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Décisions

CA Montpellier, 3e ch. corr., 31 octobre 1994, n° 659-94

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Syndicat national de l'industrie des engrais

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jammet

Conseillers :

Mme Ilhe-Delannoy, M. Peiffer

Avocats :

Mes Pech de Laclause, Moreau.

TGI Narbonne, ch. corr., du 11 févr. 199…

11 février 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement rendu le 11 février 1994 par le Tribunal correctionnel de Narbonne a :

Sur l'action publique, rejetant partiellement les moyens de nullité, mais écartant les analyses non contradictoires, déclaré C Henri coupable :

- d'avoir à Narbonne (11), courant novembre 1991, trompé ses contractants en fabricant et en commercialisant, sous la dénomination " Engrais organo-minéral " des produits présentés comme ayant une teneur garantie en azote alors que ces engrais ont été fabriqués à partir de " matière plastique " dont la teneur en principe utile est nulle " ;

infraction prévue et réprimée à la date des faits par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905 et actuellement définie et réprimée depuis le 29 juillet 1993 par l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;

- d'avoir à Narbonne (11), courant novembre 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature, la composition, la teneur en principes utiles et les garanties annoncées sur l'étiquetage quant à la teneur en azote organique des engrais proposés à la vente ;

infraction prévue et réprimée à la date des faits par les articles 44 I, 44 II al. 7 8, 44 II al. 9 10, 44 II al. 6 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1 de la loi du 1er août 1905 et actuellement définie depuis le 29 juillet 1993 par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6 et L. 213-1 dudit Code.

en répression, l'a condamné à la peine d'amende de 100 000 F ;

et a ordonné aux frais du condamné la publication par extrait de la décision dans les journaux suivants Le Midi Libre et l'Indépendant, ainsi que l'affichage à la porte principale de la SA X [adresse], pendant un mois ; dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser la somme de quatre mille francs ;

Sur l'action civile a :

- reçu le Syndicat National de l'Industrie des Engrais en sa constitution de partie civile ;

- condamné C Henri à payer au Syndicat National de l'Industrie des Engrais la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- dit qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Appels :

Les appels ont été interjetés :

par le prévenu et par le Ministère Public le 17 février 1994

Décision :

LA COUR, après en avoir délibéré,

Attendu que C Henri comparaît assisté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;

Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des débats les faits suivants :

Le 7 novembre 1991, les inspecteurs et contrôleurs du Service de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes procédaient au contrôle de la qualité des produits fabriqués, détenus mis en vente et vendus par la société X fabricant de matières fertilisantes à Narbonne (engrais et amendements destinés à assurer, ou à améliorer la nutrition des végétaux ainsi que les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols) ont constaté, par l'examen des documents techniques, que cette société anonyme dont le Président Directeur Général était Henri C produisait et mettait en vente des engrais " sous la dénomination engrais organo minéraux " et pour la période du 1er octobre 1989 au 30 septembre 1991, avait fabriqué et commercialisé sous la dénomination " Engrais Organo Minéraux " 7601 tonnes d'engrais dans lesquels avaient été incorporés 409,5 tonnes de déchets de matières plastiques, déchets thermodurcissables dénommés " déchets d'urée Formol " dont l'azote contenu ne peut être considéré comme de l'azote organique provenant d'origine animale ou végétale.

Henri C reconnaissait les faits, tant au cours des enquêtes que devant le tribunal correctionnel et la cour d'appel, précisant que ceci avait été réalisé pour abaisser le coût de revient des produits afin de les aligner sur la concurrence.

Il apparaissait dans ces conditions aux agents verbalisateurs que les engrais mis en vente sous la dénomination : " engrais organo minéraux " ne pouvait prétendre à cette appellation.

Les fonctionnaires de la Répression des Fraudes notaient par ailleurs la détention sur le site de Mandirac dépendant de la société X, d'un stock de matières premières, déchets de matières plastiques, dénommés " Urée Formol " évalué à quinze tonnes environ.

Demandes et moyens des parties

Henri C renonçait à se prévaloir devant la cour de l'exception de nullité pour atteinte aux droits de la défense tirée du refus de renvoi de la procédure ne lui permettant pas d'organiser sa défense du fait de la transmission tardive à son conseil du dossier pénal, demande à la cour de :

- infirmer la décision dont appel, en ce que les premiers juges n'ont pas tiré de leurs constations les conclusions qui s'imposaient.

- dire que l'ensemble de l'enquête préliminaire opposée au concluant est nulle comme portant atteinte aux droits de la défense, en ce qu'elle n'a point permis à ce dernier de bénéficier des droits à ce dernier de bénéficier des droits que lui accorde la loi du 1er août 1905 et en particulier le décret du 21 janvier 1919.

- dire que cette nullité affecte l'intégralité de la procédure d'information sans qu'il soit possible de dissocier tel ou tel élément de l'enquête pour l'opposer au concluant en le détachant du reste des investigations.

- dire que l'accusation ne peut être fondée sur d'autres éléments que le résultat d'analyses qui sont seuls de nature à établir les insuffisances du produit en azote organique.

- dire qu'en interdisant au concluant la possibilité de contester les analyses de l'administration, les droits de la défense ont été violés.

- dire au surplus qu'en prononçant la nullité de ces analyses, et en les écartant du débat, il n'est point possible de considérer que la défense peut débattre de considérer que la défense peut débattre normalement sur l'existence de l'élément matériel des deux infractions qui lui sont reprochées.

Subsidiairement, et au fond :

- dire que la preuve n'est point rapportée que le produit litigieux ne présente pas " teneur en principe utile " ainsi que " teneur en azote organique ".

- dire que cette preuve ne pourrait résulter que d'analyses scientifiques qui ne figurent point au dossier de la poursuite.

- prononcer de plus fort la relaxe.

- organiser une mesure d'expertise et désigner tel collège de techniciens qu'il plaira à la cour avec pour mission :

* d'examiner ce dernier par tous les moyens que l'évolution de la science à l'heure actuelle permet

* de déterminer si la produit " nutri 65 " du PV d'échantillon II 12 présentait comme garantie en azote, une teneur en principe utile

* de déterminer si ce produit contient comme indiqué sur son étiquette une teneur en azote organique.

Encore plus subsidiairement dire que le tribunal ne pouvait se saisir de faits qui n'étaient point visés à la citation et lui reprocher un étiquetage non conforme à la norme française car les poursuites n'avaient nullement visé ledit défaut et qu'au surplus une telle incrimination serait contraire aux dispositions combinées des articles 3f, 7, et 30 du traité de Rome.

A titre infiniment subsidiaire, tenant la difficulté résultant de l'existence de nombreuses directives européennes en la matière, dire y avoir lieu à application de l'article 177 du traité le concluant sollicite que la juridiction d'appel pose question préjudicielle à la Cour de justice quant à l'interprétation concernant la teneur et l'étendue des directives prises dans le domaine des engrais et leurs effets en particulier sur la norme française dont les exigences supérieures aux réglementations des pays des états membres sont de nature à remettre en cause le respect des textes sus-indiqués.

Le Ministère Public requiert la confirmation du jugement entrepris.

La partie civile conclut également à la confirmation du jugement, et sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur quoi

Attendu que les appels réguliers en la forme et dans les délais sont recevables.

Attendu qu'il échet de joindre l'exception au fond.

Sur l'action publique

Attendu que par des motifs précis et pertinents qui méritent expressément adoption et que la cour fait siens les premiers juges ont effectué une bonne appréciation des circonstances de la cause ;

Attendu, sur l'exception par défaut de notification de l'expertise contradictoire, qu'il résulte de la procédure qu'après réception du procès-verbal de l'administration, le Procureur de la République a fait entendre Henri C, et lui a fait notifier l'article 22 du décret du 22 janvier 1919 ; qu'assurément, les articles 24 et suivants, qui prévoient la faculté de solliciter l'expertise contradictoire, n'ont jamais été dénoncés au prévenu, qui peut valablement soutenir qu'il n'a pas été averti de ses droits ; qu'ainsi, donc les éléments de preuve tirés des analyses non contradictoires effectuées par l'administration (et dont le prévenu conteste d'ailleurs la teneur, y compris par la production d'analyses aux résultats contraires) ne peuvent être retenus et doivent être écartés.

Attendu toutefois qu'en l'espèce, la preuve de la fraude ne résultait pas exclusivement de l'analyse faite au laboratoire, mais également des constatations matérielles des agents de la Répression des Fraudes relativement à l'existence, sur le site de Mandirac, d'un stock de matières premières utilisées pour la fabrication d'engrais organo-minéraux, alors que ces matières n'étaient pas susceptibles de produire un azote organique ; qu'il convient en effet d'observer qu'il a été relevé par l'administration une triple fraude ;

1°) par la fabrication et la commercialisation, sous la dénomination d'engrais organo-minéraux, de produits dans lesquels ont été incorporés des déchets ou matières plastiques, alors que l'azote contenu dans ces déchets ne peut être qualifié d'organique ;

2°) par la fabrication et la mise en vente d'engrais organo-minéraux présentés comme ayant une teneur garantie en élément fertilisant majeur, alors qu'ils ont été élaborés à partir d'une matière première dont l'efficacité est nulle ;

3°) par la fabrication et la commercialisation d'amendements déficitaires en matière organique ;

Attendu que la juridiction saisie décide si l'annulation doit être limitée à tout ou à partie des actes ou pièces de la procédure viciée ou à tout à partie de la procédure ultérieure ;

Attendu que si le second et le troisième types de fraude ne peuvent être examinés en l'espèce, compte tenu du caractère non contradictoire de l'expertise, en revanche, aucune nullité n'affecte la procédure suivie pour constater le premier type d'agissements frauduleux ;

Attendu sur le fond que le prévenu ne conteste pas avoir fabriqué et mis en vente des engrais dit " organo-minéraux " contenant des déchets thermodurcissables qui ne pouvaient réglementairement entrer dans leur composition ;qu'il a même indiqué qu'il s'agissait pour lui de diminuer les coûts et de rester compétitif vis-à-vis de la concurrence ;

Qu'ainsi les éléments matériel et intentionnel de l'infraction de tromperie commise par un professionnel sont caractérisés sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise ;

Attendu que l'argumentation tirée de la primauté des directives européennes sur les engrais, sur la norme française est inopérante, alors qu'il est reproché au prévenu d'avoir, non pas mis en vente des produits ne répondant pas à la norme, mais trompé ses cocontractants sur la composition réelle de ces produits, appelés " organo-minéraux ", alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette qualification ;

Attendu qu'en achetant sous la dénomination engrais " organo-minéraux " des engrais comportant des azotes de synthèse et qui ne pouvaient prétendre à l'appellation les acquéreurs ont effectivement été trompés sur la teneur en principes utiles desdits engrais ;

Attendu que le prévenu ne conteste pas avoir commis une publicité mensongère, en apposant sur ses produits des étiquettes erronées en ce qui concerne leur composition et leurs caractéristiques (engrais organo-minéraux) ;

Attendu que les faits visés à la poursuite sont donc établis par les constatations matérielles des enquêteurs par les déclarations de Henri C ;

Attendu que les circonstances de la cause ont été exactement appréciées par le tribunal dont la décision doit être confirmée dans toutes ses dispositions, la peine prononcée assurant une répression satisfaisante et nullement excessive des infractions, eu égard aux profits retirés, l'économie réalisée par la fraude opérée étant évaluée par l'administration à 1 474 600 F ;

Attendu qu'il convient de confirmer les mesures de publication et d'affichage ordonnées ;

Sur l'action civile

Attendu que le Syndicat National de l'Industrie des Engrais s'est constitué partie civile ;

que sa demande tend à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la condamnation de C Henri au paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Attendu qu'une somme de 10 000 F est demandée au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Attendu que la prévenu a conclu verbalement à l'irrecevabilité de la constitution de partie civile, en ce que n'ont pas été suivies les procédures de conciliation figurant au règlement intérieur du syndicat dont il est lui-même membre ;

Attendu toutefois que, contrairement à ce qu'affirme le prévenu, ce n'est pas en application des dispositions du règlement intérieur qu'a eu lieu la constitution de partie civile, mais en application de l'article 2 de la loi du 5 août 1908, qui prévoit expressément la faculté pour les syndicats formés pour la défense des intérêts généraux du commerce de diverses marchandises, dont les engrais, d'exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux frais de fraude ou de falsification ;

Attendu qu'ainsi que le fait justement observer la partie civile, la présente procédure ne constitue aucunement une difficulté d'interprétation du règlement intérieur entre adhérents, et aucune clause contractuelle n'a pu valoir renonciation par avance du syndicat à exercer l'action civile contre le prévenu ;

Attendu que par ses agissements Henri C a porté préjudice à l'intérêt collectif de la profession que le syndicat représente ;

Attendu que la constitution de partie civile est recevable ;

Attendu que le montant des dommages intérêts a été raisonnablement arbitré au vu des éléments du dossier et des débats ; qu'il convient donc de confirmer les dispositions civiles du jugement déféré ;

Attendu qu'il n'est pas contraire à l'équité et à la situation économique du prévenu de condamner Henri C à payer à la partie civile, par application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale la somme de 5 000 F en remboursement des frais non répétibles engagés en instance d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt : contradictoire à l'égard de C Henri contradictoire à l'égard du Syndicat National de l'Industrie des Engrais (SNIE) et en matière correctionnelle ; En la forme : Reçoit les appels réguliers et dans les délais. Joint l'exception au fond. Au fond : Écartant toutes conclusions contraires, Sur l'action publique : Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée. Sur l'action Civile : Confirme les dispositions civiles du jugement. Condamne Henri C aux frais de l'action civile. Condamne Henri C à payer au Syndicat national de l'Industrie des Engrais la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Fixe comme de droit la contrainte par corps ; s'il y a lieu de l'exercer. Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.