Livv
Décisions

CA Bastia, ch. corr., 20 mai 1992, n° 156

BASTIA

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Chevignon Charles (SA), UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Flach (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Moignard, Ben Soussan

Avocats :

Mes Ferrandini, Bujoli

TGI Ajaccio, ch. corr., du 13 déc. 1991

13 décembre 1991

LA COUR statuant en audience publique sur les appels interjetés les 20 et 23 décembre 1991, par :

- R Mélanie, née le 18 mars 1939 à Pruno (Haute-Corse) fille de Lino et de Antoinette Z, de nationalité française, célibataire, gérante de magasin, demeurant [adresse] ;

Comparante, assistée de Maître Ferrandini, avocat au barreau de Bastia ;

- M. le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Ajaccio ;

D'un jugement du Tribunal de grande instance d'Ajaccio, en date du 13 décembre 1991, qui a condamné R Mélanie à la peine de 20 000 F d'amende ;

Ordonné aux frais de la condamnée, la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants : La Corse et Nice-Matin ;

Dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser la somme de 1 500 F par insertion ;

Ordonné la confiscation des marchandises saisies ;

Pour avoir à Mezzavia, le 13 novembre 1990, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine de biens faisant vente en vitrine des vêtements marqués " Chevignon " alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette appellation d'un bien ou d'un service ;

Infraction prévue et réprimée par les articles 44-I, 44-II alinéas 7, 8, 44-II alinéas 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905 ;

Pour avoir à Mezzavia, le 13 novembre 1990, trompé Chevignon sur la nature, l'espèce ou l'origine, les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles de la marchandise vendue sous la dénomination fausse de vêtements marqués Chevignon alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette appellation ;

Infraction prévue et réprimée par les articles 1 et 6 de la loi du 1er août 1905 et l'article 51 alinéa 2 du Code pénal ;

Reçu en sa constitution de partie civile :

- La SA Chevignon Charles, 20 rue Sambre de Meuse 75010 Paris ;

Représentée par Maître Bujoli, avocat au barreau d'Ajaccio ;

Déclaré R Mélanie responsable du préjudice subi par la SA Chevignon Charles ;

L'a condamnée à verser à la SA Chevignon Charles la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Condamné R Mélanie à verser à la SA Chevignon au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 1 500 F ;

Reçu en sa constitution de partie civile :

- UFC Que choisir 2, rue San Lazaro 20 000 Ajaccio ;

Comparant en la personne de Mme Celli Anne-Marie ;

Déclaré R Mélanie responsable du préjudice subi par UFC Que choisir ;

Condamné R Mélanie à payer à UFC Que choisir la somme de 2 000 F à titre de dommages-intérêts.

Mme R est la gérante d'un magasin de vente de vêtements, qui dépend de la SARL X ;

Elle avait eu connaissance par une personne de ses relations au Maroc, dont elle veut taire le nom, qu'il lui était possible de se procurer des vêtements à de bonnes conditions de prix ;

C'est ainsi que la prévenue commandait à l'hypermarché " Y " à Rabat, 200 tee-shirts de marque " Chevignon " ;

Cet établissement lui facturait cet achat le 8 octobre 1990 spécifiant sur ce document la marque de ce lot de vêtements ;

Mme R faisait parvenir une partie de ces tee-shirts à l'exploitante d'un magasin qui dépend de la SARL F à Ajaccio qui les exposait à la vente ;

Certains de ces vêtements étaient ornés sur leur face antérieure du nom " Chevignon " seul, ou assorti de mentions ou devises ;

L'inscription de la marque " Chevignon " sur le vêtement comme motif décoratif constituait ce vêtement en support publicitaire de la marque ;

Avec cette circonstance en retour, que le produit devient une illustration de la marque qu'il affiche ; procédé que l'on pourrait qualifier en quelque sorte de " publicité par le fait " ;

L'ensemble des vêtements était mis en vente sous la marque " Chevignon " ou par référence à celle-ci ;

L'authenticité de cette appellation était mise en question ;

Il ressortait de vérifications entreprises auprès de la maison mère, que les tee-shirts dont s'agit, ne figuraient pas dans son catalogue et qu'ils ne comportaient aucune marque qui justifie de l'appellation sous laquelle ils étaient commercialisés ;

La qualité médiocre des vêtements que Mme C, chef vendeuse du magasin d'Ajaccio, constatait avec surprise, au regard de la réputation de la marque, est un élément de fait qui ne pouvait lui échapper et qui aurait dû l'inciter à toutes vérifications utiles auprès de la maison Chevignon, ce qu'elle n'a pas fait ;

La prévenue déclarera qu'elle ignorait que les tee-shirts " étaient faux " ; toutefois, en refusant de communiquer aux enquêteurs le nom de l'ami qui lui a permis de passer la commande au Maroc, elle leur ôtait la possibilité de poursuivre des investigations qui lui auraient permis, éventuellement, de faire apparaître sa bonne foi.

