CA Pau, ch. corr., 21 octobre 1992, n° 596
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Europe Literie (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riboulleau
Conseillers :
MM. Masson, Laventure
Avocats :
Mes Malterre, Ryf
LA COUR :
Statuant sur les appels interjetés le 4 juin 1992 par la partie civile et le 13 juillet 1992 par le Procureur général d'un jugement contradictoire rendu le 27 mai 1992 par le Tribunal correctionnel de Pau qui a condamné Jeanine Y à une amende de 2 000 F pour publicité mensongère, l'a partiellement relaxée des fins de la poursuite, a alloué à la partie civile, société Europe Literie, régulièrement constituée, 1 F de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il est fait grief à la prévenue :
- d'avoir à Lescar, le 29 janvier 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'existence, la nature, la composition, les qualités substantielles, la teneur en principe utiles, l'espèce, l'origine, la quantité, le mode et la date de fabrication, les propriétés, prix et conditions de ventes de biens ou de services, en l'espèce, d'avoir annoncé en façade du magasin, une opération " Soldes " alors que les avantages annoncés étaient illusoires ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 44-I, 44-II alinéa 9, 44-II alinéa 3 et 6 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et l'article 1 de la loi du 1er août 1905 ;
Sur le caractère irrégulier du jugement rendu :
Attendu que le Ministère public requiert l'annulation du jugement en ce qu'il a accepté que la prévenue, absente lors des débats, soit représentée, selon les termes de l'article 411 du Code de procédure pénale par son avocat, alors qu'elle encourait une peine égale à 2 ans d'emprisonnement, ce qui interdisait toute représentation et rendait sa comparution personnelle obligatoire ;
Que la cour, faisant droit à ces réquisitions, constate que la prévenue encourait une peine telle que la représentation par ministère d'avocat n'était pas autorisée, annule en conséquence le jugement déféré et faisant application de l'article 520 du Code de procédure pénale, évoque ;
Au fond :
Attendu qu'il ressort des éléments de la procédure les faits suivants :
Le 23 novembre 1990, l'Administration de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et Répression des Fraudes était saisie d'une plainte concernant les campagnes promotionnelles organisées par le magasin X à Lescar ;
Le 29 janvier 1991, lors d'un contrôle, il était constaté que des soldes ou réductions importantes (40 - 30 et 20 %) étaient annoncées sur les quatre vitrines du magasin ;
A l'intérieur 4 produits, de marque Onrev, sur les 72 proposés à la vente, faisaient l'objet de réduction ;
Selon la responsable du magasin, Jeanine Y, l'opération faisait suite à une campagne publicitaire " Festival de la Literie " qui s'était déroulée, du 1er au 29 décembre 1990, exclusivement sur les produits Onrev commandés pour la circonstance, le fabricant imposant les prix ; les quatre articles soldés provenaient du lot promotionnel et lui faisaient suite ;
- les prix de ces quatre articles étaient ceux proposés pendant la campagne " Festival de la Literie " ;
- pour l'un des quatre produits, le prix de référence de la précédente campagne avait été artificiellement majoré pour faire croire à une réduction de 40 %,
- aucun des prix de référence annoncés n'avait été ou n'était pratiqué par le magasin, rendant toute comparaison impossible ;
Attendu que la gérante prévenue, Jeanine Y conclut et fait plaider sa relaxe ;
Qu'elle soutient tout d'abord que la définition même des soldes (article 2 alinéa 1 du décret du 29 novembre 1986) ne retient pas la notion de " prix pratiqué " comme critère de référence ;
Que peu importe ensuite qu'un nombre inférieur de produits soit soldé, la définition évoquée ci-dessus permettant de solder, c'est-à-dire d'écouler tout ou partie d'un stock ;
Que rien n'interdit ensuite que des soldes fassent suite à une opération promotionnelle ;
Qu'enfin elle justifie par les documents de son fournisseur, que les réductions étaient conformes à ce qui était annoncé et que le prix de référence figurait sur le placard publicitaire du fournisseur ;
Sur quoi :
Attendu qu'effectivement, le très petit nombre d'articles soldés n'interdit pas de dénommer une telle opération " soldes ", aucun texte réglementaire n'imposant un quelconque quota pour liquider tout ou partie d'un stock ;
