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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 6 février 1995, n° 94-1371

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

M. Guilbaud, Mme Penichon

Avocats :

Mes Combeau, Caballero.

TGI Paris, 31e ch. corr., du 10 janv. 19…

10 janvier 1994

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement en date du 10 janvier 1994, a déclaré M. F Guy coupable de publicité illicite en faveur du tabac en septembre 1992 à Paris, infraction prévue et réprimée par les articles 8 et 10 de la loi du 9 juillet 1976. L'a condamné à 500 000 F d'amende, a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile. A condamné M. F à payer à la partie civile 1 000 000 F de dommages et intérêts ainsi que celle de 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. A débouté la partie civile du surplus de ses demandes. Déclare la société des Automobiles C solidairement responsable du paiement de l'amende et des frais de justice mis à la charge de son préposé M. F. déclare la société Automobiles C civilement responsable de son préposé M. F.

Les appels :

Appel a été interjeté :

1) Maître Combeau, avocat au barreau de Paris, au nom de son client M. F Guy en toutes ses dispositions, le 14 janvier 1994,

2) Maître Combeau, avocat au barreau de Paris au nom de son client la société Automobiles C SA en toutes ses dispositions, le 14 janvier 1994,

3) le Ministère public, le 14 janvier 1994.

Décision :

Rendue publiquement après en avoir délibéré conformément à la loi.

Statuant sur les appels relevés par le prévenu, la société Automobiles C et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposer des faits et de la prévention.

Par voie de conclusions conjointes, le prévenu et la société Automobiles C sollicitent de la cour, par infirmation, la relaxe de Guy F des fins de la poursuite et le débouté du Comité National Contre le Tabagisme de ses demandes.

Ils reprennent, pour l'essentiel, l'argumentation développée dans leurs écritures de première instance en faisant valoir que les photographies incriminées, qui illustrent des articles rédactionnels consacrés à l'actualité du sport automobile, ne sauraient constituer une publicité illicite en faveur d'un produit du tabac au sens de l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 et que la propagande ou la publicité indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac n'était plus interdite pour la période transitoire comprise entre le 12 janvier 1991, date de publication de la loi du 10 janvier 1991 et le 1er janvier 1993.

Ils soutiennent par ailleurs que les retransmissions, par les chaînes de télévision françaises, des épreuves du Rallye Paris-Moscou-Pékin qui se sont déroulées à l'étranger ne sont pas répréhensibles en vertu des dispositions de l'article 71 de la loi du 27 janvier 1993 et que la retransmission par la chaîne de télévision FR3, le 30 août 1992, du Prologue du Rallye précité qui s'est déroulé à Alençon ne saurait être qualifiée de publicité directe ou indirecte en faveur d'un produit du tabac en raison de son caractère informatif.

Ils affirment, d'autre part, en ce qui concerne les articles de presse et le reportage diffusé par FR3, que le CNCT ne démontre pas l'imputabilité des faits incriminés à Guy F.

Ils font observer que s'il est vrai que l'alinéa de l'article 10 de la loi du 9 juillet 1976 interdit de faire apparaître, sous quelque forme que ce soit, à l'occasion ou au cours d'une manifestation sportive, le nom, la marque ou l'emblème publicitaire d'un produit du tabac ou le nom d'une producteur, fabricant ou commerçant de tabac ou de produit de tabac, il ne s'agit cependant pas là de parrainage.

Ils exposent que la marque X reproduite sur les véhicules C engagés dans le rallye Paris-Moscou-Pékin appartient à la société Worldwide Brands Inc et a été déposée le 16 juin 1987 à l'INPI pour désigner des services d'éducation et de divertissement ; que la dénomination X forme un tout indivisible et ne constitue pas le nom, la marque ou l'emblème de publicité d'un produit de tabac ou commerçant de tabac ou de produits du tabac.

A titre subsidiaire, ils demandent à la cour de minorer l'amende infligée ainsi que les dommages-intérêts alloués au CNCT en soulignant que les véhicules C revêtus de la marque incriminée n'ont été présents en France que pendant 48 heures.

