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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 14 juin 1994, n° 1180-93

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Millet, Pohl, Union féminine civique et sociale, Conseil départemental des associations familiales laïques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thévenot

Conseillers :

Mmes Edoux de Lafont, Carbonnier

Avocats :

Mes Doutriaux, Perret.

TGI Bergerac, ch. corr., du 29 juin 1993

29 juin 1993

Par actes en date du 7 juillet 1993 reçus au secrétariat greffe du Tribunal de grande instance de Bergerac, les prévenus (sur les dispositions pénales et civiles), le Ministère public et le CDAFAL ont relevé appel d'un jugement contradictoire rendu par ledit tribunal le 29 juin 1993 à l'encontre de :

D Jean-Claude est prévenu d'avoir sur le territoire national, courant 1990 et jusqu'au 27 février 1991, effectué des publicités comportant des allégations, indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur et portant sur l'existence, la nature, la composition, les qualités substantielles, la teneur en principes utiles, l'espèce, l'origine, la quantité, le mode et la date de fabrication, les propriétés, prix et conditions de ventes de biens ou services en l'espèce en laissant croire que les produits alimentaires objets desdites publicités ont été élaborés traditionnellement par une entreprise implantée en Périgord.

Faits prévus et punis par les articles 44-II de la loi n° 73-1193 du 27-12-73, article 1er de la loi du 1-08-1905.

K Marie-Thérèse épouse D est prévenue d'avoir sur le territoire à partir du 27-02-1992 et jusqu'au mois de mars 1992, effectué des publicités mensongères comportant des allégations, indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur et portant sur l'existence, la nature, la composition, les qualités substantielles, la teneur en principes utiles, l'espèce, l'origine, la quantité, le mode et la date de fabrication, les propriétés, prix et conditions de ventes de biens ou services en l'espèce en laissant croire que les produits alimentaires objets desdites publicités ont été élaborés traditionnellement par une entreprise implantée en Périgord.

Faits prévus et punis par les articles 44-II de la loi n° 73-1193 du 27-12-73, article 1er de la loi du 1-08-1905.

Le tribunal les a déclarés coupables des faits qui leurs sont reprochés et en répression les a condamnés :

- M. D à 120 000 F d'amende,

- Mme D à 50 000 F d'amende.

A ordonné la publication du présent jugement par extraits dans les journaux SO de la Dordogne, Echo de la Dordogne et Télé 7 jours à concurrence de 3 000 F par insertion aux frais conjoints des deux prévenus ;

Les a condamnés aux dépens ;

A déclaré recevable la constitution de partie civile du CDAFAL ;

A condamné M. et Mme D solidairement à lui payer 12 000 F à titre de dommages et intérêts, 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

A reçu l'UFCS en sa constitution de partie civile ;

A condamné les prévenus solidairement à lui payer 10 000 F à titre de dommages et intérêts et 300 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Les appels interjetés successivement le 7 juillet 1993 par Jean-Claude D, Marie-Thérèse K par le Ministère public et par le CDAFAL à l'encontre du jugement rendu le 29 juin 1993 par le Tribunal correctionnel de Bordeaux sont recevables pour avoir été déclarés dans les forme et délai de la loi.

Les faits :

Marie-Thérèse K est présidente du conseil d'administration de la société " Z ", société anonyme inscrite depuis septembre 1990 au registre du commerce de Bergerac, dont le siège social se trouve à Eymet ; Jean-Claude D en est le directeur général. Cette société a pour activité la vente par correspondance de foies gras et de charcuterie. Son centre d'exploitation se trouve à Lesquin, dans le Nord.

Depuis l'automne 1990, la société " Z " a fait publier des publicités dans les journaux populaires (Télé 7 jours, Bonnes Soirées, Femme Actuelle, Rustica, Le Pèlerin), comportant les termes suivants :

- X et Y, maîtres gastronomes (localité)en Périgord.

- découvrez la vraie saveur du foie gras comme nous l'aimons en Périgord.

- nous avons exploré le Périgord, terroir du foie gras, et précisément à (localité), nous avons découvert les foies gras extraordinaires des maîtres gastronomes X et Y ; ce sont les meilleurs que nous ayons jamais goûtés...

- authentique héritage de recettes ancestrales ... préparées à partir de produits de toute première qualité.

- les trésors de la gastronomie périgourdine.

- pour vous, nous sélectionnons les recettes traditionnelles qui nous offrent les saveurs les plus authentiques.

