CJCE, 10 septembre 1996, n° C-11/95
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Rodriguez Iglesias, Kakouris, Edward, Puissochet, Hirsch
Rapporteur :
M. Kapteyn
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Mancini, Moitinho, Gulmann, Murray, Jann, Ragnemalm, Sevon
Avocats :
Mes Devadder, Berenboom, van Nuffel, Gomez de la Cruz
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 janvier 1995, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), notamment en vertu de ses articles 2, 14 et 15.
2 Il est fait grief au Royaume de Belgique:
- s'agissant de la Communauté française, d'avoir maintenu, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Communauté française, d'avoir maintenu, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable, expresse et conditionnelle, pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres qui comportent de la publicité commerciale ou un programme de télé-achat plus particulièrement destinés aux téléspectateurs de la Communauté française
- s'agissant de la Communauté flamande, d'avoir maintenu, dans la région de langue néerlandaise, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, de ne pas avoir pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552
- s'agissant de la Communauté germanophone, de ne pas avoir pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552
- s'agissant de la Communauté française, de ne pas avoir pris les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer intégralement aux articles 14 et 15 de la directive 89-552.
La directive 89-552
3 L'article 2 de la directive 89-552 dispose:
"1 Chaque État veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises:
- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence
ou
- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle utilisant une fréquence ou la capacité d'un satellite accordée par cet État membre ou une liaison montante vers un satellite située dans cet État membre, tout en ne relevant de la compétence d'aucun État membre,
respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre.
2 Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. Ils peuvent suspendre provisoirement la retransmission d'émissions télévisées si les conditions suivantes sont remplies:
a) une émission télévisée en provenance d'un autre État membre enfreint d'une manière manifeste, sérieuse et grave l'article 22
b) au cours des douze mois précédents, l'organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, la même disposition
c) l'État membre concerné a notifié par écrit à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et son intention de restreindre la retransmission au cas où une telle violation surviendrait de nouveau
d) les consultations avec l'État de transmission et la Commission n'ont pas abouti à un règlement amiable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.
La Commission veille à la compatibilité de la suspension avec le droit communautaire. Elle peut demander à l'État membre concerné de mettre fin d'urgence à une suspension contraire au droit communautaire. Cette disposition n'affecte pas l'application de toute procédure, mesure ou sanction aux violations en cause dans l'État membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné.
3 La présente directive ne s'applique pas aux émissions de radiodiffusion télévisuelle exclusivement destinées à être captées dans d'autres États que les États membres et qui ne sont pas reçues directement ou indirectement dans un ou plusieurs États membres".
4 L'article 3 de la directive 89-552 prévoit:
"1 Les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées dans les domaines couverts par la présente directive.
2 Les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive".
5 Selon l'article 14 de la directive 89-552, "La publicité télévisée pour les médicaments et les traitements médicaux qui sont seulement disponibles sur prescription médicale dans l'État membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle est interdite".
6 L'article 15 de la directive 89-552 exige que la publicité télévisée pour les boissons alcooliques respecte certains critères.
7 L'article 22 de la directive 89-552 est rédigé comme suit:
"Les États membres prennent les mesures appropriées pour assurer que les émissions des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence ne comportent pas de programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite. Cette disposition s'étend aux autres programmes qui sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, sauf s'il est assuré, par le choix de l'heure de l'émission ou par toutes mesures techniques, que les mineurs se trouvant dans le champ de diffusion ne voient pas ou n'écoutent pas normalement ces émissions.
Les États membres veillent de même à ce que les émissions ne contiennent aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité".
8 Selon l'article 25 de la directive 89-552, les États membres sont tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 3 octobre 1991 et d'en informer immédiatement la Commission.
Sur la procédure
9 Par lettre du 3 novembre 1992, la Commission a invité le Gouvernement belge à présenter ses observations sur le grief relatif au manquement à ses obligations en raison d'une transposition mauvaise et incomplète de la directive 89-552.
10 Par lettres des 5 et 21 avril 1993, le Gouvernement belge a communiqué les observations des Communautés flamande et française. Le 10 janvier 1994, la Commission a émis un avis motivé invitant le Royaume de Belgique à prendre, dans un délai de deux mois, les mesures requises pour mettre fin au manquement aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89-552 et de l'article 5 du traité CEE.
11 S'agissant de la Communauté flamande, le Royaume de Belgique a, par lettre du 4 février 1994, communiqué une copie d'un projet de décret et, par lettre du 9 juin 1994, une copie du décret du Conseil flamand du 4 mai 1994. Par lettre du 11 avril 1994, le Gouvernement belge a communiqué la réponse de la Communauté française à l'avis motivé. Par lettre du 7 avril 1994, le ministre de la Politique scientifique a répondu à l'avis motivé pour la Région de Bruxelles-Capitale.
12 Par décision du 7 mars 1995, la Cour a autorisé le Gouvernement belge à présenter son mémoire en défense en néerlandais en ce qui concerne la partie consacrée à la législation de la Communauté flamande.
Sur le respect de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552 dans la Communauté française
Sur le grief concernant l'article 22 du décret du 17 juillet 1987
13 L'article 22 du décret du Conseil de la Communauté française, du 17 juillet 1987, sur l'audiovisuel (Moniteur belge du 22 août 1987, p. 12505, ci-après le "décret de 1987"), tel que modifié par le décret du 19 juillet 1991 (Moniteur belge, du 2 octobre 1991, p. 21671), contient les dispositions suivantes:
Par 2 Le distributeur peut, moyennant autorisation écrite et préalable de l'Exécutif, transmettre, au moment de leur diffusion et dans leur intégralité, les programmes de télévision de toute autre station de radiodiffusion autorisée par l'État dans lequel elle a son siège social, et répondant aux conditions fixées par l'Exécutif dans l'acte d'autorisation. Cette autorisation est révocable.
