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Décisions

CA Angers, ch. d'accusation, 5 février 1992, n° 22-92

ANGERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouyette

Conseillers :

MM. Chesneau, Gauthier

Avocat :

Me Denis.

CA Angers n° 22-92

5 février 1992

LA COUR,

Vu le réquisitoire introductif du 20 septembre 1991 et l'information suivie contre Raymond S du chef de publicité de nature à induire en erreur,

Vu la demande de mainlevée d'injonction de faire cesser une publicité présentée le 23 octobre 1991 par l'inculpé,

Vu l'ordonnance du juge d'instruction d'Angers en date du 12-12-91, notifiée le même jour qui a rejeté cette demande,

Vu l'appel interjeté par déclaration faite le 18-12-91 par le conseil de l'inculpé sur le registre du greffe du Tribunal de grande instance d'Angers,

Vu les réquisitions de Monsieur le Procureur général en date du 24 décembre 1991 tendant à recevoir en la forme l'appel interjeté par Raymond S contre l'ordonnance du juge d'instruction d'Angers, en date du 12-12-91 qui a rejeté sa demande de mainlevée d'injonction de faire cesser une publicité de nature à induire en erreur, au fond, à confirmer l'ordonnance entreprise et à réserver les dépens ;

Vu les lettres recommandées adressées le 24-12-91 à l'inculpé et à son conseil, pour leur notifier que l'affaire serait appelée à l'audience de la chambre d'accusation du mercredi 8-01-92 à 9 heures ;

Vu les pièces de la procédure dont le dossier a été déposé au greffe de la chambre d'accusation et tenu à la disposition du conseil de l'inculpé pendant le délai légal,

Vu le procès-verbal en date du 30 décembre 1991 constatant le dépôt du dossier de la procédure au greffe de la chambre d'accusation ;

Vu le mémoire déposé au greffe de la chambre d'accusation le 7 janvier 1992 à 15 h 30 à l'appui de la demande de mainlevée de l'ordonnance faisant injonction de faire cesser la publicité, en application des dispositions de l'article 198 du CPP, visé par le greffier, communiqué le jour même au Procureur général et annexé à la procédure.

Attendu qu'il a été satisfait aux dispositions de l'article 197 du Code de procédure pénale ;

En la forme :

Attendu que l'ordonnance critiquée compte au rang des décisions susceptibles d'appel par l'inculpé en application des dispositions de l'article 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973. Que l'appel ayant été interjeté le 18 décembre 19914, c'est-à-dire dans le délai de dix jours suivant la date de la signification ou de la notification de la décision critiquée tel que prévu par l'article 186 du CPP, il est recevable.

Au fond :

Attendu qu'une information judiciaire a été ouverte le 20 septembre 1991 contre M. Raymond S, président de la Fédération X du chef de publicité de nature à induire en erreur ; que le 13 septembre 1991 le juge d'instruction chargé d'instruire a ordonné conformément aux réquisitions dont il était saisi la cessation immédiate de cette publicité intitulée " La charte du boulanger authentique " ainsi que la saisie immédiate de tous supports publicitaires de cette " charte " qui serait portés à la connaissance des consommateurs.

Que M. S a été inculpé le 25 octobre 1991. Qu'ayant sollicité la mainlevée de l'ordonnance lui enjoignant de faire cesser la publicité, cette demande a été rejeté le 12 décembre 1991.

Attendu que dans le mémoire déposé à l'appui de son appel M. S invoque les moyens suivants :

- l'objectif de la fédération est de valoriser le travail de l'artisan et de le différencier du travail effectué par les terminaux de cuisson, d'améliorer la qualité des produits servis ainsi que le goût des pains et d'amener chaque professionnel, à assumer ces responsabilités dans le domaine de l'hygiène,

- l'ordonnance critiquée a été prise avant qu'il ne soit inculpé et bien qu'il avait contesté l'infraction auparavant ; que l'on peut s'étonner qu'il ait fait seul l'objet d'une inculpation,

- la confusion règne dans le procès verbal-rédigé par le fonctionnaire de la Direction de la Concurrence et celui-ci, en sa qualité de spécialiste, ne pouvait manquer de connaître l'existence de l'appellation générale de " pain traditionnel " correspondant aux " pains spéciaux " ; qu'on est en droit de penser qu'il connaît évidemment les produits améliorants qui sont autorisés par la loi et qui peuvent rentrer dans les fabrications, ainsi que la différence qui existe entre des pâtes congelées et l'utilisation habituelle régulière et normale de la pousse contrôlée qui se fait en chambre de fermentation.

