Livv
Décisions

CA Rouen, ch. corr., 10 août 1994, n° 70-94

ROUEN

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tardif

Conseillers :

MM. Solle-Tourette, Cardon

Avocat :

Me Hollier-Larousse.

TGI Evreux, ch. corr., du 16 nov. 1993

16 novembre 1993

Jean F a été à la requête du Ministère public cité directement par exploit délivré le 4-10-1993 à personne devant le tribunal correctionnel.

Il était poursuivi pour:

Avoir à Tosny, courant avril 1993, étant gérant de la société X exploitant "Y", effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur plusieurs des éléments ci-après: prix et conditions de vente des biens ou services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur utilisation, portée des engagements pris par l'annonceur en l'espèce:

- en faisant mention d'un prix seuil en pension complète de 6 000 F pour une location alors que ce prix s'entend par personne et qu'une personne seule ne peut louer ce type d'appartement, qu'il s'ensuit que ce prix doit être au minimum multiplié par 2 voire 3;

- en mentionnant dans la documentation publicitaire: "Vous trouverez sur place... les services d'infirmières et de kinésithérapeutes..." alors que ceux-ci viennent de l'extérieur et ne sont pas installés à demeure;

infraction prévue et réprimé par les articles 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1-08-1905;

Le tribunal par jugement contradictoire du 16-11-1993 l'a condamné à une peine d'amende de 15 000 F et a déclaré la société X irrecevable en son intervention.

Par déclaration au greffe du tribunal le prévenu le 24-11-1993 sur les dispositions pénales, le Ministère public et la partie intervenante le 25-11-1993 ont interjeté appel de cette décision.

Jean F a été cité devant la cour par exploit délivré le 6-05-1994 au siège, et dont il est établi qu'elle en a eu connaissance, est présente et assistée; l'arrêt à intervenir sera rendu contradictoirement à son égard.

La partie intervenante régulièrement citée devant la cour par exploit délivré le 6-05-1994 au siège, et dont il est établi qu'elle en a eu connaissance, est présente et assistée; l'arrêt à intervenir sera rendu contradictoirement à son égard.

Le Ministère public requiert que le contentieux est précis et porte sur deux séries de faits: d'une part sur la mention d'un prix seuil et de la possibilité de location et d'autre part sur l'existence "sur place" de services et personnels médicaux ou paramédicaux; que sur le premier point l'ambiguïté n'est pas certaine mais que sur le second elle l'est car la présence du médecin et des personnels paramédicaux n'est pas définie et crée de ce fait une confusion certaine.

Sur la répression, le Ministère public s'en remet.

Le prévenu expose qu'il a effectivement préparé la publicité pour "Y" lui-même, que le terme "pension complète" s'entend selon lui par personne et que d'ailleurs lorsque des personnes se déclarent intéressées sa société leur envoie les tarifs.

Le prévenu indique également qu'il produit le nom de 30 locataires de sa résidence à moins de 6 000 F par mois, que la résidence est organisée selon un système de colocation et qu'enfin il existe un médecin dans la résidence et des conventions avec des kinésithérapeutes et des infirmiers libéraux.

Il fait plaider que la publicité s'adresse à un consommateur moyen normalement intelligent, donc:

- qu'en l'espèce ce consommateur ne peut associer le prix de 6 000 F à un local précis, alors même que le terme de pension complète s'adresse à la personne, qu'il n'y a donc aucune ambiguïté sur le prix puisqu'il dépendra du type d'occupation.

- qu'en ce qui concerne l'assistance médicale il y a des locaux et une convention en place pour assurer la présence de personnels médicaux et paramédicaux, qu'il est indifférent que ces personnels soient présents 24 h sur 24 ou pas, puisque ces personnes viennent aussi souvent que nécessaire.

Qu'en conséquence, le jugement devra être infirmé et Jean F relaxé.

Le prévenu et la partie intervenante, la SARL X font également conclure:

"Attendu que M. Jean F et la SARL X sont appelants d'un jugement rendu le 16 novembre 1993 par le Tribunal de grande instance d'Evreux, ayant:

- condamné Jean F pour publicité mensongère, infraction prévue et réprimée par l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et l'article 1er de la loi du 1er août 1905.

