CA Angers, ch. corr., 7 décembre 1995, n° 09500292
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Morin-Taveau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvel (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Gauthier, Liberge
Avocats :
Mes Lagrange, Ipeau, Mazza-Capevielle, Boucheron.
LA COUR :
Le prévenu et le Ministère public ont interjeté appel du jugement rendu le 7 octobre 1993 par le Tribunal correctionnel de Saumur qui, saisi de publicité mensongère à l'encontre de Khan X et d'escroquerie à l'encontre de Charles M et André V, statuant sur une exception de procédure, a déclaré valable la citation délivrée à l'encontre de X et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
La partie civile et le Ministère public ont interjeté appel du jugement rendu le 15 décembre 1994 par le Tribunal correctionnel de Saumur qui, pour publicité mensongère, a condamné Khan X à un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 F d'amende et recevant les époux Morin en leur constitution de partie civile leur a accordé la somme de 1 500 F à titre de dommages-intérêts.
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient, conformément aux réquisitions du Ministère public, d'ordonner la jonction des procédures diligentées contre d'une part X et d'autre part M et V.
Régulièrement cité, Khan X est présent assisté de son conseil, lequel dépose des conclusions ; il demande à la cour d'une part de déclarer nulle la citation à comparaître devant le tribunal délivrée au prévenu et d'autre part de le relaxer et déclarer irrecevable la constitution de partie civile des époux Morin.
Régulièrement cité Charles M est présent assisté de son conseil lequel dépose des conclusions tendant à la confirmation du jugement.
Régulièrement cité, André V est présent assisté de son conseil lequel sollicité également confirmation du jugement.
Le Ministère public soutient que les faits sont établis à l'encontre des trois prévenus et requiert une peine d'emprisonnement avec sursis et une amende.
Khan X est poursuivi pour avoir sur le territoire national et en particulier dans l'arrondissement judiciaire de Saumur courant 1988 et 1989 effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les conditions de la vente, les résultats pouvant être attendus de l'utilisation d'un bien ou d'un service ainsi que sur la portée des engagements pris par l'annonceur, les promoteurs ou prestataires en diffusant des plaquettes publicitaires de nature à laisser croire notamment à travers un exemple de plan de financement, la possibilité de réaliser un investissement immobilier dans des conditions avantageuses et sans risque dans le cadre de la loi Méhaignerie par l'acquisition d'un bien immobilier neuf destiné à la location présenté comme procurant un revenu locatif garanti couvrant la totalité du remboursement au prêt conventionné devant être souscrit par l'acquéreur et représentant 9/10e de l'investissement réalisé, ladite publicité ne faisant pas apparaître clairement les limites de la garantie locative et la possibilité d'un différentiel important entre les échéances de prêt et les loyers perçus.
Charles M est poursuivi pour avoir à Longué-Jumelles (49) du 14 décembre 1988 au 30 décembre 1989, en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader, l'existence de fausse entreprise, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou d'un événement chimérique, en l'espèce en faisant naître lors de la proposition d'acquisition d'un bien immobilier neuf destiné à la location dans le cadre de la loi Méhaignerie l'espérance d'un revenu locatif garanti couvrant la totalité des remboursements d'un prêt conventionné à souscrire par l'acquéreur et représentant 9/10e de son investissement par le moyen d'une plaquette publicitaire mensongère ou de nature à induire en erreur en ce qu'elle dissimulait les limites de la garantie locative et la possibilité d'un différentiel entre les échéances du prêt et les loyers perçus et par le moyen d'agents commerciaux accréditant les informations contenues dans ladite plaquette par des arguments de vente mensongers notamment sur la valeur locative de bien immobilier proposé à la vente obtenu de Jean Morin et de Nicole Taveau son épouse, la remise ou la délivrance d'obligations, dispositions, promesse, quittances ou décharges en l'espèce un contrat d'achat immobilier et un contrat d'achat et un contrat de prêt escroquant par ce moyen la fortune d'autrui.
