Livv
Décisions

CA Versailles, 8e ch., 16 mars 1989, n° 272

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Chanel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Daeschler (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Ducomte, Pons

Avocats :

Mes Philippe, Rosenfeld.

TGI Nanterre, 15e ch. corr., du 10 mai 1…

10 mai 1988

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal a :

Sur l'action publique :

Déclaré Mlle Sophie S et M. Jean-Pierre V coupables du délit de publicité mensongère.

Condamné Mlle Sophie S et M. Jean-Pierre V à la peine de 5 000 F d'amende chacun.

Renvoyé Mlle S et M. V des fins de la poursuite pour usage illicite de la marque Chanel.

Sur l'action civile :

Déclaré la société Chanel recevable et bien fondée en sa constitution de partie civile.

Déclaré la société X civilement responsable des agissements des prévenus.

Condamné in solidum Mlle S Sophie, M. V Jean-Pierre et la société X à lui payer 3 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Condamné in solidum S Sophie et V Jean-Pierre à payer 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à la société Chanel.

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement du chef du versement des dommages-intérêts.

Les condamne in solidum aux dépens de l'action civile.

Fait masse des frais du présent jugement, lesquels avancés par le Trésor sont liquidés à la somme de 50 F, en ce non compris :

- droit de poste : 36,96 F

- droit fixe de procédure : 250 F

TOTAL : 286,96 F

Condamne S Sophie et V Jean-Pierre au paiement de ces frais par parts égales.

(publicité mensongère, usage d'une marque sans autorisation, faits commis à Paris courant 1986, 1988, articles 44 loi 73-1193 du 27-12-73, 1 loi du 1-08-1905, 422 du Code pénal),

Appel

A été interjeté par :

- S Sophie, V Jean-Pierre, société X, prévenus et civilement responsable, le 10 mai 1988, sur les dispositions pénales et civiles du jugement,

- le Ministère public, le 10 mai 1988,

- la société Chanel, partie civile, le 11 mai 1988,

Décision :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les appels interjetés le 10 mai 1988, par Sophie S et V Jean-Pierre, le 11 mai 1988 par la société Chanel, appels portant sur les dispositions pénales et civiles du jugement du 10 mai 1988 du Tribunal correctionnel de Nanterre (15e chambre) et sur l'appel du Ministère public du 10 mai 1988 ;

Considérant que par lettre du 3 février 1989, le conseil des prévenus a sollicité l'audition de deux témoins M. Alain Manderoux et M. Moctar Gueye cités à leur requête par exploit du 8 février 1989 et dénoncés au Ministère public par exploit du 9 février 1989 ;

Considérant que le Ministère public et la partie civile ne s'opposent pas à cette audition ;

Considérant que la cour estime devoir faire droit à cette demande mais que le témoin Moctar Gueye a fait parvenir au Ministère public le 10 février 1989 une lettre où il indique qu'en raison d'un déplacement professionnel à l'étranger il ne pourra être présent ; qu'il y a lieu, aucune des parties ne s'y opposant, de passer outre à cette absence et de procéder à la seule audition du témoin présent ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'ainsi qu'il résulte de deux procès-verbaux de constat dressé les 24 et 26 décembre 1986, le dernier procès établi sur ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Paris rendue le 24 décembre 1986 sur requête de la société Chanel du même jour, qu'à ces dates une plaque lumineuse à usage publicitaire comportant la marque " Chanel " se trouvait apposée dans le magasin à l'enseigne " X " situé dans les locaux de l'hôtel Y <adresse>et était visible de l'intérieur de l'hôtel comme de l'extérieur ;

Considérant que ce magasin était exploité depuis le 1er décembre 1986, selon convention intervenue entre la société propriétaire de l'hôtel et les prévenus Sophie S et Jean-Pierre V, ès qualités de dirigeants de droit pour la première et de fait pour le second, de la société " X ", ce qui ne fait pas l'objet de contestation ;

Considérant que si la responsabilité de la mise en place du panneau publicitaire incombait au précédent exploitant du magasin, celle de son maintien à compter du 1er décembre 1986 jusqu'à sa dépose intervenue le 6 janvier 1987 ne peut qu'être imputé aux dirigeants de la société " X " ;

Considérant, en effet, que les prévenus ne pouvaient qu'être attentifs à ces problèmes comme le sont, d'une manière générale, les professionnels de la vente dans le domaine des produits de luxe où le fait de pouvoir se prévaloir d'une ou plusieurs marques prestigieuses constitue un élément déterminant du chiffre d'affaires, et plus encore en l'espèce puisqu'ils avaient sollicité au nom de la société " X " l'agrément de la société Chanel pour ce point de vente, sans l'avoir obtenu à la date du constat et alors qu'il existait entre eux et cette société un contentieux sur l'utilisation de la marque ;

Considérant que, dans ces conditions, le maintien du panneau litigieux suffit à caractériser l'intention délictueuse et est exclusif de la bonne foi puisqu'il leur appartenait de l'occulter par un moyen quelconque, même provisoire, dans l'attente d'une dépose prévue à l'occasion de travaux d'aménagement et de décoration en vue desquels ils avaient sollicité et obtenu l'autorisation de leur bailleur ;

Que, vainement, ils invoquent une contrainte résultant des dispositions contractuelles les liant à leur bailleur la société Y, propriétaire de l'hôtel, celles-ci ne pouvant préjudicier aux droits des tiers alors surtout qu'une atteinte à ces droits était, en l'espèce, susceptible de constituer les délits qui leur sont reprochés ;

Que, de plus, cette occultation pouvait être réalisée sans qu'il soit porté atteinte à ces dispositions contractuelles visant uniquement les travaux d'aménagement importants ;

Considérant que cet usage de la marque, bien que momentané, a été pratiqué alors que les prévenus ne pouvaient ignorer qu'ils n'en avaient pas reçu l'autorisation du propriétaire et sans pouvoir arguer d'un quelconque délai d'usage ou d'une quelconque tolérance en raison du caractère conflictuel de leurs rapports avec la société Chanel au moment des faits ;

Que la circonstance qu'il résulterait du procès-verbal de constat du 26 décembre 1986 qu'à cette date aucun produit Chanel n'était proposé à la vente dans le magasin n'est pas, contrairement à ce qu'à pu estimer le tribunal, de nature à écarter la prévention d'usage illicite de la marque, cet usage pouvant résulter de la seule utilisation d'un panneau publicitaire comportant la marque alors que les produits vendus ne comportent pas de marque ou comportent d'autres marques dès lors que l'apposition du panneau ne résulte d'aucune autorisation expresse ou tacite, du propriétaire de la marque ;

Considérant, en outre, que le fait de maintenir sur les lieux de vente un panneau publicitaire comportant une marque alors que les clients attirés par le panneau ne peuvent acquérir des produits de cette marque et peuvent être reconduits à porter leur choix sur des produits répondant aux mêmes fins mais provenant d'un autre fabricant est constitutif du délit prévu par l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;qu'en effet, le pouvoir reconnu au commerçant de se réclamer d'une marque comme présentant des garanties de qualité ou induisant l'idée de luxe recherchée par les acquéreurs pour eux-mêmes ou pour ceux auxquels ils veulent offrir les produits, peut être déterminant de leur choix lequel, en l'absence du produit porteur de la marque se porte sur les produits présentés, présumés porteurs des mêmes qualités ;qu'ainsi le propriétaire de la marque dont il est fait usage abusif est fondé au même titre qu'un consommateur quelconque à se plaindre des faits constitutifs du délit ainsi caractérisé ;

Considérant que les faits reprochés aux deux prévenus constituent les délits visés à la citation directe qui leur a été délivrée par la société Chanel ; considérant cependant, que la période pendant laquelle a persisté, de leur fait, la situation illicite a été relativement brève et a cessé peu de jours après le constat qui a été pratiqué le 26 décembre 1986, l'huissier de justice ayant excipé de l'ordonnance rendue le 24 décembre pour pénétrer dans les lieux, en présence d'une employée ; considérant en effet, que si une mise en demeure n'est pas nécessaire pour que les délits soient considérés comme établis, la volonté de faire persister la situation illicite au delà d'une mise en demeure ou d'un acte ayant pour objet un constat de celle-ci constituant le préliminaire à une action tendant à faire cesser le trouble, aurait été un élément d'aggravation de la responsabilité des prévenus, absent en l'espèce ;

Considérant qu'il convient, dans ces conditions, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il prononce la relaxe des prévenus du chef d'usage illicite de la marque et de confirmer les peines prononcées qui viendront désormais en répression des deux délits ;

Considérant en ce qui concerne l'action civile, le tribunal a fait une juste appréciation des dommages et intérêts que les prévenus devront payer à la société Chanel, la société X étant déclarée civilement responsable de cette condamnation ; qu'en effet, la société Chanel n'est pas en mesure d'évaluer le préjudice par elle subi et ne fournit aucun élément permettant de le faire, du fait de l'usage illicite de la marque dont elle est propriétaire et des ventes qui ont pu être réalisées par des clients initialement attirés par la publicité leur faisant faussement croire qu'ils trouveraient des produits de sa marque dans le point de vente ;

Considérant enfin, que la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour élever à 3 000 F le montant des sommes dues au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement : En la forme, reçoit les appels, Sur l'action publique, confirme le jugement déféré en tant qu'il a déclaré les prévenus S Sophie et V Jean-Pierre coupables du délit de publicité mensongère, Emendant pour le surplus, déclare les prévenus coupables du délit d'usage illicite de marque, Sur les peines, confirme le jugement déféré, Condamne S Sophie et V Jean-Pierre, par parts égales, aux dépens liquidés à la somme de 1 153,28 F, Sur l'action civile, confirme sur les dommages-intérêts et en tant que les prévenus seront tenus des condamnations civiles in solidum, la société X étant déclarée civilement responsable, Emendant, fixe à 3 000 F les sommes dues en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne S Sophie et V Jean-Pierre aux dépens de l'action civile.