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Décisions

CA Rouen, 1re et 2e ch. réunies, 12 septembre 1995, n° 9302301

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eparco (SA)

Défendeur :

Kiwi France (SA), Tenama Kiwi France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

Mme Valantin, MM. Charbonnier, Grandpierre, Dragne

Avoués :

SCP Greff Curat, Me Couppey

Avocats :

Mes Greff, Jobin.

T. com. Nanterre, du 8 févr. 1990

8 février 1990

Faits et procédure :

Les sociétés Eparco et Temana Kiwi France (TKF) commercialisaient toutes deux un produit présenté comme étant un " activateur biologique pour fosses septiques ", la première sous la marque " Eparcyl ", la seconde sous la marque " Septifos ".

A l'occasion d'une modification de son produit, la société Temana Kiwi France a notamment porté sur l'emballage la mention " Nouveau - Riche en bactéries " et fait paraître une publicité assortie du slogan " Septifos : Le premier activateur biologique riche en bactéries ".

Par lettre de son conseil en date du 22 juillet 1988, la société Eparco l'a informée de tests comparatifs conduisant à mettre en doute le bien fondé de ces assertions, et l'a invitée à communiquer les " essais lui permettant de justifier de la qualité du Septifos comme activateur biologique pour fosses septiques ".

Puis, cette démarche étant restée sans suite, elle l'a fait assigner pour publicité trompeuse, constitutive à son égard de concurrence déloyale.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 8 février 1990, le Tribunal de commerce de Nanterre a statué comme suit :

"Dit que constituent des publicités mensongères, au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, pour partie le slogan publicitaire " Septifos, le premier activateur biologique riche en bactéries " et en totalité la mention " Nouveau - Riche en bactéries " apposée sur les emballages de ce même produit depuis 1988 ;

En conséquence, dit bien fondée en son principe l'action en concurrence déloyale d'Eparco, fabricant d'Eparcyl, - produit concurrent de Septifos, contre TKF, fabricant de celui-ci ;

Dit cependant que le lien de causalité entre cette concurrence déloyale et le préjudice allégué par Eparco ainsi que le montant de celui-ci ;

En conséquence, déboute Eparco de sa demande de dommages-intérêts ;

Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans cinq journaux choisis par Eparco et aux frais de Temana Kiwi France, sans que le coût de chaque publication puisse dépasser 18 000 F HT,

Ordonne l'exécution provisoire de la décision qui précède sans constitution de garantie,

Condamne TKF à payer 10 000 F à Eparco au titre de l'article 700 du NCPC".

Sur appel interjeté par la société Eparco, la Cour d'appel de Versailles a notamment retenu que :

- le mot " nouveau " exprimait en l'espèce le caractère de la représentation, sous un seul emballage, de deux produits jusqu'alors vendus séparément ;

- la formule " riche en bactéries " correspondait à la réalité, la publicité n'affirmant pas et ne suggérant pas que ces bactéries aient une action déterminante pour le nettoyage des fosses septiques ;

- l'emploi du terme " premier ", laissant penser que le produit Septifos était antérieur aux produits concurrents ou qu'il leur était supérieur ou qu'il était le plus vendu, ne pouvait tomber sous le coup de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, faute d'entrer dans l'énumération limitative qui y figure.

Par arrêt du 21 mars 1991, la cour d'appel a donc infirmé la décision des premiers juges et débouté la société Eparco de l'ensemble de ses demandes.

Sur renvoi de la société Eparco, cet arrêt a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale) du 18 mai 1993, pour défaut de base légale.

La Haute Juridiction a jugé que les motifs précités étaient impropres à démontrer que la publicité litigieuse ne comportait pas d'allégation, d'indication ou de présentation fausse ou de nature à induire en erreur.

Devant la cour de ce siège, désignée comme cour de renvoi, la société Eparco fait tout d'abord grief aux premiers juges de n'avoir retenu que partiellement le grief de publicité mensongère ou susceptible d'induire le public en erreur.

En application de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 - fait-elle valoir - c'est à la société Temana Kiwi France qu'il incomberait de rapporter la preuve de l'exactitude de ses allégations. Or, force est de constater qu'elle ne le fait pas.