- les constatations auxquelles il est fait référence ne peuvent être utilisées contre l'organisation de la publicité à laquelle près de deux cent boulangers de Maine-et-Loire ont adhéré,

- les trois engagements mentionnés par la charte ne peuvent être susceptibles d'induire en erreur un consommateur moyen, la fédération se réservant en outre un droit de contrôle intempestif permettant de s'assurer du respect des engagements, et de procéder éventuellement au retrait du label " boulanger authentique ". Ces engagements sont rédigés en des termes simples, clairs et ne peuvent tromper qui que ce soit.

Attendu liminairement, que la cour ne peut qu'approuver l'objectif que la fédération X déclare s'être fixé qui est de valoriser le travail de l'artisan, d'améliorer la qualités des produits servis, le goût des pains et l'hygiène des fabrications.

Mais attendu, en droit, que le juge d'instruction n'avait, pour prendre l'ordonnance critiquée dans la mesure où il lui apparaissait que la publicité faite par la fédération était de nature à induire en erreur, ni à procéder préalablement à l'inculpation de M. S ou de quiconque, ni à attendre une éventuelle reconnaissance des faits. Que si les constatations faites par les services de la Direction de la Concurrence ne concernent qu'un nombre réduit de boulangers par rapport à ceux qui ont adhéré à la publicité contestée, cette faible proportion ne peut être de nature à faire disparaître, par elle-même, le caractère éventuellement illicite de cette publicité.

Attendu que c'est inexactement qu'il est soutenu que les engagements pris par les boulangers ne trompent personne, alors que M. S a reconnu lors de la notification de l'inculpation que la publicité figurant à la côte D3 " les boulangers authentiques s'engagent, sachez les reconnaître ! ", " comporte des éléments qui peuvent paraître incomplets pour le consommateur et peuvent l'induire en erreur notamment sur la nature du pain traditionnel "(D33).

Attendu qu'en effet si la dénomination " boulanger authentique " ne doit s'appliquer qu'au véritable boulanger, c'est-à-dire à celui qui fabrique sa pâte ou ses pâtes à pain, les pétrit et les cuit, et que les trois engagements pris par ces professionnels n'appellent aucune observation particulière, il ne peut en être de même de la publicité diffusée dans le cadre de cette campagne(D3).

Que cette publicité indique notamment :

a) dans son introduction : " Les yeux rivés sur son four... Un pain qu'il a pétri lui-même, avec des produits naturels savamment dosés. Cette opération il la répète tous les jours, dans le respect de la tradition, avec un seul souci : continuer dans cette voie pour que se perpétue, au-delà des années et du progrès..., la saveur du bon pain. Du vrai pain ".

b) dans le paragraphe " La saveur au jour le jour " : " ...leur volonté de proposer du pain traditionnel, fabriqué selon des méthodes naturelles. " " Oui, chaque jour le boulanger authentique recommence un cycle complet de fabrication...dans le plus grand respect des règles d'hygiène. Autrement dit, il n'acceptera jamais, dans la fabrication du pain traditionnel français, le concours du moindre produit de conservation, ou d'un quelconque procédé de surgélation. Mais uniquement les cinq éléments de base, composant le pain naturel depuis des générations : de la farine de froment, du naturel depuis des générations : de la farine de froment, du levain, de la levure naturelle, du sel et de l'eau. C'est tout ".

c) affirmation qui sera reprise dans le paragraphe suivant : " tous les boulangers sont uniques " : " Tous ce qui permet selon Raymond S ... de fabriquer avec ces cinq éléments de base, autant de produits qu'il existe de boulangers. Farine de blé, levain, levure, sel et eau constituent donc l'assise d'une fabrication saine et traditionnelle... ".

d) dans le paragraphe " Au cour du quartier " : " Instant tellement important que celui d'entrer dans ce magasin, où l'odeur du bon pain réjouit les sens et évoque des souvenirs heureux...A vous ensuite de faire la différence. En le vérifiant vous-même : si votre pain a cette saveur naturelle des choses qui vous rappellent votre enfance, c'est que la charte du boulanger authentique n'est pas loin ".