André V est poursuivi pour avoir à Longué-Jumelles (49) du 14 décembre 1988 au 30 décembre 1989, en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader, l'existence de fausse entreprise, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou d'un événement chimérique, en l'espèce en faisant naître lors de la proposition d'acquisition d'un bien immobilier neuf destiné à la location dans le cadre de la loi Méhaignerie l'espérance d'un revenu locatif garanti couvrant la totalité des remboursements d'un prêt conventionné à souscrire par l'acquéreur et représentant 9/10e de son investissement par le moyen d'une plaquette publicitaire mensongère ou de nature à induire en erreur en ce qu'elle dissimulait les limites de la garantie locative et la possibilité d'un différentiel entre les échéances du prêt et les loyers perçus et par le moyen d'agents commerciaux accréditant les informations contenues dans ladite plaquette par des arguments de vente mensongers notamment sur la valeur locative de bien immobilier proposé à la vente obtenu de Jean Morin et de Nicole Taveau son épouse, la remise ou la délivrance d'obligations, dispositions, promesse, quittances ou décharges en l'espèce un contrat d'achat immobilier et un contrat d'achat et un contrat de prêt escroquant par ce moyen la fortune d'autrui.
Sur l'action publique :
Sur l'exception de procédure :
Khan X fait valoir que les faits objet de la poursuite ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire devant un juge d'instruction de Pau le 22 avril 1993 et qu'il ne peut valablement être cité pour les mêmes faits devant le Tribunal correctionnel de Saumur par le Ministère public postérieurement, en l'espèce le 27 juillet 1993.
Cette exception soulevée in limine litis en première instance est recevable.
A supposer qu'il s'agisse effectivement des mêmes faits, la cour n'étant pas en mesure de le vérifier à l'examen des pièces produites, il s'agit d'un conflit positif de compétence entre deux juridictions, l'une d'instruction et l'autre de jugement, de ressorts différents. Les conflits de compétence sont réglés par la procédure de règlement de juge définie aux articles 657, 658 et 659 du CPP, en l'absence de décisions définitives contradictoires entre les deux juridictions, de saisir par requête la Cour de cassation. En l'absence d'une telle requête, l'exception n'est pas fondée et il y a lieu de considérer que le tribunal était valablement saisi ; le jugement statuant sur ce seul incident de procédure en date du 7 octobre 1993 sera confirmé.
Sur le fond :
Il résulte de la procédure et des débats que, en 1988, André V, agent commercial de la société Y prenait l'attache des époux Morin domiciliés à Longué-Jumelles (49) pour leur proposer un investissement pour l'achat d'un appartement à Toulouse dans le cadre de la loi Méhaignerie.
Les époux Morin achetaient suivant acte notarié en date des 13 et 14 décembre 1988 un appartement situé rue de la Caravelle et construit par la SCI Le Parc de Jolimont pour le prix de 566 300 F. Ils souscrivaient à cet effet un emprunt de 509 000 F auprès de la BNP et concluaient avec une société Z un contrat de rentabilité aux termes duquel cette société leur garantissait en contrepartie de la mise à disposition de l'appartement pendant douze mois une rentabilité forfaitaire de 50 400 F. Les époux Morin achetaient un second immeuble dans les mêmes conditions le 30 décembre 1989, un pavillon dans le lotissement du Clos Vert dans la même ville pour le prix de 489 000 F. Ils souscrivaient un emprunt de 440 000 F et une garantie locative de douze mois leur était proposée.
Sur la publicité mensongère :
Il résulte de la procédure que la société Y prodiguait à ses agents commerciaux une formation par séminaires d'une durée de trois jours et leur fournissait une plaquette cotée D 50 au dossier laquelle faisait notamment ressortir l'exemple unique d'un placement financier de 200 000 F duquel il ressort que l'acheteur n'a à réaliser qu'un apport personnel de 20 000 F absorbé par le crédit d'impôt du même montant, que le remboursement mensuel du prêt est assuré par les loyers et que la revente au bout de dix ans procure une capitalisation réelle de 100 000 F. L'affirmation de la prise en charge des intérêts intercalaires et la garantie locative sont de nature à rassurer les candidats à l'investissement sans risque majeur.
Le prévenu soutient en premier lieu qu'il n'est pas le concepteur de la plaquette, en second lieu qu'il n'est pas démontré qu'elle ait été diffusée et en troisième lieu que la plaquette en cause n'a pas été déterminante de leur consentement.
Le prévenu Khan X qui a pris la direction de la société Y au printemps 1988 admet dans ses écritures que la plaquette a pu être conçue en 1987. En ne remettant pas en cause son contenu lors de sa prise de fonction puisqu'elle était présentée aux séminaires de formation en 1988 à Saumur, Khan X doit assumer la responsabilité de ce document commercial dès lors qu'il a accepté de prendre la direction de la société Y.Si les époux Morin n'ont pas été destinataires de cette plaquette, cette condition de diffusion à une personne physique particulière n'est pas exigée, seule la diffusion auprès d'un public de consommateurs potentiels étant suffisante ; or, la lecture du texte de la plaquette induit nécessairement aux nombreuses réalisations immobilières de la société C dont un aperçu figure au présent dossier.