Au demeurant, leur caractère trompeur serait incontestable, y compris en ce qui concerne l'affirmation - considérée dans son intégralité - selon laquelle le produit litigieux serait " le premier " et riche en " bactéries ".

En effet, le terme " premier " ne pourrait s'entendre pour le public que d'un produit qui serait le meilleur. En outre, il ressortirait d'une étude versée aux débats que l'apport en bactéries n'améliorerait pas le fonctionnement des fosses septiques et, s'agissant du produit Septifos, serait sans incidence sur ses effets.

C'est également à tort - ajoute la société Eparco - que les premiers juges n'auraient pas fait droit à sa demande de dommages-intérêts.

En effet, en faisant usage d'une argumentation fallacieuse, la société Temana Kiwi France aurait causé un préjudice illégitime à ses concurrents et plus particulièrement à la société Eparco.

A cet égard, importerait de rappeler que c'est cette dernière qui serait à l'origine, il y a une trentaine d'années, de l'invention des bioactivateurs pour laquelle elle aurait obtenu un brevet, et se trouverait toujours être la première sur le marché.

La cour devrait donc :

Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 8 février 1990 en ce qu'il a dit que le slogan " Septifos le premier activateur riche en bactéries " n'était que pour partie mensonger,

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 8 février 1990 en ce qu'il a dit que la mention : " Nouveau : riche en bactéries " apposée sur les emballages de ces produits depuis 1988 était en totalité mensongère,

Statuant à nouveau,

Dire et juger qu'en utilisant le slogan publicitaire " Septifos, premier activateur biologique riche en bactéries " et la mention " Nouveau : riche en bactéries ", la société Temana Kiwi France avait commis des actes de publicités fausses ou de nature à induire en erreur,

Dire et juger que la société Temana Kiwi France a commis des agissements de concurrence déloyale et ce, aux dépens de la société Eparco,

En conséquence,

Condamner la société Temana Kiwi France à payer à la société Eparco la somme provisionnelle de 1 000 000 F et désigner tel expert qu'il plaira à la cour de nommer avec mission d'évaluer le surplus de dommages et intérêts dus,

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 journaux du choix de la société Eparco aux frais de la société Temana Kiwi France sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 30 000 F HT,

Condamner la société Temana Kiwi France au paiement de la somme de 50 000 F dans les termes de l'article 700 du NCPC.

Pour la société Kiwi France, venant aux droits de la société Temana Kiwi France, la société Eparco ne rapporterait pas la preuve de ce que ses messages publicitaires seraient mensongers ou de nature à induire en erreur.

A cet égard - poursuit-elle - c'est à tort que la société Eparco prétendrait tirer des dispositions de la loi du 27 décembre 1973 un quelconque renversement de la charge de la preuve.

De toute manière, force est de constater que ses messages sont exempts du grief allégué, alors surtout que :

- dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne, le terme " premier " prendrait uniquement un sens chronologique correspondant en l'espèce à l'antériorité dont bénéficierait son produit nouvelle formule ;

- en employant l'expression " riche en bactéries ", elle n'aurait nullement souhaité convaincre le grand public que les bactéries seraient d'une utilité particulière dans le traitement des fosses septiques, mais simplement appeler son attention sur leur présence ;

- l'utilisation du terme " nouveau " exprimerait uniquement le caractère innovateur de la présentation de son produit sous un seul emballage, là où elle l'aurait auparavant vendu sous la forme de deux sachets séparés.

La société Eparco ne rapporterait pas plus la preuve du préjudice qu'elle aurait subi, ni du lien de causalité entre celui qu'elle allègue et les faits qu'elle prétend lui imputer à faute.

En réalité, elle n'aurait cessé de poursuivre abusivement la société Temana Kiwi France de sa vindicte, puisqu'elle n'aurait notamment pas hésité à déposer deux plaintes successives à son encontre malgré les modifications que celle-ci aurait apportées à la présentation de son produit à la suite du jugement entrepris.