Attendu que la répétition des mots et expressions suivants : " produits naturels ", " tradition ", " perpétuer ", " vrai pain ", " pain traditionnel ", fabriqué selon " méthodes naturelles ", " depuis des générations ", " souvenirs heureux ", choses qui vous rappellent votre enfance ", ne peuvent avoir pour effet que de faire croire au consommateur que le pain " traditionnel " et " naturel "qu'il achètera, sera celui fabriqué selon des méthodes ancestrales, qu'il sera exempt de produits chimiques et issu de la seule farine de froment, alors que l'appellation " pain traditionnel " ne fait l'objet d'aucune définition légale ou réglementaire, qu'elle est seulement utilisée par les professionnels pour désigner le pain de consommation courante, par opposition aux " pains spéciaux ".

Que cette publicité crée ainsi une confusion dans l'esprit du consommateur normalement attentif, puisqu'elle laisse supposer qu'il va acquérir une marchandise réalisée selon une technique ancienne (pétrissage plus lent et d'une durée plus courte), grâce à une farine de froment telle que celle utilisée autrefois par les boulangers, alors qu'il s'agit d'un produit banal et d'une qualité tout à fait ordinaire réalisé avec une farine également ordinaire.

Attendu surtout que cette publicité est mensongère,qu'en effet s'il ne peut être reproché aux boulangers d'utiliser un pétrin mécanique pour mieux malaxer et pétrir leurs pâtes, et des chambres à température contrôlée afin de parer aux aléas de température qui perturbaient la fermentation de ces pâtes et nuisaient à la qualité du pain, elle ne peut prétendre que ces pains dits " traditionnels " ne sont fabriqués qu'avec de la farine de froment, de l'eau, du sel, de la levure et du levain " C'est tout ", alors qu'ils utilisent des " produits améliorants " et des additifs tels que farine de fèves, acide ascorbique, amylases, gluten, lécithine de soja etc...Que si l'utilisation de ces produits est effectivement autorisée dans certaines limites, cette autorisation n'ouvre au boulanger qu'un simple faculté, celui-ci pouvant toujours utiliser des farines de meilleure qualité et adopter une technique de fabrication différente pour s'en dispenser.Qu'en tout cas elle ne leur permet pas d'affirmer par le moyen d'un document publicitaire, et lorsqu'ils recourent à ces produits ainsi que cela est démontré, que leurs pains sont naturels ce qui laisse supposer dans l'esprit du consommateur qu'ils ne font pas usage de ces additifs qu'ils soient d'origine chimique ou végétale.

Attendu enfin qu'il a été reconnu à l'audience par M. S que la fédération ne disposait d'aucun pouvoir, effectif pour vérifier a posteriori le respect des engagements réputés avoir été souscrits par chacun des boulangers qui a adhéré à cette charte, les membres de la fédération pouvant se voir légitimement refuser l'accès du fournil par ce confrère.

Que l'ordonnance critiquée doit être confirmée.

Par ces motifs : Statuant en Chambre du conseil, Vu les dispositions des articles 186, 197 et suivants et 216 du CPP, Reçoit M. Raymond S en son appel de l'ordonnance rendue le 12 décembre 1991 par le juge d'instruction d'Angers ayant rejeté sa demande de mainlevée de la décision en date du 23 octobre 1991 ordonnant la cessation immédiate de la publicité en faveur du " boulanger authentique " et la saisie de ses supports, Dit cet appel mal fondé et confirme l'ordonnance entreprise, Réserve les dépens.