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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 8 novembre 1993, n° 93-5522

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Fédération française des sports de glace, Tribolet

Défendeur :

Siquier Courcelle & Associés (SA), France Télécom

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Avocat général :

Mme Benas

Conseillers :

M. Albertini, Mme Morat

Avoués :

SCP Ménard, Scelle-Millet, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay, Me Moreau

Avocats :

Mes Delile, Jouanneau, Guerlain.

T. com. Paris, 1re ch., sect. B, du 7 dé…

7 décembre 1992

LA COUR est saisie de l'appel formé par la Fédération française des sports de glace (la Fédération) et Mlle Cécile Tribolet contre un jugement prononcé le 7 décembre 1992 par le Tribunal de commerce de Paris qui a rejeté leurs demandes en paiement de dommages-intérêts contre l'agence de conseil en publicité Siquier Courcelle & Associés (SA) et l'établissement public national France Télécom du fait de la reproduction de l'image de Mlle Cécile Tribolet, patineuse amateur, à des fins publicitaires.

Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits, de la procédure initiale et des moyens retenus par les premiers juges, seront rappelés les éléments suivants nécessaires à la solution du litige :

A l'occasion des Jeux olympiques d'hiver qui ont eu lieu à Albertville (Savoie) au mois de février 1992, France Télécom, fournisseur d'un concours technique à leur organisation, a fait réaliser par l'agence susnommée une campagne de communication visant à associer sa propre image à celle de cet événement sportif international, notamment par la diffusion de supports publicitaires représentant des athlètes des disciplines concernées.

L'un d'eux montre Mlle Cécile Tribolet, patineuse artistique amateur de haut niveau, dans l'élan d'un saut écarté sur fond de ciel bleu et montagnes enneigées.

Cette vue a été prise par le photographe de l'agence, le 20 août 1990, dans un studio de Malakoff (Hauts-de-Seine), lors d'une séance de pose à laquelle l'intéressée s'est rendue sur convocation adressée le 13 août précédent par l'intermédiaire de Mme Durville, conseillé régional technique de la Fédération, en présence de qui elle avait été choisie avec une autre patineuse quelques jours auparavant, au cours de séances d'entraînement à Pralognan (Savoie).

A la suite de cette prestation, la société Siquier Courcelle & Associés a adressé le 31 août 1990 à Mlle Cécile Tribolet :

- un bon de commande mentionnant :

" 1 journée de pose avec Rémy Poinot, au studio Baobab, le mercredi 22 août 1990 pour notre client France Télécom.

Prix convenu en salaire 5 000 F brut.

Tous droits cédés tous médias affichage, PLV, presse édition - voir contrat - ".

- Un contrat de cession des droits de reproduction des clichés visés au bon de commande, pour une utilisation " tous médias presse, édition, affichage 4 x 3 + 120 x 160, PLV, durant deux années jusqu'en 1992 ", pour un prix forfaitaire de 7 500 F en honoraires ou 5 000 F en salaires.

Bien que l'intéressée n'ait signé et retourné aucun de ces documents, sa photographie a été largement reproduite lors des phases successives d'une campagne publicitaire très importante notamment par voie de presse et d'affichage, l'une de la fin de l'année 1990 au début de l'année 1991, l'autre coïncidant avec le déroulement des jeux, au mois de février 1992.

A la suite de la première diffusion et après une intervention téléphonique, la Fédération a adressé à l'agence Siquier Courcelle & Associés un " relevé des sommes dues au titre de la participation de Cécile Tribolet pour une séance de photos France Télécom le 22 août 1990 " d'un montant de 8 000 F tout en " réitérant " sa demande d'envoi du double du contrat conclu avec l'intéressée ; un chèque daté du 20 septembre 1991 a été adressé par l'agence la Fédération qui ne l'a toutefois pas encaissé et le lui a retourné au mois d'octobre 1992.