- nous, X et Y, sélections avec rigueur et conviction tous nos blocs de foies gras pour vous offrir une qualité et une saveur irréprochable.

L'ensemble des publicités met lourdement l'accent sur le Périgord par une répétition du mot dans les textes (jusqu'à 7 reprises dans un dépliant).

Par ailleurs, ces publicités mettaient en avant des conditions de prix avec les termes " offre spéciale ", " conditions exceptionnelles " et l'énonciation de rabais sur un ensemble de préparation dont les prix individuels n'étaient pas précisés.

La rédaction des publicités a connu des modifications au cours de l'année 1991, pour ajouter le Quercy, la Gascogne, ou le Sud-Ouest comme région de provenance des produits vendus.

L'enquête effectuée par la DGCCRF de la Dordogne, qui a abouti à un procès-verbal du 18 décembre 1991, relève que :

- l'activité effective de la société " Z " se situe dans le Nord ; les expéditions des livraisons en proviennent ; jusqu'en décembre 1990, la société n'avait pas de numéro de téléphone à (localité), elle y a loué un local très petit, et fait réexpédier son courrier à Lesquin, où se trouvent en permanence les responsables de la société. Le lieu-dit La Bastide n'existe pas à (localité).

- les photographies publicitaires censées représenter X et Y figurent en fait Jean-Claude D ou Marie-Thérèse K ou d'autres personnes ; elles les mettent en situation de présentation de produits qui peuvent être pris comme leurs fabrications ;

- les foies gras et pâtés vendus par la société " Z " sont fabriqués à compter de novembre 1990, en grande partie dans le Lot, les Landes, le Gers. Ils sont commandés à des industriels. Il n'y a aucune fabrication assurée directement par X et Y, patronymes imaginaires. Les bons de commandes adressés aux fabricants ne comportent aucune spécification d'origine, d'où il résulte que les composants peuvent même être importés.

- Jean-Claude D et Marie-Thérèse K ne peuvent justifier de contrôles de qualité, qu'ils estiment cependant confier à un laboratoire.

Moyens des parties :

Jean-Claude D et Marie-Thérèse K font valoir au soutien de leurs appels que seules trois plaintes de particuliers et les courriers de diverses DGCCRF ont trait à l'origine des produits vendus ; que le Périgord comprend non seulement l'actuel département de la Dordogne, mais également une partie de celui du Lot ; que le mot " Périgord " ne constitue pas une appellation d'origine ; que l'élaboration du produit dans une région suffit pour en faire admettre la provenance, même si les composants viennent d'une autre région, ceci aux termes du règlement CEE du 27 juin 1968 ; qu'en septembre 1990, ils ont fait fabriquer leurs pâtés chez Champion à Périgueux, à compter de novembre 1990 par les sociétés " La Truffe " à Razac-sur-l'Isle, " Eymet village " à Eymet, " les Trois Périgourdins " à la Coquille, toutes situées en Dordogne, et par la société " Besse ", à Praysac dans le Lot ; que c'est à compter de décembre 1990 qu'ils ont fait leurs achats auprès de la société " Maury "à Souillac (Lot), puis, à compter de la mi 1991, auprès d'un fabricant de Gimont (Gers) ; que les fabricants des produits vendus ont une expérience et une notoriété incontestable, qui permet de faire référence, comme d'autres commerçants pour les mêmes produits, aux traditions du Périgord ; que la DGCCRF du Lot admet d'ailleurs que les produits vendus par eux sont " classiques ", ce qui indique bien leur caractère traditionnel ; que l'hyperbole commerciale dont ils ont usé dans les documents de présentation au public est licite en matière publicitaire ; que rien dans les textes diffusés ne permet de penser que les produits vendus ont été fabriqués par la société " Z " ; qu'au contraire, il est clairement fait référence à un travail de sélection, de découverte, de composition d'un colis. Ils sollicitent ainsi leur relaxe en soutenant que les éléments constitutifs du délit poursuivi ne sont pas réunis.

Le Ministère public expose que l'inexactitude des mentions publicitaires sur l'origine du produits sont manifestement inexactes ; que la publicité incriminée est bien de nature à induire le public en erreur dans la mesure où elle tend à faire croire à l'existence de personnes physiques fabriquant les denrées vendues ; que contrairement aux mentions de cette publicité, il n'y a aucune prescription d'origine imposée aux fournisseurs, ni de sélection opérée pour le choix des pâtés, et qu'ils ne sont pas fabriqués dans le Périgord, sauf pour un temps très bref ; que les publicités en cause présentent d'autres irrégularités non poursuivies ; que celui de publicité mensongère n'est pas constitué, il requiert la confirmation des amendes prononcées, et une extension de la publication de la diffusion.