- condamné M. Jean F à la peine d'amende de 15 000 F.

- déclaré la société X irrecevable en son intervention tendant à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle entend garantir M. F de l'intégralité des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

Attendu qu'il importe de rappeler qu'il est reproché à M. Jean F d'avoir, en sa qualité de gérant de la société X, effectué une publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur, pour l'immeuble sis aux Andelys (Eure), à l'enseigne "Y", destiné à la résidence de personnes âgées.

Attendu que deux griefs sont formulés à l'encontre de cette publicité, l'un sur les indications de prix, l'autre sur les prestations paramédicales.

Sur les indications de prix:

Attendu qu'il est reproché à M. Jean F d'avoir fait mention, dans les encarts publicitaires, d'un prix seuil en pension complète de 6 000 F pour une location, alors que ce prix n'était pratiqué qu'en cas de partage d'un appartement et que si une personne voulait louer un appartement à "Y", le prix minimum pratiqué serait deux à trois fois supérieur.

Attendu que pour retenir les liens de la prévention, le tribunal a retenu que la mention "à partir de 6 000 F par mois - pension complète", sans préciser que le prix s'entend par personne, avait nécessairement induit le public en erreur du fait que l'encart publicitaire en cause portait un bandeau en surcharge de la photographie avec la mention "en location", alors que les prix locatifs sont traditionnellement appliqués par logement et non par occupant.

Attendu ce faisant que le tribunal a fait une mauvaise appréciation de la situation.

Attendu en effet qu'il ne saurait être contesté que l'indication d'un prix seuil de 6 000 F par mois avec la précision "pension complète" implique nécessairement qu'il s'agit d'un tarif par personne, et non par logement.

Attendu qu'il importe de souligner que, plus de 3 ans après la publicité incriminée, environ une trentaine de résidents en colocation sont en "pension complète" en payant moins de 6 000 F par mois.

Attendu en tout état de cause qu'il importe de souligner que la résidence Y comprend, notamment, des chambres individuelles qui, à l'époque où ont été diffusées les publicités incriminées, étaient offertes à la location et pour lesquelles le coût de pension complète par mois revenait à 5 850 F, somme en-deçà du prix seuil de 6 000 F mentionné dans la publicité incriminée.

Attendu sur ce point que le tribunal écrit qu'il résulterait du tableau des tarifs figurant l'annexe 3 que ce tarif ne pouvait être qu'en partageant l'appartement entre trois personnes, avec communauté de la cuisine et de la salle de bain, dans des conditions étrangères au "confort" et à "l'indépendance" stipulés dans ladite annonce.

Attendu ce faisant qu'ici encore le tribunal a fait une appréciation inexacte de la situation.

Attendu en effet que contrairement à ce qu'écrit le tribunal, ces trois chambres (qui ne comportent pas de cuisine, ce qui suppose donc que l'occupant soit en "pension complète") sont réellement indépendantes, avec une salle de bain privative.

Sur les prestations médicales:

Attendu qu'il est reproché à M. F d'avoir fait mention dans les encarts publicitaires que la clientèle trouverait "sur place" ... "les services d'infirmières et de kinésithérapeutes", alors qu'aucun praticien de ces disciplines n'était attaché à l'établissement "Y", ni installé à demeure.

Attendu qu'ici encore le grief de publicité mensongère est totalement injustifié.

Attendu que la présence sur place des services d'infirmières et de kinésithérapeutes signifie, sans autre engagement, que les résidents peuvent se faire soigner sur place par les infirmières et les kinésithérapeutes, ce qui est le cas.

Attendu en effet que des infirmières et kinésithérapeutes ont signé une convention par laquelle ils s'obligent à effectuer tous les actes infirmiers et kinésiques prescrits par le médecin.

Attendu que M. F justifie de ce que Y met deux locaux équipés à la disposition des infirmières et kinésithérapeutes, pour leur permettre d'effectuer sur place leurs soins.