Entre temps, le 18 février 1991, reprochant à Mlle Cécile Tribolet d'avoir participé à une campagne de presse sans son autorisation, la Fédération a engagé contre elle une procédure disciplinaire à laquelle elle a mis fin le 9 avril suivant après l'avoir entendue.

Estimant l'une et l'autre avoir été trompées par la société Siquier Courcelle & Associés - Mlle Cécile Tribolet, par l'assurance qui lui aurait été donnée de l'accord de la Fédération pour la réalisation et la publication du cliché litigieux, la Fédération, par l'affirmation que l'intéressée avait contractuellement autorisé l'utilisation de son image - ont, le 9 décembre 1991, demandé réparation du préjudice qu'elles prétendent respectivement avoir subi.

A défaut de la satisfaction de leurs réclamations et ensuite de la seconde phase de la campagne publicitaire, Mlle Cécile Tribolet et la Fédération ont, le 19 avril 1992, engagé devant le tribunal de commerce l'action qui a donné lieu au jugement entrepris.

Pour rejeter leurs demandes, le tribunal a retenu aux motifs de sa décision :

- qu'aucun grief n'était formulé contre France Télécom qui devait de ce fait être mis hors de cause,

- qu'en se prêtant sans réserve à la séance de prise de vues, Mlle Cécile Tribolet, à qui il appartenait d'obtenir l'accord de la Fédération sportive dont elle dépend, a valablement concouru à la réalisation de l'image qui la représente,

- que par la même et sans qu'il y ait lieu d'exiger de sa part une autorisation effective, non équivoque et spéciale, elle a consenti à l'exploitation de son image.

Au soutien de leur appel, Mlle Cécile Tribolet et la Fédération exposent :

- qu'en ne recueillant pas l'accord de la Fédération cependant indispensable pour l'exploitation de l'image de sportifs amateurs par application des articles 17 de la loi du 29 octobre 1975, 16 de la loi du 16 juillet 1984 modifiée par la loi du 13 juillet 1992, 1-7 de son règlement et 2 de la règle 100 du règlement de l'" International Skating Union ", l'agence a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de chacune d'elles ;

- que la société Siquier Courcelle & Associés ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du consentement effectif non équivoque et spécial de Mlle Cécile Tribolet que celle-ci n'a donné ni expressément et en connaissance de cause, dès lors qu'elle a refusé de signer le contrat stipulant les modalités de la diffusion de son image et de sa rémunération, ni tacitement, s'agissant de la reproduction d'un cliché qu'elle n'a pu voir et qui la montre dans une posture contraire à l'art de patiner ;

- que France Télécom, pour qui la photographie litigieuse a été réalisée et qui a tiré avantage de sa diffusion, doit être solidairement tenu avec la société Siquier Courcelle & Associés à la réparation des dommages subis.

Les appelantes prient en conséquence la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de condamner solidairement la société Siquier Courcelle & Associés et France Télécom à réparer leurs préjudices respectifs, à concurrence de 150 000 F, pour Mlle Cécile Tribolet et de 50 000 F, pour la Fédération.

Reprenant à son compte la motivation du jugement dont elle demande la confirmation, la société Siquier Courcelle & Associés fait valoir :

- que les textes cités par les appelantes établissent qu'il revient au sportif concerné de solliciter de la Fédération dont il relève l'autorisation d'exploiter son image et qu'il n'est pas établi qu'elle se soit elle-même engagée à l'obtenir ;

- qu'en raison des circonstances de la réalisation de la prise de vues litigieuse, elle n'a pas à justifier d'une autorisation effective, non équivoque et spéciale du modèle ;

- que Mlle Cécile Tribolet, qui a participé sans équivoque ni réserve à une séance de pose en connaissant l'usage prévu des clichés réalisés, a donné son consentement à l'utilisation de son image et n'a jamais fait connaître ultérieurement qu'elle entendait s'opposer à l'exploitation des photographies ainsi réalisées ;

- qu'en outre, Mlle Cécile Tribolet ne justifie pas du préjudice dont elle demande réparation.