En ne mettant en exergue qu'un exemple chiffré, d'ailleurs plausible, à l'exclusion de toute autre situation faisant ressortir par exemple un investissement supérieur, un apport personnel différent et l'éventualité d'un différentiel loyer - remboursement comme c'était le cas pour les appartements de grande surface, ce seul exemple et cette présentation tendancieuse était de nature à induire en erreur les consommateurs sur les qualités substantielles des résultats de l'investissement réalisé.En laissant diffuser cette plaquette, le prévenu sera déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et le jugement entrepris sera confirmé sur la culpabilité et sur la peine qui a été bien appréciée.
Sur l'escroquerie :
Il résulte de la procédure telle qu'elle a été diligentée que André V a fait souscrire aux époux Morin deux investissements immobiliers, l'un en décembre 1988 et l'autre un an plus tard en décembre 1989. Pour ce faire, en se servant de la plaquette objet du chef de prévention reproché à X, il a présenté l'économie du système de placement en établissant devant les époux Morin deux documents manuscrits versés au dossier et côtés D 15 pour la première transaction et D 13 pour la seconde vente. Ces documents qui ont permis aux époux Morin de connaître les avantages de l'opération et les ont conduit à acheter successivement un appartement puis un pavillon en raison d'une part de l'absence de différentiel entre les loyers et les remboursements et d'autre part de la garantie locative. Si la réalité a été toute autre, les loyers ne couvrant plus les remboursements à l'issue de la garantie de loyer, l'ambiguïté volontaire de la publicité dont la plaquette était le support ainsi qu'il a été démontré ci-avant et jugé, laquelle a fait naître l'espérance d'un événement chimérique constitue non pas un simple mensonge mais une manœuvre frauduleuse au sens de l'article 405 du Code pénal applicable à l'époque des faits et auquel il convient toujours de se référer en raison du caractère plus sévère de l'article 131-1 du nouveau Code pénal qui édicte une incrimination plus large.
Cependant, au-delà de l'élément matériel, la preuve de l'élément moral nécessaire à la qualification de l'infraction, à savoir la mauvaise foi de André V n'est pas rapportée. L'intéressé a personnellement investi par l'intermédiaire de la société Y à Toulouse et Pau dans deux appartements selon le même processus que les époux Morin. Ces derniers d'ailleurs dans un courrier du 8 février 1990 coté D 24 lui témoignent de sa bonne foi.
Le jugement, en ce qu'il a relaxé André V, sera donc confirmé.
Quant à Charles M qui n'a jamais rencontré les époux Morin et n'a pas eu de contacts avec les eux avant la signature des deux contrats, son rôle consistant à animer le réseau commercial de la société Y et à diriger les séminaires de formation des agents commerciaux, sa responsabilité ne pourrait être recherchée qu'au titre de la complicité par instigation, par fourniture d'instructions. En l'absence de fait principal punissable, les faits reprochés à V n'étant pas établis, Charles M ne peut être retenu dans les liens de la complicité d'escroquerie. Le jugement l'ayant relaxé sera aussi confirmé de ce chef.
Sur l'action civile :
Les époux Morin qui se sont constitué partie civile contre X déclaré coupable de publicité mensongère sont recevables et bien fondés, dès lors que leur préjudice découle directement de l'infraction. Les pièces versées aux débats permettent à la cour de considérer que leur dommage a été bien apprécié par le tribunal. Le jugement sera confirmé de ce chef en ses dispositions civiles.
Les époux Morin qui se sont constitués partie civile également contre V et M relaxés des faits d'escroquerie reprochés ne sont pas recevables en cette constitution contre ces derniers.
L'équité commande de leur allouer une indemnité de procédure en cause d'appel de 2 000 F.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Ordonne la jonction des procédures suivies contre X d'une part et V et M d'autre part, Sur l'action publique, Confirme le jugement du 7 octobre 1993 en ce qu'il a rejeté l'exception de procédure, Confirme le jugement du 3 février 1994 sur la culpabilité de Khan X et sur la peine prononcée, La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable Khan X, conformément aux dispositions de l'article 1018 A du Code général des impôts. Confirme le jugement du 15 décembre 1994 en ce qu'il a relaxé André V et Charles M, Sur l'action civile, Confirme les jugements entrepris en leurs dispositions civiles, Condamne Khan X à payer aux époux Morin la somme de 2 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel. Condamne Khan X aux dépens de l'action civile. Ainsi jugé et prononcé par application des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation, 473 du Code de procédure pénale.