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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 2 juillet 1996, n° 96-04581

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L'Oréal (SA), Cosmétique Active France (SNC)

Défendeur :

SEFRB (SARL), CEREDAP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

MM. Durand, Martin

Avocats :

Mes Rivoire, Jakubowicz.

T. com. Lyon, ord. réf., du 25 juin 1996

25 juin 1996

Faits procédure et prétentions des parties

La société SEFRB fabrique des produits bronzants et de protection solaire sous les marques BBR et phase O dont elle est titulaire.

La commercialisation des produits BBR est assurée par la société Ceredap, locataire-gérant d'une branche d'activité de produit de cosmétique solaire.

Le Groupe L'Oréal et tout particulièrement la SNC Cosmétique Active France qui commercialise des produits Vichy, ont entrepris une opération publicitaire et promotionnelle de très grande envergure pour la période du 24 juin au 6 juillet 1996 portant sur les produits " Capital Soleil " de Vichy, à l'exception des sticks lèvres auto-bronzants, après-soleil.

Le remboursement est plafonné à 76 F et limité à un remboursement par foyer moins 10 F réservé à la Fondation pour la recherche médicale à condition que le consommateur renvoie à Vichy le bulletin de participation dûment complété, le ticket de caisse comportant la date, le cachet de vente, le Code barre du produit recopié, un relevé d'identité bancaire.

Par acte en date du 21 juin 1996, la société CFRB et la société Ceredap ont fait assigner devant le Magistrat des Référés du Tribunal de commerce de Lyon, la société L'Oréal, la SNC Cosmétique Active France aux fins de faire juger que l'offre promotionnelle litigieuse constituait un acte de concurrence particulièrement déloyale, constitutif d'un trouble manifestement illicite et d'une atteinte à l'ordre public économique, de faire interdire en raison de l'urgence purement et simplement la pratique litigieuse sous astreinte définitive de 100 000 F par infraction constatée.

Par ordonnance en date du 25 juin 1996, le Magistrat des Référés du Tribunal de commerce de Lyon a :

- ordonné l'interruption de la campagne publicitaire basée sur le remboursement aux consommateurs du prix d'achat des produits Capital Soleil dans la limite de 76 F et à l'exception de la somme de 10 F versée au profit de la Fondation pour la recherche médicale ;

- dit que cette interdiction porterait sur toute publicité relevée hors et sur les lieux de vente sous astreinte provisoire de 100 000 F par infraction constatée à compter d'un délai de 24 heures après la signification de la présente ordonnance et sur tout remboursement consécutif à une vente des produits de la gamme Capital Soleil vendus après un délai de 24 heures après la signification de la présente ordonnance sous astreinte provisoire de 2 000 F par infraction constatée ;

- s'est expressément le droit de liquider l'astreinte par application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991 ;

- condamné les défenderesses à payer aux demanderesses la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur assignation à jour fixe, la société L'Oréal et la société Cosmétique Active France ont relevé appel de cette décision.

Elles demandent à la cour :

- de dire que le juge des référés était incompétent en fonction de l'absence de trouble manifestement illicite ;

Subsidiairement :

- de débouter les sociétés intimées de toutes leurs demandes tant irrecevables que mal fondées ;

- de condamner solidairement la société SEFRB et la société Ceredap à payer à la société L'Oréal la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à la société Cosmétique Active France la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles font valoir à l'appui de leurs prétentions :

- que l'offre promotionnelle est loyale, qu'il ne peut être reproché une opération massive des ventes à perte ; que même s'il y avait en finale un débours modique pour le consommateur, cette pratique n'a rien d'illicite ni d'anormale dans le cadre d'une telle promotion ;

- que s'il y a un préjudice, il participe au jeu normal de l'activité concurrentielle ;

- que la société Cosmétique Active France constitue une société indépendante qui gère ses comptes et ses budgets ; que lors d'une opération promotionnelle le taux de remontée ne dépasse pas en général 4 à 6 % ; qu'une position dominante ne peut être sanctionnable que s'il y a faute ;

- que l'opération est une opération de vente dite " Buy Back " reposant sur un calcul de probabilité avec des risques maîtrisés, puisqu'au-delà de 5 % le risque est pris par une compagnie d'assurance ;

- que le fait que l'opération ne se déroule que sur deux semaines et ne concerne que quelques références de produit, ne peut en aucun cas faire croire qu'il y a une intention ou un simple risque d'élimination d'un concurrent quel qu'il soit.

Les sociétés SEFRB et Ceredap demandent à la cour :

- de débouter purement et simplement la société L'Oréal et Cosmétique Active France de l'appel interjeté ;

- de confirmer en toutes ses dispositions la décision rendue ;

- de condamner les appelantes au paiement de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles soutiennent :

- que tout abus d'une position dominante est sanctionnable aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 1382 du Code civil ;

- que des pratiques commerciales déloyales sont la plupart du temps d'expression de cet abus ;

- qu'il est faux de soutenir que la société Cosmétique serait une entité juridique totalement distincte du Groupe L'Oréal, gérant de ses affaires pour son propre compte et sans en référer à personne ; que la société Cosmétique Active France est une SNC au capital de 100 000 F dont le principal associé est la société L'Oréal, elle-même, qu'il y a position dominante ;

- que l'offre promotionnelle est déloyale ; que cette pratique objective de prix anormalement bas se double d'un message publicitaire particulièrement subjectif à l'attention du consommateur ; que Vichy entretient à des fins mercantiles une peur face aux risques d'une exposition anormalement élevée au soleil ;

- que seul les moyens financiers du Groupe L'Oréal lui permettent de telles pratiques, la perte était de 53 F par produit vendu, outre le coût faramineux inhérent à l'organisation de l'opération ; que les moyens médiatiques mis en œuvre sont stupéfiants ;

- que l'ensemble des moyens mis en œuvre, le caractère indiscutablement attractif de l'offre pour le consommateur et la période de validité sont de nature à porter un coup fatal à la concurrence et au premier chef à des concurrents de taille modeste ;

- que les justifications apportées ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère particulièrement déloyal de la promotion.

Motifs et décision

Attendu qu'il résulte de l'étude JMS de 1995 relative aux écrans solaires que le Groupe L'Oréal par la vente des produits Vichy, Biotherm, Rocheposak, Phas, SEFRB, Neutrogéna détient plus de 40 % du marché ;

Que même si l'on considère qu'une position dominante doit être appréciée au regard de l'activité de l'ensemble des sociétés du Groupe et pas seulement en tenant compte de la part du marché détenue par la société Cosmétique Active France et que l'on est en présence d'une position dominante seul pourrait être sanctionné un abus de position dominante ;

Qu'il convient donc de rechercher si les appelantes se sont livrées à des pratiques commerciales déloyales constitutives d'un trouble manifestement illicite ainsi que le soutiennent les Sociétés SEFRB et Ceredap ;

Attendu que le message publicitaire de la campagne promotionnelle s'il positive le geste d'achat en indiquant qu'une somme de 10 F sera reversée à la Fondation pour la recherche médicale et fait apparaître que la société Cosmétique Active France s'intéresse à la recherche, n'a rien en soit d'illicite ;

Que le choix de la date de l'opération en début des vacances d'été n'est pas critiquable ;

Attendu par ailleurs que l'opération promotionnelle dite du Buy Back repose sur un calcul de probabilité quant à la demande de remboursement et sur la prise en charge par une compagnie d'assurance moyennant une prime payée par l'auteur de la promotion ;

Que les sociétés appelantes font valoir à cet égard que les prévisions de vente par suite de l'opération promotionnelle s'élèvent à 100 000 produits ; que la compagnie d'assurance s'est engagée à les indemniser à partir du moment ou le montant des remboursements dépasserait 857 340 F ce que compte tenu d'un prix moyen de 70 F par produit et d'une vente espérée de 100 000 unités donne 12 247 remontée ce qui correspond à 12,2 % ; que la Compagnie d'Assurance garanti le risque jusqu'à un taux de remontée de 23,7 % ;

Qu'elles ajoutent alors que la marge par produit est de 25 F que le remboursement est de 76 F ; que le pharmacien règle 43 F ; que la perte théorique est de 8 F par produit (76 - 43 + 25 - 8), en admettant que tous les produits vendus soient remboursés par Vichy dans la limite de mise à sa charge par le contrat d'assurance soit 857 340 : 76 - 11 276 unités l'opération coûterait à Vichy 8 x 11 000 - 88 000 F et rapporterait 25 F représentant la marge soit 89 000 x 25 - 2 225 000 F ;

Or attendu que la perspective de vente de 100 000 produits par suite de l'opération promotionnelle se trouve accréditée par le fait que ce chiffre a servi à l'appréciation du risque par l'assureur ;

Que l'étude de la SEFRB qui fait apparaître pour des opérations de remboursement moins importantes de l'ordre de 50 % des taux de remontée de 5 à 7 % renforce l'idée que le taux de remontée n'excédera pas celui pris en charge par l'assureur ;

Que même si l'on admet qu'il ne s'agit que d'une prévision et que compte tenu de l'ampleur de la campagne, de la tournure caritative qu'elle prend, de l'importance du montant remboursé, il peut se révéler un taux de remontée plus important, il ne peut être retenu a priori que l'on est en présence d'une opération intervenant à perte ;

Attendu que d'autre part que l'opération promotionnelle est bien limitée dans le temps ;

Qu'il n'est pas démontré que même appuyée sur une publicité importante, elle pourrait avoir pour effet d'affecter grandement les capacités concurrentielles d'autres entreprises ni d'éliminer des concurrents ;

Attendu qu'ainsi ne se trouve pas suffisamment caractérisé l'existence d'une pratique constitutive d'un trouble manifestement illicite permettant au juge des référés d'interdire l'opération promotionnelle entreprise ;

Attendu que les Sociétés SEFRB et Ceredap doivent être condamnées à payer à chacune des appelantes la somme de 5 000 F ;

Attendu que les Sociétés SEFRB et Ceredap doivent être condamnées aux dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant la décision déférée ; Dit n'y avoir lieu à référé ; Condamne in solidum les Sociétés SEFRB et Ceredap à payer à chacune des sociétés, la société L'Oréal et la société Active France, la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne in solidum la société SEFRB et la société Ceredap aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ceux d'appel recouvrement direct au profit de la SCP Junillon et Wicky, avoués.