Attendu qu'à aucun moment la publicité incriminée ne mentionne que des infirmières et kinésithérapeutes habiteraient dans la résidence, ce qui au demeurant ne présenterait aucun intérêt, les soins prodigués par ces auxiliaires médicaux devant être préalablement prescrits par un médecin, lequel se trouve à demeure dans la résidence.

Attendu en outre qu'il importe de souligner que le médecin est également lié par une convention aux termes de laquelle il s'oblige à fournir certaines prestations infirmières (pilulier, contrôle de la distribution des médicaments, pansements, piqûres, prises de sang...) et répondre aux appels d'urgence 24 heures sur 24.

Attendu qu'ainsi, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la publicité incriminée ne saurait être considérée comme trompeuse.

Subsidiairement:

Attendu que le tribunal a considéré que la société X était irrecevable en son intervention, au motif que son intervention volontaire n'aurait pas de base légale.

Attendu au contraire qu'il ne saurait être contesté que les faits reprochés à M. F ont été réalisés dans le cadre de ses activités de gérant de la société X.

Attendu qu'aux termes de l'article 121-3 du Code pénal, les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants.

Attendu que M. F est bien fondé à se prévaloir de ces dispositions pour demander à ce que la société X soit condamnée à le garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

Par ces motifs:

Prononcer la relaxe de M. F. Subsidiairement, Déclarer la société X bien fondée dans son intervention volontaire. Donner acte à la société X de ce qu'elle entend garantir M. F de l'intégralité des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre."

Il résulte de la procédure et des débats que Jean F gérant de la société X faisait paraître une publicité en avril 1991 dans la revue "Le temps retrouvé".

Cette publicité vantait, entre autres, les mérites d'une résidence pour personnes âgées "Y" sis aux Andelys.

A la suite de cette parution les services extérieurs de l'Eure de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes recevaient une plainte de Mme Cavalan qui attirait l'attention sur ce qu'elle estimait être une publicité mensongère.

Une enquête était diligentée qui aboutissait aux présentes poursuites.

Jean F, ès qualité de gérant de la société X se voyait donc reprocher d'avoir effectué une publicité mensongère en:

- faisant mention dans l'encart publicitaire du "Temps retrouvé" d'un prix seuil en pension complète de 6 000 F pour une location,

- mentionnant dans la documentation publicitaire envoyée sur demande que les résidents trouveront sur place les services d'un médecin, d'infirmières et de kinésithérapeutes.

Sur l'indication de prix:

Il convient tout d'abord de constater que la publicité du "Temps retrouvé" porte, sous forme d'un cartouche blanc bordé de noir et placé en travers d'une gravure en couleur, l'indication "en location" et plus bas dans l'encart la mention en caractère gras et en rouge "à partir de 6 000 F / mois / pension complète".

Une première lecture peut laisser à penser à la personne intéressée qu'elle pourrait donc louer seule un local en bénéficiant de la pension complète pour un prix de 6 000 F.

Il ressort des constations des fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes que si le prix de location le plus bas était en 1991 de 5 172 F ce prix s'entendait par personne, pour un appartement occupé par 3 personnes et qu'une personne seule ne pouvait louer ce type d'appartement.

Or l'encart publicitaire incriminé est conçu de telle manière que les mentions susvisées, particulièrement mises en valeur par le choix de la calligraphie et de leur emplacement, se trouvent instinctivement liées pour laisser supposer au lecteur normalement averti que le prix seuil de 6 000 F concerne un bail unique pour un appartement quelque soit le nombre d'occupants, comme il est de coutume pour un contrat de location ordinaire.

Ce, contrairement aux conclusions du prévenu qui affirme, sans s'en expliquer vraiment, que le tarif indiqué s'entend par personne et non par logement.

Dès lors cette association d'idée, voulue par le concepteur de la publicité est susceptible d'induire le public en erreur, compte tenu de l'ambiguïté certaine des allégations, surtout s'agissant d'un public dont le jugement peut avoir été fragilisé par les conséquences de l'âge.

Le fait que le prévenu ait invoqué que plus d'une trentaine de résidents soient en pension complète pour moins de 6 000 F par mois ne change rien aux constatations qui viennent d'être faites puisque les seuls contrats de location fournis à la cour sont tous datés du 1er mai ou du 1er juin 1994 et ne justifient en rien de la situation à l'époque des faits.