Motivation :

Il est constant que la dénomination " Périgord " ne constitue pas au sens propre une appellation d'origine. Toutefois, l'usage inexact de cette indication de l'origine du produit est cependant de nature à constituer un mensonge publicitaire de nature à induire le public en erreur dans la mesure où cette région constitue un centre de production de produits alimentaires particuliers, et bénéficie d'une réputation de traditions gastronomiques de nature à provoquer et déterminer dans le public des choix dans les achats alimentaires, effectués en raison précisément d'une origine notoire, propre à assurer la qualité et l'authenticité du produit acquis.Des indications de provenance voisine - le Quercy, la Gascogne, le Gers, le Lot et Garonne, le Tarn et Garonne - jouissent chez les acquéreurs du Nord de la France d'une notoriété moindre, et présentent un attrait moins décisif en termes publicitaires.

La fausseté des indications sur l'origine périgourdine d'un produit est donc de nature à tromper le public,amené à rechercher de préférence des produits fabriqués en Dordogne comme présentant des qualités particulières.

La région du Périgord recouvre la majeure partie de l'actuel département de la Dordogne. Elle ne comprend aucune partie du Quercy, qui en est nettement distinct, historiquement, géographiquement, sur le plan de la langue, des traditions et des comportements politiques et sociaux. Aucune confusion n'est possible, puisque la région du Quercy, qui correspond très exactement aux deux départements du Lot (Haut Quercy) et du Tarn et Garonne (Bas Quercy), présente cette particularité de marquer ses bornes géographiques par des toponymes limitrophes spécifiques, constitués du nom de la commune suivi de l'ajout : " du Quercy " ou " en Quercy ". Preyssac et Souillac ne sont donc pas des communes du Périgord.

Il est constant que pendant la période où la société " Z " s'est exclusivement fournie chez un conserveur de Dordogne, c'est-à-dire au mois de septembre et au mois d'octobre 1990, aucune stipulation des bons de commandes n'obligeait le fournisseur à mettre en œuvre des produits du Périgord. Par la suite, les produits vendus sur les commandes reçus jusqu'en janvier 1992 ne mentionnaient que le Périgord comme région de provenance, et n'ont commencé qu'ultérieurement à indiquer le Sud-Ouest ou la Gascogne, étaient fabriqués soir dans la Dordogne, soit dans le Lot. Ainsi, c'est faussement que ces annonces publicitaires présentaient au cours de cette période de temps, les pâtés vendus comme venant du Périgord.

D'autre part, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé comme étant une indication publicitaire mensongère de nature à induire le public en erreur, les mentions des réclames visant à faire accroire aux acheteurs que la société " Z " était une entreprise implantée en Périgord, élaborant traditionnellement ses fabrications.En effet :

- jusqu'en février 1991, date limite visée à la prévention, la société " Z " n'avait pas d'activité effective à (localité), pas de numéro de téléphone sur la commune jusqu'en novembre 1990, pas de salariés, des locaux qui ne servaient ni de local de fabrication d'ailleurs inexistante, ni de bureaux d'expédition, entièrement exécutée à partir du Nord. Le siège social choisi par la société " Z " apparaît ainsi comme un moyen de faire penser fallacieusement que la société a une activité locale en Périgord, ce qui entraîne des déductions nécessaires sur ses compétences supposées en matière de charcuterie locale, de liens avec les traditions du goût les compétences et les savoir-faire.

- les textes publicitaires visent évidemment à persuader de l'existence de deux personnes physiques disposant de patronymes évocateurs du Sud-Ouest, et à les présenter suivant le cas comme des fabricants ou comme des sélectionneurs des denrées vendues. Cette création d'apparences mensongères est bien de nature à induire en erreur, puisque la confiance du consommateur se porte naturellement sur des fabricants que l'on croit physiquement identifiables, travaillant en milieu rural de façon traditionnelle, plutôt que sur un revendeur de produits industriels.

- la fabrication par ces personnes inventées était inexistante, de même que la sélection des produits prétendue par les textes publicitaires, puisque les bons de commandes figurant au dossier démontrent l'existence d'une fourniture de produits industriels commandés en bloc sur quantité définie.

