CA Poitiers, ch. corr., 10 mars 1995, n° 94-00647
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dulioust
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
Mm. Albert, Hovaere
Avocat :
Me Drageon.
Décision dont appel:
Le tribunal a:
Sur l'action publique:
- déclaré le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés;
- condamné ce dernier à la peine de 50 000 F d'amende.
Sur l'action civile:
- reçu Monsieur Jean-Pierre Dulioust en sa constitution de partie civile;
- condamné Monsieur Claude D à payer à Monsieur Jean-Pierre Dulioust la somme de 9 600 F à titre de dommages intérêts;
Appel a été interjeté par:
Monsieur D Claude, le 7 septembre 1994
Monsieur le Procureur de la République, le 7 septembre 1994;
Rappel des faits et de la procédure:
LA COUR, après en avoir délibéré,
Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus,
Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,
Attendu que Claude D est prévenu d'avoir à Angoulins (17) et en Charente-Maritime (17) courant août 1993 étant Président Directeur Général de la SA X exploitant le magasin Y de vente au détail de biens, d'équipements de la maison, fait procéder à une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles et les conditions du bien ou du service proposé, en l'espèce en démarchant les consommateurs par téléphone pour leur annoncer qu'ils avaient gagné un voyage à destination de Floride, Espagne, ou Egypte, alors que le magasin ne faisait que leur distribuer, quant ils se présentaient un dépliant proposant des réductions de prix sur des voyages payants: infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-4 à L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation;
Attendu qu'à la suite de plaintes de consommateurs les services de la Direction Générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont été amenés à enquêter sur une publicité réalisée par voie téléphonique par le magasin de vente au détail de meubles et équipements de la maison à l'enseigne "Y" à Angoulins/mer, exploité par la société X, ayant pour président-directeur général Claude D;
Attendu qu'il résulte de cette enquête que les personnes choisies sur l'annuaire du téléphone, appelées à leur domicile, se voyaient informées par une "hôtesse" que le magasin "Y" leur offrait un séjour en Floride ou en Egypte, à leur choix, le billet d'avion étant toutefois à leur charge; que, dans le cas d'un couple, l'offre était valable pour deux personnes, invitées à venir au plus vite "vous et votre mari" réserver le séjour de leur choix au magasin;
Que les bénéficiaires de cette offre se voyaient en réalité remettre un "coupon séjour" leur permettant d'acquérir auprès de l'agence de voyages P, à un tarif réduit, une prestation consistant en un forfait comprenant voyage et séjour en Egypte, en Floride ou à Londres, avec faculté de n'acquérir que le billet d'avion seul ou le séjour seul; que toutefois le prix du billet d'avion acheté seul était équivalent à celui du forfait voyage et séjour tandis que le séjour acheté seul était au prix normal;
Attendu que, condamné à raison de ces faits pour publicité mensongère par le jugement rappelé en tête du présent arrêt, Claude D a fait appel de cette décision et sollicite de la cour sa relaxe;
Qu'il invoque en premier lieu une délégation de pouvoir donnée à Monsieur M, estimant sur le fond qu'il n'y a pas d'infraction, que cette opération publicitaire concernait plus de 90 magasins en France - enseignes "Y" et "X" - sans qu'aient été signalés de problèmes notables, alors qu'au contraire nombreuses étaient les lettres ou cartes postales reçues de clients enchantés du séjour dont ils avaient pu bénéficier;
Qu'en toute hypothèse le prévenu sollicite le rejet des demandes de la partie civile;
Attendu que Monsieur Dulioust, partie civile, demande la confirmation du jugement et l'allocation d'une somme de 5 000 F en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Attendu que le Ministère Public requiert la confirmation du jugement;