Il appartiendrait donc à la cour de :

Dire et juger la société Eparco mal fondée en son appel du jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 8 février 1990 ;

Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit le slogan : "Septifos, le premier activateur riche en bactéries" en partie mensonger et la mention : "Nouveau - riche en bactéries" mensongère en sa totalité ;

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Eparco de sa demande de dommages et intérêts au motif qu'était mal établi le lien de causalité entre la concurrence déloyale et le préjudice allégués par la société Eparco ;

Infirmer la décision en ce qu'elle a ordonné la publication de son dispositif dans cinq journaux choisis par Eparco et aux frais de Temana Kiwi France ;

Statuant à nouveau,

Dire et juger, au besoin constater, que la société Eparco ne rapporte pas la preuve de ce que le slogan publicitaire "Septifos, premier activateur biologique riche en bactéries" la mention : "Nouveau - riche en bactéries" aurait un caractère mensonger ou de nature à induire en erreur ;

Dire et juger que la société Eparco ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre l'utilisation par la société Temana Kiwi France de ces slogans et le préjudice qu'elle allègue ;

Dire et juger que la société Eparco ne rapporte pas la preuve de l'existence et du montant du préjudice qu'elle allègue ;

En conséquence,

Dire et juger qu'en utilisant le slogan publicitaire "Septifos, premier activateur biologique riche en bactéries" et la mention "Nouveau - riche en bactéries", la société Temana Kiwi n'a commis aucun acte de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et n'a commis aucun agissement de concurrence déloyale à l'encontre de la société Eparco ;

Débouter la société Eparco de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner la société Eparco à payer à la société Kiwi France la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

Condamner la société Eparco à payer à la société Temana Kiwi France la somme de 70 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Sur les publicités litigieuses

Attendu qu'il ressort des explications des parties et des pièces du dossier que la société Temana Kiwi France, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Kiwi, commercialisait depuis plusieurs années sous la marque "Septifos" un produit présenté comme "activateur biologique" destiné à l'entretien et à la réactivation des fosses septiques ;

Que ce produit était initialement proposé au public par boites de 28 sachets-doses permettant un traitement complet pendant un an, soit :

- 24 "sachets bleus" entretien" (ou Nutrian)", censés contenir "des éléments nutritifs qui facilitent le développement optimum de la flore bactérienne", à déverser dans la cuvette de WC à raison d'un sachet tous les quinze jours ;

- 4 " sachets rouges " choc " (ou Semences), censés contenir " un mélange de bactéries et d'enzymes destinés à relancer les réactions biologiques et le processus d'épuration ", à déverser à raison d'un sachet tous les trois mois ou de deux sachets en cas de survenance d'un dysfonctionnement ;

Attendu qu'à compter d'une date remontant - selon les parties - à 1986 ou 1988, la société Temana Kiwi France a réuni dans un seul sachet dose les différentes composantes de son produit, qu'elle a désormais proposé à la vente du public par boites carton de 15 sachets ;

Qu'à cette occasion, elle a changé la présentation de l'emballage carton pour faire notamment figurer sur sa face latérale la plus large :

- les mentions ci-après, en occupant la première moitié supérieure :

SEPTIFOS

démarre, réactive, entretient

VOTRE FOSSE SEPTIQUE

en un seul traitement

- suivies de l'indication, décalée sur la droite et en position inclinée :

NOUVEAU

riche en bactéries

Attendu que, par ailleurs, la société Temana Kiwi France a fait paraître une publicité sur une page entière (p. 62) du numéro d'avril 1988 de la revue " Mon jardin - Ma maison " ;

Que sous une photographie colorée de flore microbienne, occupant les deux cinquièmes supérieurs de cette page et présentée comme " grossie 87 000 fois - source : Institut Pasteur, Labo de microscopie électronique ", apparaissent successivement :

- l'interrogation en gros caractères : " Y a-t-il assez de ces petites bêtes dans votre fosse septique ? "

- la représentation d'une boite carton de 15 sachets, telle que précédemment évoquée, s'inscrivant dans un texte explicatif portant sur le rôle déterminant joué par les bactéries dans les fosses septiques, et dont se détachent quatre titres : " des bactéries sélectionnées " ; " un produit nutritif " ; " un support biodégradable ", " un geste suffit ;