Par 2 bis Le distributeur peut, moyennant autorisation expresse et préalable de l'Exécutif, transmettre, au moment de leur diffusion et dans leur intégralité, les programmes de télévision des organismes de radiodiffusion disposant de l'autorisation visée à l'article 26, par 2, du présent décret, et répondant aux conditions fixées par l'Exécutif en vertu de l'article 26, par 3, du présent décret.
14 Selon la Commission, le système mis en place par l'article 22 du décret de 1987 constitue une entrave sérieuse à la retransmission des émissions télévisuelles en provenance d'autres États membres dans la région de langue française de Belgique. Par conséquent, ce système enfreint l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552.
Quant au champ d'application de la directive 89-552
15 Selon le Gouvernement belge, cette directive ne concerne que l'émission télévisée primaire et ne vise pas la télédistribution par câble qui est une émission secondaire, c'est-à-dire une communication d'œuvres radiodiffusées par un autre organisme que l'organisme d'origine ("ré-émission").
16 A cet égard, le Gouvernement belge avance trois arguments. Tout d'abord, il résulterait de la définition de l'expression "radiodiffusion télévisuelle" figurant à l'article 1er, sous a), de la directive 89-552 qu'elle ne vise que l'"émission primaire de programmes télévisés".
17 Ensuite, le terme "retransmission" utilisé à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552 ne couvrirait pas la télédistribution par câble, ainsi que le confirme d'ailleurs le titre de la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d'auteur et des droits voisins du droit d'auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO L 248, p. 15), qui ajoute au terme "retransmission" les mots "par câble".
18 Enfin, l'exclusion de la télédistribution par câble du champ d'application de la directive 89-552 s'expliquerait par le fait qu'elle n'était pas encore très répandue au moment de son adoption.
19 Cette argumentation ne saurait être accueillie.
20 En effet, ainsi que la Commission l'a à juste titre observé, le neuvième considérant de la directive 89-552 fait expressément référence aux disparités entre les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres applicables à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle et de distribution par câble, sans faire une distinction entre des émissions télévisées primaires et secondaires. Aux termes du dixième considérant, toutes les entraves à la libre diffusion à l'intérieur de la Communauté qui résultent de ces disparités doivent être supprimées.
21 En ce qui concerne la notion de "radiodiffusion télévisuelle", la définition qu'en donne l'article 1er, sous a), de la directive 89-552 ne saurait être interprétée comme une restriction du champ d'application de celle-ci. A cet égard, l'article 2, paragraphe 2, qui fait partie du chapitre II de la directive 89-552, intitulé "Dispositions générales", prévoit que les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres, sans en exclure la retransmission par câble.
22 Quant à la directive 93-83, il y lieu d'observer d'abord que, aux termes de son troisième considérant, la radiodiffusion transfrontière de programmes à l'intérieur de la Communauté, notamment par satellite et par câble, constitue l'un des principaux moyens de réalisation des objectifs communautaires. Après avoir rappelé, au quatrième considérant, les objectifs de la directive 89-552, il est constaté au cinquième considérant, que leur réalisation en ce qui concerne la diffusion transfrontière de programmes par satellite et leur retransmission par câble à partir d'autres États membres était toujours entravée par un certain nombre de disparités entre les dispositions nationales relatives au droit d'auteur. Enfin, selon le douzième considérant, le cadre juridique d'un espace audiovisuel unique, défini dans la directive 89-552, doit être complété en ce qui concerne le droit d'auteur.
23 Il s'ensuit que la directive 93-83 confirme que la directive 89-552 s'étend aux retransmissions des programmes télévisés par câble.
24 Enfin, quant à la genèse de la directive 89-552, il y a lieu d'observer que son quatrième considérant se réfère expressément à l'adoption, par le Conseil de l'Europe, de la convention sur la télévision transfrontière. Comme il ressort de l'article 3 de cette convention, celle-ci est également applicable aux programmes télévisés qui sont retransmis par câble.
25 Il s'ensuit que la caractère peu répandu de la télédistribution par câble au moment de l'adoption de la directive 89-552 ne saurait être invoqué pour exclure cette activité du champ d'application de celle-ci.
Quant au champ d'application du décret de 1987
26 Selon le Gouvernement belge, l'article 22, paragraphe 2, du décret de 1987 ne vise que la prestation de services des télédistributeurs établis sur le territoire de la Communauté française. Dès lors, le décret ne comporte aucune restriction à la libre circulation des émissions de radiodiffusion étrangères.
27 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la retransmission par câble des émissions étrangères est un service à caractère transfrontalier (voir, notamment, arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a., 352-85, Rec. p. 2085, point 15). Or, il ressort des sixième, septième et neuvième considérants de la directive 89-552, que celle-ci a précisément pour but de supprimer les entraves à la libre prestation des services de radiodiffusion télévisuelle présentées par les disparités entre les législations des États membres.
28 Cet argument ne saurait donc être accueilli.
Quant à la compatibilité de l'article 22 du décret de 1987 avec la directive 89-552
29 Le Gouvernement belge expose tout d'abord que le distributeur belge doit obtenir une autorisation de l'Exécutif pour pouvoir retransmettre les programmes des chaînes de télévision étrangères. Sur la base de cette disposition, les chaînes de télévision tant belges qu'étrangères négocient avec l'Exécutif une convention de nature culturelle qui les engage à consacrer une partie de leur budget à l'achat, la production et la coproduction de programmes audiovisuels européens.