France Télécom, qui soutient n'avoir personnellement commis aucune faute à l'égard des appelantes, conclut lui aussi à titre principal à la confirmation du jugement dont appel qui l'a mis hors de cause et demande subsidiairement à être garanti par la société Siquier Courcelle & Associés des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que le droit au respect de sa vie privée, protégé par l'article 9 du Code civil, permet à toute personne de s'opposer à la reproduction de son image sans son autorisation ;

Qu'il en résulte que, quelles que soient les circonstances dans lesquelles les prises de vues ont été réalisées, une agence de publicité ne peut exploiter à des fins commerciales l'image d'un sportif sans le consentement effectif et non équivoque de celui-ci spécialement donné sur l'utilisation qui en serait faite ;

Considérant que Mlle Cécile Tribolet s'est prêtée à des séances de prises de vues, en sachant, par la lettre de convocation de la société Siquier Courcelle & Associés du 13 août 1990 qui lui avait été communiquée, que les photographies à réaliser étaient destinées à " France Télécom JO " et que, pour sa rémunération, le montant convenu était de " 7 500 F... (frais de déplacement compris, droits d'utilisation tous médias) en honoraires ou 5 000 F en salaires brut " ;

Mais considérant qu'il ne peut être déduit des mentions de cette correspondance relatives au client (France Télécom) et aux droits rémunérés (tous médias) que Mlle Cécile Tribolet, qui n'est pas un modèle professionnel, a effectivement, sans ambiguïté et spécialement consenti à l'utilisation publicitaire de son image dans les conditions où elle a été faite par l'agence ;

Que la société Siquier Courcelle & Associés ne peut en effet soutenir que la patineuse a valablement autorisé cette exploitation par sa seule participation aux prises de vues alors qu'elle même n'a précisé " l'utilisation faisant l'objet de la cession " : " Tous médias presse, édition, affichage 4 x 3 + 120 x 160, PLV durant deux années jusqu'en 1992 ", que dans un bon de commande et un contrat établis postérieurement à la séance que l'intéressé n'a pas signés ;

Que le modèle occasionnel n'ayant ni expressément ni tacitement approuvé, notamment quant aux supports de son image telles que stipulées dans les documents contractuels qui lui ont été soumis et n'ayant en outre ni accepté ni perçu la rémunération offerte, l'agence a commis une faute en procédant néanmoins, sans l'accord effectif de l'intéressée, à l'exploitation publicitaire qui a été faite des vues photographiques ainsi obtenues ;

Qu'au surplus, lors de la seconde phase de la campagne publicitaire poursuivie au moyen des clichés litigieux au mois de février 1992, l'agence n'ignorait pas que Mlle Cécile Tribolet s'opposait à l'utilisation commerciale ainsi faite de son image puisque l'intéressée avait rappelé, par une lettre de son avocat du 9 décembre 1991, qu'elle n'avait signé aucun contrat autorisant une telle exploitation ;

Qu'il s'ensuit que Mlle Cécile Tribolet est fondée à être indemnisée du préjudice qui lui a été causé par la diffusion de son image ;

Considérant que la Fédération appelante ne peut toutefois prétendre elle aussi à une réparation ;

Que, s'agissant de l'image individuelle d'une patineuse prise hors du contexte d'une compétition sportive, il n'est pas établi que la société Siquier Courcelle & Associés devait elle-même solliciter l'autorisation de la Fédération dont relevait Mlle Cécile Tribolet ;

Qu'en effet, si les lois et règlements invoqués par la Fédération, et en particulier l'article 1-7 de son règlement intérieur, lui permettent de sanctionner disciplinairement les sportifs qui se livrent à l'exploitation publicitaire de leur image en utilisant leur position ou leur réputation de patineur à des fins commerciales, ces dispositions ne peuvent avoir d'effet à l'égard des tiers et en particulier les obliger à solliciter directement auprès d'elle les autorisations nécessaires et moins encore à en négocier avec elle les conditions pécuniaires ;

