Livv
Décisions

CA Angers, ch. corr., 21 mars 1996, n° 09500526

ANGERS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvel (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Gauthier, Liberge

Avocats :

Mes Fourgoux, Dupeux

T. corr. Vannes du 2 juill. 1992

2 juillet 1992

LA COUR,

Le 2 juillet 1992, le Tribunal correctionnel de Vannes a rejeté l'exception d'illégalité du décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962, a déclaré Maryvonne GP coupable d'infraction à la législation sur les ventes de déballage et de publicité mensongère, lui a infligé une amende de 20 000 F, l'a condamnée à payer un franc de dommages et intérêts au Syndicat Professionnel des Bijoutiers-Horlogers-Joaillers du Morbihan et a ordonné, à titre de réparation complémentaire, la publication par extrait de sa décision dans les journaux Ouest France, La Liberté du Morbihan, La France Horlogère et la Lettre d'Orion aux frais de l'intéressée sans que le coût maximum de chaque insertion puisse dépasser 3 000 F.

Sur appel de l'ensemble des parties, la Cour de Rennes a, le 1er avril 1993, réformé le jugement entrepris, fait droit à l'exception d'illégalité, renvoyé la prévenue des fins de la poursuite et débouté la partie civile de ses demandes.

Sur le pourvoi du seul Syndicat Professionnel des Bijoutiers-Horlogers-Joaillers du Morbihan, la Chambre criminelle a, le 9 janvier 1995, cassé et annulé en toutes ses dispositions civiles l'arrêt de la Cour de Rennes et renvoyé cause et parties devant la Cour d'Angers.

Régulièrement citée, Maryvonne P, épouse G comparaît en personne assistée de son conseil, lequel soutient tout à la fois, par voie de conclusions :

que la citation à comparaître délivrée à sa cliente ne visant que les articles 2, 3, 6 paragraphes 4 et 7 du décret du 26 novembre 1962 et non la loi du 30 décembre 1906, les poursuites sont irrégulières,

que les dispositions de l'article 6-4° et 7° sont illégales,

que le changement d'enseigne intervenu n'était pas un prétexte pour la société GP mais une nécessité commerciale,

que les travaux réalisés ont, par leur nature et leur importance, entraîné une modification de structure ou de conditions d'exploitation,

que des circonstances exceptionnelles, tendant à la défaillance du Groupe C, ont justifié l'autorisation accordée par le Maire de Vannes et qu'en toute hypothèse la publicité à laquelle il a été procédé n'était pas de nature à induire en erreur.

Le Syndicat Professionnel des Horlogers-Bijoutiers-Joaillers du Morbihan, représenté par son conseil, réfute un à un les arguments avancés par son adversaire, conclut à la confirmation du jugement entrepris et réclame à Maryvonne GP la somme de 20 000 F au titre des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur l'incrimination et la prévention

Attendu que Maryvonne GP soutient en premier lieu que la citation à comparaître qui lui a été délivrée ne visant que les articles 2, 3, 6 paragraphes 4 et 7 du décret du 26 novembre 1962, et non la loi du 30 décembre 1906, les poursuites ne pouvaient être valablement engagées.

Attendu que cet argument est inopérant, le décret du 26 novembre 1962 ayant pour intitulé officiel : " décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962 précisant les modalités d'application de la loi du 30 décembre 1906 sur les ventes au déballage, complétant la loi du 25 juin 1841 "(JO 6 décembre 1962).

Attendu que le seul grief qu'aurait pu invoquer la prévenue aurait été celui d'une atteinte à ses droits de la défense, la citation ne précisant pas suffisamment les textes fondant la poursuite ; que ce grief ne peut qu'être écarté, l'intitulé du décret visé renvoyant expressément à la loi du 30 décembre 1906 ; qu'au surplus, l'intéressée a, naturellement, eu accès au dossier et a pu, notamment à travers le procès-verbal de la Direction de la Concurrence, connaître avec exactitude le fondement des poursuites.

Sur l'exception d'illégalité des dispositions de l'article 6-7° du décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962

Attendu que, le 9 janvier 1995, la Chambre criminelle a retenu les principes suivants :

" Attendu que si les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité des actes réglementaires lorsque de cet examen dépend la solution du procès qui leur est soumis, elles ne sauraient déclarer illégal un décret pris en application d'une loi comportant des dispositions répressives que dans le cas où ledit décret en étend ou en modifie la portée.

Attendu que pour déclarer illégales les dispositions de l'article 6-4° et 7° du décret du 26 novembre 1962, la cour d'appel relève qu'en exigeant du vendeur qu'il soit propriétaire des marchandises liquidées et en lui imposant de justifier qu'il est en possession de ces marchandises depuis au moins trois mois, le décret a ajouté des conditions supplémentaires à celles prescrites par la loi et est ainsi entaché d'illégalité ;

Mais attendu qu'en se prononçant ainsi, alors que le décret précité ne fait que préciser les modalités d'application de la loi du 30 décembre 1906, laquelle définit, à elle seule, les éléments de l'infraction, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du principe sus énoncé, repris à l'article 11-5 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ;

D'où il suit que la cassation est encourue ".

Attendu qu'il est ainsi confirmé que les dispositions du décret ne contiennent pas de restrictions supplémentaires, mais simplement complètent les dispositions de la loi, en les précisant ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'illégalité invoquée.

Sur le fond

Attendu que le tribunal a considéré que Maryvonne GP avait procédé à une fausse liquidation, et que l'importante campagne de publicité qu'elle a effectuée évoquant une " liquidation totale " était constitutive d'une publicité mensongère.

Attendu que l'élément matériel et l'élément intentionnel du délit réprimé par la loi de 1906 se trouvent en effet, en l'espèce, réunis.

Attendu qu'en premier lieu, Maryvonne GP a demandé l'autorisation de liquider son stock alors que les conditions posées par la loi de 1906 et le décret de 1962 pris pour son application n'étaient pas réunies.

Attendu qu'aux termes de l'article 3 du décret précité :

" Sont considérées comme liquidations, au sens de la loi du 30 décembre 1906, les ventes accompagnées ou précédées de publicité présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel ou exceptionnel, annoncées comme tendant à l'écoulement accéléré de la totalité ou d'une partie des marchandises d'une entreprise à la suite de la décision de cesser un commerce, d'en modifier la structure ou les conditions d'exploitation, que cette décision soit volontaire ou nécessaire par un événement indépendant de la volonté du propriétaire.

Attendu que la liquidation sollicitée n'était pas la conséquence de modifications réelles de structure ou des conditions d'exploitation, imposant à Maryvonne GP de se défaire d'un stock existant.

Attendu qu'il apparaît plutôt que l'intéressée a consciemment détourné la finalité de la loi de 1906 pour résoudre ses difficultés de trésorerie et a volontairement procédé à un réapprovisionnement au moment où elle adressait une demande d'autorisation au Maire de Vannes, afin de vendre les bijoux ainsi acquis dans le cadre d'une liquidation vente ; qu'elle a, en outre, pour d'évidentes raisons de rentabilité, mais au détriment des règles de loyauté commerciale, fixé la date de cette vente immédiatement avant la période de Noël, traditionnellement favorable dans cette branche d'activité.

Attendu que Maryvonne GP a tenté de justifier cette opération de liquidation vente en réunissant artificiellement la réalisation de travaux dont le principe avait déjà été envisagé dans le passé et la prétendue nécessitée d'un changement d'enseigne insuffisant dans les faits ; qu'on ne peut cependant considérer qu'en l'espèce, la Société GP a modifié sa structure ou ses conditions d'exploitation, et qu'une opération de liquidation vente de son stock se trouvait par là-même justifiée.

Attendu en effet, que d'une part, il n'y a pas eu véritablement un changement d'enseigne puisque les noms " GP " et " Espace Diamant " figurent toujours la nouvelle enseigne et que seule a été supprimée la référence au groupement " C " à laquelle la Société GP a substitué les mentions " Les Nouveaux Bijoutiers " et que, d'autre part, les travaux effectués dans le magasin n'ont pas modifié fondamentalement les conditions d'exploitation de la bijouterie, ni même sa structure ;qu'il s'agit simplement de travaux de rénovation consistant en un changement de la moquette et de cloisons existantes, une réfection des peintures et une modification de l'installation électrique.

Attendu que les premiers juges ont constaté eux-mêmes, au vu des photographies qui leur ont été remises, que la structure du magasin, à la suite de la réalisation des travaux ne s'en était pas trouvée modifiée ; qu'enfin, on ne saurait considérer que les liquidations telles qu'elles sont définies par l'article 3 du décret de 1962, sont en l'espèce remplies, dès lors que 45,96 % des articles liquidés ont été achetés entre le 4 juillet et le 14 août 1991, c'est-à-dire moins de trois mois avant la présentation de la seconde demande en date du 4 octobre 1991 et même postérieurement, pour partie, à la demande initiale du 4 août 1991.

Attendu qu'ainsi les conditions de la liquidation vente ne se trouvaient pas réunies.

Attendu, par ailleurs, que les déboires du groupement " C " n'ont pas provoqué l'éloignement de la clientèle attachée au nom GP et que le changement d'enseigne allégué n'était donc pas nécessaire.

Attendu enfin qu'il résulte des débats tels que l'ont constaté les premiers juges que Maryvonne GP avait déjà projeté, avant la déconfiture de " C ", de travaux de rénovation de son magasin et que ces travaux étaient donc indépendants de la liquidation vente ensuite organisée ; que ces travaux, s'ils ont amélioré la présentation et l'esthétique du commerce n'en ont pas fondamentalement modifié la structure ni les conditions d'exploitation du magasin.

Attendu que ces agissements n'ont pas manqué de nuire aux intérêts collectifs de la profession dont la défense est confiée aux syndicats ; que la décision du tribunal d'accorder au Syndicat Professionnel des Horlogers-Bijoutiers-Joailliers du Morbihan, conformément à sa demande, un franc de dommages et intérêts sera confirmée ; qu'il y sera adjoint, à titre de réparation complémentaire, la publication par extraits du présent arrêt dans les Journaux Ouest France, La Liberté du Morbihan, La France Horlogère et La Lettre d'Orion, aux frais de Maryvonne GP sans que le coût maximum de chaque insertion puisse dépasser 3 000 F.

Attendu qu'il y a lieu de condamner Maryvonne GP à payer à la partie civile une indemnité de procédure de 15 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement dans les limites de la cassation intervenue, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'illégalité du décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962 et condamné Maryvonne GP à payer au Syndicat Professionnel des Horlogers-Bijoutiers-Joailliers du Morbihan la somme de un franc à titre de dommages et intérêts. Y ajoutant, Ordonne, à titre de réparation complémentaire, la publication du présent arrêt dans les journaux Ouest France, La Liberté du Morbihan, La France Horlogère, La Lettre d'Orion aux frais de la prévenue sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser trois mille francs (3 000 F). Condamne Maryvonne GP à verser au Syndicat Professionnel des Horlogers-Bijoutiers-Joailliers du Morbihan la somme de quinze mille francs (15 000 F) par application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Condamne Maryvonne GP aux frais de l'action civile. Ainsi jugé et prononcé par application de l'article 473 du Code de procédure pénale.