30 En ce qui concerne la compatibilité de l'article 22 du décret de 1987 avec la directive 89-552, le Gouvernement belge fait valoir qu'il ressort des considérants et de l'article 2, paragraphe 1, de celle-ci, qu'un programme de télévision ne pourrait circuler librement dans l'ensemble de la Communauté que s'il respecte le droit applicable de son État d'origine, y compris les dispositions de la directive. Ce principe implique que l'État membre de réception doit pouvoir vérifier si les télévisions étrangères candidates à la retransmission de leurs programmes sur le territoire de la Communauté française de Belgique respectent le droit de l'État d'origine et sont fondées à revendiquer l'application de l'article 2, paragraphe 2, de la directive.
31 Il convient de constater que, eu égard au système selon lequel la directive 89-552 répartit les obligations entre les États membres dont émanent les émissions et ceux qui les reçoivent, cette argumentation ne saurait être retenue.
32 En effet, aux termes de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-552, chaque État membre veille à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence ou à l'égard desquels il est appelé à exercer une compétence en vertu de cette même disposition, deuxième tiret, respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre. Selon son article 3, paragraphe 2, les États membres veillent également à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence respectent les dispositions de la directive.
33 Selon l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552, les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la directive.
34 Il s'ensuit, en premier lieu, que le contrôle de l'application du droit de l'État membre d'origine applicable aux émissions de radiodiffusion télévisuelle et du respect des dispositions de la directive 89-552 n'incombe qu'à l'État membre dont les émissions émanent et, en second lieu, que l'État membre de réception n'est pas autorisé à exercer son propre contrôle à cet égard.
35 Cette interprétation est corroborée par les considérants de la directive 89-552. Selon le dixième considérant, toutes les entraves à la libre diffusion doivent être supprimées en vertu du traité. Aux termes des douzième et quatorzième considérants, il est nécessaire et suffisant à cet égard que toutes les émissions respectent la législation de l'État membre dont elles émanent ainsi que les dispositions de la directive. Selon le quinzième considérant, l'obligation de l'État membre d'origine de s'assurer que des émissions sont conformes à la législation nationale telle que coordonnée par la directive 89-552 est suffisante, au regard du droit communautaire, pour garantir la libre circulation des émissions, sans qu'un second contrôle pour les mêmes motifs soit nécessaire dans les États membres de réception.
36 Ce n'est que dans le cas prévu à l'article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, auquel se réfère la deuxième partie du quinzième considérant de la directive 89-552, que l'État membre de réception peut, à titre exceptionnel, suspendre la retransmission d'émissions télévisées, aux conditions déterminées par cette disposition. Par ailleurs, si un État membre estime qu'un autre État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive, il lui est loisible, comme la Commission l'a à juste titre observé, de former un recours en manquement sur le fondement de l'article 170 du traité CE ou de solliciter de la Commission qu'elle agisse elle-même contre cet État membre en vertu de l'article 169 du traité.
37 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence constante, un État membre ne saurait s'autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destinées à obvier à une méconnaissance éventuelle, par un autre État membre, des règles du droit communautaire (arrêts du 13 novembre 1964, Commission/Luxembourg et Belgique, 90-63 et 91-63, Rec. p. 1217 du 25 septembre 1979, Commission/France, 232-78, Rec. p. 2729, point 9, et du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5-94, non encore publié au Recueil, point 20).
38 Le Gouvernement belge soutient encore qu'en l'espèce ces procédures ne sont pas appropriées pour garantir le respect des dispositions de la directive 89-552 et du droit national applicable aux émissions destinées au public dans l'État membre d'origine au motif que, par leur nature, les émissions télévisées sont des événements instantanés et que le préjudice qu'elles pourraient avoir causé ne pourrait pas être réparé.
39 A cet égard, il suffit d'observer que, ainsi qu'il a été indiqué au point 34 du présent arrêt, l'article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive 89-552 n'autorise l'État membre de réception à suspendre provisoirement la retransmission télévisée que dans les conditions énumérées à cette disposition. En outre, l'État membre de réception peut demander à la Cour, en vertu de l'article 186 du traité CE, de prescrire des mesures provisoires lorsqu'elle est saisie d'un recours en vertu de l'article 170 du traité.
40 A titre subsidiaire, le Gouvernement belge observe que le décret de 1987 ne crée pas d'obstacle à la libre circulation des émissions de radiodiffusion des autres États membres puisque les conventions avec l'Exécutif sont négociées librement par les chaînes de télévision tant belges qu'étrangères et constituent ainsi un moyen approprié pour encourager le développement de la production audiovisuelle européenne visé aux articles 4 et 5 de la directive 89-552. Or, l'Exécutif ne disposerait pas d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant de fixer les modalités et conditions des conventions, étant donné qu'elles sont circonscrites par un arrêté du 22 décembre 1988 (Moniteur belge 1989, p. 4896 ; 1992, p. 6532) et doivent être soumises, pour avis préalable, au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
41 A cet égard, il convient d'observer d'abord qu'il ressort de l'arrêté précité que ces conventions ne sauraient être qualifiées de "librement négociées", étant donné que la distribution des programmes des chaînes étrangères n'est autorisée que moyennant le respect des conditions y énoncées dont les modalités sont à fixer dans ces conventions.
42 S'agissant ensuite de l'argument selon lequel ces conventions constituent un moyen approprié pour la mise en œuvre des articles 4 et 5 de la directive 89-552, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il a été constaté au point 34 du présent arrêt, il appartient à l'État dont les émissions émanent d'assurer le respect des dispositions de la directive, telles que les articles 4 et 5, et qu'il ne saurait dès lors être admis que l'État membre de réception impose aux émissions en provenance d'autres États membres ses propres critères en la matière.
