audiences et leur recevabilité est contestée en son principe par F et X lorsqu'elles se rapportent à une infraction à la loi de 1836 sur les loteries car on ne pourrait poursuivre que la réparation d'un préjudice causé à des intérêts particuliers (ou collectifs) et non à un intérêt social et général dont la protection incombe au seul Ministère public; or, la prohibition édictée par la loi de 1836 n'a qu'un but de protection de l'ordre social ce qui exclurait toute possibilité de constitution de partie civile;

Si la loi de 1836 - comme bien des lois pénales - énonce bien une mesure visant à protéger les intérêts généraux de la société, dès lors que des intérêts privés ou collectifs se trouvent altérés par un manquement à cette loi pénale, la constitution de partie civile est recevable, or, en l'espèce, les intérêts privés des participants irrégulièrement écartés de leurs légitimes espérances par une infraction pénale peuvent en demander réparation; de même les associations légalement constituées pour la protection des consommateurs ou autres catégories de victimes d'une infraction;

En l'espèce se sont constituées parties civiles l'Union Féminine Civique et Sociale, l'Association des consommateurs de Neuilly, l'Union Fédérale des Consommateurs, dame Verger et dame Mathis, ces dernières non comparantes en cause d'appel; les premiers juges ayant correctement évalué les préjudices évoqués, il convient de confirmer leurs décisions sur ce point;

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, Reçoit F, X et le Ministère public en leurs appels, Au fond, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée, Condamne F et X in solidum, aux entiers dépens liquidés à la somme de 1698,97 F.