- un slogan terminant l'ensemble : " Septifos, le 1er activateur biologique riche en bactéries " ;

Sur la perception des publicités par le public :

Attendu qu'il est constant (cf. : brevet n° 76/20 586 du 6 juillet 1976, délivré à la société Eparco) que les fosses septiques ont pour objet d'assurer - plus particulièrement à l'usage des habitations non raccordées à l'égout - la conservation des matières fécales liquéfiées, le cas échéant mélangées à d'autres, pendant le temps nécessaire à leur biodégradation et restitution au milieu naturel ;

Qu'en fonctionnement normal, la flore microbienne anaérobique facultative naturellement présente dans les matières fécales, est suffisante pour permettre une biodégradation satisfaisante ;

Que cependant, ce fonctionnement peut être perturbé par suite de l'affaiblissement ou du développement excessif de la flore, résultant de circonstances telles que : utilisation irrégulière de la fosse ; déversement de produits toxiques (eau de Javel, détergents, antibiotiques ...), surcharge provenant du sous conditionnement par rapport aux nombres des utilisateurs...

Que ces perturbations peuvent engendrer mauvaises odeurs et engorgement partiel ou total ; que les produits vendus comme " activateurs " sont précisément censés les prévenir ou y porter remède ;

Attendu que d'une manière générale - et plus particulièrement pour l'application de la loi du 27 décembre 1973, que visent les deux parties - la portée des messages publicitaires doit s'apprécier concrètement, par référence aux consommateurs moyennement avisés et attentifs ;

Que les consommateurs à prendre ici en considération sont les utilisateurs domestiques de fosses septiques :

- ayant une connaissance le plus souvent diffuse du phénomène biologique présidant à leur fonctionnement, voire caricaturale sinon simpliste de l'action des bactéries volontiers associées dans leur esprit - comme dans la publicité litigieuse - à l'image de " petites bêtes " ;

- beaucoup plus prosaïquement sensibilisés aux inconvénients pouvant résulter des dysfonctionnements, soucieux de les prévenir, et le cas échéant pressés d'y remédier ;

Attendu que dans un tel contexte, les messages litigieux ne pouvaient s'entendre que comme indiquant ou suggérant directement aux consommateurs qu'ils étaient en présence :

- de façon univoque, en ce qui concerne la mention " Nouveau - riche en bactéries " portée sur les emballages : d'un produit tirant sa nouveauté du changement apporté, non pas simplement à sa présentation, mais à sa composition désormais caractérisée par une particulière abondance des bactéries lui conférant une efficacité accrue ;

- alternativement voire cumulativement selon les individus et les circonstances, en ce qui concerne le slogan " Le premier activateur biologique riche en bactéries " : du produit qui se démarquerait de ses concurrents comme étant, soit le premier à avoir innové, soit le meilleur, soit le plus vendu ;

Sur les dispositions invoquées :

Attendu que la loi du 27 décembre 1973, applicable aux faits de la cause, disposait en son article 44 (§1) aujourd'hui repris à l'article L. 121-1 du Code de la consommation :

...Est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principes utiles, espèce, origine, qualité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et conditions de vente de biens ou services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portée des engagements pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs ou des prestataires.

Que ces dispositions sont applicables aux deux messages publicitaires ci-dessus évoqués, y compris en ce qu'ils tendaient à présenter le produit litigieux comme étant " le premier ", circonstance impliquant une garantie de qualité, soit liée à l'expérience et à la capacité à innover du fabricant, soit découlant du succès du produit ;

Que la société Eparco est recevable à invoquer ces mêmes dispositions au soutien de son action en concurrence déloyale, dès lors que les messages - à supposer qu'ils enfreignent les interdictions qui y sont posées - apparaissent effectivement constitutifs d'une faute à même de lui avoir causé un préjudice, par la présentation du produit de sa concurrente sous un jour indûment favorable ;

Attendu que l'article précité disposait par ailleurs, en son deuxième paragraphe aujourd'hui repris en substance à l'article L. 122-2 du Code de la consommation :

...Les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ceux du service de la répression des fraudes et du contrôle de la qualité au ministère de l'agriculture et du développement rural et ceux du service des instruments de mesure au ministère du développement industriel et scientifique, sont habilités à constater, au moyen de procès verbaux, les infractions aux dispositions du paragraphe I. Ils peuvent exiger de l'annonceur la mise à disposition de tous les éléments propres à justifier les allégations, indications ou présentations publicitaires...

Qu'il était et demeure manifeste que :

- l'obligation d'information, pesant sur l'annonceur, ne vaut que pour les conditions dans lesquelles certains agents sont habilités à constater les manquements aux dispositions du paragraphe 1er, par ailleurs érigés en délit pénal ;

- le refus de l'intéressé de s'y soumettre n'emporte pas obligatoirement présomption d'inexactitude, mais constitue un délit faisant l'objet d'une incrimination spéciale ;

Attendu que, fondée à invoquer l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 au soutien de son action en concurrence déloyale, la société Eparco ne saurait donc être admise à en déduire :

- ni comme elle le suggère, que son adversaire était tenue de répondre à sa demande de communication formulée le 22 juillet 1988, par l'intermédiaire de son conseil ;

- ni, comme elle l'affirme, un complet renversement de la charge de la preuve qui, à suivre ses écritures, lui conférerait - du seul fait de son action - le pouvoir quasi inquisitorial de contraindre son adversaire à devoir s'expliquer point par point sur le contenu de ses publicités ;

Qu'en réalité, conformément au droit commun, c'est à elle qu'il incombe au premier chef d'établir les faits propres à fonder ses prétentions ;qu'en irait-il différemment qu'eu égard aux particularités de l'espèce, la solution du litige ne s'en trouverait d'ailleurs pas modifiée ;

Sur le risque de tromperie, constitutif de concurrence déloyale :

Attendu en effet qu'il n'est pas contesté que la composition du produit " Septifos " incluait des bactéries, d'une espèce identique ou à tout le moins équivalente à celle assurant le fonctionnement des fosses septiques ;

Que l'apport de telles bactéries figure, depuis longtemps, parmi les solutions préconisées en cas de dysfonctionnement de ces instruments d'épuration, ainsi que la société Eparco l'a elle-même rappelé dans sa demande de brevet déposée en 1976 ; qu'il a en outre pour lui l'apparence de la logique, au moins en cas de destruction accidentelle de la flore préexistante ;

Que d'ailleurs, il n'est ni allégué ni justifié que la société Eparco aurait élevé la moindre critique à l'encontre d'autres produits concurrents se présentant également comme contenant des bactéries (cf. notamment : " Kitifos ") ; qu'elle a entendu, en ce qui concerne celui de son adversaire, que ce dernier en ait modifié la présentation, voire engagé une campagne de publicité par voie de presse ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations, c'est vainement que la société Eparco impute à faute à la société Temana Kiwi France d'avoir tout naturellement présenté son produit comme contenant des bactéries et constituant un activateur biologique ;

Qu'en effet, elle ne justifie pas suffisamment de son affirmation selon laquelle " l'apport en bactéries dans une fosse septiques n'améliore pas le fonctionnement de celle-ci et peut s'avérer inefficace voire nuisible ", alors surtout que les études dont elle se prévaut :

- émanant d'elle-même ou d'un tiers dont les compétences et qualités ne sauraient faire disparaître qu'il a été unilatéralement mandaté par elle et a procédé par voie de tests comparatifs dépourvus de tout caractère contradictoire ;

- correspondant au " fonctionnement normal d'une fosse septique ", et non aux situations de dysfonctionnement pour lesquelles l'apport en bactérie était plus particulièrement préconisé et auxquelles le produit litigieux se propose notamment de répondre ;

Attendu que n'est pas moins établi le caractère pour le surplus trompeur des deux messages publicitaires que critique la société Eparco, à commencer par la mention " Nouveau riche en bactérie " portée sur les emballages ;

Qu'il apparaît en effet que les constituants du produit n'avaient nullement été modifiés lors de leur regroupement en un seul type de sachet ;