Quant à l'argument tiré de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales
43 Le Gouvernement belge fait valoir que l'article 10, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales prévoit expressément la possibilité d'instituer un régime d'autorisation obligatoire applicable aux entreprises de radiodiffusion et, a fortiori, aux organismes de télédistribution.
44 Cet argument ne saurait être admis.
45 Comme la Commission l'a à juste titre observé, si un régime d'autorisation obligatoire appliqué au secteur de la télévision n'est pas contraire à l'article 10 de ladite convention, ceci n'empêche pas qu'un tel système peut être contraire au droit communautaire.
Quant à l'argument tiré de l'article 128 du traité CE
46 Le Gouvernement belge soutient que le système mis en place par le décret de 1987, qui vise à faire respecter certains objectifs culturels, est justifié dans la mesure où la directive 89-552 et, notamment, ses articles 4 et 5 doivent être interprétés à la lumière de l'article 128 du traité concernant la culture, tel qu'il a été inséré dans le traité CE par le traité sur l'Union européenne.
47 Cet argument ne saurait davantage être admis.
48 A cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort des dix-septième et dix-huitième considérants de la directive 89-552 que celle-ci poursuit également, notamment à travers le régime inscrit à ses articles 4 et 5, des objectifs culturels.
49 Certes, en vertu de l'article 128, paragraphe 1, du traité, la Communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun et tient également compte, selon le paragraphe 4, des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du traité.
50 Toutefois, rien dans cet article ne constitue une habilitation permettant à l'État de réception, en dérogation au système établi par la directive 89-552, de soumettre à un nouveau contrôle les émissions en provenance d'un autre État membre.
Quant à l'argument tiré du principe de subsidiarité
51 Le Gouvernement belge fait valoir que, selon le principe de subsidiarité, inscrit à l'article 3 B, deuxième alinéa, du traité CE, il est libre d'intervenir dans les matières culturelles à condition de ne pas se soustraire à ses obligations communautaires.
52 Ainsi qu'il a déjà été rappelé au point 34 du présent arrêt, les États membres sont tenus d'assurer, conformément à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552, la libre réception et de ne pas entraver la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres dans les domaines coordonnés par celle-ci.
53 Il s'ensuit, comme le Gouvernement belge le reconnaît d'ailleurs lui-même, qu'un État membre ne saurait se soustraire à cette obligation en vertu de la directive 89-552 en invoquant l'article 3 B, deuxième alinéa, du traité.
Quant à l'argument tiré de la préservation du pluralisme dans les médias
54 Le Gouvernement belge fait encore valoir que le système mis en place par l'article 22, paragraphe 2, du décret de 1987 est justifié, pour autant que la politique culturelle ne relève pas du domaine coordonné par la directive 89-552, par des considérations d'intérêt général, dans la mesure où il permet notamment à l'Exécutif, moyennant des conventions conclues avec les chaînes belges et étrangères, de préserver le pluralisme dans les médias. Or, la Cour, dans les arrêts du 25 juillet 1991, Stichting Collectieve Antennevoorziening Gouda e.a. (C-288-89, Rec. p. I-4007), et Commission/Pays-Bas (C-353-89, Rec. p. I-4069), aurait expressément reconnu qu'une politique culturelle visant à sauvegarder la liberté d'expression des différentes composantes, notamment sociales, culturelles, religieuses ou philosophiques propres à un État telle qu'elle doit pouvoir se manifester dans la presse, à la radio et à la télévision, peut constituer une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une restriction à la libre prestation des services garantie par l'article 59 du traité CE.
55 Sans qu'il soit nécessaire d'examiner si, comme le prétend la Commission, les articles 10 et suivants de la directive 89-552 et, en particulier, les articles 10, paragraphe 1, 11, paragraphe 1, 17, paragraphe 1, sous a), et 19 règlent d'une manière exhaustive cette matière, il convient d'observer, ainsi que l'a fait M. l'avocat général au point 65 de ses conclusions, que le Gouvernement belge n'a pas démontré de manière suffisante et détaillée que le système d'une autorisation préalable était nécessaire et proportionné pour garantir le pluralisme dans le domaine audiovisuel ou dans les médias en général.
Quant à l'argument tiré de la directive 93-83
56 Le Gouvernement belge fait enfin valoir que, puisque la directive 93-83 impose aux États membres de veiller à ce que les retransmissions par câble d'émissions provenant d'autres États membres se déroulent dans le respect des droits d'auteur et des droits voisins, la directive 89-552 ne peut pas avoir pour conséquence de favoriser la libre circulation des programmes de télévision violant la législation sur le droit d'auteur.
57 A cet égard, il suffit d'observer, ainsi que M. l'avocat général l'a exposé au point 57 de ses conclusions, que le Gouvernement belge n'a avancé aucun élément permettant de conclure que les droits d'auteur ne pourraient être protégés par d'autres moyens moins restrictifs qu'une autorisation préalable pour la retransmission.
58 Il en résulte que le premier grief formulé par la Commission doit être accueilli.
Sur le deuxième grief concernant les articles 26 et 26 ter du décret de 1987
59 L'article 26 du décret dispose:
Par 2 Les organismes de radiodiffusion répondant aux conditions fixées par l'Exécutif en vertu de l'article 22, paragraphe 2, peuvent diffuser de la publicité commerciale plus particulièrement destinée aux téléspectateurs de la Communauté française moyennant l'autorisation expresse et préalable de l'Exécutif.