De même, les conclusions du prévenu sur l'existence en 1991 de chambres individuelles louées en pension complète pour moins de 6 000 F par mois ne font que confirmer les constations de la cour dans la mesure où aucune pièce n'est versée au dossier qui permette de penser qu'une telle possibilité ait existé en avril 1991 à "Y".

En conséquence le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu Jean F dans les liens de la prévention pour avoir mensongèrement présenté les prix de l'hébergement de "Y".

Sur les prestations médicales et paramédicales:

La documentation publicitaire diffusée par la résidence en cause à l'appui de l'encart susvisé indique notamment:

"D'autre part vous trouverez sur place:

- un médecin libéral habitant et exerçant dans la résidence,

- les services d'infirmières et kinésithérapeutes..."

Le prévenu justifie par la production de conventions, de la présence à "Y" d'un médecin, d'infirmier et kinésithérapeutes, fournissant des précisions quant aux conditions de résidences, aux modalités d'intervention et aux engagements par rapport aux résidents de ces personnels.

Malheureusement, ces documents ayant tous été signés en 1992 et 1993, il y a lieu de constater qu'ils n'apportent aucune lumière, malgré les conclusions de Jean F en ce sens, sur la situation en 1991.

Il faut donc se reporter au rapport du 3 septembre 1991 des fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes pour connaître la situation à l'époque des faits.

Ce rapport indique:

- seul le médecin exerce sur place, le reste du personnel médical venant de l'extérieur ce qui implique notamment que le personnel infirmier n'est présent que le jour et à certaines heures,

- trois "auxiliaires de vie", sans qualifications particulières, ont pour tâche de faire le ménage et d'aider les personnes âgées dans les gestes de la vie quotidienne,

- durant la nuit la surveillance est assurée par un couple de gardiens sans formation médicale. Si besoin est, il est fait appel au médecin ou à son défaut au médecin de garde ou au SAMU.

- le médecin possède un cabinet médical au sein de la résidence où il habite mais exerçant à titre libéral peut être pris par ses consultations ou même occupé à l'extérieur puisqu'il n'est pas attaché exclusivement à l'établissement.

Il résulte de tout ceci que le résident de "Y" se trouve dans une situation très proche de celle de la personne âgée vivant seule à son domicile et disposant d'un simple téléphone. Le service rendu est donc très éloigné de celui d'une "résidence médicalisée" tel que la documentation incriminée le laisse à entendre.

Les mentions de cette documentation, qui peuvent d'ailleurs être rapprochées de celle de "suivi médical 24 h sur 24" figurant dans l'encart du "Temps retrouvé", créent ainsi dans l'esprit du lecteur le sentiment qu'il existe un suivi médical et paramédical très supérieur à ce qu'une personne seule peut trouver dans un environnement habituel, ce qui en l'espèce s'avère en très grande partie inexact.

Ces allégations, par leur caractère vague, incomplet et volontairement imprécis, sont donc de nature à induire en erreur la personne intéressée par un séjour dans la résidence "Y" sur ce qu'elle trouvera sur place comme service médical ou paramédical, élément de la prestation de service essentiel pour une population âgée nécessitant un tel suivi.

En conséquence, le jugement entrepris doit là aussi être confirmé en ce qu'il a retenu Jean F dans les liens de la prévention pour avoir présenté mensongèrement les services médicaux offerts par la résidence en cause.

Par contre au regard des circonstances de la cause et notamment de la particulière gravité de l'infraction commise, vu les publiés visés, la peine prononcée par le tribunal loin d'être excessive doit être portée à une amende de 30 000 F.

Sur l'intervention de la société X:

Il y a lieu de confirmer sur ce point la décision déférée, la société X, qui ne pouvait être condamnée en vertu de la loi ancienne plus douce, n'ayant pas été citée à la procédure en première instance.

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement. En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Jean F coupable des faits qui lui sont reprochés. Infirmant sur la peine, condamne Jean F à une amende de 30 000 F. Déclare la SARL X irrecevable en son intervention. La présente procédure est assujettie à un droit fixe d'un montant de 800 F dont est redevable F. Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale.