Livv
Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 4 avril 1995, n° 318-1993

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Montuori (SA)

Défendeur :

Rahier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chapuis de Montaunet

Conseillers :

Mmes Darchy, Merfeld

Avoués :

SCP Le Roy, Me Caussain

Avocats :

Mes Esclapez, Guerri, Varin.

TGI Senlis, du 8 déc. 1992

8 décembre 1992

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la SA Montuori d'un jugement du Tribunal de grande instance de Senlis du 8 décembre 1992 qui notamment l'a :

- déboutée,

- condamnée à payer à Gaston Rahier les sommes de 71 160 F TTC, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et de 3 000 F au titre de l'article 700.

La SA rappelle que :

Par contrat du 1er octobre 1989, elle a conclu avec MM. Rahier et Wagner un contrat de sponsoring équipement pour la saison motocycliste 1989/1990 par lequel ces deux pilotes se sont engagés en contrepartie de la perception d'une somme de 150 000 F à porter des équipements de marque Hawk's distribués par elle ;

Cette somme devait être versée en six échéances précédant à chaque fois des épreuves sportives ;

Le contrat prévoyait en sa clause " durée " que les parties s'engageaient pour une année à compter du 1er octobre 1989, le contrat arrivant à expiration le 1er octobre 1990.

La SA se voyait accorder un droit de priorité pour la reconduction du contrat et en contrepartie du financement apporté, bénéficiait d'une exclusivité totale durant tout le contrat.

Tout manquement à cette obligation d'exclusivité était sanctionnée par une clause pénale aux termes de laquelle Rahier devait le remboursement de toutes les sommes déjà reçues de la SA, cette dernière étant déliée du solde éventuellement dû, la résiliation du contrat étant alors automatique.

En fait Rahier a été le seul véritable contractant, étant responsable de l'équipe portant son nom, Wagner étant donc représenté par lui.

Vers la fin de l'année 1990, les parties allaient échanger des courriers au sujet de la reconduction du contrat et c'est en interprétant faussement les dates de ces courriers que le tribunal l'a déboutée.

La SA fait alors valoir que :

1) Sur le renouvellement du contrat :

Le 24 septembre 1990, Rahier l'interrogeait afin de savoir si elle comptait reconduire le contrat pour la saison suivante.

Le 1er octobre 1990, elle lui faisait parvenir un courrier ainsi libellé :

" Nous accusons réception de votre courrier du 24 septembre dernier.

Nous retenons le principe de l'offre de renouvellement du contrat de sponsoring équipement que vous nous proposez... "

La clause " durée " du contrat de sponsoring a été dénaturée par le tribunal puisque la fin du contrat y était expressément stipulé pour le 1er octobre 1990 et non pas pour le 30 septembre 1990 comme l'ont affirmé les premiers juges.

Par courrier du 3 octobre 1990, Rahier lui annonçait que son équipe et lui-même seraient équipés pour la saison 1990/1991 de vêtements Suzuki, principal sponsor de l'écurie.

En vue de garantir sa propre créance à l'encontre de Rahier, elle s'est vue autorisée à effectuer entre ses propres mains une saisie-arrêt d'un montant de 60 000 F.

Elle a souverainement estimé son dommage suite à l'inexécution du contrat à la somme de 80 000 F.

De plus preuve est maintenant faite qu'elle a effectué toutes les diligences nécessaires afin de continuer sa relation contractuelle avec Rahier, et il y a lieu à application de la clause pénale prévue au contrat et à la dégager du paiement de la dernière échéance prévue au contrat.

Elle est donc parfaitement fondée à réclamer le remboursement de la somme de 90 000 F déjà versée.

2) Sur le non-respect de la clause d'exclusivité :

Le contrat prévoyait que l'équipe de Rahier, en contrepartie du versement des sommes déjà indiquées, ne pourrait porter que des vêtements de marque Hawk's.

En première instance, elle avait versé aux débats une photo extraite du magasin Moto Revue reproduisant un pilote revêtu de vêtements Suzuki et soutenu qu'il s'agissait de Rahier, argumentation rejetée par le tribunal faute de preuve suffisante.

Depuis elle a pu obtenir les pièces démontrant que le pilote représenté sur la photo est bien Rahier.

Il y aura lieu pour cela de se reporter aux attestations produites émanant de MM. Le Corre Vignes et Valot.

Rahier ne saurait donc plus à l'avenir nier qu'il est apparu en public et surtout en photo dans une revue spécialisée en portant des vêtements d'une marque concurrente de celle objet du contrat de sponsoring.

La SA demande dans ces conditions à la cour de :

Dire que Rahier a méconnu ses obligations contractuelles essentielles notamment l'obligation d'exclusivité comme l'obligation de respecter le droit de priorité au renouvellement du contrat établi à son profit.

Dire qu'elle a subi un manque à gagner qui peut être évalué à la somme de 80 000 F TTC.

Dire en outre qu'en vertu de la clause pénale prévue au contrat, Rahier doit restituer la somme de 90 000 F déjà versée et la délier du versement de la dernière échéance de 60 000 F.

Valider la saisie-arrêt pratiquée entre ses propres mains par elle-même.

Condamner Rahier au paiement de la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en ceux compris les frais et coût de la saisie-arrêt.

Selon Rahier et notamment :

La SA feint de croire qu'elle aurait bénéficié d'une clause de tacite reconduction.

Les dispositions contractuelles du 1er octobre 1989 sont très claires :

" Le présent contrat sera rédigé pour la durée d'un an à dater de ce jour, et se terminera le 1er octobre 1990.

Néanmoins, il est concédé au sponsor Montuori le droit de priorité pour le renouvellement du contrat pour l'année suivante ".

Ainsi à compter du 1er octobre 1990, était-il libéré de toutes obligations à l'égard de la SA et ce quelque soit la volonté exprimée par ladite société de continuer ou non les relations contractuelles.

Au demeurant sil avait questionné préalablement, et par lettre du 24 septembre 1990, la société pour connaître le devenir de leurs relations contractuelles par une lettre reçue par lui postérieurement, le 2 ou le 3 octobre ;

Il ne pouvait, en aucun cas, sceller de nouvelles relations contractuelles, puisque rien n'avait été encore arrêté entre les parties ;

En témoignent les termes de la lettre adressée par la société le 1er octobre :

" Nous retenons le principe de l'offre de renouvellement du contrat de sponsoring équipement que vous proposez, mais nous souhaitons débattre des modalités nouvelles de ce contrat.

Il conviendrait donc que nous nous rencontrions très prochainement ".

Il en était bien ainsi, puisque dans la lettre qu'il a adressée le 24 septembre 1990 à la société, il n'avait fait aucune offre particulière sur ses objectifs à l'expiration du contrat.

Ainsi à compter du 1er octobre 1990, était-il donc en droit de s'estimer libre de toutes obligations contractuelles et de donner suite ou pas à la proposition informelle de la société de continuer leur collaboration.

Quant à la photographie qui le représenterait chevauchant une moto de marque " Suzuki " les attestations apparaissent être de complaisance en raison des relations économiques existant entre la Moto Revue et le fournisseur de publicité qu'est la société Montuori.

Ces attestations sont, au surplus, non circonstanciées.

Il réaffirme ne pas être la personne casquée et équipée de vêtements portant la marque " Montuori ", chevauchant une moto de type " Suzuki ".

De fait il est impossible de savoir qui se trouve être cette personne, alors qu'il s'agirait, en réalité, du pilote " F. Picco ".

Pas plus n'est-il possible de savoir qui a pris ladite photographie et sa provenance.

Au demeurant, et en tout état de cause rien n'établit que la publication " Moto Revue " ait bien été diffusée dans les kiosques à journaux avant le 1er octobre, alors, qu'en réalité, cette publication est diffusée auprès du public qu'en début octobre.

Rahier requiert ainsi la cour de :

Confirmer le jugement,

Faisant droit à son appel incident,

Dire que le montant des condamnations portera intérêts à compter du 17 novembre 1990, date de la mise en demeure,

Condamner la société Montuori au paiement des sommes de :

- 30 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 10 000 F conformément à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que le 24 septembre 1990, Rahier écrivait à la SA :

" La date de notre contrat sponsoring équipement venant à expiration le 1er octobre 1990, je vous envoie la dernière facture de ce contrat et vous demande si vous désirez renouveler ce contrat. Pourriez-vous m'en avertir le plus rapidement possible par une LRAR... ".

Attendu qu'à cette date, il était parfaitement loisible à Rahier de manifester son intention de ne pas renouveler le contrat ;

Qu'ainsi et au contraire, il se déclarait tout disposé à son renouvellement, sollicitant la position de la SA ;

Qu'autrement dit Rahier a fait une offre, acceptée par la SA le 1er octobre jour d'expiration du contrat, date à laquelle il y a eu rencontre de volonté sur le principe du renouvellement sauf à débattre de modalités particulières, peu important que Rahier, eu égard à sa position, ne l'ait reçue que le lendemain ou le surlendemain;

Que la SA a fait valoir un manque à gagner correspondant aux retombées commerciales attachées à l'action de sponsoring qu'elle aurait pu mener avec Rahier et son équipe dans des épreuves très médiatisées alors que sans faute de sa part, elle s'est trouvée privée de son droit de priorité ;

Qu'elle a indiqué que ces retombées s'expriment en vente d'une part et en image de marque d'autre part, le sponsoring faisant profit aux sponsors de la renommée attachée aux sponsorisés comme à la publicité faite aux diverses épreuves objet du contrat par les médias ;

Qu'il faut bien constater qu'alors Rahier ne discute en rien ni le principe ni l'évaluation de ce préjudice à la somme de 80 000 F, somme dont paiement était demandé dans l'assignation ;

Attendu, sur la violation de l'obligation d'exclusivité, que l'exposé des faits par la SA est juste et bien vérifié par les pièces qu'elle produit ;

Que la cour observe entre autres que :

- la revue où a paru la photographie incriminée est datée du 20 septembre 1990 alors que le premier contact était en cours et qu'en toute hypothèse la photographie puis la revue n'ont pu qu'être réalisées avant le 1er octobre ;

- si la photographie du motard casqué et vêtu Suzuki ne permet pas - du moins a priori - de reconnaître qui que ce soit (d'autant que n'est produite qu'une mauvaise photocopie), Rahier, selon qui, d'une part il est en fait objectivement impossible de savoir qui chevauche la moto et d'autre part il s'agirait en réalité du pilote Franco Picco, ne produit aucune photographie de comparaison, non plus que l'original de la revue (ce qui aurait pu être fait par la SA mais ne lui était pas interdit) ni surtout une attestation de Picco ;

- par contre Rahier n'a pas soumis à la censure de la juridiction pénale les trois auteurs (rédacteurs et éditeur délégué à la revue) des trois attestations selon lesquelles le pilote de la moto est bien lui ;

Attendu qu'ainsi il est établi qu'en méconnaissance du contrat passé avec la SA, Rahier est apparu et en public et en photo, portant des vêtements d'une autre parque concurrente de celle objet du contrat de sponsoring.

Qu'en conséquence et en application dudit contrat, il sera condamné à restituer à la SA la somme de 90 000 F et qu'il sera dit que la SA n'a pas à lui verser la somme de 60 000 F correspondant à la dernière échéance du contrat;

Que dans ces conditions n'est pas perçu l'intérêt - qui n'est pas expliqué - qu'aurait la SA à ce que soit validée la saisie-arrêt dont elle fait état.

Que quoiqu'il en soit et aucune pièce n'étant produite à ce sujet qui permettrait vérifications, non seulement la demande de validité sera rejetée mais le sera encore celle de condamnation de Rahier à payer les frais et coût de cette saisie-arrêt ;

Attendu enfin que Rahier, condamné aux dépens, versera encore, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 5 000 F à la SA pour frais hors dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident en la forme, Au fond rejetant le droit de priorité au renouvellement du contrat établi au profit de la SA Montuori, En conséquence le condamne à verser à celle-ci les sommes de : - 80 000 F au titre du manque à gagner, - 90 000 F en remboursement par application de la clause pénale, Dit encore, en application de cette clause que la somme de 60 000 F dernière échéance prévue au contrat n'est pas due par la SA, Rejette les demande validation de la saisie-arrêt et de prise en charge des frais et coût de la saisie-arrêt, Condamne Rahier aux dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers droit de recouvrement direct de la SCP Bertrand Le Roy, Le condamne enfin à verser à la SA en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 5 000 F pour frais hors dépens.