Par 3 L'Exécutif détermine les conditions dans lesquelles RTBF et les organismes de radiodiffusion visés aux paragraphes 1 et 2 peuvent insérer de la publicité commerciale dans leurs programmes.
Ces conditions prévoient, notamment, les mécanismes suivant lesquels ces organismes de radiodiffusion peuvent participer à la promotion de production culturelle audiovisuelle de la Communauté française et des États membres des Communautés européennes, au maintien et au développement du pluralisme audiovisuel des chaînes de la Communauté française et au maintien et au développement du pluralisme de la presse écrite d'opinion ou d'information générale en Communauté française.
Par 4 La publicité commerciale ne peut être contraire aux lois, aux décrets ou arrêtés qui réglementent la publicité en général ou la publicité pour certains types de produits ou services, et aux articles 27 à 27 octies.
Les organismes visés au paragraphe 2 du présent article s'engagent, préalablement à l'autorisation de diffuser de la publicité commerciale plus particulièrement destinée aux téléspectateurs de la Communauté française, à respecter les normes et règles publicitaires visées au premier alinéa du présent paragraphe".
60 L'article 26 ter du décret dispose:
"Par 1 La [RTBF] et les organismes de radiodiffusion visés à l'article 26, paragraphes 1 et 2, peuvent diffuser des programmes de télé-achat moyennant l'autorisation expresse et préalable de l'Exécutif.
Par 2 La [RTBF] et les organismes de radiodiffusion autorisés assurent l'entière responsabilité de la diffusion des programmes de télé-achat et du respect des conditions fixées par le présent décret et ses arrêtés d'application.
[Par 3 à 7 règles relatives au télé-achat].
[Par 8 rapports annuels des organismes de radiodiffusion autorisés sur l'activité de télé-achat]"
61 Selon la Commission, le régime mis en place par les articles 26 et 26 ter du décret de 1987 concernant l'octroi d'une autorisation pour la diffusion de la publicité commerciale et des programmes de télé-achat plus particulièrement destinés aux téléspectateurs de la Communauté française par les organismes de radiodiffusion d'autres États membres, autorisation assortie notamment de la condition que ces organismes participent au soutien des chaînes de télévision et de la presse écrite de la Communauté française, est encore plus restrictif que le régime général prévu à l'article 22 du décret. Ce régime est donc, a fortiori, contraire à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552.
62 Le Gouvernement belge observe que toutes les chaînes qui diffusent à partir d'un autre État membre de la publicité commerciale plus spécifiquement destinée aux téléspectateurs de la Communauté française soit relèvent de sa compétence, soit contournent effectivement la réglementation applicable dans la Communauté française. Les articles 26 et 26 ter viseraient spécifiquement le contournement des règles nationales de l'État de réception. Les chaînes de télévision étrangères s'adressant plus particulièrement aux téléspectateurs de la Communauté française ne pourraient revendiquer l'application de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552 Selon les arrêts du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33-74, Rec. p. 1299), et du 5 octobre 1994, TV10 (C-23-93, Rec. p. I-4795), les États membres pourraient prendre des mesures à l'égard des organismes qui contournent les règles nationales.
63 A cet égard, il y a lieu d'observer d'abord que les articles 26 et 26 ter du décret de 1987 visent de façon générale le contournement par les organismes de radiodiffusion d'autres États membres de la législation de l'État membre de réception. Comme le Gouvernement belge l'a lui-même soutenu, cette réglementation repose sur l'hypothèse que l'émission, par des organismes de radiodiffusion d'autres États membres, de la publicité commerciale ou des programmes de télé-achat destinés aux téléspectateurs de la Communauté française constitue en elle-même un contournement de la législation de l'État membre de réception.
64 Cette thèse ne saurait être retenue.
65 Sans qu'il soit besoin d'examiner si, en présence de la directive 89-552, un État membre est encore en droit de prendre, sur le fondement de l'article 59 du traité, des mesures destinées à empêcher que les libertés garanties par le traité soient utilisées par un prestataire dont l'activité serait entièrement ou principalement tournée vers son territoire, en vue de se soustraire aux règles qui lui seraient applicables au cas où il serait établi sur le territoire de cet État (arrêts Van Binsbergen, précité, point 13 du 16 décembre 1992, Commission/Belgique, C-211-91, Rec. p. I-6757, point 12, et TV 10, précité, point 20), il suffit de constater que, en tout état de cause, cette jurisprudence n'autorise pas un État membre à exclure de façon générale que certains services puissent être fournis par des opérateurs établis dans d'autres États membres, car cela reviendrait à supprimer la libre prestation de services (voir arrêt du 16 décembre 1992, Commission/Belgique, précité, point 12).
66 Il y donc lieu d'accueillir le deuxième grief de la Commission.
Sur le respect de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552 dans la Communauté flamande
Sur le troisième grief concernant les articles 3, 5 et 10 du décret du 4 mai 1994
67 A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt du 16 décembre 1992, Commission/Belgique, précité, concernant un recours en manquement portant sur les articles 3 et 4 du décret de la Communauté flamande du 28 janvier 1987, relatif à la transmission de programmes sonores et télévisés sur les réseaux de radiodistribution et de télédistribution et relatif à l'agrément des sociétés de télévision non publiques (Moniteur belge du 19 mars 1987, p. 4196, ci-après le "décret du 28 janvier 1987"), la Cour a dit pour droit que le Royaume de Belgique avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 59 et 60 du traité, en soumettant à une autorisation préalable la transmission sur un réseau de distribution de programmes télévisés de services de radiodiffusion non publics d'autres États membres, à laquelle peuvent être liées des conditions.