Qu'il s'ensuit, d'une part, que le " relevé des sommes dues " adressé par la Fédération à l'agence le 14 février 1991 et le chèque de 8 000 F remis par cette dernière conformément à cette demande n'ont pu constituer pour l'intimée le droit d'exploiter l'image de Mlle Cécile Tribolet, totalement étrangère à cette transaction ;

Que, d'autre part, la Fédération ne peut se prévaloir à l'égard de l'agence d'un dommage résultant de l'omission de son autorisation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si son accord pouvait se déduire de l'intermédiaire de son conseiller régional technique pour la convocation de Mlle Cécile Tribolet à la séance de prises de vues ou si au contraire la société Siquier Courcelle & Associés s'était engagée à le solliciter auprès des instances dirigeantes ;

Que par ailleurs, elle n'allègue ni ne démontre que la publication des clichés litigieux a porté atteinte aux intérêts dont elle est chargée et qu'en particulier, la position de l'athlète prétendument artificielle, ridicule et contraire aux standards du patinage artistique, alléguée à d'autres fins dans ses conclusions, nullement apparente pour un observateur non averti, n'est pas de nature à constituer pour elle un principe de réparation dès lors que les supports promotionnels litigieux ne sont pas présentés comme des références ou des illustrations de l'art de patiner et ne visent pas à en ridiculiser les exécutants ;

Considérant que des éléments soumis à l'appréciation de la cour relatifs à la nature, à l'importance et à la durée de la diffusion des clichés litigieux et au trouble qu'elle a causé à la jeune sportive, il résulte que la réparation du préjudice subi par celle-ci doit être évaluée à la somme de 30 000 F ;

Considérant que le dommage causé est seulement imputable à la société Siquier Courcelle & Associés qui a fait réaliser, reproduire et publier le cliché litigieux ; que cette dernière n'invoque ni la responsabilité principale de l'annonceur, ni un principe de solidarité entre eux et que le fait, allégué par les appelantes, que France Télécom ait commandé la campagne de communication réalisée au moyen des supports promotionnels litigieux dont elle a tiré un avantage direct ne saurait fonder contre cet établissement public national une obligation solidaire à réparation dès lors qu'aucune faute ne lui est personnellement reprochée ;

Considérant qu'au titre des frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens :

- la société Siquier Courcelle & Associés doit être condamnée à payer à Mlle Cécile Tribolet une somme de 20 000 F,

- la Fédération française des sports de glace doit être condamnée à payer à la société Siquier Courcelle & Associés et à France Télécom, respectivement, une somme de 20 000 F,

Que l'équité ne commande pas de condamner Mlle Cécile Tribolet à des paiements au bénéfice de France Télécom sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a mis France Télécom hors de cause ; L'infirme en toutes ses autres dispositions ; Statuant à nouveau : Condamne la société Siquier Courcelle & Associés à payer à Mlle Cécile Tribolet une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette les demandes formées par la Fédération française des sports de glace contre la société Siquier Courcelle & Associés ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'encontre de Mlle Cécile Tribolet ; Condamne la Fédération française des sports de glace à payer, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à France Télécom et la société Siquier Courcelle & Associés respectivement une somme de 20 000 F ; Condamne Mlle Cécile Tribolet aux dépens de première instance et d'appel de l'instance par elle engagée contre France Télécom et admet sur sa demande Me Moreau, avoué à la cour, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Siquier Courcelle & Associés aux dépens de première instance et d'appel de l'instance engagée contre elle par Mlle Cécile Tribolet et admet sur sa demande la SCP Ménard et Scelle-Millet, titulaire d'un office d'avoué à la cour, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Fédération française des sports de glace aux dépens de première instance et d'appel de l'instance engagée contre France Télécom et la société Siquier Courcelle & Associés et admet sur leurs demandes la SCP Fisselier, Chiloux et Boulay, titulaire d'un office d'avoué à la cour, et Me Moreau, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.