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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 19 janvier 1995, n° 100-95

RENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Després

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Philippot

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Corre

Avocats :

Mes Pinel, Le Bigot.

TGI Saint-Brieuc, ch. corr., du 3 févr. …

3 février 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal de Saint-Brieuc, par jugement contradictoire en date du 3 février 1994, a déclaré S François

Coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, à Saint-Quay-Portrieux, le 6 mai 1989, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation,

Coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, à Saint-Quay-Portrieux depuis temps non prescrit, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation.

Et l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, 100 000 F d'amende, a ordonné la publication du dispositif dans un quotidien national coût 5 000 F, et sur l'action civile l'a condamnée à payer à M. Després la somme de 209 000 F à titre de dommages et intérêts, et la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP.

Les appels :

Appel a été interjeté :

Par le prévenu sur les dispositions pénales et civiles le 11 février 1994,

Par le Ministère public le 11 février 1994,

Prévention :

Il est fait grief au prévenu d'avoir :

1) à Saint-Quay-Portrieux et sur le territoire national, le 6 mai 1989 et dans un temps non prescrit par la loi pénale, trompé M. Després Michel sur les qualités substantielles et sur l'aptitude à l'emploi du navire de marque X hors-bord, en l'espèce en déclarant le navire homologué et insubmersible ;

2) d'avoir, à Saint-Quay-Portrieux et sur le territoire national, dans un temps non prescrit par la loi pénale, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses, ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles, les conditions d'utilisations du navire X hors-bord ;

Faits prévus et réprimés par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905, 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;

En la forme :

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

Exposé des faits et des moyens des parties :

Dans l'après-midi du 25 août 1991, Michel Després quittait le nouveau port de Saint-Quay-Portrieux pour une promenade en mer à bord de son bateau, à moteur hors-bord, de marque X ", avec onze personnes à bord dont six adultes alors que le navire n'était homologué que pour embarquer de 5 à 6 personnes. En raison d'une avarie, la mécanique du moteur hors bord auxiliaire d'une puissance de 9,9 CV.

Au retour de la promenade, Michel Després décidait de relever un trémail mouillé à l'aller malgré un léger clapot et surtout un courant contraire d'environ deux noeuds. Ses deux fils se déplaçaient vers l'arrière pour embarquer le filet à l'eau mais une des mailles s'accrochait à un taquet. Une nouvelle vague envahissait le navire et pénétrait à l'intérieur notamment, aux dires du propriétaire, par la trappe d'accès non obturée. Un autre plaisancier portait alors assistance à l'embarcation qui faisait eau mais s'était stabilisée à plat sur la mer.

Après que plusieurs personnes eurent rejoint le navire sauveteur, l'embarcation en détresse chavirait soudainement par tribord, les trois personnes restant à bord périssant noyées, plaquées contre les superstructures retournées, par leur gilet de sauvetage (D.9-D.11).

Une reconstitution permettait de vérifier que, dans des circonstances similaires à celles de l'accident, l'eau rentrait facilement, dès que l'arrière du navire était enfoncé, par les dalots, les viviers et les panneaux de pont non étanches pour emplie ensuite la cabine entraînant l'enfoncement, la gîte et le chavirage du navire qui ensuite flottait coque retournée (D6 feuillet 6). Or les enquêteurs avaient relevé qu'une plaque portant les mentions " homologué insubmersible - 17-08-1985 " et " conforme arrêté 2524 CNNM " était apposée sur la coque de l'embarcation sinistrée.

L'examen du certificat d'approbation délivré le 17 juillet 1985, à l'importateur français du X construit en Italie : la société " Y ", sise à Juan-les-Pins, dont François S est le dirigeant, permettait de constater que seule la version, moteur In Bord, avait été approuvée mais non la version, moteur hors-bord, correspondant au modèle que Michel Després avait acquis le 6 mai 1989. De même, cette commission nationale de sécurité de la navigation de plaisance (CNSMP) avait également délivré à l'importateur, par décision n° 159-44 du même jour, un certificat d'insubmersibilité " des navires X " après les tests subis par la seule version " In Bord " (Annexes au PV 43). Depuis lors, la publicité des établissements Y de façon différenciée vantait l'insubmersibilité de ses modèles quelque soit le type de motorisation (D43 Annexe 8).

Le 9 août 1990, un navire X, version "Hors-Bord", identique à celui de M. Després, était victime d'un événement de mer devant Blainville, ayant failli sombrer en raison de l'envahissement de ses fonds par l'eau. L'analyse de cet événement par un technicien, expert de la sécurité de la navigation, l'amenait à conclure que l'absence de joint d'étanchéité sur trois des quatre coffres sous plancher constituait la cause directe de l'accident. Le rapport relevait que le navire en cause n'était pas identique au modèle " In Bord " faisant l'objet de l'approbation et de la déclaration d'insubmersibilité. En effet, la version " In Bord " était dotée, elle, d'un tableau arrière complet et non d'une simple planche amovible, d'évacuations d'eau différentes, de joints d'étanchéité et d'une répartition de poids également différente. (D21).