68 Le 4 mai 1994, la Communauté flamande a adopté le décret relatif aux réseaux de radio et télédistribution et à l'autorisation requise pour l'établissement et l'exploitation de ces réseaux et relatif à la promotion de la diffusion et la production des programmes de télévision (Moniteur belge du 4 juin 1994, p. 15434/15440, ci-après le "décret du 4 mai 1994").
69 Les articles 3, 5 et 10 de ce décret sont libellés comme suit:
"Article 3
Nul ne peut établir et exploiter un réseau de radiodistribution ou de télédistribution sans avoir obtenu l'autorisation du Gouvernement flamand aux conditions mentionnées dans le présent décret. Le Gouvernement flamand peut fixer des conditions supplémentaires.
Cette autorisation peut être révoquée ou suspendue, aux conditions fixées par le Gouvernement flamand, en cas de violation des dispositions du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution.
Article 5
Par 1 L'autorisation visée à l'article 3 ne peut être accordée qu'à des personnes morales.
Par 2 L'autorisation mentionne le territoire d'exploitation, les programmes qui peuvent être retransmis et les services qui peuvent être offerts.
Toute modification concernant la retransmission d'un nouveau programme de radiodiffusion ou l'offre de nouveaux services sera soumise, pour approbation, au Gouvernement flamand qui examinera si toutes les conditions fixées par le présent décret ont été respectées.
La décision d'approbation ou de refus sera notifiée au câblodistributeur dans les quatre mois de la demande. En cas d'autorisation, le câblodistributeur pourra mettre la modification en œuvre à partir de la notification de l'approbation ou à l'échéance du délai imparti par la décision.
Par 6 Les câblodistributeurs qui, lors de l'entrée en vigueur du présent décret, disposent d'une autorisation délivrée en vertu de l'arrêt royal du 24 décembre 1966 relatif aux réseaux de distribution d'émissions de radiodiffusion aux habitations de tiers, conservent cette autorisation jusqu'à l'échéance de l'autorisation en cours à condition qu'ils répondent aux dispositions du présent décret et de ses arrêtés d'exécution.
Article 10
Par 1 Le câblodistributeur doit transmettre simultanément et dans leur intégralité les programmes suivants sur son réseau de radiodistribution ou de télédistribution:
[concerne les programmes belges]
Par 2 Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, le câblodistributeur peut retransmettre les programmes suivants sur son réseau de radio ou de télédistribution:
[1 - 3 : concerne les programmes belges]
4 les programmes de radiodiffusion sonore et télévisuelle des organismes de radiodiffusion autorisés par le Gouvernement d'un État membre de l'Union européenne autre que la Belgique pour autant que l'organisme de radiodiffusion concerné soit soumis, dans cet État membre, au contrôle exercé sur les organismes de radiodiffusion s'adressant au public de cet État membre, que ce contrôle porte effectivement sur le respect du droit européen, notamment en ce qui concerne le droit d'auteur et les droits voisins et les engagements internationaux de l'Union européenne, et pour autant que l'organisme de radiodiffusion concerné et les programmes qu'il diffuse ne mettent pas en cause l'ordre public, les bonnes moeurs et la sécurité publique dans la Communauté flamande
[5 : concerne les programmes de pays tiers]
[6 - 7 : concerne les programmes de radio]"
70 L'article 25, paragraphe 1, du décret du 4 mai 1994 a abrogé l'article 3 du décret du 28 janvier 1987.
Quant à la recevabilité
71 Selon le Gouvernement belge, le recours est irrecevable en ce qui concerne les dispositions de la Communauté flamande, étant donné que l'avis motivé du 10 janvier 1994 porte sur le décret du 28 janvier 1987, tandis que le recours porte sur le nouveau décret du 4 mai 1994. A cet égard, le Gouvernement belge fait d'abord valoir que, au mépris de l'article 169 du traité, la Commission, avant d'introduire le recours, ne lui a pas donné l'occasion de présenter ses observations sur les griefs énoncés dans la requête, ensuite, que la Commission n'a pas tenu compte de l'état de la législation en vigueur au moment où elle a émis son avis motivé et, enfin, que l'avis motivé et la requête ne sont pas fondés sur les mêmes considérations et les mêmes moyens.
72 La Commission rétorque que l'objet du litige, c'est-à-dire le manquement à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552, est resté identique dans la mesure où le nouveau régime prévoit également une autorisation préalable et que les raisons pour lesquelles ce régime est contraire à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552 sont restées inchangées. La Commission se réfère à cet égard à l'arrêt du 17 novembre 1992, Commission/Grèce (C-105-91, Rec. p. I-5871).
73 Il est vrai que, selon une jurisprudence de la Cour, l'objet du recours introduit en vertu de l'article 169 du traité est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition et que, par conséquent, l'avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques (voir arrêt Commission/Grèce, précité, point 12).
74 Cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu'à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite entre les dispositions nationales qui sont mentionnées dans l'avis motivé et celles qui apparaissent dans la requête. Lorsqu'un changement législatif est intervenu entre ces deux phases de la procédure, il suffit en effet que le système mis en place par la législation contestée au cours de la procédure précontentieuse ait été, dans son ensemble, maintenu par les nouvelles mesures adoptées par l'État membre postérieurement à l'avis motivé et qui sont attaquées dans le cadre du recours (voir arrêts du 1er décembre 1965, Commission/Italie, 45-64, Rec. p. 1057 du 5 juillet 1990, Commission/Belgique, C-42-89, Rec. p. I-2821, et Commission/Grèce, précité, point 13).