Sur la publicité mensongère :

Les circonstances de la commande et de la mise en vente des vêtements dont s'agit, ainsi qu'elles viennent d'être exposées, les réticences de la prévenue au sujet d'une information commerciale, somme toute banale, qui lui avait été communiquée, la qualité des vêtements qui lui avaient été livrés dont la médiocrité évidente, ne pouvaient manquer de susciter un doute sérieux sur leur authenticité, telle qu'une vérification s'imposait ;

Toutefois elle a diffusé la publicité de cette marque suivant les modalités qui ont été décrites et analysées ;

Sur la tromperie :

Les vêtements " Chevignon ", outre leurs qualités intrinsèques, connaissent auprès des consommateurs une faveur particulière, au point qu'elle se porte sur le nom de " Chevignon " lui-même ;

Cet engouement a pour effet que la marque suffit à caractériser un objet et à le signaler d'une manière flatteuse au choix d'éventuels acheteurs ;

De la sorte, il s'annonce et se recommande par le fait qu'il est " un Chevignon " ;

Cette particularité, la mode aidant, est caractéristique de la qualité substantielle prise en considération par l'acheteur ;

En conséquence,

La prévenu ne pouvait ignorer que la marque " Chevignon " pour des vêtements auxquels elle était attribuée, correspondait à une appellation fausse dont elle réalisait, toutefois, la diffusion publicitaire ;

De surcroît, du moment où la marque " Chevignon " revêt le caractère d'une qualité substantielle, son utilisation par la prévenue, en vue de la vente dans les circonstances dont s'agit, est constitutive du délit de tromperie visé à l'acte de poursuite ;

Celui-ci énonce que les agissements de la prévenue tendaient à tromper la société " Chevignon " ;

En réalité cette tromperie n'était susceptible de parvenir à effet que dans le cadre d'un contrat ou dans la perspective de sa conclusion avec d'éventuels acheteurs ;

Il échet de rectifier en ce sens le libellé de cette qualification ;

Les premiers juges, à juste raison, se sont prononcés affirmativement sur la culpabilité de la prévenue des deux chefs de la poursuite, que par une appréciation pertinente des faits qu'ils ont justement sanctionnés, ce que la cour confirmera ;

Y ajoutera, toutefois, en ce qui concerne le coûts des insertions, à l'effet de leur conférer une valeur d'information plus complète, elle portera le coûts de chacune d'elles à 2 000 F ;

Sur les intérêts civils :

La société Chevignon, et UFC Que choisir concluent à la confirmation du jugement sur les dispositions civiles ;

UFC réclame de surcroît en cause d'appel, la somme de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

La cour confirmera la décision déférée en ce qui concerne UFC et considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie civile la totalité des frais irrépétibles, lui allouer à ce titre une somme de 1 500 F ;

Quant à la réclamation de Chevignon, il appert que les délits de publicité mensongère et de tromperie sur la qualité des marchandises destinées à la vente étaient de nature à induire en erreur sur l'authenticité de l'origine et les qualités substantielles des vêtements, leurs éventuels acheteurs ;

En l'occurrence le préjudice allégué par la société Chevignon ne trouve pas sa source dans les infractions dont s'agit ; la cour la déclarera irrecevable en sa constitution de partie civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sur l'action pénale ; Y ajoutant, dit que le coût de chaque insertion dans la presse n'excédera pas la somme de deux mille francs ; Confirme les disposition civiles du jugement qui concernent UFC Que choisir ; Condamne R à lui payer la somme de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Déclare " Chevignon " irrecevable en sa constitution de partie civile ; Condamne R Mélanie aux dépens liquidés à la somme de 432 F en ce non compris les frais de premiers instance ; Fixe la durée de la contrainte par corps conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale ; Le tout en application des articles 44-I, 44-II alinéas 7, 8, 44-II alinéas 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905 et 51 alinéa 2 et 463 du Code pénal, 496 à 520 du Code de procédure pénale.