Attendu que le séjour annoncé au téléphone au "gagnant" ne pouvait être, dans l'esprit du bénéficiaire, qu'un séjour gratuit, dans le contexte du message type figurant au dossier, remis par le responsable du magasin; qu'en effet les phrases: "Y Angoulins offre 50 coupons séjour pour une destination de votre choix - à votre charge le billet d'avion - vous avez le choix entre une semaine en Floride (petit déjeûner et hébergement compris) ou un séjour en Egypte - C'est formidable...toutes mes félicitations ...car des vacances de rêve vous attendent" ne peuvent être interprétées autrement que comme l'offre d'un séjour gratuit, par opposition au voyage qui ne l'est pas;
Que le prévenu n'en disconvient d'ailleurs pas;
Attendu qu'en réalité le bénéficiaire de cette offre ne se voyait remettre qu'un coupon donnant droit à un tarif réduit pour une prestation combinée comportant voyage et séjour; que ceci ne peut être assimilé à un séjour gratuit, puisque, dans le cas d'une prestation complexe, quelque réduit que puisse en être le prix, celui-ci se rapporte indistinctement aux différents éléments de la prestation; que le coupon remis aux clients destinataires de l'offre publicitaire ne correspondait donc pas à ce qui était annoncé, l'avantage obtenu étant l'accès à un séjour payant à tarif réduit et non la gratuité du séjour;
Qu'il n'importe que des centaines, voire des milliers de clients aient été satisfaits de ce qui leur avait été "offert" dès lors qu'objectivement l'avantage ou le gain effectif obtenu par le consommateur n'était pas celui qui avait été annoncé et était de surcroît de moindre valeur; qu'à cet égard le prévenu précise que les coupons étaient acquis auprès de P au prix de 30 F l'unité;
Attendu que le délit de publicité mensongère est ainsi constitué;
Attendu que le prévenu, pour s'exonérer de la responsabilité pénale qui pèse sur lui en principe en sa qualité de chef d'entreprise produit une délégation de pouvoirs consentie à Monsieur Jacky M, directeur commercial, le 1er février 1991; que cette délégation porte notamment sur l'organisation des campagnes publicitaires et leur suivi;
Mais attendu que cette délégation, dont seule une télécopie dépourvue de valeur probante est produite, est en l'espèce inefficace;
Qu'il résulte en effet des propres déclarations de Monsieur D que la campagne publicitaire en cause a été conçue à l'échelon national pour un ensemble de magasins franchisés exploités sous les mêmes enseignes; qu'il est donc clair que cette opération publicitaire ne relevait pas de la responsabilité du directeur commercial, si ce n'est pour la mise en œuvre, qui n'est pas ici en cause; que la décision de mener l'opération publicitaire dont le principe même est critiquable ne pouvait être prise qu'au plus haut niveau de l'entreprise; qu'en toute hypothèse le pouvoir délégué à Monsieur M ne s'étendait pas à la conception d'une campagne publicitaire de cette envergure ni à la décision de l'organiser;
Attendu que c'est donc à bon droit que le tribunal a retenu la culpabilité de Monsieur D; que la peine d'amende prononcée apparaît juste et adaptée;
Attendu que, si la constitution de partie civile de Monsieur Dulioust, destinataire de la publicité reconnue mensongère reçue en fait par un de ses enfants [...] exploité par la société X et s'est vu offrir le coupon ci-dessus décrit, le préjudice que lui a causé l'infraction n'est pas équivalent au prix de deux forfaits voyage séjour, comme le sollicite l'intéressé, mais peut être fixé à 2 000 F; qu'indépendamment de cette indemnité, il y a lieu d'allouer à Monsieur Dulioust, par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 1 000 F;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges: LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort, Reçoit les appels, réguliers en la forme; Confirme le jugement entrepris quant à l'action publique; Le réformant quant aux intérêts civils: Condamne Claude D à payer à Jean-Pierre Dulioust deux mille francs (2 000 F) à titre de dommages intérêts et mille francs (1 000 F) par application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale; Le condamne aux frais de l'action civile; Le tout en application des articles susvisés.