75 En l'espèce, il ressort de l'avis motivé que les critiques émises par la Commission au cours de la phase précontentieuse portaient sur l'exigence de l'autorisation préalable à laquelle le décret du 28 janvier 1987 soumettait la retransmission des émissions d'organismes de radiodiffusion télévisuelle d'autres États membres. Il apparaît du dispositif de la requête que c'est également ce système qui a été mis en cause par la Commission dans le cadre du présent recours. Par ailleurs, dans l'avis motivé, la Commission avait déjà indiqué que le projet de nouveau décret déposé le 5 juillet 1991 ne pouvait pas être considéré comme suffisant à cet égard.
76 En conséquence, il y a lieu de considérer que la Commission, en critiquant les dispositions du décret du 4 mai 1994 dans sa requête, n'a pas modifié l'objet du recours et n'a pas violé l'article 169 du traité. Le recours doit donc être déclaré recevable.
77 Le Gouvernement belge fait encore valoir que le décret du 4 mai 1994 a substitué à l'autorisation requise une simple obligation de notification et que, dès lors, il n'y pas de correspondance entre l'avis motivé et la requête.
78 A cet égard, il suffit d'observer que cet argument relève du fond de l'affaire dès lors qu'il ne peut être apprécié que sur la base d'une analyse du système de notification établi par le décret du 4 mai 1994.
Quant au fond
79 Selon la Commission, le décret du 4 mai 1994 maintient le régime d'autorisation préalable, puisque l'article 10, paragraphe 2, point 4, soumet la retransmission des programmes en provenance des autres États membres à trois conditions. Premièrement, ces programmes doivent être autorisés par le Gouvernement d'un autre État membre ; deuxièmement, l'organisme de radiodiffusion, auteur des programmes, doit être soumis au contrôle de cet État membre et, troisièmement, les programmes ne doivent pas mettre en cause l'ordre public, les bonnes moeurs et la sécurité publique. En vertu de l'article 5, paragraphe 2, du décret du 4 mai 1994, il appartient au Gouvernement flamand de contrôler le respect de ces conditions et d'autoriser ou de refuser la retransmission.
80 La Commission estime que ce régime d'autorisation est incompatible avec l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552, cette disposition n'autorisant pas les États membres de retransmission à contrôler si l'État membre d'origine exécute correctement les obligations qui lui incombent en vertu de la directive.
81 En revanche, le Gouvernement belge estime en premier lieu que le décret du 4 mai 1994 ne prévoit qu'une procédure de notification qui a pour but d'identifier le service de radiodiffusion comme étant un service de radiodiffusion communautaire ou non communautaire, afin de vérifier si ce service peut bénéficier de la liberté de prestation des services garantie par la directive 89-552.
82 A cet égard, il convient de constater que les articles 3 et 5 du décret du 4 mai 1994 se réfèrent explicitement à une autorisation comme condition pour l'établissement ou l'exploitation d'un réseau de radiodistribution ou de télédistribution. Aux termes de l'article 3 de ce décret, cette autorisation est délivrée aux conditions prévues par celui-ci, parmi lesquelles figurent les exigences de son article 10, paragraphe 2, 4, concernant les programmes provenant des autres États membres, tandis que l'article 5, paragraphe 2, dispose que cette autorisation mentionne notamment les programmes qui peuvent être retransmis.
83 En second lieu, le Gouvernement belge fait valoir que la directive 89-552 ne fait que coordonner certains domaines de la législation des États membres en matière de télévision, en sorte qu'ils ont encore la compétence de vérifier si les émissions ont un lien réel avec l'État membre d'origine et y sont réellement soumises à un contrôle, permettant ainsi d'éviter que des organismes de radiodiffusion qui n'ont pas un lien effectif avec un État membre ne soient en mesure d'invoquer abusivement la liberté de prestation des services.
84 Le Gouvernement belge ajoute que l'autorisation visée à l'article 10, paragraphe 2, 4, du décret du 4 mai 1994 n'impose pas un contrôle précis. Chaque fois qu'un câblodistributeur notifiera la retransmission d'un nouveau programme étranger, les autorités devront, de toute façon, identifier l'État membre de transmission et vérifier si ce dernier est le pays de la "compétence" de laquelle relève l'organisme de radiodiffusion. En effet, seuls ces organismes bénéficient de la libre circulation transfrontalière garantie par la directive 89-552.
85 Cet argument ne saurait être admis.
86 Ainsi qu'il a déjà été constaté au point 34 du présent arrêt, il incombe aux seuls États membres dont émanent les émissions de veiller au respect des dispositions de la directive 89-552 par les organismes de radiodiffusion relevant de leur compétence. Il y a lieu d'ajouter que, même si les dispositions en cause du décret du 4 mai 1994 ne visaient qu'à introduire un système de vérification, l'exigence d'une autorisation préalable, constituant une entrave grave à la libre circulation des émissions dans la Communauté, mise en œuvre par la directive, va au-delà de ce qui est nécessaire pour pouvoir constater que les émissions concernées émanent d'un autre État membre.
87 Le Gouvernement belge fait valoir en troisième lieu que, puisque l'objet de la directive 89-552 est de mettre en place la coordination nécessaire pour créer, entre les États membres, la confiance réciproque qui rendra possible la circulation transfrontalière des émissions de télévision, il appartient à l'État membre de réception de contrôler, dans certaines limites, si l'État d'origine exerce un contrôle effectif du respect de la directive.
88 A cet égard, il y a lieu de rappeler que les États membres doivent se témoigner une confiance mutuelle en ce qui concerne les contrôles effectués sur leur territoire respectif (voir arrêts du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, Rec. p. 5, point 22, et Hedley Lomas, précité, point 19).
89 Ainsi que la Cour l'a déjà observé au point 36 du présent arrêt, si un État membre estime qu'un autre État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89-552, il lui est loisible de former un recours en manquement sur le fondement de l'article 170 du traité ou de solliciter de la Commission qu'elle agisse elle-même contre cet État membre en vertu de l'article 169 du traité.