M. l'Avocat général requiert de la cour la confirmation du jugement déféré.

Par voie de conclusions, le CNCT demande à la cour de confirmer la décision critiquée sur les intérêts civils et, y ajoutant, de condamner solidairement le prévenu et la société Automobiles C à lui verser la somme de 30 000 F pour frais irrépétibles devant la cour.

Considérant qu'il convient de rappeler que par citation directe le CNCT a fait citer Guy F et la société Automobiles C en tant que solidairement et civilement responsable pour voir Guy F déclaré coupable d'infractions à la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 et condamné, avec la société Automobiles C, à lui verser la somme de 4 923 223 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 40 000 F pour frais irrépétibles.

Que dans sa citation, la partie civile expose que Guy F et la société Automobiles C ont, aux termes d'un accord dit " Sponsorship agreement ", signé le 28 décembre 1992, avec M. Winebrenner, vice-président de la Worldwide Brands Inc, accepté de faire figurer, en septembre 1992, sur les véhicules C engagés dans le Rallye Paris-Moscou-Pékin, les nom et logo de la marque 1 et ainsi permis au fabricant de faire la publicité pour sa marque à l'occasion des multiples reportages consacrés à ce rallye, en montrant aux lecteurs et aux téléspectateurs des voitures C, peintes dans le jaune du logo de la marque 1 et couvertes de la marque " X ", ainsi que les pilotes de l'écurie C, vêtus de combinaisons jaunes portant les mêmes inscriptions ;

Considérant que la cour ne saurait suivre le prévenu et la société Automobiles C en leur argumentation ;

Sur les faits d'infractions à la loi de 1976 :

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, dans le cas où elles est autorisée, la propagande ou la publicité en faveur du tabac ou des produits de tabac ne peut comporter d'autre mention que la dénomination du produit, la composition, le nom et l'adresse du fabricant, la composition, le nom et l'adresse du fabricant et le cas échéant du distributeur, ni d'autre représentation graphique ou photographie que celle du produit, de son emballage et de l'emblème de la marque ;

Que durant la période intermédiaire du 10 janvier 1991 au 1er janvier 1993 le contenu des publicités directes ou indirectes, autorisées dans certains supports, telles que la presse écrite jusqu'au 1er janvier 1993, est resté soumis aux règles édictées par l'article 8 non modifié de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 ;

Considérant qu'à la date des faits poursuivis l'article 2 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, tel que modifié par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, interdisait toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac et des produits du tabac par des émissions de télévision;

Que cependant les dispositions moins sévères de l'article 71 de la loi du 27 janvier 1993 sont venues autoriser la retransmission télévisée de sports mécaniques se déroulant dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée, jusqu'à ce qu'intervienne une réglementation européenne;

Considérant que cette loi, application aux infractions commises avant son entrée en vigueur, ne peut avoir aucun effet exonératoire en ce qui concerne la retransmission du prologue du Rallye Paris-Moscou-Pékin à Alençon, effectuée dans le cadre de l'émission " Sport 3 " diffusée par FR3 au cours de laquelle " la marque 1 " est apparue, au total, 2 minutes 55 secondes sur l'écran selon constat d'huissier produit par la partie civile ;

Considérant que la cour constate, à l'examen des photographies versées à la procédure, que la marque 1 apparaît en très gros caractères sur les véhicules dépendants de la société Automobiles C, avec le graphisme et la couleur de la marque de cigarettes mondialement connue, alors que les mots Racing service sont eux écrits en petits caractères difficilement lisibles ;

Que parfois la marque " 1 " est seule utilisée, notamment sur l'aileron des véhicules, sans aucune référence à " Racing service " ;

Que dès lors, le logo 1 attire immanquablement tout lecteur ou téléspectateur d'attention moyenne qui le perçoit nécessairement comme une publicité en faveur du tabac, même si d'autres marques sont apposées sur les véhicules en caractères modestes;

Considérant que la cour observe par ailleurs que la marque X, présentée comme une marque de " Service d'éducation et de divertissement " n'est pas indépendante des fabricants de tabac puisque la société Worldwide Brands Inc, propriétaire de la marque X est une filiale à 100 % de RJR Nabisco Holding Curp qui la société holding du groupe RJ Reynolds Tobacco Company ;

Que, par suite, les photographies publiées dans la presse et les images diffusées par FR3 dans le cadre de l'émission " Sport 3 " constituent, sans conteste, une publicité illicite indirecte en faveur du tabac au sens des articles 2 et 8 de la loi du 9 juillet 1976 qui n'a été rendue possible que par l'accord dit " Sponsoring agreement " signé le 28 décembre 1990 entre la SA Automobiles C et Worldwide Brands Inc et sans que puisse être sérieusement opposé l'argument alibi du caractère prétendument rédactionnel ou informatif des images ou photographies incriminées étant observé qu'une opération de parrainage sportif a précisément pour but de faire apparaître le nom, la marque et le logo du sponsor devant l'ensembles des médias ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 alinéa 2 de la loi 76-616, expressément visé par le CNCT dans sa citation directe, il est interdit de faire apparaître, sous quelque forme que ce soit, à l'occasion ou au cours d'une manifestation sportive, le nom, la marque ou l'emblème publicitaire d'une produit du tabac ou le nom d'un producteur, fabricant ou commerçant du tabac ou de produits du tabac ;

Qu'ainsi que souligné, à juste titre, par les premiers juges, " 1 " est le nom d'un produit de tabac, la marque d'un produit du tabac, et la couleur, la forme et les caractères typographiques du logo apposé sur les voitures sont ceux du logo de la célèbre marque de cigarettes ;

Considérant que les faits matériels de publicité illicite en faveur du tabac se confondent en l'espèce avec les faits d'apposition du nom, du logo et de la marque 1 sur les véhicules C participant au rallye ;

Considérant que c'est donc par des motifs pertinents, que la cour fait siens, que le tribunal a, à bon droit, retenu le caractère illicite de la publicité critiquée au regard des seules dispositions de l'article 10 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1976;

Sur la responsabilité pénale :

Considérant qu'il est constant que Guy F, en tant que représentant de la Direction de C Sport, a signé en date du 28 décembre 1990 avec la société Worldwide Brands Inc, filiale du Groupe Reynolds Tobacco, un contrat de parrainage intitulé " Sponsorship agreement " ;

Qu'il disposait d'une délégation de pouvoir de M. Jacques C en date du 1er décembre 1990 le désignant comme responsable de la direction " C Sport " avec pour mission notamment de veiller au respect des lois et règlements concernant la publicité ;

Qu'il s'est ainsi rendu personnellement coupable de l'infraction commise à l'article 10, alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1976 ;

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité mais de l'infirmer en répression, ainsi que précisé au dispositif, pour mieux tenir compte de la relative gravité des agissements commis et de la personnalité du prévenu, délinquant primaire ;

Qu'il y a lieu par ailleurs de confirmer la décision critiquée en ce qu'elle a déclaré la société Automobiles C solidairement responsable du paiement de l'amende et des frais de justice mis à la charge de Guy F ;

Sur l'action civile :

Considérant que le CNCT, association reconnue d'utilité publique, qui déploie pour la sauvegarde de la santé publique par ses campagnes d'information, des efforts constants dans la lutte contre le tabagisme a subi un préjudice certain et découlant directement de l'infraction commise ;

Que la cour qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour chiffrer ce préjudice estime devoir modifier l'évaluation qu'en ont faite les premiers juges et fixer à 500 000 F le montant des dommages-intérêts à allouer à la partie civile ;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Guy F à verser au CNCT 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et, y ajoutant, de le condamner à verser à la partie civile la somme supplémentaire de 15 000 F pour les frais irrépétibles en cause d'appel ;

Qu'il échet enfin de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré la société des Automobiles C civilement responsable de Guy F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre de Guy F, la société Automobiles C et du Comité National Contre le Tabagisme ; Sur l'action publique : Rejette les conclusions de relaxe du prévenu ; Confirme le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité et en ce qu'il a déclaré la société Automobiles C solidairement responsable du paiement de l'amende mise à la charge de Guy F ; L "infirme sur la peine d'amende ; Condamne Guy F à 300 000 F d'amende ; Sur l'action civile : Modifie la décision sur les intérêts civils ; Condamne Guy F à verser au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Guy F à verser au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Y ajoutant, condamne le prévenu à verser celle de 15 000 F à la partie civile pour les frais irrépétibles en cause d'appel ; Confirme la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré la société Automobiles C civilement responsable de Guy F ; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.