Que l'article 2 alinéa 1° du décret du 29 novembre 1986, édicte que " sont considérées comme soldes au sens de la loi du 30 décembre 1906, les ventes présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel, accompagnées de publicité et annoncées comme tendant à l'écoulement accéléré de tout ou partie d'un stock de marchandises " ;
Que Jeanine Y ne peut sérieusement prétendre que la vente litigieuse a un caractère réellement ou même apparemment occasionnel alors qu'elle ne fait qu'écouler, en changeant de dénomination, des articles déjà proposés, depuis deux mois, dans le cadre d'une campagne promotionnelle commencée le 1er décembre précédent ;
Qu'en outre, la définition légale des " soldes " a été complétée tant par la jurisprudence que les usages de la profession ;
Que les soldes sont des " marchandises qui se vendent au rabais " (définition in dictionnaire Robert) ; que cette notion de rabais sur le prix est, dans l'esprit du consommateur à qui est destinée la publicité, indissociable du solde ;
Qu'en l'espèce, la prévenue ne peut encore prétendre avoir pratiqué le moindre rabais puisqu'elle a repris en les appelant soldes, les prix déjà pratiqués sur les articles promotionnels ;qu'elle n'a jamais eu en stock dans son magasin les articles litigieux (produits Onrev) à des prix supérieurs à ceux qu'elle a pratiqués depuis le début de la campagne " Festival de la Literie " ;
Que mieux encore, elle a falsifié un prix de référence (indiqué par le fabricant mais qu'elle n'a jamais pratiqué) pour faire supposer une réduction de 40 % parfaitement mensongère ;
Attendu qu'il lui appartenait, pour s'exonérer de toute condamnation, d'établir la réalité de l'existence du prix de référence (ce qu'elle prétend avoir prouvé par le document de son fournisseur) mais aussi que ce prix est couramment pratiqué par les autres distributeurs du même produit (ce qu'elle ne fait pas) ;
Qu'à la limite, s'il n'existe pas de prix conseillés ou s'ils ne sont pas couramment pratiqués, elle peut faire une offre de rabais par rapport à ses propres prix, le prix de référence ne pouvant alors excéder le prix le plus bas pratiqué par elle pour un article similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des 30 derniers jours précédant la publicité ;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Qu'en conséquence, la publicité effectuée par Jeanine Y a un caractère réellement mensonger et comporte des allégations et présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur les conditions de vente des quatre articles faisant l'objet de la publicité et sur la portée réelle des engagements pris par l'annonceur ;
Que la cour déclarera l'ensemble des faits reprochés à Jeanine Y qualifiés à bon droit et sa culpabilité établie ;
Qu'en répression, elle la condamnera à une amende de 5 000 F et ordonnera la publication, par extraits, du présent arrêt, aux frais de la condamnée à hauteur de 3 000 francs l'insertion, dans le quotidien " La République des Pyrénées " ;
Attendu, sur l'action civile, que la société Europe Literie, commerçant concurrent, sollicite 60 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Que, dans ses conclusions, Jeanine Y estimant ces demandes non justifiées, conclut à une réduction sensible et à l'allocation d'une somme symbolique ;
Attendu tout d'abord que l'action de la société Europe Literie est recevable, la publicité mensongère lui faisant une concurrence déloyale de nature à créer un préjudice ;
Attendu ensuite, au vu des documents produits par les parties, la cour fixe à 6 500 F les dommages-intérêts que Jeanine Y, ès-qualité, devra payer à la société Europe Literie, outre 3 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, En la forme : Reçoit la partie civile et le Ministère Public en leurs appels respectifs ; Annule le jugement déféré ; Évoquant par application de l'article 520 du Code de procédure pénale, Déclare Jeanine Y coupable des faits qui lui sont reprochés ; En répression, la condamne à une amende de 5 000 F ; Ordonne la publication du présent arrêt par extraits aux frais de la condamnée à hauteur de 3 000 F l'insertion, dans le quotidien " La République des Pyrénées " ; Sur l'action civile : Reçoit la société Europe Literie en sa constitution ; Condamne Jeanine V, ès-qualité, à lui payer 6 500 F de dommages-intérêts et 3 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne Jeanine Y aux dépens ; Fixe la contrainte par corps conformément à la loi. Le tout par application des articles 473 et suivants, 749, 44-I, 44-II alinéa 9, 44-II alinéa 3 et 6 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et l'article 1 de la loi du 1er août 1905.