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Décisions

CA Lyon, 7e ch., 26 février 1992, n° 126

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Soler (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Conseillers :

MM. Penz, Gouverneur

Avocats :

Mes Perrin, Colombier, Chaney-Thiolière.

TGI Lyon, 5e ch. corr., du 30 mai 1991

30 mai 1991

Par jugement en date du 31 mai 1991, le Tribunal de grande instance de Lyon a retenu V dans les liens de la prévention pour avoir, courant juin 1988 à (localité)(59), fait, en diffusant des offres de participation à une loterie intitulée " Prix en espèces ou prix avion ", une publicité comportant des indications ou présentations de nature à induire en erreur, portant sur les résultats pouvant en être attendus et la portée des engagements souscrits ;

Et par application des articles 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 463 du code pénal, 749, 750 du Code de procédure pénale l'a condamné à :

Trois mois d'emprisonnement avec sursis,

Cinquante mille francs d'amende,

A ordonné la publication du jugement, par extraits, aux frais du condamné, dans les journaux " Le Progrès ", " La Voix du Nord ", " Le Parisien Libéré ", " Ouest France ", " Sud Ouest ", " Le Provençal ", le coût de chaque insertion ne pouvant excéder 5 000 F HT,

Le même jugement a condamné le prévenu aux dépens, et a fixé la durée de la contrainte par corps conformément à la loi.

Sur l'action civile : Le tribunal a condamné V à payer aux époux Soler 20 000 F à titre de dommages-intérêts et 3 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; L'a condamné aux dépens.

Le même jugement a relaxé R des fins de la même poursuite.

Attendu que les appels du jugement déféré par le prévenu Jean-Jacques V et par le Ministère public à l'encontre de ce dernier et de Daniel R sont recevables pour avoir été interjetés dans les forme et délai de la loi ;

Attendu qu'il résulte de l'information et des débats les faits suivants :

A l'occasion d'une opération de promotion effectuée au début de l'été 1988, la société A, société de vente par correspondance sise à (localité)(59), organisait un jeu intitulé " Festival des prix en espèces et Prix avion ", et adressait à ses clients potentiels un catalogue de ses produits et un bulletin de participation au jeu, accompagnés d'une lettre circulaire explicative.

Les prix " Avion " consistaient en un voyage aux Etats-Unis d'une valeur de 20 000 F, des vacances dans le bassin méditerranéen d'une valeur de 10 000 F, un baptême de l'air d'une valeur de 2 000 F et une photographie prise par satellite de la région du client. En cas de réponse rapide, dans le délai de 15 jours, les participants concourraient également au tirage du Prix Succès 1988 pour une voiture Ford Escort d'une valeur de 50 000 F et à celui du Super Prix Succès 1988 doté d'une somme de 200 000 F.

Par courrier du 29 novembre 1988, les époux Soler déposaient plainte avec constitution de partie civile auprès du Doyen des Juges d'instructions du Tribunal de grande instance de Lyon du chef de publicité mensongère contre X, du fait des conditions d'organisation de ce jeu. Ils exposaient à cet effet que courant juin 1988 Mme Soler avait reçu de la société A un envoi contenant les documents susvisés soit, outre le catalogue, un bulletin de participation au jeu avec un prospectus sur lequel elle pouvait lire, sur la ligne correspondant au premier prix de 50 000 F, son nom et celui d'une autre concurrente. Un renvoi précisait qu'à chaque ligne se trouvaient le nom d'un gagnant et le nom d'un perdant.

Ayant confirmé sa participation au jeu, elle recevait peu après un second prospectus l'informant de ce qu'elle faisait partie des gagnants, alors que l'autre concurrente dont le nom était inscrit en face du gros lot de 50 000 F était mentionnée comme perdante. Elle concluait qu'elle venait de gagner cette somme de 50 000 F qu'elle ne parvenait cependant pas à se faire attribuer, la société A ne répondant pas clairement à ses demandes.

Le gérant de la société A, Daniel R déclarait que l'ensemble des opérations de promotion et de jeux était organisé par son directeur commercial, Jean-Jacques V, lequel bénéficiait d'une délégation de pouvoirs datée du 1er décembre 1987 lui rappelant qu'il devait agir dans le cadre des lois, réglementations et règles déontologiques professionnelles en vigueur. Il précisait également que ce genre de jeux était largement utilisé par les sociétés concurrentes de la sienne et était indispensable au développement et à la fidélisation de la clientèle. Il ajoutait enfin qu'à sa connaissance, la pratique du prétirage au sort des gagnants n'était pas interdite.