- les explications présentées par les prévenus sur l'usage de leurs seconds prénoms et sur une occitanisation de leur nom flamand ne font que confirmer la volonté de fabriquer des apparences d'une fabrication locale.

- les produits vendus sont fabriqués industriellement par des conserveurs, contrairement aux affirmations de fabrication traditionnelle, suivant des recettes authentiques, qui sont évocatrices d'un artisanat.

Ainsi les faits visés à la prévention, à savoir laisser croire que les produits alimentaires objets de la publicité avaient été élaborés traditionnellement par une entreprise implantée en Périgord, et, par ce moyen, diffusé des publicités comportant des allégations, indications, présentations fausses de nature à induire le public en erreur sur l'origine et les modes de fabrication, sont bien constitués. Jean-Claude D est bien responsable personnellement des faits, puisqu'il se présente comme le concepteur de la publicité en cause ; Marie-Thérèse K par ses fonctions sociales et salariées dans la société " Z ", a été associée à sa mise en place. Le jugement déféré doit être confirmé sur la culpabilité.

En ce qui concerne la peine prononcée, elle apparaît mal adaptée aux faits de l'espèce. Il convient de privilégier, en dehors d'une amende, dès lors inférieure en montant, la publication de la décision, réparatrice du trouble causé par l'infraction. Celle-ci mérite d'être sanctionnée avec une certaine sévérité, dans la mesure où elle a été commise par le moyen d'une publicité dans des publications populaires à grande diffusion, visant une clientèle modeste et plutôt âgée, celle précisément qui peut se laisser abuser le plus aisément par une présentation mensongère. Il convient en conséquence de condamner Jean-Claude D au paiement d'une amende de 60 000 F et Marie-Thérèse K à celui d'une amende de 30 000 F.

La publication de la présente décision sera ordonnée dans les périodiques " Rustica ", " Télé 7 Jours ", " Bonnes Soirées ", " Femme Actuelle ", " Notre Temps ", " Le Pèlerin ", dans lesquelles sont parues les publicités en cause, et ceci dans la limite de 5 000 F par insertion.

Sur l'action civile :

Le CDAFAL sollicite la condamnation de Jean-Claude D et de Marie-Thérèse K à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les autres parties civiles ne comparaissent pas.

Les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la recevabilité des constitutions de parties civiles, de la responsabilité du prévenu, ainsi que du montant des préjudices ; il ne peut être porté pour ce qui concerne le CDAFAL au montant sollicité par cette partie civile. En effet, s'il apparaît, comme l'ont relevé les premiers juges, que le CDAFAL a été présent dans le dossier pour s'être inquiété des publicités en cause, dès avant la citation des prévenus, s'il subit un préjudice provenant de l'atteinte aux intérêts qu'il défend, et est particulièrement exposé à ce titre comme étant une association locale, et si son activité l'a amené à des démarches dans la phase d'enquête, ce préjudice est suffisamment réparé par l'indemnité globale allouée par les premiers juges.

De même les rejets des demandes des parties civiles Pohl et Millet prononcées par les premiers juges sont justifiées par les motifs énoncés au jugement.

Les dispositions civiles concernant l'UFCS ne sont pas critiquées et le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement déféré dans ses dispositions civiles.

Il apparaît équitable de laisser supporter au prévenu une partie limitée à 1 500 F, des frais irrépétibles du procès d'appel exposés par la partie civile, par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs et ceux non contraires du tribunal qu'elle adopte : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par arrêt contradictoire à l'égard des prévenus, contradictoire à l'égard du CDAFAL, et par défaut à l'égard de Pohl et Millet, de l'UFCS, En la forme, Déclare recevable les appels des prévenus, du Ministère public, et du CDAFAL. Au fond, Confirme le jugement déféré sur la qualification des faits et la culpabilité, Le réforme sur l'application de la peine et statuant à nouveau, Condamne Jean-Claude D au paiement d'une amende de 60 000 F et Marie-Thérèse K au paiement d'une amende de 30 000 F. Ordonne la publication de la présente décision par extraits, dans la limite d'un coût de 5 000 F par insertion, dans les publications suivantes : - Bonnes Soirées, - Rustica, - Télé 7 Jours, - Notre Temps, - Le Pèlerin, - Femme Actuelle, le tout aux frais des prévenus solidairement entre eux. Sur l'action civile : Confirme le jugement déféré dans ses dispositions civiles. Y ajoutant, condamne Jean-Claude D et K épouse D Marie-Thérèse à payer au CDAFAL la somme de 1 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné, en application de l'article 1018 du CGI.