Qu'en outre, appliqué à ce même produit, le terme " riche " est ambigu ; qu'il n'a été manifestement choisi que pour suggérer une idée d'abondance en agents actifs d'autant plus injustifiée que la société Eparco indique, sans être contredite, qu'elle correspondait à quelques 50 bactéries par milligrammes de produit, là où il en existe 10 000 000 dans un milligramme de matière fécale ;

Attendu que c'est tout aussi abusivement que la société Temana Kiwi France n'a pas hésité à présenter son produit comme étant : " le premier activateur biologique riche en bactérie " ;

Qu'en effet, s'ajoutant l'emploi du terme " riche ", l'affirmation selon laquelle ledit produit aurait été " le premier " est ici encore contraire à la vérité, qu'il s'agisse de l'importance de sa position sur le marché, comme la société Temana Kiwi France le reconnaît dans ses propres écritures, ou de l'antériorité dont il aurait bénéficié, comme elle se défend maladroitement de l'avoir reconnu devant les premiers juges ;

Que force est d'ailleurs de constater que l'affirmation en cause implique une qualité que la société Temana Kiwi France déniait implicitement aux produits de ses concurrents ; que, s'agissant d'une agression directe à leur égard, c'est sur elle que - conformément au droit commun - pèse la charge d'en prouver le bien fondé ;

Sur les réparations :

Attendu cependant que, comme devant les premiers juges, la société Eparco ne rapporte pas la preuve du préjudice financier qu'elle allègue, pas plus d'ailleurs que du lien de causalité entre ce dernier et les fautes retenues à la charge de la société Temana Kiwi France ;

Qu'elle ne justifie notamment pas de ses affirmations selon lesquelles :

- elle " est à l'origine de l'invention du marché des bioactivateurs, ... a dépensé des sommes importantes à l'étude de ces produits qu'elle n'a cessé d'améliorer comme le prouvent les différents brevets déposés à ce jour ", alors que ne figure à son dossier qu'une copie de celui de 1976, de surcroît sur papier libre et non assortie d'un avis documentaire ou autre étude permettant d'en apprécier la valeur ;

- " le chiffre d'affaires réalisé par la société Temana Kiwi France avec le produit Septifos était à l'époque de l'exploit introductif d'instance de l'ordre de 30 000 000 F et la société Eparco a, du fait des agissements de la société Temana Kiwi France, subi un manque à gagner qui a été raisonnablement évalué à 50 % de ce chiffre d'affaires ", alors que seuls sont produits des décomptes établis par elle-même, à partir de chiffres et pourcentages unilatéralement énoncés sans aucune explication ;

Attendu sans doute qu'un préjudice - fût-ce au moins moral - s'infère toujours de la constatation d'agissements de concurrence déloyale ;

Que cette circonstance ne saurait toutefois autoriser la victime à prétendre suppléer sa complète carence dans l'administration de la preuve - comme c'est en l'espèce le cas - en sollicitant la désignation d'un expert ;

Que la société Eparco sera donc déboutée de son appel et la décision entreprise entièrement confirmée, y compris en ce que les premiers juges ont vu une réparation suffisante dans l'autorisation qu'ils lui ont donné de publier leur jugement dans cinq journaux de son choix, aux frais de son adversaire ;

Attendu que l'appel de la société Eparco n'était pas fondé ; que la partie qui succombe doit supporter les dépens ;

Qu'il n'en reste pas moins que le contentieux trouve largement son origine dans les agissements déloyaux perpétrés par la société Temana Kiwi France et dans lesquels elle a persévéré, sous d'autres formes, ainsi qu'il résulte du jugement aujourd'hui définitif du Tribunal de commerce de Bobigny en date du 25 juin 1992 ;

Qu'il apparaît dans ces conditions équitables de laisser à chacune des parties la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a par ailleurs exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant comme cour de renvoi, en suite de l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale du 18 mai 1993), Reçoit la société Eparco en son appel, L'en déboute, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 8 février 1990, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Laisse les dépens d'appel, y inclus ceux exposés devant la cour de Versailles, à la charge de la société Eparco, Autorise les avoués de la cause à les recouvrer dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.