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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 21 septembre 1994, n° 94-01012

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Syndicat national des horlogers bijoutiers joailliers orfèvres et spécialistes Saint-Eloi, Fédération nationale des horlogers bijoutiers joailliers orfèvres de France, Chambre syndicale des horlogers bijoutiers joailliers, orfèvres de Paris et région parisienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

M. Guilbaud, Mme Pénichon

Avocats :

Mes Lilti, Brémond, Dupeux.

TGI Paris, 31e ch., du 13 janv. 1994

13 janvier 1994

Rappel de la procédure :

La prévention :

L Daniel et S Nani sont poursuivis pour avoir, à Paris, courant mars 1992, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et les conditions de vente des bijoux en or en indiquant pratiquer des remises importantes sur des prix de référence alors qu'en réalité les prix nets de vente ne comportent pas d'avantage particulier pour le consommateur.

Le jugement :

Le tribunal a :

Rejeté les exceptions de nullité,

Déclaré :

L Daniel

Coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

Faits commis courant mars 1992, à Paris,

Infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,

S Nani

Coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

Faits commis courant mars 1992, à Paris,

Infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,

Et par application de ces articles, a condamné :

L Daniel à 100 000 F d'amende,

S Nani à 40 000 F d'amende,

Ordonné la publication du jugement par extraits dans les journaux " Télé Z " et " France Soir ",

Reçu le Syndicat national des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres et spécialistes des arts de la table Saint-Eloi, la Fédération nationale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de France, la Chambre syndicale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de Paris et de la région parisienne en leur constitution de partie civile,

Condamné L Daniel et S Nani à payer :

- au Syndicat national des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres et spécialistes des arts de la table Saint-Eloi la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- à la Fédération nationale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de France la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- à la Chambre syndicale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de Paris et de la région parisienne la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, l'a déboutée du surplus de ses demandes,

dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. S Nani, le 21 janvier 1994 ;

M. L Daniel, le 21 janvier 1994 ;

M. le Procureur de la République, le 21 janvier 1994 contre M. L Daniel, M. S Nani ;

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par les prévenus et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention ;

Par voie de conclusions conjointes, les prévenus soulèvent, avant toute défense au fond, la nullité de la procédure ;

Ils reprennent l'ensemble de l'argumentation par eux précédemment développée devant le tribunal exposant plus précisément, en ce qui concerne l'incompétence des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à constater les faits reprochés au mois de mars 1992, que si aujourd'hui ces agents sont habilités à constater le délit de publicité mensongère parce qu'une disposition légale le prévoit, il n'en était pas de même en 1992, lors des constatations litigieuses en l'absence de tout texte et qu'en conséquence, de 1985 à 1993, soit pendant 8 années les agents de cette nouvelle administration, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes étaient dépourvus de toute compétence et leurs procès-verbaux entachés par là même de nullité ;

Par voie de conclusions, la Fédération nationale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de France et la Chambre syndicale des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres de Paris et de la région parisienne concluent au rejet des exceptions ;

Elles répliquent que le décret du 5 novembre 1985 ne constitue qu'une mesure administrative de réorganisation d'un service, sans effet sur l'habilitation législative délivrée en 1973, dès lors qu'il est constant que les services supprimés, en l'espèce la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation et la Direction Centrale de Répression des Fraudes ont été simultanément regroupés dans une direction unique, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;

Elles font également valoir que les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne sont pas applicables à la procédure, fondée sur l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, et que la définition du prix de référence donnée par l'arrêté 77-105 P du 2 septembre 1977 n'a servi en l'espèce qu'à établir le caractère mensonger de la publicité ;

Elles affirment, en outre que les prévenus ayant eu toute latitude pour s'expliquer devant les enquêteurs sur les pratiques reprochées ne justifient d'aucun grief au soutien de leur demande de nullité ;

Par voie de conclusions, le Syndicat national des horlogers, bijoutiers, joailliers, orfèvres et spécialistes des arts de la table de Saint-Eloi développe une argumentation similaire sur les exceptions soulevées par les prévenus. Il fait, en outre, observer que les procès-verbaux sont réguliers dès lors qu'ils respectent les formes prévues par l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973 ;

Monsieur l'Avocat général requiert le rejet des nullités soulevées par les prévenus ;

Après en avoir délibéré, la cour a joint l'incident au fond afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt sur les exceptions et sur le fond ;

Sur les exceptions de nullité :

Sur le défaut d'habilitation législative des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes :

Considérant que, par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont rejeté l'exception soulevée. Que pour sa part la cour observe que l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973 a habilité les agents de la direction générale du commerce intérieur et des prix à constater le délit de publicité trompeuse ; que les compétences de cette direction générale ont été successivement transférées à la Direction Générale de la Concurrence et des prix par décret n° 74-583 du 14 juin 1974, à la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation, par décret n° 78-687 du 4 juillet 1978 et en dernier lieu, à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, par décret n° 85-1152 du 5 novembre 1985 ;

Considérant que ce dernier texte, en ses articles 1 et 2, a supprimé la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation, la Direction Centrale de Répression des Fraudes, le service des affaires générales et la mission d'études et de coordination du Ministère de l'Economie pour les remplacer immédiatement et créer simultanément une direction unique, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui exerce les attributions de l'ensemble des services précités ; que les articles 3 et 5 du décret mentionnent expressément que les pouvoirs conférés par la législation en vigueur au Directeur général et aux chefs des services extérieurs de la Direction Générale de la Concurrence et de la Consommation sont transférés au directeur général et aux chefs des services extérieurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;

Considérant que l'habilitation législative conférée par la loi du 27 décembre 1973 à la personne des agents de la direction du commerce intérieur et des prix n'a pas été frappée de caducité du fait des divers changements de nom et réorganisations matérielles ayant affecté cette direction dès lors que ces derniers ont été régulièrement actés par des mesures réglementaires opérant un transfert de pouvoirs et qu'à la direction générale du commerce intérieur et des prix s'est ainsi substituée la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ; qu'en conséquence, la cour rejettera l'exception soulevée par les prévenus ;

Sur l'irrégularité du procès-verbal d'infraction :

Considérant que vainement les prévenus font grief à l'administration d'avoir violé les droits de la défense en n'appliquant pas les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et du décret du 29 décembre suivant pris pour son application ;

Considérant en effet que la cour constate comme le tribunal que les procès-verbaux établis par l'administration tendent à rechercher l'existence d'un délit de publicité trompeuse ; que les règles applicables à la constatation de cette infraction sont définies par l'article 44-II de la loi du 27 décembre 1973 et non par l'ordonnance du 1er décembre 1986 invoquée par les prévenus ;

Considérant en effet que la cour estime comme le tribunal que ce texte, dont se prévalent les prévenus, n'est pas applicable au présent contentieux et que les procès verbaux de délit ont été dressés régulièrement par les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en application des articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation qui reprennent textuellement les dispositions de l'article 44 de la loi du 27-12-1993 étant observé par ailleurs qu'il est établi que les prévenus ont pu contradictoirement discuter de toutes les pièces versées au dossier de la procédure ;

Considérant que par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges que la cour adopte l'exception sera rejetée ;

Au fond :

Considérant que les prévenus demandent à la cour, par infirmation de les renvoyer des fins de la poursuite ;

Considérant que développant à nouveau les arguments avancés devant le tribunal, ils soulignent que la preuve du caractère fictif des rabais incombe à la partie poursuivante et qu'en l'espèce cette preuve fait défaut, eu égard au caractère partial et arbitraire de la méthode utilisée par l'administration ;

Considérant que les trois parties civiles reprenant leurs précédentes conclusions, sollicitent la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions le syndicat Saint-Eloi demandant en outre à la cour de condamner les prévenus à lui verser la somme supplémentaire de 3 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

M. l'Avocat Général estime pour sa part que les faits sont établis ;

Il demande à la cour de confirmer le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité et la mesure de publication ordonnée mais de l'infirmer sur la peine prononcée en majorant l'amende infligée ;

Considérant que vainement les prévenus sollicitent leur relaxe dans la mesure où le tribunal par des motifs que la cour adopte a caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction de publicité mensongère à l'encontre des prévenus et ont écarté le moyen selon lequel il était soutenu et à nouveau devant la cour que les tickets de caisse produits et les relevés informatiques pouvaient constituer une preuve des prix de référence ;

Que la cour constate comme le tribunal que l'enquête a permis d'établir que les rabais effectivement pratiqués par les prévenus étaient effectués après application d'un coefficient multiplicateur variant entre 4,54 et 12,25, la moyenne arithmétique se situant à 6,67, que les prix nets pratiqués par "X" après remise de 50 % font ressortir les mêmes coefficients multiplicateurs que la concurrence : 2,75 et qu'enfin "X" vendait 2 fois plus cher que ses concurrents les produits en provenance de chez Goldriver.

Considérant que la publicité telle que visée à la prévention et qui a eu pour conséquence de tromper les consommateurs sur la valeur réelle des bijoux achetés et les remises consenties est établie ;

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement entrepris sur les déclarations de culpabilité, sur les peines d'amende qui sont adaptées à la nature des faits et à la personnalité de chacun des prévenus et sur la mesure de publication ordonnée ;

Considérant que les premiers juges ont équitablement apprécié le préjudice direct et certain subi par les parties civiles du fait des agissements délictueux des prévenus ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur les intérêts civils ;

Considérant que la cour condamnera L et S à payer solidairement la somme de 3 500 F au syndicat Saint-Eloi au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Joint l'incident au fond, Rejette les exceptions de nullité soulevées, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, Ordonne la publication du présent arrêt par extraits, dans la limite de 15 000 F par extrait, et ce aux frais des condamnés, dans les journaux Télé Z et France soir, Y ajoutant, Condamne L Daniel et S Nani à payer au syndicat Saint-Eloi la somme de 3 500 F au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.