C'est seulement à la suite de ce sinistre que la société " Ye " présentait à l'approbation la version hors-bord du " X " qui l'obtenait le 15-5-1991 (D29) ; cette version étant également déclarée insubmersible le 26 août 1992, déclaration valant uniquement pour les navires construits à partir du 28-2-1992 (D50).

Dans ses dépositions (D22-D51), François S reconnaissait avoir commercialisé tous les modèles " X ", sous le couvert de ces décisions d'approbation et d'insubmersibilité. Il estimait en effet que la version " In Bord ", approuvée et déclarée insubmersible, ayant un moteur diesel plus lourd qu'un moteur hors-bord, la décision d'insubmersibilité valait a fortiori pour cette seconde version. Il ajoutait avoir été conforté dans cette certitude par l'emploi pluriel dans l'intitulé du certificat d'insubmersibilité (Insubmersibilité des X) du 17 juillet 1985.

Toutefois il indiquait avoir, suite aux certificats obtenus en 1991 et 1992, pour la version " hors-bord ", proposé aux propriétaires des 33 navires achetés avant ces quelques modifications comme, par exemple, la pose de dalots à clapet, l'étanchéité du portillon et du coffre central arrières.

Considérant que le prévenu soulève, avant toute défense au fond, la nullité du jugement au regard des dispositions de l'article 49, alinéa 2 du Code de procédure pénale dans la mesure où le juge d'instruction du Tribunal de Saint-Brieuc, chargé de l'affaire, faisait partie de la composition du tribunal.

Qu'il demande, à titre de mesure d'instruction, l'audition de M. Bernard Espeli, expert maritime,

Considérant qu'au fond, il conclut à sa relaxe en faisant valoir, se fondant sur l'avis de l'expert maritime Espeli, que l'insubmersibilité était acquise aux " X ", quelle que soit leur motorisation, dès la décision du 17 juillet 1985 qui les vise sans distinction,

Qu'en effet cette caractéristique, qui doit être distinguée de l'inchavirabilité impossible à garantir, est définie par l'article 224-2-27 de l'arrêté du 27 décembre 1984 comme le fait pour un navire plein d'eau de garder une assiette normale, un franc bord minimum et une réserve de stabilité positive,

Que l'expert ainsi consulté répond que le modèle " X Hors-Bord " répondait dès le 17 juillet 1985 aux normes d'insubmersibilité, puisque la version " In Bord " testée à cette date avait des caractéristiques, notamment de poids, plus favorables à cet égard que la version hors-bord,

Qu'en conséquence, les modèles n'ayant pas subi dans l'intervalle de modifications de coque, la décision d'insubmersibilité du 26-8-1992 n'était qu'une confirmation de celle du 17 juillet 1985,

Considérant qu'à titre subsidiaire, sur le plan de la réparation, le prévenu demande la réformation de la décision pour tenir compte de la vétusté d'un bateau construit en 1988, de l'état défectueux du moteur hors-bord principal et de la responsabilité de M. Després dans l'événement de mer,

Qu'il conclut sur ce point au sursis à statuer dans l'attente de l'évaluation de la valeur du navire par expertise qu'il demande à la cour d'ordonner,

Considérant que la partie civile conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation du prévenu à lui payer une somme de 5 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Discussion :

I - Sur l'exception :

Considérant, sur l'exception de nullité, que tout jugement doit faire la preuve par lui-même de la régularité de la composition dont il émane,

Que l'article 49 alinéa 2 du Code de procédure pénale proscrit, à peine de nullité, la participation du juge d'instruction au jugement des affaires dont il a connu en cette qualité,

Qu'en l'espèce, M. Danino, juge d'instruction, a connu de la procédure suivie contre François S, au stade de l'instruction préparatoire,

Que la minute du jugement frappé d'appel porte qu'à l'audience du 3 février 1994, où il a été rendu, lecture étant faite par M. Mathieu, vice-président, le tribunal était également composé de MM. Pannetier et Danino, assesseurs,

Qu'il résulte des notes d'audience prises lors des débats qu'à l'audience du 13 janvier 1994 où l'affaire fut débattue et mise en délibéré, le tribunal était également présidé par M. Mathieu assisté de deux autres assesseurs que ceux présents à ses côtés le 3 février suivant,

Que cependant le jugement ne fait pas mention de la composition du tribunal lors des débats et du délibéré,

Qu'il ne fait donc pas preuve lui-même de ce que M. Danino n'a pas participé au jugement de l'affaire,

Qu'il convient dès lors d'annuler le jugement et de statuer par voie d'évocation,

II - Sur la demande d'audition de témoin :

Considérant que les données de faits résultent clairement de l'information et des débats, qu'en outre l'avis circonstancié de M. Espeli Bernard est versé au dossier par le prévenu, qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner l'audition demandée,