90 Quant à l'argument que le Gouvernement belge croit pouvoir tirer de la directive 93-83, selon lequel la directive 89-552 ne peut pas avoir pour conséquence de favoriser la libre circulation des programmes de télévision violant la législation sur le droit d'auteur, il est renvoyé au point 57 du présent arrêt.
91 En dernier lieu, le Gouvernement belge considère que, puisque le traité autorise des entraves à la libre prestation des services lorsqu'elles sont justifiées par la protection de l'ordre public, des bonnes moeurs et de la sécurité publique et que la directive 89-552 ne réalise aucune coordination de la législation des États membres en la matière, l'État membre de réception peut contrôler si les émissions en provenance d'autres États membres constituent une menace pour ces objectifs légitimes.
92 A cet égard, il convient d'observer, comme l'a fait M. l'avocat général aux points 100 et 101 de ses conclusions, que la directive 89-552 concerne des domaines qui relèvent de l'ordre public, des bonnes moeurs ou de la sécurité publique, et que, dans la mesure où cette réglementation n'est pas exhaustive, la protection de ces intérêts ne saurait, en tout état de cause, justifier un système général d'autorisation préalable des émissions en provenance d'autres États membres, ce qui reviendrait à supprimer la libre prestation des services (voir arrêt du 16 décembre 1992, Commission/Belgique, précité, point 12).
93 Par conséquent, le troisième grief de la Commission doit être accueilli.
Sur l'absence de transposition dans la Région bilingue de Bruxelles-Capitale (quatrième grief)
94 Selon la Commission, le Royaume de Belgique n'a pas, s'agissant de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, pris, dans les délais requis, les dispositions nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552.
95 A cet égard, le Gouvernement belge a indiqué dans son mémoire en défense que, en ce qui concerne cette région, la directive 89-552 a été transposée par la loi du 30 mars 1995.
96 Aux termes de l'article 25 de la directive 89-552, les États membres sont tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 3 octobre 1991 et d'en informer immédiatement la Commission.
97 La transposition n'ayant pas eu lieu dans le délai fixé par l'article 25 de la directive 89-552, il s'ensuit que ce grief doit être accueilli.
Sur l'absence de transposition dans la Communauté germanophone (cinquième grief)
98 Selon la Commission, le Royaume de Belgique n'a pas, en ce qui concerne la Communauté germanophone, pris, dans les délais requis, les dispositions nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552.
99 Le Gouvernement belge rétorque que la retransmission d'émissions télévisées dans la Communauté germanophone est entièrement libre, quelle que soit l'origine du programme et quel qu'en soit le contenu, étant donné que cette Communauté ne dispose pas de mesures réglementaires qui lui permettraient d'empêcher la libre circulation des émissions. A cet égard, le Gouvernement belge observe que l'arrêté royal du 24 décembre 1966 n'est plus d'application, étant donné que sa base juridique, à savoir l'article 13 de la loi du 26 janvier 1960, a été abrogée par l'article 30 de la loi du 13 juillet 1987.
100 Toutefois, selon la Commission, même en l'absence de moyens réglementaires permettant à la Communauté germanophone d'empêcher la libre circulation des émissions provenant d'autres États membres, il n'en demeure pas moins qu'une directive doit être transposée avec une précision et une clarté qui permettent aux intéressés de connaître la plénitude de leurs droits et qui satisfont donc à l'exigence de sécurité juridique.
101 Ce grief ne saurait être accueilli.
102 A cet égard, il suffit d'observer que la Commission n'a fait état d'aucune réglementation ni d'aucun élément de fait permettant de constater que la liberté de réception et de transmission d'émissions en provenance d'autres États membres, prescrite par l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552, n'était pas assurée dans la Communauté germanophone.
Sur l'absence d'une transposition correcte des articles 14 et 15 de la directive 89-552 dans la Communauté française (sixième grief)
103 Selon la Commission, le Royaume de Belgique n'a pas, s'agissant de la Communauté française, correctement transposé les articles 14 et 15 de la directive 89-552.
104 Le Gouvernement belge n'a pas contesté le bien-fondé de ces griefs.
105 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le sixième grief de la Commission doit être accueilli.
106 De l'ensemble des considérations qui précèdent, il résulte que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89-552, notamment en vertu de ses articles 2, 14 et 15,
- s'agissant de la Communauté française, en maintenant, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Communauté française, en maintenant, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable, expresse et conditionnelle, pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres qui comportent de la publicité commerciale ou un programme de télé-achat plus particulièrement destinés aux téléspectateurs de la Communauté française
- s'agissant de la Communauté flamande, en maintenant, dans la région de langue néerlandaise, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive
- s'agissant de la Communauté française, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer intégralement aux articles 14 et 15 de la directive.
Sur les dépens
107 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu dans ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1) Le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89-552-CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, notamment en vertu de ses articles 2, 14 et 15,
- s'agissant de la Communauté française, en maintenant, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Communauté française, en maintenant, dans la région de langue française, un régime d'autorisation préalable, expresse et conditionnelle, pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres qui comportent de la publicité commerciale ou un programme de télé-achat plus particulièrement destinés aux téléspectateurs de la Communauté française
- s'agissant de la Communauté flamande, en maintenant, dans la région de langue néerlandaise, un régime d'autorisation préalable pour la retransmission par câble d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres
- s'agissant de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l'article 2, paragraphe 2, de la directive 89-552
- s'agissant de la Communauté française, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer intégralement aux articles 14 et 15 de la directive 89-552.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.