Entendu à son tour, Jean-Jacques V définissait les règles du prétirage en indiquant que les consommateurs participaient en fait à un jeu dont les gagnants avaient été préalablement tirés au sort et qu'ils ne connaissaient leur gain qu'à partir du moment où ils avaient répondu à l'offre de participation. Pour le cas de Mme Soler, il déclarait que le prétirage, réalisé le 31 mai 1988 par Maître Mocci, huissier de justice à Paris, avait permis à celle-ci de gagner un lot de consolation constitué de deux photographies prises par satellite qui lui avaient été normalement adressées. Selon lui une lecture attentive de l'ensemble des documents aurait dû permettre à la partie civile de se rendre compte qu'elle avait simplement gagné un prix, sans autre précision.

Jean-Jacques V affirmait encore qu'au démarrage du jeu Mme Soler avait une chance réelle de gagner le ou l'un des gros lot(s), mais admettait qu'au moment où elle renvoyait son bon de participation elle ne pouvait plus recevoir qu'un lot de consolation, par suite du tirage au sort préalablement effectué. Lors des débats de première instance, il reconnaissait en outre que les noms des perdants indiqués sur les documents incriminés correspondaient en fait aux deux clients qui n'avaient pas participé à ce jeu pour avoir déjà perçu des lots lors de jeux antérieurement organisés par la société A.

Discussion et motifs de la décision :

Sur l'action publique :

Attendu que Daniel R et Jean-Jacques V font plaider leur relaxe, par conclusions régulièrement déposées, en soutenant d'une part que le procédé du prétirage au sort des gagnants est licite et d'autre part que le libellé des documents remis aux participants potentiels au jeu critiqué ne comporte aucune allégation, indication ou présentation fausse ou de nature à induire en erreur, au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, un consommateur moyen, normalement intelligent et attentif ; qu'ils invoquent à cet effet la teneur du règlement dudit jeu figurant sur le document de présentation des lots assorti du coupon détachable " Bons de commande/Participation de gagnant " qui précise suffisamment, selon eux, qu'une parfaite incertitude existe quant à l'attribution des lots et quant à leur nature, et qui ne certifie nullement au client prospecté qu'il a gagné le gros lot, mais simplement qu'il a gagné l'un des lots proposés, fût-ce un lot de consolation, conformément aux règles contractuelles stipulées dans les documents qu'il a reçus ;

Mais attendu que n'est pas en cause, contrairement à l'opinion émise par les prévenus, le principe du prétirage au sort des gagnants ; que la cour doit simplement déterminer si les documents reçus par Mme Soler contenaient des indications ou comportaient une présentation de nature à l'induire en erreur sur l'engagement pris par la société A à son égard ;

Or attendu qu'il résulte de l'examen attentif du document ci-dessus décrit que l'indétermination que les prévenus affectent à l'attribution des lots et à leur nature, et qui pourrait être admise à la seule lecture des mentions préimprimées, est totalement levée par l'ajout en caractères d'imprimerie différents, genres caractères d'informatique, des nom et prénom des perdants et des gagnants; que l'incertitude alléguée est encore moins soutenable au vu de l'expression sous le nom et l'adresse de la partie civile, eux-mêmes situés sous un encart ainsi libellé :

" Face à chaque prix se trouve un gagnant et un perdant d'un prix en espèces ou d' " avion ". Auprès de quel prix votre nom se trouve-t-il ? ",

50 000 F Mme Joseph Soler - Mme Béatrice Boyer

mentions figurant au dos de la page contenant le règlement, lui-même rédigé en caractères minuscules;

Attendu que le sentiment que pouvait alors ressentir Mme Soler d'avoir gagné cette somme de 50 000 F n'a pu qu'être conforté en lisant sur la même page un autre encart, succédant à un texte dactylographié signé Jean-Jacques V, alias Jean-Jacques X, ainsi rédigé :

50 000 F

M. D. Baldes

Mme Joseph Soler

Attendu enfinque la perception de ce gain n'a pu que devenir une certitude pour Mme Soler lorsqu'elle a pu lire que le tirage au sort des gagnants avait déjà été fait et qu'elle a reçu, quelques jours après sa réponse, un document lui annonçant que Mme Béatrice Boyer et M. D. Baldes, présenté comme ses seuls rivaux pour l'attribution du prix de 50 000 F, figuraient dans la liste intitulée " tous les perdants ";

Attendu encore, et ce de façon superfétatoire, que les documents litigieux contiennent deux autres énonciations mensongères puisqu'ils indiquent :

- d'une part que l'un des prix " avion " est constitué d'une photographie satellite de la région de l'intéressé, alors qu'en réalité il s'agit de photographies, prises par satellite, de la France et de Paris et que la partie civile réside à Lyon, ce que n'a pas contesté Jean-Jacques V en remettant ces photographies aux enquêteurs lors de son audition du 22 mars 1989,

- d'autre part que sont perdants des individus nommément désignés, alors que ceux-ci n'ont pas participé au jeu litigieux et que la juxtaposition des expressions " gagnants " et " perdants " implique une notion de concurrence ou de compétition ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que par le libellé ambigu de leurs mentions ces documents étaient propres à abuser leurs destinataires sur le gain réel du premier lot, en leur laissant frauduleusement croire, comme à Mme Soler, qu'ils avaient gagné celui-ci;

Attendu que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont déclaré constitué en tous ses éléments le délit de publicité mensongère visé à la préventionet que leur décision mérite d'être confirmée sur ce point ;

Attendu, sur l'imputabilité de cette infraction que Daniel R invoque, pour échapper aux poursuites, la délégation de pouvoirs qu'il a donnée à son directeur commercial par une lettre du 1er décembre 1987 co-signée par ce dernier ; que pour sa part Jean-Jacques V demande à la cour de déclarer cette convention inapplicable au présent litige, aux motifs qu'il n'a pas conçu lui-même le jeu incriminé, lequel a été organisé par une société néerlandaise et que la société A, qui n'en est qu'une filiale, a simplement procédé à la traduction de ce jeu avant de le mettre en circulation sur le territoire français ;

Attendu qu'il résulte des propres déclarations de R lors des débats devant la cour que V ne disposait pas de la plénitude des pouvoirs qu'était censée lui conférer la délégation susvisée puisque ce dernier, de l'aveu même de son co-inculpé, devait lui rendre compte plusieurs fois par année du budget qui lui était confié et de la manière dont il le gérait; qu'en outre, dans la présente affaire, il n'est pas contesté que le directeur commercial n'a fait que diffuser, après traduction, un jeu imaginé aux Pays-Bas ; que de ce fait le moyen tiré de cette délégation apparaît inopérant ;

Attendu en conséquenceque R doit assumer à titre principal, par application de l'alinéa 7 du paragraphe II de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, la responsabilité de l'infraction commise par la société A dont il est le dirigeant;

Attendu qu'en raison de la gravité des faits commis envers les très nombreux destinataires de la publicité ci-dessus reconnue fallacieuse, il convient de prononcer à son encontre une peine de trois mois d'emprisonnement assortie du sursis simple, outre une peine de 200 000 F d'amende ;

Attendu toutefois qu'il n'est pas contesté que Jean-Jacques V a sciemment concouru à la réalisation de l'infraction ci-dessus retenue en assurant la diffusion du jeu et notamment en signant sous le nom de X l'un des documents envoyés aux clients et concurrents potentiels, permettant ainsi en connaissance de cause à l'auteur principal de commettre le délit; qu'il convient en conséquence de requalifier les faits visés à la prévention à son encontre en complicité du délit de publicité mensongère;

Attendu qu'une peine d'amende de 50 000 F apparaît la juste sanction des faits dont il vient d'être reconnu coupable ;

Attendu encore que la cour estime devoir confirmer, pour prévenir la réitération d'infractions similaires, les mesures de publications ordonnées par le jugement critiqué ;

Sur l'action civile :

Attendu que c'est par une exacte appréciation des éléments de la cause et des pièces justificatives versées aux débats que les premiers juges ont fixé à 20 000 F le montant du dommage de la partie civile, qui a incontestablement subi un préjudice directement lié aux infractions susvisées ; que le jugement sera confirmé sur ce point ainsi que sur l'allocation à la partie civile d'une somme de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Attendu toutefois qu'en l'absence d'appel incident de la part de cette partie civile à l'encontre de Daniel R, la cour ne peut que constater que les dispositions civiles du jugement sont devenues définitives à son égard et déclarer Jean-Jacques V seul tenu de ces condamnations civiles ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme les dispositions pénales du jugement du 30 mai 1991 du Tribunal correctionnel de Lyon ; Déclare Daniel R coupable du délit de publicité mensongère visé à la prévention ; Requalifie les faits reprochés à Jean-Jacques V en complicité du délit de publicité mensongère commis par Daniel R et le déclare coupable du délit ainsi requalifié ; En répression condamne : - Daniel R : aux peines de trois mois d'emprisonnement avec sursis et de 200 000 F d'amende, - Jean-Jacques V à la peine de 50 000 F d'amende ; Constate que l'avertissement prévu par l'article 737 du Code de procédure pénale a été donné à Daniel R dans la mesure de sa présence effective à l'audience où le présent arrêt est prononcé ; Confirme dans leur intégralité les dispositions civiles du jugement entrepris ; Condamne Daniel R et Jean-Jacques V aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront partagés par parts égales entre chacun desdits condamnés, sans solidarité entre eux ; Condamne en outre Jean-Jacques V aux frais de l'action civile ; Fixe en tant que de besoin la durée de la contrainte par corps conformément à la loi ; Le tout par application des articles 59, 60 du Code pénal, 1er de la loi du 1er août 1905, 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 473, 485, 509, 512, 513, 514, 515, 734-1, 737, 749 et 750 du Code de procédure pénale.