III - Sur le fond :

Considérant, au fond, que selon l'article 4, paragraphe IV, du décret 84-810 modifié, du 30 août 1984, tout navire de plaisance de série doit être conforme à un modèle approuvé par le ministre chargé de la marine marchande,

Que, faute d'une telle conformité, il ne peut prendre la mer,

Qu'en conséquence, la conformité d'un navire au modèle ainsi approuvé, tout comme son insubmersibilité, sont pour l'acheteur des qualités substantielles qui touchent à sa sécurité,

Considérant que Michel Després avait acquis ce navire le 6 mai 1989,

Que sur l'attestation de construction et la plaque signalétique apposée par l'importateur : la société Y, sur la coque, figurait notamment les mentions " Année 1987, conforme arrêté 2524 CNMN - insubmersible 17-07-1985 ",

Que la société " Y ", dont François S est le dirigeant, garantissait donc bien à l'acquéreur que ce navire de série était conforme au modèle approuvé par la commission de sécurité et insubmersible,

Que d'ailleurs, les publicités diffusées par cette société insistaient sur son homologation comme insubmersible par la " marine marchande ", " suivant procès verbal n° 159-44 du secrétariat d'Etat à la mer ",

Considérant, tout d'abord, qu'il est établi, et d'ailleurs non contesté, que la version " Hors-Bord "du navire, celle achetée par Michel Després, n'avait pas été approuvée par la décision n° 2524 du 17 juillet 1985 qui ne concernait que la version " In Bord " aux caractéristiques différentes,

Que la version en cause ne fut approuvée sous le n° 4970, que par une décision du 15 mai 1991, postérieure à l'achat du navire,

Qu'il sera relevé qu'aux dires mêmes du prévenu cette nouvelle approbation avait été demandée après qu'un modèle hors-bord, non approuvé eut été victime d'un sérieux événement de mer, le 9 août 1990,

Considérant qu'il en va de même en ce qui concerne l'insubmersibilité ; le certificat du 17 juillet 1985, bien qu'intitulé " Insubmersibilité des navires X ", n'ayant été délivré qu'après des tests effectués sur la seule version " In Bord ", donc valable uniquement pour celle-ci,

Que François S, professionnel du nautisme, importateur des deux versions du navire, ne pouvait se méprendre sur la portée de ce certificat,

Que ceci est confirmé par le fait qu'il ait demandé à la commission de sécurité, toujours après l'événement de mer précité, une déclaration d'insubmersibilité pour la seule version " Hors-Bord ", valable seulement pour les exemplaires construits à partir du 28 février 1992,

Qu'il est donc faux de prétendre qu'il ne s'agissait que d'une confirmation de celle du 17 juillet 1985,

Que les infractions visées à la prévention sont donc bien constituées en tous leurs éléments ;

Qu'il convient de prononcer à l'encontre du prévenu une amende d'un montant de 100 000 F et d'ordonner la publication de l'arrêt,

Considérant, sur l'action civile, que le préjudice direct subi par Michel Després du fait notamment de la tromperie consiste en une diminution de la valeur de son bateau qui ne peut plus être qualifié d'insubmersible et qui, de plus, n'est pas conforme au modèle approuvé sous le numéro qu'il porte,

Qu'il s'agit donc d'un préjudice différent de celui résultant des dommages dus au chavirage,

Qu'en conséquence peu importe la valeur résiduelle du bateau après cet événement et la part de responsabilité éventuelle de son propriétaire dans sa survenance,

Qu'une mesure d'expertise est donc inutile,

Considérant qu'un bateau qui ne peut plus être qualifié d'insubmersible et qui est différent du modèle approuvé est quasiment invendable puisqu'il ne peut plus, en l'état, être autorisé à naviguer,

Que la cour possède les éléments suffisants pour fixer à 180 000 F le montant des dommages et intérêts revenant à la partie civile,

Qu'au titre des frais irrépétibles il lui sera alloué la somme de 5 000 F,

Par ces motifs : Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement et contradictoirement, I- En la forme : Reçoit les appels, Annule le jugement du Tribunal correctionnel de Saint-Brieuc du 3 février 1994, Rejette la demande d'audition de témoin, II- Au fond : Evoquant, A) Sur l'action publique : - déclare François S coupable de l'ensemble des faits visés à la prévention, - le condamne à une amende de cent mille francs (100 000 F), - ordonne la publication par extraits comportant l'identité et l'adresse du prévenu, la prévention et le dispositif dans les quotidiens " Ouest France " et " Le Télégramme ", aux frais du condamné dans la limité de trois mille francs (3 000 F) par insertion, B) Sur l'action civile : - reçoit Michel Després en sa constitution de partie civile, - condamne François S à lui payer la somme de cent quatre vingt mille francs (180 000 F) à titre de dommages et intérêts, outre celle de cinq mille francs (5 000 F) au titre des frais irrépétibles, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné ; Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale.